Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le bilan d'un an de Gouvernement, les relations avec le PS et la majorité, la situation politique à droite et à l’extrême droite et la volonté d'assumer une politique résolument réformiste, Paris le 6 juin 1998, parue dans "L'Hebdo des socialistes" du 12 juin et intitulée "Une grande cohérence entre discours politique et action".

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Circonstance : Conseil national du PS à Paris le 6 juin 1998

Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Un an s’est écoulé depuis notre victoire. À défaut de célébrer des anniversaires, il n'est pas interdit de prendre part à votre réflexion dans ce Conseil national.

Depuis un an, on peut dire que nous avons fait avancer nos projets dans les principaux champs de la vie de notre pays, sans en négliger aucun, en essayant de garder un équilibre sur le plan économique, social, culturel, et je crois que cela a été important.

La majorité a connu des débats mais elle est restée soudée sur l'essentiel, et naturellement, je salue Charles Fiterman qui a été un dirigeant éminent du Parti communiste, un ministre communiste du premier gouvernement de la gauche, en 1981, et qui a décidé de nous rejoindre à ce stade de sa vie militante. Nous ne savons pas ce que sera l'avenir mais pour le moment nous devons vivre de cette diversité.

La droite n'est pas sortie de son malaise, de son marasme ni de ses divisions, et je crois qu'il faut même veiller à se tenir à distance de ce marasme car elle pourrait avoir d'une certaine façon la tentation de nous y entraîner.

Il me paraît important que cette différence continue d'être marquée dans l'esprit de l'opinion, cette façon dont nous essayons de vivre la politique à tous les niveaux du Parti.

L'opinion nous fait confiance de façon raisonnée, donc sans excès d'illusions et d'enthousiasme mais avec une certaine force maintenue, et je crois qu’aussi bien le Parti dirigé par François Hollande que le Gouvernement sont respectés, considérés comme agissant de façon honorable, dans une situation évidemment difficile.

La situation du pays s'est améliorée, notamment économiquement, en Partie en raison des choix que nous avons faits. Le climat psychologique collectif a changé, même si naturellement des pans entiers de la société et de la population continuent à souffrir.

Dans cette évolution positive, je crois que chacun a pris sa part, le Gouvernement, les groupes du Parti, le Parti, et je veux remercier le premier secrétaire mais aussi chacun de vous.

Nous avons connu des difficultés, nous en avons encore. Nous les avons surmontées. Nous en aurons d'autres et il faudra y faire face.

Dans le même temps, il nous faudra continuer à animer, à faire évoluer la vie de notre pays par rapport à nos projets, en gardant notre fidélité à la gauche, en essayant de rallier à nous, ou de garder à nous, une majorité de Français qui nous accompagnent dans ce processus, et en ayant pour objectif l'intérêt général à long terme du pays.

* Le travail du Parti

Le premier point que je voudrais évoquer est que même si j'anime le Gouvernement, je suis naturellement attentif au travail du Parti socialiste.

Je veux vous féliciter de la qualité du travail accompli sous l'impulsion de la nouvelle direction et de François Hollande. Quand j'étais redevenu le premier secrétaire du Parti, en 1995, j'avais souhaité engager un travail de réflexion et de propositions. Nous pensions que c'était une bonne façon de reconstruire notre identité, notre lien au pays et cela a joué, je crois, un rôle non négligeable dans notre victoire de 1997.

Je me réjouis que cette démarche se poursuive avec les deux nouvelles conventions programmées en 1998. L'entreprise et l'Europe sont deux questions importantes pour le modèle français mais aussi pour sa capacité, pour notre capacité, à affronter l'évolution mondiale telle qu'elle se produit.

Je me félicite de la création d'un comité économique et social du Parti socialiste qui sera présidé par René Teulade. Je pense que ce rassemblement de compétences et de sensibilités vous sera utile et sera utile au Gouvernement.

Le travail d'information et de mobilisation des militants du Parti a été important. Sachez que nous l'avons vu, du côté du Gouvernement, en particulier sur les grandes réformes. Sur le dossier du temps de travail et le passage aux 35 heures, une brochure d'information très claire et bien conçue a été faite et largement diffusée, et je veux saluer à cet égard le travail de Jean Glavany et d’Alain Bergounioux.

