Interviews de M. François Bayrou, président délégué de l'UDF et président de Force démocrate, dans "Paris-Match" le 2 avril 1998 et "Le Figaro" le 3, sur sa proposition de création d'une nouvelle formation politique de centre et de centre droit à la place de l'UDF, sa volonté de construire un projet de société à partir de ce nouveau parti, et sur les relations entre la droite et le Front national.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Paris Match

Texte intégral

Paris-Match le 2 avril 1998

Paris-Match
Jacques Chirac a-t-il eu raison d’intervenir lundi, en pleine crise politique de la droite ?

François Bayrou
– J’ai trouvé le Président de la République remarquable. C’était le moment de remettre les pendules à l’heure alors que les esprits s’affolaient. Jacques Chirac arrêté cette décomposition. Je lui en suis reconnaissant.

Paris-Match
–Presque un an après la dissolution, il a donc repris la main dans son camp et le voici redevenu le vrai chef de l’opposition affaiblie ?

François Bayrou
– Il est le chef de l’État, mais qu’il soit une référence, tant mieux ! Chaque fois que des propos justes et des idées claires remettent de l’ordre dans les têtes, je suis pour.

Paris-Match
– Après le tremblement de terre des régionale et des cantonales, quelles propositions allez-vous faire pour amorcer la recomposition de la droite ?

François Bayrou
– Il faut mesurer la profondeur de ce qui s’est passé. C’est le terme d’un long processus l’affaire du Front national d’abord. On a vu apparaître au grand jour un courant qui existait depuis longtemps, et qui veut l’accord avec l’extrême droite. Ce courant n’est pas, comme on l’a dit trop facilement, provoqué par l’ambition de quelques-uns ; il est sincère et profond dans une certaine partie de la droite. Et sur l’autre rive, il y a ceux, de droite ou du centre, qui considèrent qu’en s’alliant avec le Front national ils sacrifient l’essentiel. Les deux tendances existaient depuis longtemps. Pour la première fois, elles s’affrontent au grand jour, dans une ambiance de chaos. Et ce chaos provoque un deuxième phénomène : plus que jamais, l’opinion dit en parlant des politiques « tous les mêmes, sous pourris, on ne peut pas leur faire confiance ». Il faut reconstruire un mouvement politique fiable, nouveau, sur l’espace du centre et du centre droit, pour commencer qui apportera des réponses nettes aux grandes questions. Car, c’est clair, nous ne pouvons plus continuer dans cette confusion.

Paris-Match
– Quelles sont ces grandes questions ?

François Bayrou
– D’abord, la société. Je suis frappée par la montée de la violence et de l’extrémisme, de gauche et de droite. Est-ce qu’un mouvement politique central doit servir les discours extrême ou se battre contre eux ? Je réponds qu’il doit les combattre. Sa vocation est de faire baisser les tensions et non pas de les faire monter, de rassembler et non pas de diviser. Quand les uns disent « à gauche, toute », et les autres « à droite, toute », ils trahissent cette vocation. Deuxièmement, l’Europe : est-elle l’ennemie de la nation ou l’alliée de la nation. Je réponds qu’elle en est l’alliée et qu’il faut arrêter de regarder l’avenir avec cette espèce de frayeur. Corrigeons l’Europe si elle doit l’être, mais ne la craignons pas. Troisièmement : les valeurs de vie ; Il n’y a pas que l’économie dans la vie. Pour avoir confiance dans l’avenir, les êtres humains ont besoin de valeurs stables : ils ont besoin de penser qu’ils peuvent aimer, avoir des enfants dans des cadres que les politiques défendront au lieu de les saper. Ils ont besoin de penser que leurs enfants seront défendus contre la drogue ou contre la violence comme inévitables : les Français ont assez de bon sens pour savoir que l’avenir est à la liberté et à la compétition, qu’il n’y a pas lieu de le craindre, mais de le préparer. C’est une vision optimiste de l’avenir, et non pas la servilité devant les peurs de notre temps.

