Texte intégral
DATE : 3 avril 1998
SOURCE : LUTTE OUVRIÈRE
Toute la presse a fait état d’une étude de l’INSEE montrant que 5,5 millions de personnes vivaient en 1994, et sûrement aujourd’hui aussi, en dessous du seuil de pauvreté, arbitrairement fixé à un revenu de 3 800 F par mois pour une personne seul, ou 6 800 F pour un couple avec enfant. Ceux qui gagnent 6 900 F ne sont donc pas des pauvres, suivant cette statistique, et ne rentrent pas dans ce décompte.
Cela fait 5,5 % de la population totale du pays, dont des centaines de milliers d’enfants condamnés à vivre ainsi.
Ceux qui sont en foyer ou qui n’ont pas de domicile fixe ne sont pas non plus comptabilisés et sont autant exclus des statistiques que de la société de consommation.
Ce pourcentage ne serait pas aggravé nous dit-on au cours des dix dernières années, contrairement aux dix précédentes. Par contre, il se serait accru chez les salariés, qu’ils soient stables ou précaires, de 1984 à 1994, période sur laquelle porte l’étude de l’INSEE.
C’est qu’aujourd’hui, si un couple vit avec un seul Smic, il vit en-deçà du seuil de pauvreté ainsi calculé.
Que cette proportion de pauvres ainsi comptés ne soit pas accrue en dix ans, c’est bien possible, mais cela dépend aussi de la façon de compter. Car bien évidemment le revenu qui définissait la barrière arbitraire entre pauvres et non-pauvres n’était pas le même en 1994 qu’en 1984.
Mais de toute façon, voilà la belle société dans laquelle nous vivons : 5,5 millions de pauvres, sans compter quelques millions de pas riches. Des loyers qu’on ne peut plus payer, des logements populaires qui se dégradent, des établissements scolaires dont les bâtiments vont à vau-l’eau : nous vivons dans un pays où la pauvreté statistique n’augmente pas mais se maintient, ce dont il n’y a pas de quoi pavoiser, mais où tout le reste de ce qui fait le niveau de vie du plus grand nombre se détériore.
Comment peut-on vivre décemment, à trois, avec 6 800 F en payant le loyer, le gaz, l’électricité et le reste ? Comment peur-on élever un enfant et lui assurer un développement moral, matériel et intellectuel suffisant ? Certains le font sans doute, au prix de débrouillardise et d’énormes sacrifices. Mais tous sont loin d’y arriver.
Et puis, on peut être pauvre en travaillant. Les statistiques le montrent et montrent que le nombre de ceux-là augmente.
Pendant ce temps, il devient un lieu commun de parler des bénéfices des grandes entreprises, des succès spectaculaires des valeurs boursières, des actions dont le cours a augmenté de 15 % en 1996, de 20 % en 1997 et de 20 % dans les seuls trois premiers mois de cette année. Tandis qu’on annonce presque fièrement que les pauvres ne sont toujours que 5,5 millions sur dix ans, on nous dit que les plus riches auront presque doublé leur fortune en trois ans.
Et il ne faudrait pas parler de société pourrie, pour parler de ce système, de ce régime ?
Aujourd’hui, c’est un gouvernement de gauche qui prend la responsabilité de gérer cette société. Mais est-il en train de la gérer en fonction des intérêts des plus pauvres, des intérêts des travailleurs et, plus généralement, de l’ensemble de la population ?
Mais non ! Il la stabilise, cette société. Et là où les problèmes se posent par millions, que ce soient les 5 millions de pauvres ou les 3 millions de chômeurs, les 7 millions de travailleurs en situation précaire, le gouvernement ne répond que par quelques centaines de milliers de promesses et que par quelques dizaines de milliers de réalisations, c’est-à-dire quasiment cent fois moins que ce qui serait indispensable.