Vous avez eu un beau succès aux élections cantonales et régionales. C'était notre façon de scander le temps et de marquer les anniversaires dans le rendez-vous avec les Français.

Travail de réflexion des candidats. Travail politique de rassemblement des forces de gauche à travers notamment de très nombreuses listes départementales communes à la gauche plurielle pour les élections régionales, et vous avez beaucoup dû y travailler, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Pierre Bel et, bien sûr, François Hollande.

Ce travail a été fructueux. Vous avez eu de bons résultats : stabilité globale aux régionales, progression aux cantonales. Je crois que l'action du Gouvernement pendant ce temps ne vous a pas été un handicap.

Compte tenu de ce travail du Parti que vous avez prolongé et poursuivi, je m'efforce de veiller à la qualité de la relation Parti socialiste/Gouvernement. Naturellement, nous devons rester proches des autres composantes de la majorité, je pense que nous avons une responsabilité partagée : continuer à faire vivre ensemble cette force politique, cette intelligence collective que représente l'ensemble Parti socialiste et Gouvernement.

Le Gouvernement est donc pluriel en lui-même. Il est un lieu divers, et surtout il est un lieu d'élaboration collective sans précédent.

J'essaie de voir régulièrement les leaders de la majorité et quand je les oublie, François me dit : « Tu devrais voir untel, éventuellement Robert… » Je dis cela au hasard !

Les contacts existent au niveau des partis et je crois que c'est très important : je sens que nos partenaires s'en réjouissent. Mais il est évident que le Parti socialiste occupe une place particulière.

Les rencontres sont multiples avec les principaux dirigeants du Parti, le président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, les deux présidents des groupes parlementaires, Jean-Marc Ayrault et Claude Estier, les européens avec Pervenche Berès, et puis nous faisons l'effort à chaque fois qu'il y a une question particulière posant des problèmes de principe et d'orientation, d'essayer de réunir autour de ceux que j'ai cités, ceux qui ont des responsabilités particulières : présidents de commissions, animateurs de groupes, rapporteurs, responsables du Parti sur tel dossier, pour qu'on puisse être éclairé et faire nos choix.

* L’autonomie du Parti

Je tiens beaucoup, dans mes rapports avec François, au respect de l'autonomie du Parti dans ses prises de décision.

Le Gouvernement a besoin d'être éclairé, le débat d'être nourri, les décisions d'être préparées et donc votre rôle, soyez-en convaincus, est important. Nous avons aussi besoin d'idées de position, pas simplement sur les questions relevant de l'actualité, de l'urgence, mais aussi pour la préparation de l’avenir.

En ce qui concerne deux points qui ont été évoqués, je commencerai par la réduction du taux du Livret A.

C'est une décision qui était souhaitée depuis plusieurs mois par Louis Besson, le secrétaire d'État au Logement, par Jean-Claude Gayssot, le ministre responsable du secteur au sens large, et aussi, c'est vrai, pour d'autres raisons, par le ministre de l'Économie et des Finances. Il y a eu une baisse des taux très importante y compris pour la croissance, et il est un peu logique qu’il y ait un certain rapport entre les taux dans l'ensemble du dispositif des taux d'intérêt, mais aussi parce qu'une rémunération d'épargne est également une ressource et que même si elle est chère, notamment pour le logement social, c'est un élément de frein.

C'est par un communiqué commun Gayssot-Strauss Kahn, assez symbolique compte tenu des fonctions et des sensibilités, que cette annonce a été faite hier. Justement, Jean-Claude souhaitait la faire dans le congrès des HLM, et on a précipité le mouvement à cause de cela.

Je voudrais vous indiquer que les consultations ont naturellement eu lieu, mais c'est vrai que, en égard au caractère même de ces mesures, on ne peut pas les annoncer 10 jours à l’avance.

Sur la question familiale, je vais ouvrir la conférence Famille, le 12 juin prochain. On est encore face à un choix à faire, indiscutablement.

