Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à France 3 le 18 avril 1998, sur les liens entre l'armée et les citoyens dans le cadre de la réforme du service national et sur le rôle des réservistes.

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Média : France 3 - Télévision

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Armées (professionnalisation) – Lien armée-citoyen

Question : Avec la réforme du service national en 1997, c'est toute une culture, celle du citoyen sans les armes qui semble appeler à disparaître. Ce sentiment est-il fondé ? Qu'en est-il en réalité ?

Réponse : La relation entre le citoyen et l'armée va vraiment changer, mais nous ne voulons pas couper ce lien. Nous voulons au contraire qu'il y ait un nouveau lien qui soit plus fondé sur l'information. Les analyses que nous faisons de la situation internationale nous font penser que nos armées agiront loin de notre territoire pour des opérations limitées et avec des matériels très sophistiqués. C'est la raison du choix de l'armée professionnelle. Nous devons être capables de maintenir en veille un système qui permette de faire de nouveau appel à des jeunes qu'on formera, quand la nécessité se confirmera, si nous devions faire face à d'autres types de menaces.

Question : Vous avez nommé cette nouvelle forme, vous-même je crois, le parcours citoyen. Ce parcours citoyen, quels en sont les objectifs ?

Réponse : En fond de décor, il y a une première chose qui est écrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : c'est qu'on est citoyen avec des droits et des obligations et on ne connaît pas de société démocratique et équilibrée où les gens n'aient que des droits. Donc, à travers cet ensemble de démarches, on fait percevoir aux jeunes, très jeunes qu'ils vont devenir citoyens et qu'être citoyen comporte aussi des obligations qui ne vont pas se réaliser, mais qui sont en tout cas des principes auxquels ils doivent être préparés. Il y a un peu deux modules : l'un qui correspond à des obligations, nous y tenons beaucoup parce que la fin de l'adolescence et la jeunesse sont un moment où il faut aussi que les gens acquièrent l'expérience qu'ils ont des droits et des obligations, et puis l'autre fondé sur le volontariat et l'initiative.


Appel sous les drapeaux (rétablissement)

Question : On voit souvent les jeunes penser que le service national est définitivement abrogé. Dans quel contexte penseriez-vous qu'il puisse être rétabli ? Il faudrait vraiment un contexte très grave, je suppose.

Réponse : Au fond, il y a deux grands types d'affrontement qui pourraient conduire à une telle décision :

– soit parce que beaucoup de perturbations ou d'éléments de crise se seraient aggravés sur le sol européen. On en connaît des éléments de crise européens ! Si jamais ces éléments de crise venaient à s'additionner les uns aux autres et à créer une situation de conflit qui s'étende, à ce moment-là nous pouvons avoir besoin de mettre sur le terrain un plus grand nombre de gens que les 30 à 50 000 militaires professionnels que l'armée de terre peut aligner à un moment donné ;
– soit un deuxième type de risques, c'est l'importation sur le terrain français d'éléments de conflit ayant leur source, leur foyer en dehors d'Europe. Là encore, il nous faudrait faire appel à beaucoup plus de monde. C'est heureusement des éventualités qui paraissent très distantes, très improbables, mais il n'est pas du rôle de responsables politiques, qui doivent penser à 20 ans ou 30 ans plus tard, de dire « ça ne se produit jamais ».


Réserves

Question : Autre facette du parcours citoyen : le format des réserves. Leur statut semble faire logiquement l'objet de modifications. Qu'en est-il ou qu'en sera-t-il ?

Réponse : On y travaille. Il est encore tôt pour faire l'éventail des tâches, des missions qui pourraient être confiées aux réserves. Nous avons – les Français ne le savent pas tellement – système de mise en sécurité de beaucoup de nos installations essentielles, c'est-à-dire que nos installations énergétiques – centrales électriques, les grandes installations pétrolières et le réseau d'acheminement du gaz et de l'électricité –, tous ces systèmes sont correctement sécurisés pour faire face aux insécurités qui pourraient survenir, je pense évidemment aux risques terroristes.
De même beaucoup de nos services de transport, tout ce qui fait les réseaux de vie de notre pays, sont correctement sécurisés. C'est une mission qu'on peut imaginer partager entre l'armée professionnelle et des réserves.
Et on pourrait multiplier les exemples. Dans les activités de formation complémentaires que vont continuer à remplir les armées pour la préparation militaire pour la formation initiale des jeunes volontaires, beaucoup de réservistes, qui sont des gens ayant des capacités techniques et ayant une expérience professionnelle peuvent jouer un rôle. J'ai été très frappé en me déplaçant en Bosnie du bon « accrochage » entre l'armée professionnelle américaine et des réservistes qui viennent jouer un rôle de conseil en réorganisation économique, en récréation d'infrastructure, de réseaux de transport ou de réseaux d'énergie, même de conseil en réorganisation des administrations, des services de base de la Bosnie-Herzégovine.

Nous commençons à avoir des débuts de cela, mais cela demande à être développé. Donc, au fond, notre professionnalisation des armées est étalée jusqu'en 2002, tout le projet a sa cohérence et il se déroule d'une façon très ordonnée. Nous avons encore quelques mois devant nous pour définir les missions complémentaires de la réserve par rapport à celles de l'armée professionnelle, mais ce sera vraiment quelque chose qui démultipliera la capacité d'activité de notre armée.