Texte intégral
Pascale Amaudric : Avant de parler de l’Europe, comment avez-vous réagi à l’annonce de la création de l’Alliance ?
Charles Pasqua : Vous savez, l’organisation des partis politiques n’est pas une préoccupation première des Français. Je connais un peu le problème : il ne suffit pas de dire « on additionne les partis » pour satisfaire le goût des Français pour l’alternance. Il faut un peu de nouveauté. Mais, je ne veux pas m’étendre sur le sujet. Ce qui m’intéresse, c’est la France, l’avenir de la France et de la République.
Pascale Amaudric : N’y a-t-il pas quand même une nouvelle donne pour la droite ?
Charles Pasqua : Cela ne bouleverse par le paysage national. Il s’agit de la bonne présentation d’une nouvelle coordination entre les deux familles. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant. Au lieu d’être ponctuelle, la coordination devient permanente.
Pascale Amaudric : C’est un progrès ?
Charles Pasqua : Indiscutablement, mais il y a deux façons de voir les choses. Ou bien c’est la première étape vers la fusion des partis d’opposition, et de serait une grave erreur. Une fusion RPR-UDF ferait fuir encore davantage les électeurs. Ou bien l’Alliance est une alternative à cette fusion, et je n’ai rien contre.
Pascale Amaudric : Séguin et Léotard semblent prendre de vitesse le projet de Jacques Chirac de fédérer sous sa houlette l’actuelle opposition…
Charles Pasqua : Si Jacques Chirac voulait vraiment un grand parti du Président, il devait saisir sa chance au lendemain de la victoire de 1995. Il ne l’a pas fait. Au lendemain d’une défaite, ce n’est pas possible.
Pascale Amaudric : Un grand parti à l’image du parti républicain aux Etats-Unis vous paraît-il impossible à droite en France ?
Charles Pasqua : On pourrait faire aussi un grand parti PS-UDF-RPR ! Soyons sérieux ! Il existe de vrais clivages politiques. De toute façon, si l’on considère que l’on peut continuer à s’en remettre à d’autres, à la technocratie bruxelloise, pour décider à notre place de notre destin, on n’a pas besoin d’un grand parti à l’américaine. La France ne sera bientôt plus qu’une petite province et l’on pourra bien créer alors tous les partis que l’on voudra, cela n’aura plus aucune importance.
Pascale Amaudric : Et les partis régionaux, leur voyez-vous un avenir ?
Charles Pasqua : L’initiative RPR-UDF empêche précisément le développement des partis régionaux. Mais tout cela n’est pas essentiel. Nos concitoyens n’ont pas conscience de ce qui se passe en Europe. Avec le traité de Maastricht, la France a perdu sa souveraineté, en matière monétaire et économique. Par leur « oui » à Maastricht, les Français l’ont voulu ainsi. Soit. Mais avec le traité d’Amsterdam, ils s’apprêtent, sans le savoir, à transférer tout l’organisation de leur sécurité à la technocratie bruxelloise et à reconnaître de surcroît la primauté explicite du droit européen sur le droit national. C’est une dérive inacceptable. Je veux le dire, l’expliquer, le répéter. Ce ne sont pas les transferts de souveraineté en eux-mêmes qui sont scandaleux, c’est qu’ils aient été faits au profit de structures bureaucratiques sans aucune légitimité.
C’est pourquoi il paraît impensable de ne pas consulter les Français par référendum avant la ratification du traité d’Amsterdam. Je ne suis pas contre les avancées politiques de l’Europe mais contre une Europe antidémocratique ou a-démocratique.
Pascale Amaudric : Concrètement, que demandez-vous ?
Charles Pasqua : Que le Président de la République soumette à référendum, par l’un ou l’autre des moyens constitutionnels dont il dispose, le traité d’Amsterdam. Que l’on soit pour ou contre ce traité, il faut en débattre ! Nul n’a le droit, en dehors du peuple français, de décider de nouveaux abandons de souveraineté. Même les Européens les plus convaincus considèrent aujourd’hui que le manque de démocratie dans la construction européenne a atteint ses limites et que si l’on n’y remédie pas d’urgence, l’Union européenne sera un système totalitaire !
Pascale Amaudric : Pourriez-vous participer à l’élection européenne du printemps prochain sur des positions opposées à celles de Chirac ?
Charles Pasqua : En tout cas, je défendrai mes convictions. Mais je constate qu’au moment où les Britanniques viennent de passer au scrutin de liste nationale pour ces élections, les Français, eux, envisagent de « régionaliser » ce scrutin. Les arrière-pensées sont évidentes : éviter les listes « dissidentes » par rapport à la pensée unique.