Paris-Match
– Ce qui veut dire que l’UDF telle qu’elle existe est condamnée ?

François Bayrou
– À question franche, réponse France : oui, il faut une mutation. C’est une page qui se tourne. L’UDF est une forme politique qui a été très utile, mais qui correspondait à un autre temps : aujourd’hui, il faut être capable de défendre une ligne claire. Je propose la création d’une formation politique nouvelle, unitaire, sur l’espace du centre droit et du centre, dont on sache clairement ce qu’elle veut et ce qu’elle cherche, et qui ne soit pas soupçonnable de magouille et de compromission.

Paris-Match
– Quel rôle entendez-vous faire jouer à Force démocrate ?

François Bayrou
– Si mes amis me suivent, Force démocrate, comme d’autres, mettra tout son poids et toutes ses forces dans ce projet, et apportera sa pierre au nouvel ensemble.

Paris-Match
– Mais comment résoudre la question du Front national ? Qu’en faire ? Le repousser, l’absorber ?

François Bayrou
– Créer une dynamique assez forte sur nos thèmes, projet contre-projet. Le repousser en disant la même chose que lui, c’est voué à l’échec, on l’a vu. L’absorber, ce serait se ranger sur la ligne qu’il fixera.

Paris-Match
– La rénovation que vous proposez doit-elle entraîner le renouvellement des hommes ?

François Bayrou
– Forcément, oui, la distribution des rôles sera différente.

Paris-Match
– Quel sera votre rôle personnel ?

François Bayrou
– Il sera celui que décideront les militants, et le destin.

Le Figaro le 3 avril 1998

Le Figaro.
Quelques jours après votre appel à la création d’un nouveau parti, l’UDF semble être revenue à ses vieilles habitudes de prudence, de compromis, de défense de chapelles. Dira-t-on bientôt que ce fut « beaucoup de bruit pour rien » ou peu de chose ?

François Bayrou.
Non. Le mouvement est lancé. On ne l’arrêtera plus. En tout cas, pour ma part, j’irai jusqu’au bout. Et je suis frappé de voir le nombre et la qualité de ceux qui partagent cette conviction. Aujourd’hui, chacun s’exprime ou veut s’exprimer, dans les groupes parlementaires ou sur le terrain. Tous conviennent que cela ne pouvant pas durer comme c’était. La plupart acceptent l’idée d’un parti nouveau, composé à partir des familles de l’UDF et visant à aller bien au-delà. Mais ce serait une maison nouvelle et pas un raccommodage. La clarification était indispensable. Maintenant, je le crois, l’élan est donné, nous ne pourrons pas revenir en arrière.

Le Figaro.
– Pensez-vous que votre désir de clarification soit partagé ? Vous disiez vous-même qu’il existe au sein de la droit un courant sincère et profond en faveur d’un accord avec l’extrême droite. Il disparaît parce que vous excluez quelques élus ?

François Bayrou.
– J’ai tenu à dire moi-même qu’il y avait un courant profond au sein de l’électorat de droite qui ne comprenait pas pourquoi nous refusions l’alliance avec le Front national ou, à tout le moins, de constituer des majorités avec le FN. Raison de plus pour ne pas différer l’explication qui s’impose et s’y … livrer dans la transparence et la clarté. Car, pour beaucoup d’entre nous, il ne s’agit même pas, sur ce sujet, d’idées politiques. C’est bien au-delà : c’est aux raisons de vivre que l’on touche, à quelque chose qui tient à la foi dans la vie. La définition de la personne humaine, de sa dignité intangible, est au centre, non pas seulement de notre engagement, mais de notre vie. Or le Front national, en s’exprimant comme il le fait sur les races, en ne cessant d’insinuer qu’il existe un complot juif, porte une atteinte durable à cette conviction première. J’ajouterai, et pour moi c’est aussi grave, que le Front national choisit, comme « carburant politique » pour alimenter son moteur, de dresser les gens les uns contre les autres, de faire monter les tensions, de créer des affrontements, de chercher des boucs émissaires. Alors que la vocation du politique, dans une société très violente, est d’apaiser les conflits et de réconcilier les gens entre eux, comme à l’intérieur d’une famille.
Tout cela, il convient de l’expliquer, et, surtout, de donner une idée nette de l’espérance que nous voulons incarner. Si nous n’y parvenions pas nous ne nous en relèverions pas. Il n’y aurait pas seulement échec politique, mais perversion de notre conviction et de notre démarche politique.

