Texte intégral
P. Lapousterle : Vous êtes un petit peu discret depuis les dernières élections législatives et votre successeur, le ministre de l’Education nationale, M. Allègre, professeur comme vous, fait la une de tous les journaux ce matin. Alors, dans le Figaro : M. Bayrou m’a laissé des ardoises ; dans Libération : M. Bayrou n’a obtenu aucun arbitrage budgétaire pour le statut social de l’étudiant. On vous accuse d’avoir, si j’ai bien compris, bien parlé et peu payé.
F. Bayrou : Je ne suis absolument pas décidé à polémiquer avec mon successeur. Je trouve cela sans aucun intérêt. La question est de savoir si oui ou non les déclarations un peu tonitruantes seront suivies d’effets, c’est-à-dire si on continuera le plan dans l’enseignement supérieur, la réforme qui a été adoptée à l’unanimité par tous les acteurs ; si, par exemple, l’année prochaine, tous les étudiants de France vont se voir offrir la possibilité, s’ils se sont trompés d’orientation, de se réorienter au bout de six mois. Si c’est oui, c’est bien ; si c’est non, c’est un recul. La question est de savoir si un statut social de l’étudiant va être mis en place à partir des rentrées qui viennent. Je ne ferai naturellement pas un drame de ce que ce soit retardé de quelques mois. Si c’est oui, c’est bien ; si c’est non, c’est mal. La question est de savoir si on continuera à créer les emplois nécessaires dans l’enseignement supérieur, j’en ai créé 7 000 en deux ans. Si c’est oui, c’est bien et si on fait mieux, tant mieux. Et si c’est non, eh bien ça n’ira pas. Donc, au lieu des déclarations tonitruantes, moi, j’attends de voir les moyens précis et les orientations précises. Par exemple, M. Allègre annonce aujourd’hui qu’il va baisser le temps de travail des enseignants. Moi, je ne suis pas sûr que c’était une priorité. Et il faut savoir ce que cela coûte. Une heure de baisse du temps de travail des enseignants, c’est plus de 50 000 postes d’enseignants à créer. Alors est-ce que, oui ou non, on va le faire ? Ou bien est-ce que l’on est entrain de tirer des fusées de feu d’artifice avec des déclarations tonitruantes qui ne seront, en réalité, pas suivies d’effets.
P. Lapousterle : 40 000 emplois d’ici la fin de l’année.
F. Bayrou : Oui, enfin ce sont des emplois-jeunes comme l’on dit, c’est-à-dire des emplois payés au tarif des contrats emploi solidarité, des CES, qui, je vous le rappelle, font un mi-temps pour la moitié du Smic. Alors, on en fera un avec deux. Tout cela est tout à fait possible, ce ne sont pas des emplois d’enseignant. La question est en effet de savoir ce qu’il y a derrière les annonces. Je crois que le plus important est d’inspirer confiance à l’Education nationale, à ceux qui la forment et ceux qui y sont élèves et à leurs parents. Si la confiance est plus grande, c’est bien ; si la confiance devait être moins grande, ce serait un grave échec.
P. Lapousterle : Vous auriez aimé pouvoir annoncer, promettre ces décisions comme ministre de l’Education nationale ?
F. Bayrou : Pour l’instant, je ne vois pas de décisions, alors je vous dirai quand je les verrai si j’aurais aimé les annoncer.
P. Lapousterle : Question sur un sujet qui inquiète et trouble les Français, c’est la pédophilie. Les affaires, les détails affluent tous les jours et on vient de découvrir qu’un film mettant en scène de jeunes enfants dans des positions non équivoques avait été récemment tourné dans une école en France. Alors franchement, M. Bayrou…
F. Bayrou : Attendez, P. Lapousterle, il faut faire attention à ce que l’on dit. Je suis père de six enfants. Je suis pour la plus grande sévérité en face de ces choses et il n’y a jamais eu, sous ma responsabilité, de décisions qui ont permis de retarder… Au contraire, j’ai déplacé, j’ai mis à l’écart des élèves ceux qui devaient l’être. Mais hier, on a appris qu’un enseignant s’était suicidé parce qu’un enfant l’avait accusé à tort d’avoir eu sur lui un comportement équivoque. Il faut faire extrêmement attention et les médias, vous avez aussi une responsabilité. Moi, je ne voudrais pas que l’on se mette à croire que, dans toutes écoles de France, il y des pédophiles et je ne voudrais pas que l’on laisse croire et qu’en particulier le Gouvernement amène à croire que les enseignants sont plus que d’autres sujets à ce genre d’horreur. Quand il y a soupçon, il faut être intraitable. Mais il ne faut pas non plus donner prise, entretenir le soupçon ; vous vous souvenez de ce film de Brel qui s’appelait « Les risques du métier ». Je crois qu’il faut être, dans ces affaires, extrêmement prudent et extrêmement sage.
