Déclaration de M. François Léotard, ministre de la défense, en réponse à des questions sur l'intervention militaire française pour le blocus de la Serbie et le coût des opérations dans l'ex-Yougoslavie à l'Assemblée nationale le 28 avril 1993 et au Sénat le 29.

Prononcé le 1er avril 1993

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Le 28 avril 1993, Assemblée nationale

Réponse du ministre d'État, ministre de la Défense à une question orale de M. Jean-François Deniau, député du Cher

Casques bleus français

Q. : Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre dans la mesure où elle relève à la fois des affaires étrangères et de la défense. Depuis plus d'un an, l'opinion française assiste dans l'ancienne Yougoslavie à l'horreur et à la confusion. Nous avons parfois revu ce que nous avions juré de ne plus jamais revoir.

L'action humanitaire, tout à fait indispensable, nous le savons, n'est par une réponse au problème de fond et ne doit, en aucun cas, servir d'alibi à l'absence d'une politique.

Notre présence militaire, très nombreuse les ayant vus souvent sur le terrain, je salue, une fois de plus, le courage et le dévouement de nos hommes, à tous les niveaux –, très dispersée, est soumise à un mandat des Nations unies à la fois ambigu et souvent irréaliste, et a montré, malheureusement, ses limites dans la forme et dans les références actuelles.

Le nouveau gouvernement, connaissant l'inquiétude du public, sachant aussi que l'opinion ne se laissera plus leurrer par des opérations seulement médiatiques, pourrait-il éclairer les Français sur les moyens appropriés de notre action dans l'ancienne Yougoslavie, en fonction des objectifs, que, je pense, nous partageons tous aider la paix et aider la démocratie et instaurer un minimum de morale internationale ?

R. : Monsieur le député, tout le monde, dans cet hémicycle et Gouvernement, connaît l'action que vous menez pour la défense des libertés dans le monde, liberté des peuples et liberté des hommes. C'est la raison pour laquelle je voudrais répondre avec gravité à votre question.

Actuellement, la communauté internationale a envoyé sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie 22 000 hommes à la suite de vingt-trois ou vingt-quatre résolutions de l'Organisation des Nations unies, appuyées par trente nations. Le contingent français est le premier de cet ensemble.

Vous comprendrez que le Gouvernement – le Premier ministre et moi-même l'avons fait à plusieurs reprises – s'associe à l'hommage que vous avez rendu à ces hommes et à ces femmes ; je pense notamment aux infirmières et aux aides-soignantes qui, toutes les nuits à Sarajevo, sauvent des vies humaines.

La France est dans une position singulière et, à certains égards, exemplaire. Elle est la seule des grandes puissance mondiales – je dis bien « la seule » – à être présente avec ses gendarmes sur le Danube, avec ses marins dans l'Adriatique, avec ses aviateurs sur la zone d'exclusion aérienne, avec ses fantassins au sol, avec des engagés et des appelés du contingent soumis au service volontaire et, bien sûr, par des actions de logistique et par des actions opérationnelles.

Cette situation lui impose des devoirs, s'agissant notamment de la sécurité de ses soldats ; c'est mon obsession quotidienne. Elle lui donne aussi des droits, notamment vis-à-vis de l'Organisation des Nations unies. Et si des questions, aussi fortes et simples que celles de la définition des missions, de la clarté dans le commandement, de l'adéquation du financement ne sont pas résolues, le Gouvernement français tirera des conclusions de cette opacité ou de cette obscurité venant de l'Organisation des Nations unies. Il n'y a aucun droit de tirage automatique sur les forces françaises! En l'absence de solution, nous reverrions tout ou partie de notre dispositif.


Le 29 Avril 1993, Sénat

Réponse du ministre d'État, ministre de la Défense à une question orale de M. Xavier de Villepin, sénateur des français hors de France

Ex-Yougoslavie

Q. : Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de la défense. Elle concerne la situation dans l'ancienne Yougoslavie et comporte deux volets :

Le premier est relatif aux problèmes militaires et politiques. Nous sommes, depuis le 27 avril, dans le cadre de la résolution 820 du Conseil de sécurité, qui vise à l'isolement complet de la Serbie. Quelles mesures prévoyez-vous pour aboutir à cet embargo total ? Quel sera notre dispositif militaire ? Envisagez-vous de regrouper nos troupes pour éviter tout chantage à l'égard de nos hommes, qui se battent avec beaucoup de courage et qui défendent notre pays ? Envisagez-vous de doter les soldats français déployés dans l'ancienne Yougoslavie d'armements plus lourds, qui leur permettraient de se défendre ?