Le Figaro.
– Toutes les composantes de l’UDF sont loin d’être d’accord sur la manière de lutter contre le Front national. Un ancrage très ferme à droite plutôt qu’au centre serait « plus efficace pour faire revenir à nous ceux qui aujourd’hui votent pour le FN », plaident notamment les libéraux…

François Bayrou.
– Je pense que la plupart des gens qui choisissent le Front national sont désespérés du monde dans lequel nous vivons, et profondément en colère. Il ne suffit pas pour les convaincre de défiler contre eux. Je crois que c’est même le contraire. Il  ne faut pas davantage flirter avec la surenchère. Je suis convaincu qu’il faut montrer à c’est électeurs, concrètement, une autre espérance qui puisse les attirer et les apaiser. Mais, pour autant, je ne rejette pas dans les ténèbres extérieures ceux qui disent : « Essayons de comprendre les raisons de ce vote FN et d’y apporter des réponses. » Être clair, cela ne veut pas dire devenir des espèces d’ayatollahs. La vocation politique c’est la compréhension des autres. Simplement, cette vocation disparaît dès lors qu’on n’est pas capable d’indiquer les bornes au-delà desquelles on n’ira pas.

Le Figaro.
– L’UDF, à plusieurs reprises, a manifesté son impuissance à décider, à avancer, à se régénérer. Une UDF « cor fondée » n’aura-t-elle plus ces défauts ?

François Bayrou.
– L’UDF, c’était un grand projet. Mais l’UDF était arrivée à un moment d’épuisement et d’impuissance politique, mais sur le fond même de ce en quoi elle croyait. Il fallait ouvrir une page nouvelle. Pour changer ce qu’il est nécessaire de changer.

Le Figaro.
– Pour en finir avec l’ambiguïté, avez-vous dit. Concerne-t-elle seulement l’attitude de la droite vis-à-vis de l’extrême droite ?

François Bayrou.
– Cette ambiguïté-là était mortelle. Il convenait donc de l’éradiquer en priorité. Mais notre projet commun ne se définit pas seulement à partir d’un rejet. Les choix positifs sont les plus importants.

Le Figaro.
– Quelles devraient être les lignes de force de ce projet ?

François Bayrou.
– Ce qui me frappe le plus quand je regarde l’opposition dans son ensemble, c’est son déracinement par rapport à la société française. Nous sommes absents de presque tous les secteurs de la société qui lui donnent son énergie. Le seul dans lequel nous soyons présents, c’est le monde des responsables économiques et des professions libérales. Et encore, parfois ceux-là aussi ont l’impression que nous ne les comprenons pas… Mais, pour le reste, dans le monde des salariés, des cadres, de l’Université, de la recherche, dans le monde des créateurs, dans le monde intellectuel, à de très rares exceptions près, quel désert ! Plus grave encore, quel déracinement ! Quelle absence d’échanges ! Quelle incapacité à voir partager notre inspiration !
Il faut donc une double reconstruction. À la fois intellectuelle et sociale, dans le domaine des convictions et dans celui du projet partagé.

Le Figaro.
– Comment y parvenez-vous ?

