Texte intégral
M. Cotta : Comment expliquez-vous que tout au long de la campagne, la liste Baudis ait vu décroître ses suffrages ?
A. Juppé : Compte tenu du résultat, on peut toujours imaginer qu'on aurait pu faire une meilleure campagne. Je pense qu'elle a été aussi active que possible. Nous y avons participé en toute loyauté, je parle du RPR. C'est vrai que nous sommes ce matin un peu déçu. Mais permettez-moi de souligner un point qui ne l'a pas été beaucoup à mon avis dans les commentaires qu'on a faits depuis hier soir. C'est qu'au total, quand on compare ce qui s'est passé en 1989, c'est-à-dire une autre élection européenne et ce qui se passe aujourd'hui, on observe une assez grande stabilité des grandes forces politiques françaises. Le PC est au même niveau, aux alentours de 7, le FN bouge très peu, aux alentours de 11, la droite et le centre droit faisait 37,3 en 89 et fait 37,9 aujourd'hui. Et on pourrait faire la même démonstration pour la gauche. Donc, le rapport de force droite-gauche, n'a pas été bouleversé. En revanche, il y a des changements profonds à l'intérieur de chaque camp.
M. Cotta : Justement ce que vous dites n'est-il pas une façon de banaliser la percée de De Villiers. À quoi attribuez-vous sa percée ? Sa position sur l'Europe ? Son aspect de franc-tireur ? Au fait qu'il soit une sorte de Le Pen chic ?
A. Juppé : Quand je vois les commentaires se déchaîner tous dans le même sens, j'ai souvent tendance à relativiser. Les élections européennes, on le sait bien, sans enjeux intérieurs véritables et à la proportionnelle, sont toujours l'occasion d'un défoulement. Permettez-moi de rappeler qu'en 89, les Verts avaient fait près de 11 % et là encore on avait dit que c'était un séisme dans la vie politique française. Cela dit, il faut tenir compte des choses. Je vois au succès de De Villiers et au score de B. Tapie, deux explications qui ne sont pas d'ailleurs totalement convergentes. La première tout d'abord, ce sont les personnalités. C'est vrai que dans ce type de scrutin, soyons un peu vulgaire, les grandes gueules, ça plaît.
M. Cotta : À l'inverse, ça joue contre Baudis et Rocard ?
A. Juppé : Contre ceux qui sont raisonnables peut-être, encore que lorsque les vrais échéances arrivent et lorsqu'il s'agit de choisir ceux qui dirigent le gouvernement de la France, on se rend compte que l'opinion publique ne réagit pas de la même manière. Mais on verra ça plus tard. Le deuxième élément qui me paraît important au sein de l'électorat de la majorité, c'est incontestablement un changement de tonalité ou de sensibilité. C'est vrai que la liste Villiers a fait campagne globalement contre une certaine idée de l'Europe et qu'elle a beaucoup progressé par rapport aux résultats antérieurs. Ça veut dire que la construction européenne telle qu'elle se fait, n'est pas bien comprise par les Français.
M. Cotta : Donc vous pensez comme J. Chirac que les Français ont tenu à marquer leurs préoccupations à l'égard de la construction européenne ?
A. Juppé : C'est tout à fait évident dans le cas de la majorité. Regardez comment les choses s'étaient mimées en 89, il y avait la liste V. Giscard d'Estaing et la liste S. Veil qui toutes deux faisaient campagne pour l'Europe. Et celle fois-ci il y a une liste pour l'Europe et une contre.
M. Cotta : Est-ce que vous pensez que les déclarations de B. Pons et C. Pasqua ont-elles donné un vrai-faux passeport majoritaire à P. De Villiers ?
A. Juppé : Elles ont constitué une erreur, c'est tout à fait évident. Qu'au soir des élections lorsqu'on analyse les résultats du scrutin, on se dise que l'électorat de P. De Villiers est un électorat majoritaire, c'est évident et tout le monde l'a dit. Le déclarer à quelques jours du scrutin, c'était évidemment donner un argument de campagne et déculpabiliser une partie de notre électorat. On aurait mieux fait s'abstenir.
M. Cotta : Donc le président de voire groupe parlementaire aurait mieux fait de s'abstenir ?
A. Juppé : C'est ce que je viens de dire, oui.
M. Cotta : Comment allez-vous gérer le phénomène Villiers ?
A. Juppé : C'est à lui de se déterminer après avoir vivement critiqué le gouvernement pendant toute une période, en fin de campagne il s'est découvert une vocation majoritaire. Alors on va voir dans les mois qui viennent, s'il soutient l'action du gouvernement. On a déjà évidemment fait beaucoup de commentaires dans la perspective des élections présidentielles. Je voudrais en ajouter deux. Le premier c'est évident, on n'en a pas parlé c'est que le vrai phénomène est quand même le sinistre Rocard. Là, il y aura manifestement un reclassement.
M. Cotta : Est-ce que la faiblesse du score de M. Rocard dispense la majorité d'envisager une union ?
A. Juppé : C'est une question qui se pose. On a vu effectivement que la stratégie de la liste unique projetant ça sur les présidentielles, de la candidature unique, comporte des inconvénients et favorise la dissidence. Une dissidence qui se fait souvenu dans l'ambiguïté et parfois dans l'affrontement. On l'a vu dans la semaine qui a précédé le scrutin européen. La question se pose de savoir s'il ne vaudrait pas mieux organiser une compétition avec une candidature pour chacune des grandes familles. Moi, je ne tranche pas cette question aujourd'hui.
M. Cotta : Ça fait beaucoup de candidats à droite ?
A. Juppé : Il y en a déjà deux.
M. Cotta : Mais quand Villiers dit qu'il représente une famille, c'est laquelle ?
A. Juppé : Il faut voir justement. Il appartient à la famille UDF que je sache pour l'instant. Je crois que la question se pose et les responsables de la majorité seraient bien inspirés de l'examiner sereinement. Nous avons encore le temps.
M. Cotta : Craignez-vous un autre candidat de gauche ? Delors par exemple ?
A. Juppé : Je ne crains rien. Ce qui m'a aussi frappé dans ces élections européennes, c'est qu'elles se sont faites sur des idées très souvent. On a beaucoup parlé de l'Europe contrairement à ce qu'on nous avait dit et ça a finalement intéressé puisque la participation a été plus forte que la dernière fois. Je crois qu'aux élections présidentielles il faudra aussi juger sur les projets. Il faut que les candidats proposent aux Français leur vision de l'avenir pour les sept prochaines années. Et moi je fais confiance au bon sens des électeurs, c'est sur les projets qu'ils se détermineront plus que sur des personnalités.