Texte intégral
Q - Quel bilan pouvez-vous tirer de cette première journée où certaines offres ont été assez surprenantes ?
R - Si on s'en tient aux annonces qui ont été faites, la solidarité internationale est au rendez-vous. Il reste sans doute à examiner ces offres car j'observe que les comparaisons sont difficiles à faire entre celles qui portent sur 5 ans mais sans préciser sur quoi elles vont correspondre pour la première année, et d'autres, comme la France, qui concernent cette année, voire les mois immédiats, sans intégrer ce que nous allons donner dans trois, quatre ou cinq ans. Nous avons des règles d'engagement budgétaire qui rendent difficiles ce type de promesses. Pour autant, on voit que la Communauté européenne, si on additionne les Etats membres et la part proprement Commission, va être le plus gros donateur, ce qui n'est pas anormal. On voit aussi que les Etats-Unis font une offre un peu plus importante que ce que nous avions pensé ou redouté il y a quelques semaines.
Q - Pourquoi redouté ?
R - Parce qu'on pensait qu'ils avaient fait le choix d'une intervention, non pas éphémère, mais de moindre durée. Or ce matin, nous avons entendu Colin Powell s'engager dans la durée à reconstruire l'Afghanistan, ce qui est une bonne nouvelle pour tout le monde. Je trouve bien d'ailleurs que les Américains aient fait ce choix. Ce sont des acteurs importants dans toute cette histoire. Le Japon s'est fortement impliqué, pour des raisons qui tiennent à son identité asiatique qu'il réaffirme ainsi ; des raisons peut-être aussi politiques en souhaitant ainsi entrer davantage dans la partie internationale. Et puis des pays voisins qui ont fait des offres importantes : l'Iran, dont nous savons qu'il a une très grande préoccupation sur la question du pavot, de la drogue, et qui a aussi 2 millions de réfugiés afghans qu'il souhaiterait voir repartir dans leur pays. L'Inde également.
Les chiffres annoncés sont importants mais il reste à mieux les préciser parce que certains intègrent l'aide alimentaire, d'autres pas. Et il reste surtout à préciser quel est le rythme avec lequel ils vont être mobilisés. Or la grande inquiétude aujourd'hui c'est l'urgence. Tous ceux qui vont s'impliquer dans cette reconstruction très concrètement, je pense évidemment d'abord au gouvernement intérimaire, je pense aux agences des Nations unies, insistent sur l'urgence en disant : "Vos promesses c'est bien, mais ce qui nous intéresse davantage c'est ce que vous pouvez nous donner tout de suite, parce que c'est tout de suite que nous avons besoin de payer les fonctionnaires, de renforcer le déminage, d'engager la destruction des cultures du pavot, donc de proposer des solutions de substitution". Et là, si la France n'a pas fait une offre mirobolante et au long cours, elle a pris des engagements précis. Y compris de décaisser rapidement les sommes sur lesquelles nous nous sommes engagés, qui ne sont pas négligeables, je le rappelle : 27,5 millions d'euros pour les mois qui viennent, hors aide humanitaire. Sans compter, bien sûr, la part que nous prenons nous-mêmes dans le budget communautaire. Sans oublier ce que nous donnons par ailleurs aux institutions internationales. Je pense en particulier aux agences onusiennes.
Q - L'administrateur du PNUD avait réclamé deux jours avant la conférence, 1,7 milliard de dollars pour la première année. Pour la suite, je suppose que cela va être quand même conditionné par la capacité du gouvernement intérimaire et de la "Loya Jirga" à installer un gouvernement de transition qui va conduire à des élections?
R - Certaines délégations ont dit qu'elles n'étaient prêtes à payer que la moitié de leur engagement, et qu'elles attendraient, pour payer le reste, de voir comment les autorités afghanes allaient gérer tout cela. En particulier, comment elles allaient faire revivre les Droits de l'Homme, surtout ceux des femmes. Sans qu'on puisse parler de conditionnalité, il y a une pression forte de la communauté internationale en direction des autorités afghanes pour que le retour à la démocratie se fasse bien et le retour aux Droits de l'Homme et de la femme aussi.
Q - M. Hamid Karzaï, le chef du gouvernement intérimaire, a tenté de rassurer lors de son discours à l'ouverture. Avez-vous été convaincu ? Vos partenaires aussi ?