Pourtant, il faut que cela change ! Et cela va changer car on ne fera pas patienter éternellement les chômeurs, les travailleurs, avec des emplois instables, les sans-logis, ceux qui s’appauvrissent pendant que s’affichent un luxe et des profits insolents, des scandales financiers, des PDG de grandes sociétés impliqués par douzaines dans scandales en compagnie d’hommes politiques.
Oui, il y a quelque chose de pourri dans ce système économique.
Et aujourd’hui, ceux qui le défendent se servent de la menace du Front National comme d’un alibi pour dire : « Avec nous, c’est moins pire qu’avec eux ». Sûrement ! Mais si le Front National grandit, s’il gagne en influence, c’est bien parce que la gauche démoralise ceux qui lui ont fait confiance et se déconsidère auprès d’eux. Sans oublier qu’entre la droite et le Front National il n’y a évidemment pas de frontière tranchée.
Alors, oui cette société mérité un coup de colère des travailleurs et quand ce coup de colère viendra, il ne faudra pas que les travailleurs se laissent arrêter par les promesses, par les belles paroles, par les fausses victoires.
Il faudra imposer un véritable changement, c’est-à-dire des mesures radicales pour répartir la richesse autrement, pour faire que les profits des entreprises produits par les travailleurs servent au bien de la collectivité et pas seulement à rendre encore plus riches une poignée de parasites.
Il faudra contrôler les grandes entreprises, les mouvements de fonds, les comptes en banque. Il faudra réformer en profondeur l’intervention de l’État dans le domaine économique, et cela sous le contrôle des travailleurs et de la population en général.
Il faudra supprimer les centaines de milliards d’aides au patronat que l’on présente comme des aides à l’emploi ou des fonds sociaux, pour les consacrer à créer, directement, des emplois dans les services utiles à la collectivité.
Oui, il faudra que la colère nous venge et l’on se souvienne que la seule façon de punir vraiment l’insolence des riches, c’est de leur faire goûter le sort des pauvres.
DATE : 17 avril 1998
SOURCE : LUTTE OUVRIÈRE
La presse nous affirme que le budget de la Sécurité sociale est en passe d’être équilibré. Pour 1998, le déficit prévu ne serait que de 12 milliards. Quand on voit qu’on ne sait pas encore exactement quel est celui de 1997, bien malins les experts qui, fin mars, prétendaient prédire le déficit de toute l’année 1998 !
Mais la presse de nous expliquer, aussi, que cette stabilisation serait le fruit de la réforme d’Alain Juppé, réforme reprise en quasi-totalité par Lionel Jospin. On ajoute que ce serait dû aussi au retour de la croissance, qui aurait vu l’augmentation des recettes de la Sécu, ce qui ne daterait que des trois premiers mois de 1998.
Que Jospin ait repris la réforme Juppé sans rien y changer, on le savait déjà. Cela a abouti à ce que les travailleurs du bas de l’échelle, sans parler des chômeurs les plus mal lotis, ne se soignent plus ou se soignent mal. Même lorsqu’on est assuré social, le ticket modérateur, de 34,50 F pour une consultation de médecin conventionné ou de 35 % du prix des médicaments, est insupportable pour tous ceux qui n’ont que 3 000 ou 6 000 F par mois pour vivre. Et comment payer alors le forfait hospitalier de 70 F par jour ?
Il y a bien les mutuelles complémentaires qui prennent en charge la différence pour les salariés en place ou les chômeurs indemnisés. Mais les salariés qui font des petits boulots, les chômeurs qui sont en fin de droits, eux, n’ont pas d’employeur fixe qui cotise à une telle mutuelle et ils sont bien incapables de pouvoir cotiser volontairement.
Et ne parlons pas du taux de remboursement des lunettes et des soins dentaires. Combien de travailleurs, combien de jeunes, à l’heure actuelle, ont des dents non soignées et se retrouveront édentés bien avant l’âge, avec toutes les séquelles que cela entraîne ?
