Texte intégral
Télégramme de Brest : La plupart des Français pensent que le libéralisme est né dans les pays anglo-saxons alors que ce n’est pas vrai…
Alain Madelin : Les idées libérales qui apparaissent aujourd’hui comme les idées modernes venues des pays anglo-saxons sont en réalité des idées nées en France qui ont fait le tour du monde. L’origine de ces idées, c’est l’humanisme libéral du 18ème siècle qui affirme les droits de la personne humaine. C’est une philosophie qui a des conséquences juridiques et politiques et qui se concrétise avec la révolution française, conduisant à l’abolition des privilèges, la proclamation de la déclaration des droits de l’homme, et la liberté du commerce et de l’industrie. Il s’agit d’une pensée plus que jamais actuelle car si le 20ème siècle a été le siècle des Etats et – hélas - des totalitarismes, le 21ème siècle s’annonce comme le siècle du retour de l’homme au cœur de la société. J’aime aussi à rappeler le rôle totalement méconnu et pourtant fondamental des libéraux du 19ème siècle dans le combat pour le progrès social. Beaucoup sont surpris d’apprendre que la plupart de nos institutions sociales ont pour origine la pensée et l’action des libéraux : les caisses d’épargnes, la loi sur les accidents du travail, les mutualités ouvrières, les retraites ouvrières et paysannes, la politique contractuelle et les conventions collectives, les Bourses du travail, la liberté de coalition ouvrière avec la première loi sur les syndicats de Waldeck Rousseau en 1884…
TB : Après-guerre, la domination intellectuelle de la droite s’efface au profit de la gauche Est-ce la fin du libéralisme en France ?
AM : Les idées libérales ne s’identifient pas à la droite. Elles sont nées avant même qu’apparaissent les notions de droite et de gauche. Au 19ème siècle, les figures les plus éminentes de la pensée libérale étaient souvent classées à gauche. Dans les archives de la Ville de Redon, on peut retrouver des affiches de « listes libérales de soutien à Jules Ferry et Gambetta ». Le divorce de la gauche et des idées libérales se fait lorsque la gauche se converti au marxisme et passe pour une part sous la dépendance intellectuelle du Parti communiste. Mais depuis plusieurs années, on assiste à un retour des idées libérales, portées le plus souvent par une droite qui a bien du mal à rompre avec ses pratiques autoritaires, dirigistes et technocratiques.
TB : Le libéralisme fait peur par ce qu’on présuppose un coût social important pour le mettre en œuvre…
AM : C’est l’inverse. Si nous connaissons depuis plusieurs années une régression sociale, c’est parce que nous n’avons pas fait confiance aux solutions libérales. En réalité, je ne pense pas que le libéralisme fasse peur mais plutôt que l’on cherche à faire peur avec le libéralisme, ce qui n’est pas la même chose. Et ceux qui cherchent à faire peur, sont essentiellement les tenants de cette nomenklatura française qui vit en concubinage avec l’Etat, et qui ressent, à juste titre d’ailleurs, la révolution libérale comme la fin de ses privilèges. C’est elle qui qualifie volontiers le libéralisme d’ultra, ce qui d’ailleurs marche de moins en moins au fur et à mesure que les Français s’aperçoivent que même les idées libérales les plus fortes que je peux exprimer restent très en retrait par rapport à celles d’un Tony Blair.
TB : Faut-il incriminer le manque de courage des hommes politiques de droite ou leur absence de savoir-faire pour convaincre ?
AM : Ils ont manqué de convictions libérales. La droite française ne s’est pas encore vraiment convertie aux idées libérales. Elle les a mis dans ses programmes pour gagner les élections, mais une fois les élections gagnées… chassez le naturel il revient au galop. Le naturel technocratique et les solutions chèvre-chou l’ont emporté. De telle sorte que les Français n’ont connu que des alternances molles entre des politiques de centre gauche et de centre droit dont ils ne voient pas de différences et qui n’ont pas résolu leurs problèmes essentiels, chômage, précarité, sécurité…;…D’où aujourd’hui une crise de confiance vis-à-vis de la politique et même une montée des extrêmes. La seule politique que l’on n’ait pas encore essayé en France c’est la politique libérale.
