Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, dans "La Revue parlementaire" de juillet 1998, sur sa façon de concevoir et de gérer la politique de l'éducation nationale.

Prononcé le 1er juillet 1998

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Média : La Revue parlementaire

Texte intégral

La Revue parlementaire
Vous êtes souvent défini comme le Ministre qui a jusqu'à présent incarné le mieux la vision d'une gauche moderne, version Jospin. A peine nommé à la tête du Ministère de l’Education Nationale, vous n'avez pas hésité à remettre en cause votre administration et l'action des syndicats. Quelle est votre philosophie de l'action gouvernementale ?

Claude ALLEGRE
Une seule et unique philosophie m'anime et guide ma démarche : changer les choses pour les améliorer, c'est à-dire placer l'enfant au cœur du système éducatif. Cette ligne de conduite est la mienne depuis le début et n'a pas changé d'un iota. Toute mon action est fondée sur des valeurs de gauche, c'est-à-dire combattre le corporatisme pour mieux promouvoir l'intérêt général, faire naître l'égalité des chances, ne pas confondre égalité qui implique la diversité avec égalitarisme qui est l'inégalité instituée. C'est ainsi que, à l'évidence, mes actes ou mes propos peuvent heurter les défenseurs de l'intérêt particulier.
Selon moi, la priorité reste l'enfant. Il me semble d'ailleurs que l’Éducation Nationale fonctionne assez bien, même si tout n'est pas encore parfait. C'est vers cette perfection que je tends depuis mon arrivée. Concrètement, cela signifie mettre en place une administration plus efficace, enrayer les absences des enseignants et des élèves, instaurer des programmes moins lourds, aider les élèves, en particulier ceux qui ne bénéficient pas d'une aide parentale à la maison, tout ceci pour que l'égalité des chances soit une réalité pour tous les enfants, et plus seulement un slogan. Lionel Jospin, déjà, en tant que Ministre de l’Education Nationale, œuvrait dans ce sens. Je ne fais que m'inscrire dans la continuité de ses idées, même si le style est différent et même si la période me permet de bousculer un peu plus les bastilles du conservatisme corporatif.
Entre temps, la période de gestion de François Bayrou a été marquée par peu d'avancées. Il a tenté de mener une politique opposée à celle de Lionel Jospin, à travers notamment la loi Falloux. Toutefois, il a rencontré de telles résistances à son mode d'actions qu'il n'a fait que rentrer dans sa coquille. On peut toutefois noter que s'il n'a guère amélioré les choses, certaines initiatives de Lionel Jospin ont pu subsister.

La Revue parlementaire
Vous affichez une forte volonté de changer l'école. Dans la ligne de cette politique, vous avez commandé à Jacques Attali un rapport, dont les conclusions ont été rendues publiques le 5 mai, et engagé une vaste consultation sur les lycées. Quelle est l'ambition de cette démarche ?

Claude ALLEGRE
Il s'avérait indispensable de discuter du problème de l'harmonisation européenne et du rapprochement entre grandes écoles et universités. Une bonne partie des conclusions de ce rapport seront des bases de transformations, profondes mais progressives. Il fallait aussi mettre fin à l'inflation des programmes, c'est l'un des éléments qui a guidé la consultation “quels savoirs enseigner dans les lycées”, organisée par Philippe Meirieu et Edgard Morin.
La nécessité et l'opportunité d'engager de telles réflexions apparaîtront clairement dans les mois à venir, au fur et à mesure que les réformes se mettront en place.
 
La Revue parlementaire
Vous avez déclaré que vous gériez ce ministère comme un laboratoire de recherches, faisant référence à vos activités de géo physicien. Pensez-vous que ce laboratoire sera à même de produire des résultats probants et qui feront date ?

Claude ALLEGRE
Pour gouverner, il faut inventer des solutions nouvelles, les tester, voire les modifier et les adapter. Il s'agit de la même démarche que dans le processus de création scientifique. En cela, je m'inscris encore dans la droite ligne de la méthode de Lionel Jospin, qui peut être qualifiée de socialisme de l'innovation. “L'invention du possible" était le titre de son livre. Et cette technique fonctionne, puisqu'une bonne partie de nos actions a déjà trouvé des répercussions.
Si je suis à ce poste, en tant que Ministre, c'est parce que je pense que je suis à même, aux côtés du Premier Ministre, de changer un certain nombre de choses. Si je pensais que les conditions, au départ, n'étaient pas réunies pour que nous réussissions, je n'aurais pas accepté cette mission. Nous avons selon moi la durée nécessaire devant nous pour réaliser nos objectifs. Je ne ressens, aucun état d'âme.