Oh oui, la protection sociale va être en équilibre financier ! Pour l’État. Mais bientôt elle n’assurera plus du tout de protection aux plus démunis, protection qui se réduira même pour les autres. Car si la Sécu prend en charge à 100 % les maladies ou des opérations importantes, il y a tout le reste qui n’est pas pris à 100 % ou qui, parfois, n’est même pas pris en charge du tout. Pour les catégories sociales aisées, et ne parlons pas des riches, cela ne pose pas de problème, elles peuvent payer même si elles ne sont pas remboursées.
Mais plus on descend dans l’échelle des revenus, plus on s’aperçoit que des maux et des maladies qui pourraient être soignés, ou tout au moins allégés, ne le sont plus faute d’argent.
Parmi les travailleurs qui souffrent d’arthroses, de tendinites, d’hypertension même, dues à l’intensification du travail, ou de toutes ces affections liées au stress ou aux horaires décalés, combien ont les moyens de payer de leur poche, car c’est de plus en plus de cela qu’il s’agit. C’est ce que nos ministres du Travail et de la Sécurité sociale appellent hypocritement le « petit risque » pour ne plus le prendre en charge.
Après avoir appauvri financièrement la classe des travailleurs, on l’appauvrit physiquement et, si on ne la démoralise pas au chômage, on la détruit au travail.
Et les retraités ne sont pas mieux lotis car leurs pensions de retraite sont bloquées et, en plus, amputées par la CSG, le RDS et l’augmentation de la cotisation de Sécurité sociale.
Voilà où et comment le gouvernement Jospin trouve ses équilibres budgétaires.
Pendant ce temps-là, il ne rétablit pas les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, il ne rétablit pas l’impôt sur les bénéfices des sociétés au niveau où il était avant. Il continue à utiliser près de 200 milliards par an pour subventionner le patronat de différentes façons, pour protéger l’emploi, paraît-il.
Le gouvernement Jospin, comme le gouvernement Juppé, est un gouvernement au service des riches et du patronat. Un gouvernement qui pressure les travailleurs, les chômeurs et les pauvres.
La colère du monde du travail pourtant largement justifiée, est longue à se manifester. Mais lorsqu’elle le fera, les réactions des agriculteurs bretons sembleront une douce plaisanterie.
DATE : 24 avril 1998
SOURCE : LUTTE OUVRIÈRE
C’est en toute sérénité, selon les commentateurs, que Jospin a abordé le débat parlementaire sur l’euro. À ceci près qu’à sa majorité dite plurielle s’est substituée une majorité à géométrie variable, puisque l’UDF a voté aux côtés du PS pour le gouvernement, tandis que le RPR décidait, après bien des tergiversations, de s’abstenir. Au sein de la majorité gouvernementale, le Mouvement des Citoyens et le groupe Communiste votaient contre. Cette nouvelle configuration parlementaire inédite depuis l’élection de la nouvelle Assemblée est peut-être circonstancielle. Mais elle peut tout aussi bien préfigurer des alliances futures. Car le PS n’est pas marié par des liens indissolubles avec ses partenaires actuels, et il pourrait fort bien trouver de nouvelles formes de concubinage, nullement contre nature, d’ici la fin de la législature.
Ainsi donc, pour la première fois, le groupe parlementaire du PCF a voté contre ce gouvernement auquel il participe. Avec le consentement condescendant de Jospin il est vrai, et après que Hue ait tenu à redire sur les antennes de FR 3, à la veille du vote, que « les communistes se sentaient à l’aise » dans ce gouvernement. Mais la direction du PCF a choisi de s’opposer au gouvernement sur une question qui n’aura pas d’incidence majeure sur le sort de la population laborieuse.
Certes ni l’euro, ni le traité de Maastricht-Amsterdam ne sont conçus pour servir les intérêts du monde du travail. Ils visent au contraire à aider les capitalistes dans la compétition qu’ils se livrent, de continent à continent. Mais les capitalistes en France n’ont pas attendu que l’euro soit mis en œuvre, que les traités européens prennent effet, pour imposer leur loi aux salariés.
