Texte intégral
Le Figaro : Qu'est-ce qui vous a le plus surpris depuis que vous êtes à Matignon ?
Édouard Balladur : Mis à part, bien sûr, l'état dans lequel j'ai trouvé le pays, qui était pire que ce que j'avais imaginé, ce qui m'a le plus étonné, c'est de voir la résonance que pouvaient avoir les propos d'un Premier ministre. Je suis, personnellement, très amateur de ma liberté d'expression. Je m'efforce donc maintenant d'apprendre à mesurer l'écho que pourraient avoir mes propos. Ce n'est pas toujours très facile (petit sourire).
Le Figaro : L'État fonctionne-t-il comme vous le souhaitez ? Est-ce que quand vous prenez une décision…
Édouard Balladur : L'État a toujours une bonne administration, grâce au ciel, et un corps de fonction publique exemplaire. Ce qu'il faut, c'est, s'efforcer de tenir cette fonction publique le plus éloignée possible de la politique. Il faut stabiliser la fonction publique.
Le Figaro : Vous aviez eu une image étonnamment mauvaise quand vous étiez ministre des Finances. Et quand vous êtes revenu, vous avez tout de suite eu une image excellente. Qu'avez-vous fait ?
Édouard Balladur : Rien. Je n'ai pas changé. Je vis toujours comme j'ai toujours vécu (grand sourire). Je vous jure que je n'ai pas eu recours à des conseillers en communication. Peut-être que je me suis inconsciemment rendu compte que la vie publique avait… (hésitations) des contraintes. Il faut bien dire qu'en 1986 je suis entré de but en blanc dans la vie publique. Ce n'était pas mon métier.
Il a sans doute fallu une… (nouvelle hésitation) adaptation nécessaire. Vous savez, les gens qu'on dit froids sont toujours des timides. Et puis, ce qui passait mal il y a six ans passe peut-être mieux aujourd'hui. Le pays a peut être besoin de sérieux et de solidité.
Le Figaro : Quel est votre meilleur souvenir de ces neuf derniers mois ?
Édouard Balladur : La libération des enfants pris en otages dans une école de Neuilly… Le succès de l'emprunt, parce que j'ai eu la faiblesse de penser que c'était un peu une preuve de confiance qu'on me donnait personnellement…
Le Figaro : Votre plus mauvais souvenir ?
Édouard Balladur : L'annonce du suicide de mon prédécesseur. Et la crise monétaire.
Le Figaro : Ce serait quoi, pour vous, un « séjour réussi » à Matignon ?
Édouard Balladur : Que le pays aille mieux, c'est-à-dire que la dérive du chômage soit stoppée, que la tendance soit inversée, que la croissance commence à repartir. Mais aussi que les problèmes de sécurité et de justice soient mieux dominés, que l'État apparaisse bien géré. Et puis, je dirais qu'il y a un vrai problème psychologique. La tendance au repliement sur soi a été fréquente dans notre histoire. Elle est mauvaise à tous les points de vue. Mous sommes devenus un grand pays exportateur. Un quart de nos emplois sert à l'exportation. Le repliement serait absurde.
En 1958, quand de Gaulle est arrivé, on lui a demandé s'il voulait continuer la construction de l'Europe malgré l'opposition du patronat. Sur une note que j'ai vue, le général a écrit en marge, en évoquant ce patronat qui redoutait la concurrence européenne : « Ils sont forts, mais ils ne le savent pas. » Aujourd'hui, j'ai envie de dire aux Français : « Vous êtes forts, mais vous ne le savez pas ». Ce qu'il faut, c'est rendre confiance aux Français sans leur mentir, susciter le volontarisme sans faire naître l'illusion. On peut me faire beaucoup de reproches, mais pas d'avoir menti, jamais.
Le Figaro : Alors votre calendrier…
Édouard Balladur : Que le pays aille déjà mieux dans moins de deux ans, avant l'élection présidentielle, et que les effets réels soient évidents dans cinq ans.
Le Figaro : Ça veut dire que vous envisagez l'hypothèse de rester cinq ans à Matignon ?
Édouard Balladur : Ah ça ! Il n'en est pas question ! Cinq ans à Matignon, ça jamais ! Non, deux ans, oui… Après, on verra bien ! (Sourire dubitatif)
Le Figaro : Qu'est-ce que vous lisez en ce moment, le soir, chez vous ?
Édouard Balladur : Je lis l'Histoire des templiers. C'est très amusant parce que c'est absolument affreux (éclat de rire). J'ai commencé le dernier livre de Claude Allègre, intéressant. Et puis je lis le livre d'un Chinois que quelqu'un m'a envoyé.
Le Figaro : Qui vous a envoyé ce livre d'un Chinois ?
Édouard Balladur : Quelqu'un que je ne connais pas… (petit sourire). Et non, non, ce n'est pas Chirac !