Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, dans "La Tribune" du 9 juin 1998, sur les objectifs du gouvernement de réduire les déficits publics pour 1999, et les priorités du budget 1999, notamment envers les jeunes et les conditions de vie dans les quartiers.

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Circonstance : Débat d'orientation budgétaire à l'Assemblée nationale le 9 juin 1998

Média : La Tribune

Texte intégral

La Tribune. – Le débat d’orientation budgétaire a lieu aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Quel jugement portez-vous sur les options gouvernementales ?

Jack Lang. – La France bénéficie d’une conjoncture favorable. Le mérite revient notamment à la nouvelle politique engagée par le Gouvernement Jospin qui a redonné espoir aux français. Sans oublier les efforts que les gouvernements de gauche précédents ont réalisé pour assainir la situation. L’action de désinflation compétitive animée par Pierre Bérégovoy au milieu des années 80 – qui fut parfois contestée – porte ses fruits. L’inflation et les taux d’intérêt ont atteint un niveau historiquement bas. Quel usage faire de cette embellie ? Certains pressent la gauche de se comporter en cigale de la fable. Funeste conseil. Sur le chemin de l’emploi, de nombreux obstacles subsistent : lourdeur des prélèvements obligatoires – six point supérieurs à la moyenne européenne – et ampleur de nos déficits – nous sommes la lanterne route de l’Europe. Plusieurs pays – le Danemark, la Suède, l’Irlande, la Finlande – ont même un solde positif.

En dix ans, notre endettement a presque doublé en proportion du PIB. Le budget de la dette est l’équivalent du budget de l’éducation nationale. Ce gaspillage fait mal au cœur. Sur ce point particulier, Lionel Jospin a eu des paroles très fortes : « Nourrir la dette, c’est boucher l’avenir. » C’est en effet sacrifier les générations futures au bénéfice des rentiers qui s’enrichissent des intérêts de la dette. Parions sur le futur plutôt que de céder aux facilités du présent.

La Tribune. – Mais le Gouvernement a pour stratégie de réduire la dette publique en proportion du PIB…

Jack Lang. – Un déficit public de 2,3 % du PIB (chiffre retenu pour 1999) est impuissant à faire refluer la dette. Il faut accélérer la marche vers la réduction des déficits et ramener ce chiffre à 1,7 % dès 1999. Ainsi redonnerait-on à l’économie de l’oxygène, et surtout nous rechargerions nos batteries et nos réserves pour faire face à un éventuel retournement de conjoncture. A défaut d’une réduction plus drastique du déficit, nous devrions à tout le moins provisoirement bloquer une part des déposes au sein d’un fonds d’action conjoncturelle qui serait utilisé en cas de consolidation de la croissance.

La Tribune. – Comment parvenir à un déficit inférieur à celui prévu par Dominique Strauss-Kahn ?

Jack Lang. – Des économies sont envisageables. Il faut passer au peigne fin toute une série de situations acquises. Des milliards sont accordés au secteur privé, pour de prétendues créations d’emplois : c’est du bois jeté au feu, en vain. Finissons-en avec ces gâchis. Etalons dans le temps l’exécution des programmes militaires. Attaquons-nous avec vigueur à des réformes structurelles : les retraites, l’assurance maladie, dont les dépenses dérivent à nouveau. Bref, encore un effort pour être vertueux. Cette gestion dynamique et offensive de nos finances, conforme aux meilleurs enseignements de Keynes et de Pierre Mendès-France, doit être mise en service d’une action publique ambitieuse et clairement dessinée. Evitons de nos disperser. Trop de priorités tuent les priorités. Quelles sont les priorités « prioritaires » ? J’en vois principalement deux. D’abord les jeunes. C’est notre meilleur gisement pour le futur. D’où l’effort à accomplir pour la recherche, pour les nouvelles technologies, et surtout pour la recherche l’éducation, qui elle-même doit faire l’objet d’une véritable révolution. Deuxième priorité « prioritaire » : les conditions de vie dans les quartiers difficiles (logement, sécurité, justice, emploi). On ne peut plus se contenter ici d’un simple ripolinage ou d’un rapiéçage. Il faut un complet changement de cap par la reconstruction des banlieues et la refonte des politiques publiques. Révolution de l’éducation, révolution des villes, voilà deux exigences absolues qui méritent tous les sacrifices.