Interview de M. René Monory, président du Sénat, dans "Le Figaro" du 27 août 1998, sur la mise en examen de M. Alain Juppé dans le cadre d'emplois fictifs du RPR.

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Le Figaro : Alain Juppé vient d’être mis en examen, notamment pour détournement de fonds publics, une charge lourde qu’il juge lui-même « intolérable, inacceptable ». Que pensez-vous de cette affaire ?

René Monory : J’ai appris par la presse qu’un avis de mise en examen avait été envoyé à Alain Juppé. Le procédé me paraît éminemment condamnable. Une fois de plus, une personne est jetée en pâture à l’opinion publique sans aucun respect des droits de l’homme. Je n’accepte pas les mises en examen spectaculaires comme celle-ci, qui jettent a priori le discrédit sur les personnes qui, je le rappelle, sont présumées innocentes. Il faut en finir avec ces procédés indignes d’un État de droit et d’une vraie démocratie. Ils peuvent toucher tout citoyen de la République à tout moment. Il est temps de réformer cela et de poser la question du maintien de la procédure inquisitoriale.

Le Figaro : Alain Juppé n’a jamais été interrogé par le juge avant sa mise en examen. Croyez-vous à une tentative de déstabilisation des dirigeants politiques par les juges ?

René Monory : Je me demande quel est le but de cette manœuvre. Je connais Alain Juppé, j’ai beaucoup travaillé avec lui. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il a la dimension et les qualités d’un homme d’État. Personne ne met en doute son intégrité et son honnêteté. C’est un homme respectable que j’apprécie personnellement beaucoup. Je lui conserve tout mon soutien et toute mon amitié dans cette affaire.

Le Figaro : Que pensez-vous de la procédure ?

René Monory : J’en appelle à la sérénité de la justice, car je souhaite que les juges ramènent cette affaire à sa juste proportion. Je suis contre la justice spectacle. Je suis inquiet de ces affaires à répétition qui détruisent peu à peu l’image et la réputation de la politique dans notre pays. Il faut faire attention de ne pas tomber dans les excès de certains pays voisins, car cette justice spectacle risque de nous mener bien bas.

Le Figaro : Une quinzaine d’affaires concernant le RPR sont actuellement en instruction. Jacques Chirac, en est-il, selon vous, la cible ?

René Monory : Je ne veux pas croire que les juges visent le président de la République. Cela me paraît impensable. Je rappelle que les lois sur le financement des partis politiques sont récentes – les premières ont été votées en mars 1988 sous le gouvernement Chirac – et que tous les partis ont vécu sous la Ve République dans un « « no man’s land » juridique en la matière pendant plus de trente ans. Je rappelle aussi que c’est sous le gouvernement Balladur que le cadre juridique a été véritablement fixé, avec la loi de 1995 qui interdit le financement des partis politiques par des entreprises privées. On ressort des affaires très anciennes. Un jour c’est le RPR, une autre c’est le Parti socialiste qui est dans le collimateur des juges. Je fais tout confiance au RPR pour ce qui a été fait dans le passé. Et je le répète, je ne veux pas croire qu’on veuille mettre Jacques Chirac en première ligne.

Le Figaro : Ces affaires ne nourrissent-elle pas la méfiance de l’opinion publique à l’égard de toute la classe politique, faisant ainsi le lit du Front national ?

René Monory : Je ne parle jamais du FN. Pour le reste, il faut faire attention à ne pas jeter le discrédit sur toute la classe politique, car on finira par ne plus avoir d’État de droit du tout.