Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la politique de défense, la sécurité des journalistes sur les lieux de conflit et le débat public sur la défense, Paris le 16 janvier 2002.

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Circonstance : Voeux à la presse, Paris le 16 janvier 2002

Texte intégral

Je voudrais vous dire la satisfaction que j'éprouve à vous rencontrer à nouveau dans ce contexte de détente et d'examen de l'actualité sous un angle différent de ce qu'il est d'habitude.
Les vux de cette année sont, bien sûr, une autre occasion de parler du temps et donc du déroulement d'un certain nombre de changements qui nous ont mis en contact, que j'ai eu à piloter ou à essayer de contrôler, que vous avez eu à analyser et sur lesquels nous avons débattu. Ces changements, ces grandes orientations politiques sont en train de se consolider et pour certaines de devenir des réalités que l'on passe presque sous silence. Je les résumerai en quelques mots ; l'objectif d'excellence opérationnelle et de réactivité, la détermination à s'engager dans les crises et dans les conflits au service de choix que nous croyons justes et dans le cadre de la communauté internationale ; l'Europe et le nouvel équilibre euro- Atlantique, la valorisation du potentiel humain de la Défense avec la concertation et la recherche d'un progrès dans la condition sociale des personnels militaires et civils, une industrie innovante et compétitive, l'efficacité et le pragmatisme dans la gestion des ressources du Ministère et le soutien d'une image sécurisante et empreinte de confiance en direction de nos concitoyens.
Toutes ces orientations politiques auxquelles j'ai apporté mon effort, mon travail avec toute mon équipe, en essayant de mobiliser l'administration centrale du Ministère depuis ces années, deviennent, - avec bien entendu des espaces d'insatisfaction et des débats empreints de critiques -, des points acquis dans notre politique et dans notre réalité nationale.
Le choc supplémentaire que nous avons éprouvé au cours de l'année 2001, c'est-à-dire la concrétisation d'une menace terroriste extrême, de mon point de vue, justifie davantage une accentuation de ces orientations politiques que leur inversion. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que nous n'avons pas à approfondir des réflexions prospectives sur les moyens les mieux adaptés à la réduction de ce risque, de cette menace terroriste maintenant avérée, en particulier, un effort sans doute accru de coordination dans nos moyens. Je ne parle pas simplement des moyens français mais des moyens internationaux de sécurité intérieure par rapport aux moyens classiques armés, je pense que ces orientations gardent leur solidité. Et mon sentiment personnel, celui que j'exprimerai à une phase ou à une autre du débat politique, c'est qu'elles doivent être accentuées et développées avec plus de détermination, plus de clarté encore, en direction des citoyens pour que ces objectifs soient compris et partagés sur un certain nombre de points d'application où il reste des difficultés, ces orientations devront être exprimées avec sans doute de l'audace et une volonté de rupture.
Nos relations sont, bien sûr, centrées sur la recherche d'explications de ces enjeux de Défense et de leurs conséquences sur la vie de notre nation, sur un besoin d'informations qui est celui que vous exprimez professionnellement et déontologiquement et puis sur tout un ensemble d'espace de travail conjoint où nous devons coopérer pour vous fournir les outils, les moyens nécessaires à votre activité professionnelle. Nous devons aussi nous efforcer de faire passer un certain nombre de messages ou de préoccupations que l'on croit conformes à la sécurité du pays et nous devons essayer de nourrir le débat concernant les choix politiques dont je suis chargé de mettre en pratique, de réaliser.
Dans ce travail en commun un débat supplémentaire, renouvelé, est apparu au cours de l'année. C'est la préoccupation de la sécurité des professionnels de la presse en zone opérationnelle, dans les endroits où se déroulent des combats, où se produisent des engagements. Du fait de la dureté des affrontements traditionnels en Afghanistan, nous avons eu à déplorer au cours de l'année 2001, la perte de plusieurs de vos confrères et en particulier les journalistes français Johanne Sutton et Pierre Billaud. Nous avons encore, cette année, à intensifier nos relations, à les sécuriser sous cet angle-là et aussi à les élargir en ce qui concerne la prise en compte des enjeux de Défense et des débats qui correspondent. La période dans laquelle nous entrons va justifier d'autant plus que soient controversés, que soient étalés des arguments opposés en ce qui concerne les enjeux de la politique de Défense.