Je ne considère pas que c'est un problème, pour un gouvernement comme le nôtre, de revenir sur une décision qu'il a prise. Mieux vaut que ce ne soit pas une pratique fréquente, je suis d'accord ! Dans l'ensemble, on essaie de se tenir à nos choix. Mais le fait qu'un gouvernement puisse dire : « on a pris cette décision d'urgence parce qu'il y avait un déficit de la branche famille, parce qu'on avait un budget 1998 à faire après rééquilibrage des comptes en 1997, on l’a fait comme cela, c'était moins complexe qu'un système fiscal », me paraît possible. Et puis il y a eu un débat, et on constate que nos grands partenaires, notamment familiaux, ne sont pas hostiles mais qu'un certain nombre de syndicats ont déclaré que ce n'était pas la méthode qu'on aurait dû choisir.

En même temps on avait dit clairement qu'on remettrait les choses à plat en 1998. On s'était laissé cette possibilité. On peut concevoir que le Gouvernement dise qu'il a dialogué avec le mouvement, mais on peut obtenir le même résultat en termes d'équité et en termes d'équilibre par une autre méthode qui introduit la justice puisqu'elle amène éventuellement une baisse des plafonds du quotient familial.

Mais faut-il le faire aujourd'hui ? C'est une question qui est juste devant moi et devant nous. Vous avez à opérer en permanence avec une grande expérience ; maintenant, il y a un certain nombre de leçons qu'il faut tirer de ces expériences : conciliation entre le débat et le rassemblement, la critique et la proposition d'autonomie nécessaire et la solidarité avec le Gouvernement.

Je trouve que les équilibres auxquels nous sommes parvenus depuis un an, de ce point de vue, sont bons, et j'espère qu'ils se poursuivront.

Pour ce qui nous concerne, nous devons rester fidèles à nos engagements, et en même temps affronter la réalité : je dois prendre en compte et exprimer la diversité de la majorité plurielle.

Vous avez vu la réactivité parfois intéressée de certains composants de cette majorité !

Je dois quand même prendre en compte cela, pas simplement dans le Gouvernement, mais, d'une certaine façon, de manière plus large, même si vous savez que je ne me suis jamais posé comme leader de la majorité. Je dois me situer avant tout sur le plan de l'action gouvernementale, dans mon expression publique, parce que je crois que c'est un peu ce que les Français souhaitent.

Je reste bien sûr militant du Parti socialiste, profondément lié à lui politiquement et affectivement, même si, dans l'expression, je suis amené à transposer.

Position claire et ferme face à l’extrême-droite

Ce dont je voudrais maintenant parler touche à la situation politique. J’aborderai trois points.

D'abord, les questions posées par la situation dans les régions dirigées par la droite avec le soutien de l’extrême-droite, car cela préoccupe nos élus et nos militants.

Il nous faut sans doute éviter deux pièges : l'obstruction systématique, qui conduirait à la paralysie des institutions régionales concernées, et la passivité, qui laisserait l’extrême-droite peser sur les politiques conduites par la droite au point d'enfreindre les lois de la République, et une attitude aussi qui consisterait à banaliser cette situation. Je comprends que le débat existe, et je sais que les comportements pratiques ne sont pas faciles à définir de ce point de vue.

Ce n'est pas un terrain sur lequel je veux, de cette tribune, donner une orientation, ce n'est pas à moi de le faire, c'est au Parti, et je pense que cela pourrait être mal ressenti.

En tout cas, sachez que là aussi le Gouvernement, à travers mon cabinet, a organisé avec les responsables et les élus de ces régions, les contacts nécessaires, discrets mais approfondis. On examine concrètement comment on peut les aider car faut-il que le Gouvernement se détermine sur une attitude qui serve de point d'appui au combat.

Ce point de vue, nous nous sommes efforcés de fixer une ligne suffisamment claire et ferme. Nous n'allons pas sanctionner les populations des régions concernées, cela ne serait pas possible vis-à-vis de notre conception de la République. Nous allons dans le même temps, dans les modalités de travail et de contact avec les autorités politiques de ces régions, limiter au maximum la nature des contacts qui pourraient apparaître comme une reconnaissance, une légitimation ou une banalisation, et nous allons nous efforcer de nous y tenir de façon stricte.

Vous comprenez donc que nous serons dans une philosophie de service républicain minimum.