Les députés du PCF votent aujourd’hui contre le gouvernement sur la question de l’euro, espérant se refaire une virginité qu’ils ont quelque peu perdue en dix mois de soutien et de participation gouvernementale. Car ils en ont cautionné des mesures et fait avaler des couleuvres ! Comme par exemple la mise en œuvre du plan Juppé qui s’attaque aux droits aux soins des assurés sociaux et que le gouvernement Jospin n’a plus dénoncé… une fois en place ; comme l’envoi des CRS contre les chômeurs en lutte ; comme le parjure de Jospin en ce qui concerne les sans-papiers ; comme le reniement des promesses faites aux travailleurs de Vilvorde, et celles concernant l’engagement de ne pas privatiser Air France et France Télécom.
À chaque fois, les responsables du PCF ont expliqué que ce qui se faisait, « c’était toujours ça » que « c’était mieux que rien ».
Mais la situation exige bien plus que ces petits pas qui, quand ils ne sont pas tout bonnement des retours en arrière, consistent à faire du sur-place. C’est ainsi, par exemple, que les services de Martine Aubry viennent de révéler que 50 000 jeunes avaient été recrutés dans le cadre du plan « emplois-jeunes » au 31 mars dernier. C’est bien moins que les engagements pris, mais c’est une bonne chose pour les bénéficiaires. Mais ça n’est malheureusement qu’une goutte d’eau qui laisse en l’état l’immense océan du chômage et de la précarité. 50 000 contre 6 à 7 millions qu’on laisse dans le besoin : ce sont ces chiffres-là, et derrière ces chiffres la détresse d’une fraction de la population laborieuse qu’il faut prendre en compte et qui marquent la situation.
Ces millions d’hommes et de femmes et leurs familles ne peuvent attendre l’an 2000, encore moins la fin de cette législature, comme le leur demande les Strauss-Kahn, Aubry et consorts. D’autant moins qu’à ceux qui restent ainsi sur le carreau viennent régulièrement s’ajouter ceux que les plans de licenciements patronaux jettent à la rue. Et d’autant moins encore que, par delà le drame humain et social que représentent tous ces laissés pour compte de l’économie capitaliste, se profile un autre drame, politique celui-là. La présence persistante, voire peut-être demain une nouvelle montée, du Front national, alimentée par la désespérance des sans-travail totaux ou partiels, des sans-toit, des sans-espoir, déçus de voir ceux qui se disent leurs représentants leur faire faux bond. Une fois de plus !
Face à une telle situation, il n’y a pas moyen de rester entre deux chaises, ni entre deux fauteuils ministériels. Si on laisse faire, et on laisse le monde du travail subir sans broncher, en lui demandant de courber la tête dans l’attente de jours meilleurs. Soit on lui propose une politique radicale qui vise à chercher l’argent là où il est, c’est-à-dire à prendre sur les profits patronaux. Ceux-ci sont prospères comme ils l’ont rarement été. La Bourse bat record sur record, des records qui sont autant d’insultes aux salariés, et plus encore aux chômeurs.
Oui il faut s’en prendre à ceux qui sont responsables de la crise, du chômage et qui en sont en même temps les bénéficiaires : les capitalistes. Cela suppose qu’on encourage les travailleurs en activité, entraînant ceux qui sont privés de travail, à exiger, par la lutte, leur juste dû. Cela ne se fera sans doute pas en un jour. Mais encore faut-il que ceux qui – et c’est le cas des députés communistes – se sont fait élire en expliquant que leur élection aiderait « à peser sur le gouvernement lorsqu’il n’agit pas dans le bon sens » s’opposent à tout ce qui se décide contre les travailleurs. Ce serait une façon d’encourager le monde du travail à s’opposer à son tour, puis à prendre l’initiative.
Oui, c’est cela qu’on pourrait attendre d’élus qui se placeraient résolument et sans ambiguïté dans le camp des travailleurs. Mais cet exemple, ils ne l’ont pas donné, ni dans les mois passés, ni dans ce vote sur l’euro.