R - Le jugement que nous portons sur les premières semaines de gouvernement d'Hamid Karzaï et son équipe est positif. Nous allons évidemment suivre de près l'évolution de la situation en Afghanistan. Mais la décision prise, par exemple, de mettre le pavot hors la loi est courageuse et va dans le sens que nous attendions. S'agissant des droits des femmes, il faut parier sur des changements de comportement que les autorités afghanes doivent encourager. Mais on peut être conscient que ceci va être un peu long. En revanche, il y a des principes sur lesquels nous ne transigerons pas : par exemple le libre accès des filles à l'école ou au lycée. C'est encore plus vrai pour les lycées dont nous allons nous occuper.
Q - La question de la sécurité est cruciale. Va-t-on s'acheminer en Afghanistan vers un schéma qui s'est déjà passé au Mozambique par exemple, où les miliciens ont été payés pour lâcher leurs armes?
R - Sauf à pouvoir offrir tout de suite un emploi, il faudra bien en passer ici aussi par-là. C'est ce qui se passe dans tous les pays en guerre. C'est ce qui se passe en Sierra Leone en ce moment même. C'est ce qui va devoir se passer au Congo. Mais dans tous les pays où il y a trop de soldats perdus, si on veut qu'ils soient réintégrés dans la société civile, il faut leur offrir des moyens de vivre en dehors de leur kalachnikov. La communauté internationale va donc devoir apporter sa contribution pour cela.
Q - En tout état de cause, il est un peu tôt pour parler d'opportunités d'investissements, mais lorsqu'on sera à ce stade, pensez-vous qu'une certaine francophilie des dirigeants afghans va favoriser les entreprises françaises?
R - Même un peu de Francophonie, et j'en suis content ! J'étais heureux d'entendre ce matin le ministre afghan chargé de la Reconstruction s'exprimer en français dans cette salle, où il y avait tout de même une forte majorité anglo-saxonne et anglophone. Je pense que cette relation où se mêle une part d'affect entre la France et l'Afghanistan aura aussi des retombées dans notre relation économique. Pour autant, il faudra bien que les entreprises françaises soient au rendez-vous de cette reconstruction. Ce n'est pas avec un souci de retour sur
investissement que je le dis, mais on ne comprendrait pas que les entreprises françaises, bonnes sur le plan de l'énergie, de l'eau, des transports, de l'électricité, ne soient pas présentes pour faire valoir leurs compétences. C'est bien aussi pour l'Afghanistan que ce soient les meilleurs qui s'en mêlent.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2002)
R - Si on s'en tient aux annonces qui ont été faites, la solidarité internationale est au rendez-vous. Il reste sans doute à examiner ces offres car j'observe que les comparaisons sont difficiles à faire entre celles qui portent sur 5 ans mais sans préciser sur quoi elles vont correspondre pour la première année, et d'autres, comme la France, qui concernent cette année, voire les mois immédiats, sans intégrer ce que nous allons donner dans trois, quatre ou cinq ans. Nous avons des règles d'engagement budgétaire qui rendent difficiles ce type de promesses. Pour autant, on voit que la Communauté européenne, si on additionne les Etats membres et la part proprement Commission, va être le plus gros donateur, ce qui n'est pas anormal. On voit aussi que les Etats-Unis font une offre un peu plus importante que ce que nous avions pensé ou redouté il y a quelques semaines.
Q - Pourquoi redouté ?
R - Parce qu'on pensait qu'ils avaient fait le choix d'une intervention, non pas éphémère, mais de moindre durée. Or ce matin, nous avons entendu Colin Powell s'engager dans la durée à reconstruire l'Afghanistan, ce qui est une bonne nouvelle pour tout le monde. Je trouve bien d'ailleurs que les Américains aient fait ce choix. Ce sont des acteurs importants dans toute cette histoire. Le Japon s'est fortement impliqué, pour des raisons qui tiennent à son identité asiatique qu'il réaffirme ainsi ; des raisons peut-être aussi politiques en souhaitant ainsi entrer davantage dans la partie internationale. Et puis des pays voisins qui ont fait des offres importantes : l'Iran, dont nous savons qu'il a une très grande préoccupation sur la question du pavot, de la drogue, et qui a aussi 2 millions de réfugiés afghans qu'il souhaiterait voir repartir dans leur pays. L'Inde également.