En même temps, nous demanderons aux représentants de l'État d'appliquer strictement la loi républicaine et de réagir immédiatement, systématiquement et fermement à tout manquement à cette loi. Nous mettrons la droite et l’extrême-droite devant leurs responsabilités, notamment en refusant que l'État se substitue mécaniquement aux régions en cause lorsque celles-ci pratiquent des coupes claires dans un certain nombre de secteurs.

* La droite en crise profonde

Deuxième point rapide : la droite.

Elle est plongée dans une crise, on l'a dit, crise de leadership et manque de dirigeants constructeurs. On a vu ensemble combien il fallait être capable de se fixer des objectifs et adopter des attitudes de construction ou de reconstruction. Nous avons fait ce travail. Nous avons connu ces situations difficiles mais sans doute incomparables avec la leur.

S’opposer c'est aussi proposer, en tout cas proposer au peuple, cette dimension, de façon visible.

Crise de leadership, crise d'appareil, crise stratégique, crise identitaire, et s’il n’y pas de crise politique en France, la gauche assumant sa mission de majorité, le Gouvernement et cette majorité étant des pôles de stabilité, il n'en est pas moins vrai que cette crise interne à la droite est si profonde qu'elle pèse sur l'ensemble de la vie politique française. La droite peut avoir intérêt à nous tirer vers le bas. Il faudra y résister.

Je reviendrai brièvement sur l'action du Gouvernement.

Nous essayons d'embrasser l'ensemble des problèmes que connaît la société française. Si je devais en croire certains observateurs, le fait que la démocratie fonctionne, que l'action publique soit efficace, ne saurait s'expliquer que par des causes mystérieuses, en particulier une supposée diabolique habilité du Gouvernement. Je crois que la vérité est ailleurs : ce Gouvernement s'il réussit, c'est d'abord parce qu'il travaille. Je pense profondément que cette équipe travaille à fond les dossiers autant que faire se peut, et essaie de maintenir aussi étroit que possible l'écart entre sa conception politique et son action.

Les questions économiques et sociales resteront prioritaires et, dans les mois à venir, le problème de la réforme de la fiscalité, de l'écologie locale, du patrimoine, la question de la famille - on l'a évoquée - les problèmes du fonctionnement de l'euro, les restructurations industrielles, l'ouverture du débat sur les retraites vont constituer des thèmes lourds.

* Une politique résolument réformiste

À l'égard de l’euro, je crois vraiment que nous allons dans le sens prévu, mais je dois dire que Gérard Fuchs a exprimé si bien les choses que je ne peux que me référer à ce qu'il a dit, je vous demande que nous adoptions à l'égard de l'Europe la même attitude qui a toujours fondé le combat historique des socialistes dans leur propre pays.

Je ne vois pas pourquoi il faudrait avoir une attitude d'exigence absolue : c’est « oui » ou c’est « non » pour l’Europe. Non, c'est le même combat ! Cette Europe ne ressemble pas exactement à ce que l'on veut faire, on va continuer de la faire bouger. Comment peut-il y avoir un Conseil de l'euro alors qu'il n'y a pas d'euro ? Soyons raisonnables. On a déjà fourni cette matrice d'un gouvernement économique alors que la monnaie n'est pas encore là. Pour une fois, nous avons anticipé. Forcément, je pense que les choses bougeront.

Je crois que nous essayons d'assurer la plus grande cohérence possible entre le discours politique qui est le nôtre, la conception de la société et l'action qui sont les nôtres.

De ce point de vue, j'assume une politique résolument réformiste, et je crois qu'il faut le dire parce qu'on a évacué les débats théoriques depuis un certain nombre d'années. Il va donc falloir peut-être essayer d'y réfléchir aussi : redéfinir ce que cela veut dire, aujourd'hui, être socialiste, de gauche, ce qui fonde notre approche.

Cette politique est diverse dans son inspiration en raison de la majorité plurielle.

Elle doit être capable de coller au réel en cherchant à le faire évoluer. Elle doit être susceptible d'être acceptée, même approuvée par la population, en restaurant une relation de respect réciproque entre ceux qui choisissent et élisent, donnent la légitimité, c'est-à-dire les citoyens, et ceux qui gouvernent.

Nous devons nous préparer, sur la base du travail fait est à faire, aux rendez-vous avec le peuple, les seuls qui vaillent en démocratie, non pas en nous focalisant sur les anniversaires, même si naturellement on est content de les passer.