Je vois arriver, avec une certaine satisfaction d'ailleurs, un progrès de la démocratie pour un pays ayant les responsabilités internationales qui sont les nôtres, c'est la preuve d'un assez large consensus, d'une assez large convergence de l'ensemble des forces politiques appelées aux responsabilités sur au moins les objectifs de notre politique de Défense. Tout ce que je perçois déjà de la controverse naissante, c'est une discussion sur des problèmes de moyens, sur des problèmes de niveau de crédits, sur des problèmes d'effectifs. Ce qui veut dire, du moins par déduction, que nous ne nous contredisons pas sur le reste. Et puis cette situation politique de politisation accrue va nous mettre davantage en relation que cela n'a été le cas au cours des années passées puisqu'il y aura un besoin d'apporter des faits, d'éclairer des situations et de gérer la diversité des opinions, les contradictions, le choc des idées. Je pense que l'existence d'un débat en matière de Défense, des contradictions ou des controverses, est le signe d'une certaine vitalité et d'un niveau de responsabilité du pays.
Les pays qui sont vraiment un peu en marge des grands enjeux internationaux sont des pays dans lesquels il y a peu matière à débats et à confrontations d'idées dans le domaine de la Défense, parce qu'en réalité cela a peu de répercussions concrètes. J'ai souvent envié le niveau de controverse et de vitalité dans l'échange de positions contradictoires observé, en particulier, chez nos amis américains et britanniques. Plus la France se rapprochera de ce niveau de tonus dans les échanges en matière stratégique et de sécurité internationale mieux ce sera. Surtout si, les axiomes, les postulats politiques d'intérêt du pays sont largement partagés. Il nous faut trouver la cohérence ou la compatibilité entre ces préoccupations de Défense et d'autres aspirations de la société. Ce n'est pas empreint de contradiction, nous le vivons dans la vie quotidienne à travers les contradictions budgétaires, c'est-à-dire le fait que les objectifs et les besoins de la Défense sont au quotidien confrontés aux autres aspirations du pays qui s'expriment dans les programmes et dans les budgets d'autres fonctions de l'Etat. Vous, d'une certaine façon, le vivez aussi à travers les discussions, parfois âpres sur l'espace dévolu aux préoccupations de Défense et à vos propres réflexions par rapport à celles qui sont portées avec également beaucoup de fougue et de motivation par vos confrères chargés d'autres rubriques.
Il arrive - cela fait partie de nos funestes servitudes -, que lorsqu'un sujet devient vraiment grand public, en ce qui vous concerne, ce ne sont pas forcément les personnes qui ont travaillé pendant toute l'année sur les questions de Défense qui arrivent le mieux à le répercuter ou à l'exploiter. Et en ce qui nous concerne lorsque quelque chose réussit, - ce qui malgré tout peut se produire dans la sphère publique -, comme la récente réussite logistique de l'euro, il y a eu un certain nombre de rappels du rôle des forces de sécurité.
Je termine en disant que la période dans laquelle nous entrons va nous confier, aux uns et aux autres, la responsabilité de faire toute la place, malgré d'autres aspirations, à cette double ambition de sécurité et d'influence sur le cours de la vie internationale qui marque la préoccupation et la politique de Défense dans notre pays, dans une compétition politique qui a toute sa légitimité et toute sa valeur pour rendre la parole à nos concitoyens. Ce sera donc une année passionnante.
Je pense qu'elle ne sera pas exempte d'épisodes divertissants, heureusement on ne sera pas uniquement dans le choc des idées et dans l'austérité des préoccupations de constructions méthodiques de l'avenir, mais qui aura aussi un certain nombre de " gags ", un certain nombre de situations de controverse qui peuvent tourner à la confusion des uns et des autres. Naturellement, les " gags " sont toujours appréciés quand ce sont d'autres qui en sont les victimes. Mais la roue tourne, forcément !
Je crois qu'il faut se réjouir ensemble de vivre une année d'intenses débats, d'intenses échanges d'idées, d'intenses confrontations politiques dans lesquels mon tempérament militant m'amènera sans doute à m'engager quelque peu, en tout cas dans la place qui pourra tout simplement me revenir dans le travail politique de ma famille de pensée. Ce sera donc une nouvelle occasion de contact entre nous, je souhaite que ce contact reste aussi empreint de respect mutuel et d'écoute qu'il l'a été toutes ces années passées. Pour cela, je dois vous apporter à tous l'expression de ma gratitude et de mon estime pour votre professionnalisme. C'est donc dans ce cadre que je vous présente mes vux les plus cordiaux, les plus chaleureux, et mes souhaits de succès dans vos activités professionnelles ainsi que dans vos vies personnelles, avec l'expression, encore une fois, de toute mon amitié.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 25 janvier 2002)