Texte intégral
P. Caloni : Un peu moins content ?
J.-L. Debré : J'ai dit la semaine dernière qu'il fallait faire attention et rester mobilisé. Souvent, les seconds tours ne sont pas aussi bons que les premiers.
P. Caloni : La participation a été bonne ?
J.-L. Debré : Oui, ce qui montre l'intérêt des Français pour l'institution départementale. Je note que la majorité demeure largement majoritaire, ce qui est bien après un an de gouvernement, compte tenu de la situation économique et sociale. On constate une stabilité de l'électorat. Nous avons 380 élus, ce qui est bien pour notre formation. Il est vrai que nous détenions beaucoup de départements. Globalement, c'est positif, sans plus. Je souhaite que, forte de cet enseignement, la majorité continue à bien travailler.
P. Caloni : Quand V. Giscard d'Estaing dit que les résultats du premier tour n'ont pas été confirmés, que voulait-il dire ?
J.-L. Debré : Il faut l'interroger ! À la suite du premier tour, certains ont voulu montrer aux Français que c'était une grande victoire pour la majorité. Les Français ont monté qu'il fallait raison garder. Ces résultats sont équilibrés.
P. Caloni : Est-ce qu'il n'y a pas eu l'erreur de présenter le second tout comme une sorte d'élection-test ?
J.-L. Debré : Les Français sont très attachés à leurs conseillers généraux et à leurs considérations locales.
P. Caloni : Comment jugez-vous la convalescence de la gauche ?
J.-L. Debré : La gauche est convalescence. Elle reste une force qui compte. C'est bien, parce que c'est la démocratie. Mais elle n'est pas crédible. Tous les sondages le montrent. Les Français ont un peu la mémoire courte : si nous avons tant de difficulté, s'il y a tant de jeunes qui sont désespérés, c'est aussi les résultats de 12 ans de politique socialiste. Quand j'entends M. Rocard donner des leçons au gouvernement, j'ai envie de lui dire "vous, ministre des occasions perdues et des illusions trompées, un peu de modestie !" Les Français sont ce qu'ils sont, mais ils ont un peu la mémoire courte.
P. Caloni : Quand Le Figaro titre sur la bipolarisation…
J.-L. Debré : C'est un peu grossi, c'est caricaturé, mais il est vrai que la répétition du mode de scrutin tend à une certaine bipolarisation de la vie politique française.
P. Caloni : Vous préférez un peu de proportionnelle ?
J.-L. Debré : Pas du tout. Au-delà des commentaires sur les résultats, il ne faut jamais oublier qu'il faut que les assemblées départementales soient gouvernées et gouvernables. Depuis la décentralisation, le département a des attributions importantes dans les domaines de l'éducation et du social. Il faut que ces assemblées puissent avoir une politique.
Paris-Match
Les "oui, mais…" de Jean-Louis Debré
"Le gouvernement ne doit pas se laisser détourner par l'échéance de la présidentielle"
Paris-Match : Après les manifestations contre le CIP qui ont eu lieu dans toute la France, Édouard Balladur a changé de cap. L'approuvez-vous ?
Jean-Louis Debré : Je suis satisfait que le Premier ministre rouvre le dialogue avec la jeunesse. Dans la foulée, je souhaite que le gouvernement prenne des mesures efficaces contre le chômage des jeunes. Le CIP, qui n'était pas la solution, mais un moyen, a été mal présenté. Le gouvernement et la majorité devraient en profiter pour revoir leur communication. Peut-être aurions-nous dû demander conseil aux socialistes, qui ont beaucoup de leçons à nous donner dans l'art du maquillage ! Je pense aux TUC, CES ou SIVP, par exemple !
Paris-Match : Le gouvernement donne une fois de plus l'impression de reculer. Cela vous gêne-t-il ?
Jean-Louis Debré : Il prend ses responsabilités. Il est important de restaurer la paix sociale. D'ailleurs, il est faux de dire que le gouvernement n'a fait que reculer. Il a beaucoup travaillé depuis un an et pris bon nombre de mesures importantes.
Paris-Match : Les Français semblent déçus par certains résultats de la politique du gouvernement. Quel bilan tirez-vous de la première année passée par Édouard Balladur à Matignon ?
Jean-Louis Debré : Je comprends parfaitement la déception des Français et c'est vrai que nous devrions aller plus vite. Mais n'ayons pas la mémoire courte. Il ne faut pas oublier la situation dramatique dans laquelle nous avons trouvé le pays après douze ans de socialisme. On entend beaucoup M. Rocard en ce moment, mais rappelons qu'il faut le Premier ministre des occasions manquées et des illusions perdues. Il y a un an, on nous a demandé de rétablir l'image de la France dans le monde, de restaurer l'État républicain, de préserver l'identité française et de faire en sorte que l'économie redémarre. Je pense que, sur les trois premiers points, le gouvernement a bien travaillé en prenant les mesures adaptées. Sur le quatrième, il a stoppé l'hémorragie de la récession. Il faut lui rendre hommage. Il faut maintenant aller plus loin, c'est le défi du gouvernement. Ce défi que nous soutenons.
Paris-Match : Quels remèdes préconisez-vous aujourd'hui pour que l'économie reparte ?
Jean-Louis Debré : Il faut engager une véritable politique de diminution des charges sociales qui étouffent les employeurs. Nous pourrions proposer qu'une entreprise embauchant un jeune sans qualification de moins de 25 ans soit totalement exonérée. Et il faut donner un statut juridique au chef de famille. Cela lui permettrait de défalquer de ses revenus le coût des personnes qu'il emploie. Enfin, créons l'allocation parentale de libre choix. En 1994, nous devrons sortir des sentiers battus. Il faudra être offensif, novateur, imaginatif.
Paris-Match : Selon Balladur, un des principaux obstacles à la réussite de son action est la proximité de la présidentielle. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Louis Debré : Je crois que le gouvernement ne doit en aucun cas se laisser détourner par les échéances de 1995. Ce n'est pas ce qu'on espère de lui. On attend de lui qu'il gouverne. Rien d'autre…
Paris-Match : Pourtant, le Premier ministre semble faire de moins en moins mystère de son intention de se présenter.
Jean-Louis Debré : Jusqu'à preuve du contraire, il n'a pas fait acte de candidature. Donc, pour moi, cette hypothèse n'est pas à prendre en compte. D'ailleurs, si Édouard Balladur souhaite ne pas être ennuyé par cette question, il doit s'en tenir à ce qu'il avait lui-même affirmé à plusieurs reprises dans la presse et dans son livre avant sa nomination : dans un système de cohabitation, le gouvernement ne doit pas s'impliquer dans la campagne présidentielle et celui qui le dirige n'a pas vocation à être candidat. Il faut s'en tenir là.
Par Valérie Massonneau et Frédéric Gerschel