P. Lapousterle : Combien de suicidés parce qu’enfants, ils ont été maltraités par quelqu’un ? Il faut aussi mettre cela en perspective.
F. Bayrou : Non, vous ne pouvez pas dire cela. On ne peut pas faire la comptabilité des suicidés. On ne peut pas parler aussi légèrement de ces choses, pardonnez-moi de vous le dire. Lorsque ce sont des vies qui sont en danger, encore une fois, il faut être dans ces affaires d’une grande prudence. Vous dites qu’il y a eu un film tourné dans une école, non, j’ai lu la dépêche comme vous : il y a eu un film qui présente, paraît-il, une salle de classe, on ne sait absolument pas si c’est en France ou ailleurs. Heureusement. Si c’était le cas, il faut être d’une sévérité absolue. Moi, je ne voudrais pas que l’on se mette à entretenir par une campagne, parce que cela fait de la matière pour les médias, le fait que tous les enseignants de France voient tout d’un coup soupçonné de pratiques qui sont tellement honteuses que naturellement elles doivent… Enfin, il faut manier ces choses avec beaucoup de prudence.
P. Lapousterle : Personne ne soupçonne tous les…
F. Bayrou : Il faut faire attention.
P. Lapousterle : Vous utilisez la rhétorique…
F. Bayrou : Non, il faut faire attention, ce n’est pas de la rhétorique ; encore une fois, il y a des mors et il faut faire attention. Moi, je suis pour que l’on soit impitoyable quand les choses sont prouvées mais je suis pour que l’on soit prudent parce que des déclarations peuvent tuer, ce sont des armes mortelles et il faut être prudent.
P. Lapousterle : L’opposition : la droite a été battue aux élections, on a l’impression, depuis, qu’elle s’acharne à se défaire, les combats internes s’emparent de tous les partis. Qu’avez-vous pensé de ce qui s’est passé au RPR dimanche dernier avec les balladuriens – que vous aviez soutenus au premier tour – sifflés et est-ce que vous avez confiance dans M. Seguin ?
F. Bayrou : Naturellement, je n’ai pas de commentaire à faire sur ce qui se passe dans la maison du voisin, au contraire. Je serai de ceux qui feront que la majorité s’entende, d’abord. Et j’ai confiance naturellement dans P. Séguin pour cela. Que la majorité s’entende et qu’elle se ressource. C’est-à-dire qu’elle retrouve quelque chose de fort à dire aux Français. Et naturellement, ça passe par le fait que chacune des sensibilités de la majorité retrouve son propre message et le RPR, je le crois, retrouvera son message d’ici quelques mois, la famille libérale retrouvera son message ou a trouvé son message et je ferai en sorte que la famille humaniste, disons la famille du centre, retrouve aussi l’originalité de son message et je peux vous dire : Séguin, Madelin et moi, nous nous entendrons. Cette génération s’entendra, elle aura naturellement à affronter les difficultés des temps mais ce n’est pas une génération qui mettra ces problèmes de querelles et d’ambitions personnelles avant l’intérêt général. Et je crois que c’est ce que l’on attend de nous parce que si nous n’étions pas là, à supposer que les désillusions viennent vite et on peut toujours le craindre, pour proposer un autre espoir, pour proposer un autre avenir aux Français, ce jour-là, on pourrait craindre le pire. Et moi, je serai de ceux qui essaieront de faire du positif et de l’entente parce que c’est de cela dont on a besoin.
P. Lapousterle : Deux mots : ce matin, dans le Figaro, M. Allègre a dit : mais quand donc les chrétiens démocrates, vous, M. Bayrou, arrêteront de suivre le RPR ?
F. Bayrou : Naturellement, M. Allègre redoute que sa voiture tombe en panne. Alors, il faut qu’il sache que je ne suis pas une roue de secours. Le centre en France, ce n’est pas une roue de secours, c’est un moteur et un volant. Alors naturellement, bien entendu, il est clair que la solution du centre n’a jamais été fortement et clairement présentée aux Français, un jour elle le sera mais elle ne le sera pas comme une roue de secours c’est sur ce point qu’il faut que M. Allègre revoie un peu sa géographie politique.