François Bayrou.
– Pour reprendre pied, il y a, au moins, deux chemins. D’abord, par l’invention d’un fonctionnement démocratique nouveau, donner l'assurance à chacun de ces acteurs qu’il aura une place effective dans les choix politiques de l’avenir. Ensuite, il faut que chacun puisse se représenter concrètement l’évolution de sa situation personnelle dans le monde que nous allons construire.
Je prends un exemple : le monde de l’université et de la recherche, que je crois très important. S’il a le sentiment que notre politique se résume à la suppression de crédits publics à la recherche ou à l’enseignement sans que  lui soit jamais expliqué ni par quoi on va les remplacer, ni quelles vont être remplacé, ni quelles vont être les progressions individuelles, ni quel est notre modèle de recherche publique, alors nous demeurons totalement absents de ce monde.

Le Figaro.
Parallèlement, si les chercheurs n’ont pas le sentiment qu’ils pourront participer aux choix de l’avenir, comment s’investiront-ils dans un projet ?

François Bayrou.
Ce qui est vrai pour les universitaires et les chercheurs est vrai pour les salariés, pour les cadres, pour les professions libérales, etc.

Le Figaro.
– Est-ce que ça n’a pas été toujours le problème de la droite ? La gauche a des intellectuels qui la bousculent, qui nourrissent le débat. La droite connaît plus de difficultés à trouver à l’extérieur ces intellectuels, ces chercheurs…

François Bayrou.
– En effet, depuis la guerre, et même avant, le monde intellectuel français, comme Péguy l’avait senti au début du siècle, est très largement dominé par une vision de gauche. Mais, si les intellectuels ne se sont pas intéressés à notre projet de société, c’est aussi souvent que nos ne nous sommes pas assez intéressés à eux. En dehors de ce que je peux appeler la descendance de Raymonde Aron, dont Jean-Claude Casanova est un brillant exemple, il y a peu de familles intellectuelles qui soient proches de nous. Il y en a davantage dans un seul secteur, le secteur économique. Pour une raison simple : c’est à l’économie que nous avons consacré l’essentiel de notre intérêt. Mais notre discours ne peut pas être qu’économiste.

Le Figaro.
– Comment s’élargira-t-il pour donner corps à un projet ?

François Bayrou.
– Le plus important, pour moi, c’est que ce projet soit un projet de société. Je suis frappé, presque trente ans après, par la justesse de l’intuition qui était celle de Jacques Chaban-Delmas sur la nécessité d’une nouvelle société. Ce qui est frappant en France, c’est le déséquilibre, unique en Europe, entre la société et l’État. En France, on croit que chaque fois qu’il y a un problème, c’est à l’État, avec ses administrations et ses préfets, d’y apporter une réponse. Or l’État, uniforme et lointain, cela ne marche plus. Pour deux raisons : plus la facilité des communications augmente, et plus les gens ont besoin de proximité, c’est-à-dire de relations humaines. Or le monde de l’administration, malgré tous les efforts qui sont faits, est forcément un monde impersonnel et lointain.
D’autre part, plus les problèmes s’aggravent, et plus on a besoin de réponses différenciées. Prenons un exemple : dans le domaine de la sécurité, on ne maintient pas l’ordre de la même manière, on n’assure pas la sécurité de la même manière dans une cité de banlieue, dans un centre-ville tranquille et dans un canton rural. Or, l’administration d’État est mal préparée à adopter les micro-décisions qui s’imposent pour faire face à l’extrême diversité des situations que l’on doit traiter.
C’est le premier volet du déséquilibre entre société et État. Il y en a un second. Je trouve la réflexion sur la société en France très pauvre. Depuis le général de Gaulle, à droite, elle a été presque complètement abandonnée. L’idée du développement du partenariat dans la gestion de la société, la reconnaissance du rôle des syndicats autrement que comme simples porteurs de conflits, la difficulté à organiser le dialogue décentralisé autrement que pour faire semblant : autant de symptômes de notre presque complète absence de pensée sur la société.

Le Figaro.
– Après ce constat, quels sont les remèdes ?