TB : Vous avez connu en 1995 une expérience malheureuse au Ministère de l’économie et des finances. Toutefois à la décharge de Juppé, le poids de l’endettement plus fort qu’en 86, rendait une rupture plus difficile.
AM : C’est vrai partiellement, mais il y a beaucoup de réformes libérales qui heureusement sont indépendantes des contraintes financières et qui ne demandent que du courage politique. Souvenez-vous qu’à l’époque on hésitait à parler franchement de la privatisation de France Telecom ; et que l’on voulait même inscrire nos services publics dans la constitution pour les préserver de l’ouverture européenne à la concurrence. Le problème de la droite française, c’est qu’elle n’a jamais assumé franchement les idées libérales. Elle doit le faire aujourd’hui.
TB : La gauche depuis 1983 fait évoluer sa pratique sociale-démocrate par des réformes inavouées et se déporte de ce fait vers le centre. N’est-ce pas un handicap pour vous ?
AM : Nous assistons à une inversion des positions par rapport aux années 70. A l’époque, la droite se maintenait au pouvoir n’agitant d’une part la peur d’un parti communiste étroitement lié aux soviétiques, et d’autre part en injectant dans sa politique les idées sociale-démocrates. Aujourd’hui, c’est la gauche qui entend se maintenir au pouvoir en agitant l’épouvantail du front national et en injectant dans sa pratique des idées libérales… Europe oblige. Cela étant, de petites doses de libéralisme ne peuvent suffire à guérir la maladie française. Lionel Jospin n’est pas et ne sera pas Tony Blair. Pour deux raisons : d’abord parce que ses alliances politiques et sa clientèle électorale l’en empêchent ; ensuite, parce que M. Jospin a encore le bagage de la vieille idéologie socialiste dans son esprit. Au surplus je rappelle que avant d’avoir Tony Blair il y avait Thatcher. Avant Jospin il y avait Juppé. La situation est différente…
TB : Quand Bayrou annonce qu’il veut créer un parti du centre et que vous marquez votre volonté de créer une confédération, l’implosion de l’UDF n’est pas loin…
AM : S’il s’agit de reconstituer un nouveau parti du centre à la place de l’UDF en concurrence ou en rivalité avec le RPR, les mêmes causes produiront les mêmes effets. C’est la plus sûre recette pour rester dans l’opposition pendant 20 ans ! C’est pourquoi je refuse ce projet d’affrontement et je propose la constitution d’une confédération de l’ensemble de l’opposition. Cette opposition a aussi besoin d’un projet. Et le projet de l’ensemble de l’opposition ne peut être libéral.
TB : Les gaullistes en sont-ils convaincus ?
AM : Les lignes de division ne passent pas de façon simple entre le RPR et Démocratie Libérale. Sur certains points vous sentez bien que les idées de Sarkozy sont assez proches des miennes. Les lignes de partage sont plus complexes, c’est pourquoi je souhaite l’union de l’opposition la plus large dans lesquelles les différentes sensibilités peuvent se retrouver. Dans cette union la plus large, le centre de gravité sera nécessairement libéral.
TB : Pourquoi ne pas fusionner dans un parti unique de l’opposition ?
AM : Je me méfie des fusions qui aujourd’hui ne peuvent qu’aboutir à des confusions d’idées et à rétrécir l’audience de l’opposition. C’est la raison pour laquelle je parle plus volontiers de confédération. Et je souhaite que cette union repose sur des bases territoriales fortes. C’est pourquoi j’encourage le développement d’initiatives unitaires locales et provinciales, à commencer par la Bretagne. Il faudra aussi nous retrouver, comme nous l’avions fait autrefois avec les États Généraux de l’opposition que j’avais organisés avec Nicolas Sarkozy, afin de débattre de notre projet commun.
