Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, président de l'UDF, dans "France-Soir" du 12 février 1994, sur l'ultimatum lancé par l'OTAN pour le retrait des forces serbes de Sarajevo.

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Média : France soir

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France Soir : Les Serbes ne semblent pas intimidés par l'ultimatum de l'Otan. Est-on entré dans une logique de guerre ?

Valéry Giscard d'Estaing : Il est trop tôt pour déterminer avec précision la réaction des Serbes. À partir du moment où l'on lance un ultimatum, on accorde un délai. La gestion de cette période est difficile. C'est pourquoi on pouvait préférer une frappe immédiate. Le choix de l'ultimatum marque le souci d'obtenir l'accord du plus grand nombre de pays de l'Otan.

On se souvient des difficultés rencontrées durant la période précédant l'ultimatum de la guerre du Golfe, ultimatum par lequel l'on invitait l'Irak à évacuer le Koweït. Pendant cette période, toutes manœuvres possibles ont été faites. Ceux qui font l'objet d'un ultimatum s'efforcent de donner le change, soit en affichant leur détermination de le rejeter, soit en annonçant au dernier moment qu'ils se plieront aux exigences tout en se contentant de décisions symboliques.

Pendant ce délai, des pressions internationales se manifestent, à commencer par celles de la Russie. C'est une période pendant laquelle il faut à tout prix maintenir la cohésion des pays de l'Otan et indiquer qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'appliquer les résolutions du Conseil de sécurité.

France-Soir : Selon vous, l'armée russe est-elle capable de réagir ?

Valéry Giscard d'Estaing : La réaction de la Russie était prévisible. Souvenons-nous que la Russie a voté la plupart des résolutions de l'ONU concernant le retour à la paix en Bosnie et même l'emploi des moyens nécessaires pour y parvenir. Il me semble souhaitable de demander aux Russes, s'ils veulent éviter les frappes aériennes, d'exercer un maximum de pressions sur les Serbes pour qu'ils retirent leurs armes lourdes en respectant les conditions de l'ultimatum. Ainsi la Russie jouerait-elle un rôle positif au lieu de se mettre en contradiction avec les résolutions qu'elle a votées.

France-Soir : Beaucoup d'experts militaires doutent de l'efficacité de frappes aériennes.

Valéry Giscard d'Estaing : Je ne suis pas un expert militaire. C'est au commandement militaire dans la région de porter une appréciation exacte. Souvenons-nous des informations de ces mêmes experts au moment de la guerre du Golfe et de la description de la redoutable Garde républicaine irakienne que l'on n'a guère retrouvée sur le terrain.

N'oublions pas qu'autour de Sarajevo les forces présentes sur le terrain se trouvent en situation d'équilibre, ce qui explique que les assaillants serbes n'aient pas réussi à s'emparer de la ville. Les frappes aériennes seraient assurées de détruire un grand nombre de batteries et aussi, en raison des moyens mis en œuvre, de démoraliser et de disperser les assaillants.

France-Soir : En désenclavant Sarajevo, ne risque-t-on pas de déplacer les foyers d'incendie vers d'autres villes ?

Valéry Giscard d'Estaing : Hélas ! ses foyers existent déjà. Le risque n'est pas de les allumer, le problème est de les éteindre. Il y a Mostar, où les parties en présence sont croates et musulmanes. Les uns et les autres sont d'accord pour placer la ville sous mandat de l'Union européenne. Il faut mettre rapidement en œuvre cette décision. Il y a Tuzla, actuellement entre les mains des Bosniaques et dont l'aéroport est occupé par la Forpronu. Il est indispensable de rouvrir cet aéroport au trafic, conformément à la résolution de l'ONU. Si les batteries adverses tirent sur les avions de l'aide humanitaire il faudra riposter aussitôt par des frappes aériennes.

France-Soir : La France doit-elle, dans cette affaire, prendre des initiatives particulières ?

Valéry Giscard d'Estaing : Je ne crois pas qu'il soit bon pour la France dans les circonstances actuelles, de conduire des actions isolées. Des décisions ont été prises en commun, elles doivent être appliquées en commun.