François Bayrou.
– Le principal est celui-ci : tout reconstruire à partir de l’injection de responsabilités parmi les acteurs de la vie nationale. Responsabilité, cela veut dire, en économie, l’oxygène de la liberté. Le choix libéral est incontournable.

Le Figaro.
– Revenez-vous à un projet libéral ?

François Bayrou.
– Le choix libéral en économie ne sera plus discuté d’ici quelques années. Mais, à l’appui de ce choix, il faut une politique de promotion du travail complètement différente de ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire une politique dont l’obsession soit la multiplication des emplois réels. Aujourd’hui, ils sont gelés par la politique démentielle d’un coût du travail toujours plus lourd, en raison du poids des charges et des futures 35 heures. À ces deux premiers choix, j’ajoute une politique des pouvoirs de proximité, une politique fondée sur le grand changement que devra être l’ouverture en France d’un droit à l’expérimentation, aujourd’hui impossible.
Je suis certain, par exemple, que dans le domaine social, dans le domaine de la politique du travail, tout progrès sera gelé tant qu’on ne pourra agir que par des lois nationales applicables d’emblée à tous les recoins du territoire hexagonal. Cette uniformité est une assurance d’échec. Il faut pouvoir choisir deux ou trois départements français pour voir ce que donnerait, notamment la prise en charge directe de l’ensemble des politiques sociales ou de l’emploi par des collectivités de proximité. Ce droit à l’expérimentation, c’est à mon avis, la réforme institutionnelle ou la réforme de la Constitution la plus urgente.
Enfin, il faut défendre autrement qu’à reculons l’extraordinaire énergie que développe le projet européen. Je suis frappé de voir les ravages d’une espèce de pensée unique qui fait de la nation la victime de la construction européenne. C’est tout le contraire en réalité : s’il n’y avait pas de construction européenne, alors là, effectivement, la nation serait condamnée à disparaître. Europe et nation ne sont pas antagonistes. Elles sont par nature alliées. Moi qui suis amoureux de la France et défenseur de la nation comme communauté d’intégration, je ne peux qu’être du côté des constructeurs de l’Europe, et non pas parmi les « malgré nous ».

Le Figaro.
– La nation, communauté d’intégration, avez-vous dit. Le doute grandit…

François Bayrou.
– La vie démocratique est un facteur d’intégration. Elle ne peut se faire réellement qu’à deux échelons : soit l’échelon de proximité, soit l’échelon d’une communauté de destin dont le citoyen comprenne les problèmes et les enjeux. La plus grande communauté de destin que le citoyen puisse intégrer par la langue, par la télévision, par  les visages des dirigeants, c’est la nation. Au-delà, je pense à l’Europe, c’est trop lointain, trop grand, impossible à appréhender. Pour ces raisons, je pense que la vie politique nationale n’est pas destinée à s’effacer. Il faut, au contraire, la défendre et l’investir de pouvoirs importants. Voilà pourquoi je suis convaincu qu’il faut réformer l’Europe, pour éviter la dérive d’appropriation des pouvoirs par des entités administratives lointaines et incontrôlées.

Le Figaro.
– Comment la « réformer » ?

François Bayrou.
– Vous savez que je défends le projet d’une Constitution européenne. Je suis certain que si on décidait d’écrire sous une forme solennelle, simple et accessible par tous, ce que sont les règles de fonctionnement de l’Europe, on serait obligé d’adopter, comme principe de base, le principe de subsidiarité – c’est-à-dire le principe d’attribution des pouvoirs les plus larges aux communautés politiques nationales ou aux collectivités locales. Aujourd’hui, on ne fonctionne qu’à partir de traités qui sont totalement illisibles par qui que ce soit. Cela favorise l’opacité, le soupçon et l’appropriation du pouvoir par un centre trop peu contrôlé.

Le Figaro.
–Vous avez expliqué, il n’y a pas longtemps, que votre ambition serait de défendre un projet Tony Blair à la française. Décidément, c’est une référence incontournable !