TB : On a parfois eu l’impression que vous étiez partagé entre les partisans d’une alliance avec le FN et ceux qui y étaient hostiles ?
AM : A Démocratie Libérale, personne ne souhaite d’alliance avec le FN. Nous savons qu’aujourd’hui le Front National est un mouvement anti libéral à l’antipode des valeurs de liberté, de responsabilité de la personne qui sont les nôtres. Cela étant, il est vrai que nos électeurs se sont partagés. D’un côté, il y a ceux qui sont scandalisés par le fait que certains se soient fait élire Président de région avec les voix des élus du Front National – même lorsqu’il n’y a pas d’alliance -. Ils y voient un symbole de compromission alors qu’il devait y avoir une exigence morale. C’est le cas notamment des jeunes. De l’autre, ceux qui ne comprennent pas que l’on refuse par principe les voix des élus du Front national, dès lors qu’il n’y a ni accord ni compromission, pour faire barrage à la gauche et à l’extrême gauche dans leur région. J’ai essayé d’écouter et de comprendre les uns et les autres, de calmer le jeu et d’éviter les positions extrêmes, ce qui n’est pas tâche quand se déchaînent les passions.
TB : La Crise du choux fleur a montré la contradiction d’un système productiviste qui se veut libéral. Et qui tend la main dès lors que le marché lui est défavorable. Comment sortir de cette impasse ?
AM : Comme élu breton, je comprends bien sûr les problèmes de nos producteurs de choux fleur. Je sais qu’ils travaillent durs, plus de 35 heures par semaine et qu’ils sont mal récompensés de leur travail. Mais je ne peux être solidaire de l’usage de la violence. Et je n’accepte pas ce système typiquement français qui conduit régulièrement les groupes de pression à agiter l’Etat comme on agite un prunier pour qu’il tombe quelques prunes ; Et on l’agite d’autant plus fort qu’il y a de moins en moins de prunes ; Ce n’est pas en organisant des manifestations mais en organisant les marchés que nos producteurs doivent trouver des solutions durables.
TB : C’est plus facile à dire qu’à faire !
AM : Beaucoup d’autres producteurs de produits frais ont su développer des relations contractuelles avec les distributeurs. C’est là le moyen d’échapper aux variations de cours trop fortes des marchés « au cadran ». On ne peut pas aujourd’hui produire sans débouchés, et sans organiser les débouchés.
TB : La Réforme de la PAC est-elle un SAS d’adaptation au libéralisme mondial ?
AM : Il existe de bonnes et de mauvaises réformes de la PAC. Nous devons être vigilants. Ce qui est sûr, c’est que les marchés agricoles évoluent et vont évoluer et que nous devons accompagner ce rapprochement de l’agriculture avec les marchés. Au-delà de la politique agricole commune, je crois à l’importance d’une politique nationale qui permette d’agir non sur les prix mais sur les coûts et appuyer le développement d’une agriculture compétitive.
TB : Le passage à l’Euro est-il une bonne chose pour l’économie française ?
AM : Je suis profondément européen et j’ai toujours été partisan d’une monnaie européenne. Cela étant, il ne faut pas croire que l’Euro constitue en soi le remède miracle à nos problèmes, la solution à notre chômage ou la potion magique qui nous dispenserait des réformes nécessaires. Au choix de l’Euro nous devons ajouter des choix libéraux. Faute de quoi l’Euro risque d’aggraver nos difficultés. Imaginez que les allemands décident de travailler moins et deviennent moins productifs que les français. Dans une telle situation, la monnaie sert d’écluse. Le mark se dévalue et le franc s’apprécie. Mais si de part et d’autre du Rhin vous avez une seule et même monnaie, l’ajustement doit se faire par une baisse des prix en Allemagne – prix du travail, prix des actifs…-. Et si trop de rigidités empêche cet ajustement par les prix alors l’ajustement se fait par le chômage.
C’est-à-dire que l’Euro impose des choix libéraux. Et si nous faisons ce choix, alors l’Euro peut-être une vraie chance de prospérité nouvelle, d’emploi et de progrès social.