Le second volet de ma question est d'ordre économique et financier. Vous avez déclaré, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, que le coût total des opérations extérieures de la France s’avérerait probablement à 5,2 milliards de francs en 1993. Pour éviter que cette somme ne soit imputée complètement sur le budget de la défense, envisagez-vous d'en appeler aux Nations unies ? Autrement dit, pouvons-nous prévoir une participation de nos alliés ?

Par ailleurs, monsieur le ministre d'État, puisque nous allons bientôt examiner le collectif budgétaire, je voudrais attirer votre attention sur les crédits militaires. Nous constatons tout à la fois leur réduction, depuis des années, et la montée des tensions en Europe. N'y a-t-il pas là une certaine contradiction ?

Monsieur le ministre d'État – et ce sera ma conclusion – nous constatons, au cœur même de l'Europe, le retour de la barbarie. La purification ethnique, qui est le but de cette guerre, est un concept totalement contraire aux valeurs de notre pays. Nous savons combien les décisions sont difficiles à prendre. Notre Haute Assemblée, en particulier la commission des affaires étrangères, souhaite être associée à vos réflexions.

R. : Aux yeux du Gouvernement, comme, j'en suis convaincu, à ceux de l'ensemble de la Haute Assemblée, les événements qui se déroulent aujourd'hui sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie sont intolérables et inacceptables. Ils désavouent, démentent et détruisent tout ce que les Européens ont voulu construire depuis 1945. L'émergence, au cœur de l'Europe, d'un État fondé, par la violence, sur l'ethnie est un défi à leurs espérances. Mais si nous considérons, ensemble, que cette situation est intolérable, c'est d'abord la France qui la considère comme telle et c'est elle qui se trouve en première ligne dans ce drame.

Casques bleus français

En ce qui concerne l'aspect politique et militaire, la France est la seule nation à être aujourd'hui présente – je réponds là directement à votre question, monsieur de Villepin sur le Danube pour assurer – ce n'est plus un embargo – le blocus de l'ancienne Yougoslavie, c'est-à-dire la Serbie et le Monténégro, par des gendarmes, sur l'Adriatique par une force aéronavale, sur la zone d'exclusion aérienne par des aviateurs, au sol par des fantassins, en Croatie par un bataillon de soutien logistique, en Bosnie par des unités que vous connaissez, monsieur le sénateur, et, notamment, à Sarajevo, par le 2ème régiment étranger de parachutistes, mais également par d'autres unités.

Enfin, la France est le seul pays à avoir sur le terrain à la fois des engagés, des professionnels et – je le dis parce que c'est à leur honneur et à l'honneur de la France – des jeunes appelés du contingent sous le régime du service long. Nous sommes le seul pays dans ce cas. Les quelques leçons qui, ici ou là, nous sont données émanent toujours de pays qui n'ont aucun personnel au sol.

Dans cette crise, la mission de la France consiste aujourd'hui à assurer la protection de l'aide humanitaire. Je peux vous assurer, avec la gravité qui s'impose car la mort est au bout de ce service-là, que la ville de Sarajevo ne pourrait pas être ravitaillée si des aviateurs et des soldats français au sol n'assuraient la protection des convois alimentaires. Les 300 000 personnes qui y sont actuellement assiégées ne pourraient donc pas survivre.

Coût des opérations extérieures

J'en viens à l'aspect budgétaire et financier. Devant la commission des affaires étrangères du Sénat, j'ai cité le montant de 5,2 milliards de francs. L'année dernière, ce chiffre s'élevait à quelque 3 milliards de francs. Ce chiffre va, hélas ! continuer de croître. Des procédures internes à l'administration française existent. Vous les connaissez, ce sont les avances faites par le ministère de la défense ; elles sont remboursées par le ministère du budget, mais trop tardivement et partiellement.

Il existe une procédure propre à l'Organisation des Nations unies. Cette procédure est complexe et insuffisante. Pardonnez-moi de vous donner un chiffre approximatif, mais, globalement, nous sommes remboursés aux environs de 65 % des sommes que nous avons avancées pour le financement de nos troupes dans cette partie du monde. Ce remboursement est insuffisant et il intervient tard.

C'est sur l'ensemble des procédures, françaises et internationales, que porte aujourd'hui mon attention. Je reviendrai devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pour vous proposer, après les avoir soumises à M. le Premier ministre, des procédures qui permettront d'assurer mieux, plus tôt et de façon plus équitable le financement de ces dépenses. Cela permettra d'éviter que ce coût ne pèse sur le titre V du budget du ministère de la défense, c'est-à-dire sur les équipements, au moment même où ces derniers s'usent davantage.