Article de M. Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, dans "XXIe siècle" de juin 1998, sur les grandes orientations de la politique de l'enseignement.

Prononcé le 1er juin 1998

Intervenant(s) : 

Média : XXIe siècle

Texte intégral

Le lien civique se construit à l'École car c'est là que s'apprend l'attachement au principe de la République. « Liberté, égalité, fraternité », la devise républicaine doit être reconquise sans complexe : c'est autour d'elle que s'organisent l'éducation civique et la morale laïque. Ainsi pour que vive la République, il faut sans cesse ranimer ce sentiment d'appartenance à une communauté régie par des règles communes et universelles. C'est pourquoi l’École, de la maternelle au baccalauréat, doit intégrer une initiation pratique à la vie civique. Dans cet esprit, reprenant de multiples actions déjà existantes, en novembre dernier, ont été lancées des Initiatives citoyennes auxquelles l'ensemble des acteurs de la communauté éducative ont été invités à participer. Leur contenu fait écho aux programmes d'éducation civique mais aussi, ne l'oublions pas, à la dimension citoyenne de chaque discipline.

L'École entrera avec confiance dans le XXIe siècle en se donnant les moyens de devenir toujours plus un creuset d'égalité. C'est pourquoi le Gouvernement a voulu donner un nouveau souffle à la politique d'éducation prioritaire. Faire que ceux qui ont moins par la famille aient plus par l'école est la raison d'être de l'enseignant(e) et un devoir de la République. Aussi la politique d'éducation prioritaire a pour mission essentielle de rappeler l'éducation à ses priorités.

Les lycéens ont d'ailleurs clairement pris la parole à ce sujet. La consultation, lancée par Claude Allègre, a montré que les jeunes ne se plaignent pas aujourd'hui d'un excès de pression ou d'intervention de la part des adultes mais, plutôt, d'un besoin d'adultes plus proches. Cette attente s'adresse à tous les éducateurs, parents et enseignants, car nous savons les uns et les autres qu'il n'est parfois guère rassurant d'être confronté à leurs questions essentielles, qui furent à leur âge aussi les nôtres, portant sur les valeurs, la raison des injustices et la quête de sens qui tenaille naturellement tout être humain.

La question des savoirs, n'est pas, en effet, une simple question technique qui pourrait être tranchée par les seuls experts : à travers les contenus d'enseignement, c'est le profil « d'honnête homme ou femme » pour la société de demain qui doit être défini. Beaucoup de jeunes abordent leur entrée dans le monde des adultes en voulant disposer de ce socle de savoir qui leur permettrait de se comprendre et de se parler. Beaucoup d'entre eux se voudraient moins démunis pour capter autant qu'ils le voudraient l'information juridique, économique ou culturelle. Ils voudraient aussi ne pas se sentir en situation d'infériorité parce qu'ils ne parlent pas les langues vivantes qui leur permettraient de vivre comme de véritables « citoyens européens ». Trop s'inquiètent d'avoir des difficultés à accéder à l'emploi, s'ils ne maîtrisent pas les nouvelles technologies. Il faut étudier ces demandes et réfléchir à la meilleure manière d'y répondre sans faire éclater la cohérence de la formation au lycée.

Les jeunes, qu'ils effectuent un parcours en enseignement général, professionnel ou technologique, doivent s'y sentir accueillis, encouragés au travail, reconnus dans leurs talents et leurs points forts, soutenus dans leurs points faibles. S'ils savent qu'ils occuperont des fonctions évidemment diverses dans le monde de demain, ils doivent être convaincus de l'égale dignité de celles-ci. Ne nous y trompons pas : c'est bien l'avenir de la démocratie et du dialogue social qui est en jeu dans la lutte contre toutes les formes de relégation et d'exclusion.

L'École est l'affaire de tous et la démocratisation de l'École, celle de l'accès au savoir est une priorité pour tout le Gouvernement. Il ne nous est pas possible aujourd'hui de laisser une partie de la population dans la désespérance, persuadée qu'elle est condamnée à l'échec social à travers l'échec scolaire de ses enfants.

Il ne nous est pas possible de laisser une partie des élèves au bord du chemin, désarmés, ne comprenant pas ce que l'on attend d'eux sans autre soutien ni appui, que le recours à des officines privées. Il ne nous est pas possible de laisser s'installer une école à deux vitesses. L’École de la France doit être aussi une école solidaire et tolérante, unie et généreuse, en ces temps où de tristes échos nous rappellent de tristes époques et suscitent d'ailleurs d'heureuses mobilisations de lycéens.