Les chiffres annoncés sont importants mais il reste à mieux les préciser parce que certains intègrent l'aide alimentaire, d'autres pas. Et il reste surtout à préciser quel est le rythme avec lequel ils vont être mobilisés. Or la grande inquiétude aujourd'hui c'est l'urgence. Tous ceux qui vont s'impliquer dans cette reconstruction très concrètement, je pense évidemment d'abord au gouvernement intérimaire, je pense aux agences des Nations unies, insistent sur l'urgence en disant : "Vos promesses c'est bien, mais ce qui nous intéresse davantage c'est ce que vous pouvez nous donner tout de suite, parce que c'est tout de suite que nous avons besoin de payer les fonctionnaires, de renforcer le déminage, d'engager la destruction des cultures du pavot, donc de proposer des solutions de substitution". Et là, si la France n'a pas fait une offre mirobolante et au long cours, elle a pris des engagements précis. Y compris de décaisser rapidement les sommes sur lesquelles nous nous sommes engagés, qui ne sont pas négligeables, je le rappelle : 27,5 millions d'euros pour les mois qui viennent, hors aide humanitaire. Sans compter, bien sûr, la part que nous prenons nous-mêmes dans le budget communautaire. Sans oublier ce que nous donnons par ailleurs aux institutions internationales. Je pense en particulier aux agences onusiennes.
Q - L'administrateur du PNUD avait réclamé deux jours avant la conférence, 1,7 milliard de dollars pour la première année. Pour la suite, je suppose que cela va être quand même conditionné par la capacité du gouvernement intérimaire et de la "Loya Jirga" à installer un gouvernement de transition qui va conduire à des élections?
R - Certaines délégations ont dit qu'elles n'étaient prêtes à payer que la moitié de leur engagement, et qu'elles attendraient, pour payer le reste, de voir comment les autorités afghanes allaient gérer tout cela. En particulier, comment elles allaient faire revivre les Droits de l'Homme, surtout ceux des femmes. Sans qu'on puisse parler de conditionnalité, il y a une pression forte de la communauté internationale en direction des autorités afghanes pour que le retour à la démocratie se fasse bien et le retour aux Droits de l'Homme et de la femme aussi.
Q - M. Hamid Karzaï, le chef du gouvernement intérimaire, a tenté de rassurer lors de son discours à l'ouverture. Avez-vous été convaincu ? Vos partenaires aussi ?
R - Le jugement que nous portons sur les premières semaines de gouvernement d'Hamid Karzaï et son équipe est positif. Nous allons évidemment suivre de près l'évolution de la situation en Afghanistan. Mais la décision prise, par exemple, de mettre le pavot hors la loi est courageuse et va dans le sens que nous attendions. S'agissant des droits des femmes, il faut parier sur des changements de comportement que les autorités afghanes doivent encourager. Mais on peut être conscient que ceci va être un peu long. En revanche, il y a des principes sur lesquels nous ne transigerons pas : par exemple le libre accès des filles à l'école ou au lycée. C'est encore plus vrai pour les lycées dont nous allons nous occuper.
Q - La question de la sécurité est cruciale. Va-t-on s'acheminer en Afghanistan vers un schéma qui s'est déjà passé au Mozambique par exemple, où les miliciens ont été payés pour lâcher leurs armes?
R - Sauf à pouvoir offrir tout de suite un emploi, il faudra bien en passer ici aussi par-là. C'est ce qui se passe dans tous les pays en guerre. C'est ce qui se passe en Sierra Leone en ce moment même. C'est ce qui va devoir se passer au Congo. Mais dans tous les pays où il y a trop de soldats perdus, si on veut qu'ils soient réintégrés dans la société civile, il faut leur offrir des moyens de vivre en dehors de leur kalachnikov. La communauté internationale va donc devoir apporter sa contribution pour cela.
Q - En tout état de cause, il est un peu tôt pour parler d'opportunités d'investissements, mais lorsqu'on sera à ce stade, pensez-vous qu'une certaine francophilie des dirigeants afghans va favoriser les entreprises françaises?
R - Même un peu de Francophonie, et j'en suis content ! J'étais heureux d'entendre ce matin le ministre afghan chargé de la Reconstruction s'exprimer en français dans cette salle, où il y avait tout de même une forte majorité anglo-saxonne et anglophone. Je pense que cette relation où se mêle une part d'affect entre la France et l'Afghanistan aura aussi des retombées dans notre relation économique. Pour autant, il faudra bien que les entreprises françaises soient au rendez-vous de cette reconstruction. Ce n'est pas avec un souci de retour sur
investissement que je le dis, mais on ne comprendrait pas que les entreprises françaises, bonnes sur le plan de l'énergie, de l'eau, des transports, de l'électricité, ne soient pas présentes pour faire valoir leurs compétences. C'est bien aussi pour l'Afghanistan que ce soient les meilleurs qui s'en mêlent.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2002)