François Bayrou.
– Ce qui me frappe dans la démarche de Tony Blair, c’est qu’il a en même temps un élan vers la modernité et la défense des valeurs de stabilité dans la société anglaise. En France, on a l’impression que la modernité ne peut se construire que contre la stabilité de la société, de sa morale. Or, je crois que les gens ont besoin, à la fois, que l’on accepte l’impératif de modernité et que l’on défende des valeurs de stabilité. Cette double aspiration, je souhaite qu’elle soit défendue. Ce devrait être l’ambition du nouveau parti qui succédera à l’UDF.

Le Figaro.
– À côté de ce futur parti « du centre et du centre droit », comment voyez-vous évoluer le RPR ?

François Bayrou.
– La démarche du RPR est plus nationaliste et plus marquée par la défense de l’État, par une organisation très fortement hiérarchique. Je suis persuadé que c’est une sensibilité forte dans l’opposition. À chacun de réunir les siens.

Le Figaro.
– Le RPR n’a-t-il pas un avantage sur vous, cette fierté, cette capacité, en cas de panne, à revenir aux vibrations gaullistes ? Où est cette fierté à l’UDF ?

François Bayrou.
– C’est vrai, nous avons manqué d’identificateur. Nous n’avons pas défendu notre propre histoire. Les visages marquants de notre aventure, que ce soit, à des époques extrêmement différentes, la figure ascétique de Robert Schuman, l’extraordinaire modernisation conduire par Giscard, la solidité de Barre, nous les avons plus souvent ignorés ou critiqués que défendus. C’est notre tort. Au lieu d’assumer notre héritage, nous l’avons ignoré pour faire chic et moderne, et nous nous sommes laissés aller à emboîter le pas à ceux qui le critiquaient.

Le Figaro.
– Pourquoi les composantes de l’UDF accepteraient-elles une fusion maintes fois évoquée et toujours reportées ?

François Bayrou.
– Parce qu’elles ont conscience de la gravité de la crise qui menace de nous engloutir.

Le Figaro.
– Cela veut-il dire que Force démocrate, parti que vous avez créé, se dissout ?

François Bayrou.
– Non, ce ne sera pas une dissolution mais une mutation, un accomplissement, pour nous comme pour les autres.

Le Figaro.
– À l’heure de la reconstruction. Voilà que ressurgit l’idée d’une formation unique de l’opposition ou encore d’une confédération RPR-UDF. Mais voilà aussi que montent les demandes d’une consultation plus vaste, au-delà des militants, de tous les électeurs. Que pensez-vous de ces deux idées ?

François Bayrou.
– Je suis partisan d’une confédération de l’opposition qui fédère les efforts de tous. Mais je pense qu’il est bon qu’il y ait un parti plus à droite, avec son style, et un grand parti sur l’espace du centre et du centre droit, avec le sien. Autrement, on ouvre des boulevards aux adversaires de droite et de gauche.

Le Figaro.
– Quel rôle peut avoir le Président de la République dans cette reconstruction ?

François Bayrou.
– Il peut, le moment venu, influencer les ardeurs diverses, dans le sens de la raison et de l’entente.

Le Figaro.
– Moins de composantes à l’UDF, et même plus du tout, simplement des courants, cela signifie moins de chefs. Qui s’incline ?

François Bayrou.
– Les militants trancheront. C’est eux qui diront ce qu’ils veulent, et c’est eux qui auront le pouvoir. Quand j’ai appelé à la création d’un nouveau parti, j’ai dit que dans ce parti, la base, les militants, et peut-être ; un jour les sympathisants auraient plus de pouvoir qu’ils n’en ont dans aucune autre famille politique. Cela correspond profondément à notre philosophie, et jamais, pour l’instant, nous n’avons été capables de la faire.

Le Figaro.
– Comment, concrètement, cela va-t-il s’organiser ?

François Bayrou.
– La procédure sera fixée dans quelques jours et, j’espère, achevée avant l’été. Si nous y parvenons, ce sera un formidable progrès.