Texte intégral
Assemblée nationale - Extrait du procès-verbal de la séance du 12 avril 1994
Déclaration du gouvernement sur l'ex-Yougoslavie et sur la prévention des conflits en Europe, par M. Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés,
Le Gouvernement souhaite faire le point devant vous sur deux sujets, l'un d'actualité brûlante, la situation dans l'ex-Yougoslavie, l'autre qui lui est très étroitement lié, la préparation de la conférence sur la stabilité en Europe. J'aborderai successivement, le plus synthétiquement possible, chacun de ces deux sujets.
Tout d'abord, la situation dans l'ex-Yougoslavie.
Deux mois après le tournant qui a été pris grâce à l'ultimatum de l'Alliance atlantique concernant Sarajevo, dans lequel, vous le savez, la diplomatie française a pris une part déterminante, nous nous trouvons à nouveau à la croisée des chemins. Les événements de Gorazde nous ramènent à une interrogation cruciale : la Bosnie va-t-elle replonger dans un engrenage irréversible de combats et d'atrocités, ou pouvons-nous rétablir la dynamique de paix que nous avions enclenchée ? Je vais essayer de répondre rapidement à cette question.
Depuis un an, notre action a été constamment inspirée par le refus de la résignation dans un drame que chacun avait tendance à considérer comme inéluctable. Toute notre stratégie a visé à mobiliser la communauté internationale pour progresser vers un règlement politique, en jouant à cet effet de toute la gamme des instruments de pression, y compris militaires, à notre disposition. Je voudrais à ce titre rappeler simplement quelques faits ou quelques dates.
Cela a d'abord été la dénonciation très claire, à cette tribune même, de l'agression serbe. Ce fut ensuite, à l'initiative de la France, le vote de la résolution 820 du Conseil de sécurité au mois d'avril 1993, qui a établi à l'égard de la Serbie le régime de sanctions le plus sévère jamais édicté par les Nations unies, puis, en mai 1993, toujours dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité proposée par la France, l'établissement des zones de sécurité, ou du moins du concept de zones de sécurité, pour la protection desquelles la France fut le premier pays, et pendant longtemps le seul, à fournir des renforts.
Lorsque nous eûmes pris conscience que ces tentatives n'aboutissaient pas, nous avons essayé d'unifier la position des Douze et, sur la base d'une initiative que j'ai prise avec mon collègue allemand Klaus Kinkel, nous avons élaboré le plan d'action de l'Union européenne adopté par les Douze en novembre 1993, qui reste, j'y reviendrai dans un instant, le seul cadre global de référence pour tout règlement de paix actuellement disponible.
Enfin, en janvier 1994, dans le cadre du sommet de l'Alliance atlantique, il y eut l'initiative, là encore prise par la France, pour que l'OTAN se saisisse du problème yougoslave et qu'elle obtienne notamment la relève de la FORPRONU à Srebrenica et la réouverture de l'aéroport de Tuzla, qui sont aujourd'hui réalisées. Je ne reviens pas sur l'ultimatum du mois de février que j'évoquais en commençant.
Aujourd'hui, nos objectifs s'inscrivent toujours dans le cadre de cette stratégie que je viens de rappeler et dont nous nous sommes efforcés de maintenir le cap. Ces objectifs sont au nombre de trois. Je les passe rapidement en revue.
Premier objectif, le plus urgent : essayer d'éteindre les foyers d'incendie qui se sont rallumés ici ou là et qui risquent d'embraser l'ensemble de la Bosnie.
Pour cela, il faut d'abord, bien sûr, mettre un terme à l'offensive serbe sur Gorazde, sans délai ni conditions. La France l'a exigé avec une particulière fermeté, et elle soutient donc pleinement les actions aériennes mises en œuvre en pleine conformité avec le dispositif de l'ONU, la résolution du Conseil de sécurité 836 votée par tous les membres du Conseil de sécurité et en particulier par la Russie, ainsi qu'avec le dispositif de l'OTAN que nous avons largement contribué à mettre en place.
Le processus de décision, cette fois-ci, a bien fonctionné. J'en ai pris acte hier en recevant M. Akashi, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies. Vous vous souvenez que, lors de l'incident, ô combien grave, de Bihac, il avait fallu quatre heures trente entre le moment où l'ordre commandement sur le terrain avait demandé l'intervention du soutien aérien et le moment où l'ordre avait été donné. S'agissant de Gorazde, ce délai a été ramené à vingt-cinq minutes. Il y a donc eu là, conformément à ce que la France avait souhaité et demandé au secrétaire général des Nations unies, une amélioration spectaculaire des procédures.
Cette détermination, exprimée par tous les membres du gouvernement français, et notamment par le ministre d'État, ministre de la défense, qui y reviendra sûrement dans son intervention, ne doit pas fléchir. La France, qui participe au dispositif d'appui aérien, prendra naturellement en ce sens toutes ses responsabilités.
Parallèlement ; et afin d'éviter que se crée un engrenage que nous aurions ensuite beaucoup de mal à arrêter, il faut fixer des buts politiques précis à notre action à Gorazde. Il y a, en effet, une différence sensible entre ce qui s'est passé pour Sarajevo et ce qui se passe à Gorazde. Pour Sarajevo, nous avions défini dans le cadre de l'ultimatum que nous demandions aux Serbes. C'était clair : l'exclusion dans une zone de vingt kilomètres des armes lourdes, etc. Je n'y reviens pas. Ce travail doit être fait s'agissant de Gorazde. Il faut déterminer des objectifs clairs, à commencer par un cessez-le-feu immédiat ainsi que le déploiement sur le terrain de la FORPRONU pour s'interposer entre les communautés. Nous examinons la possibilité d'une résolution du Conseil de sécurité à cette fin.
Nous devons simultanément essayer de réduire les autres foyers de tension serbo-bosniaques, à Bihac ou à Maglaj, achever la levée du siège de Sarajevo qui était en bonne voie avant que se déclenchent les hostilités à Gorazde, exiger la cessation immédiate des pratiques intolérables de purification ethnique, notamment à Prijedor et à Banja Luka et rester vigilants sur la poursuite des violations des droits de l'homme et des minorités – je pense au Kosovo et au Sandjak.
Premier objectif donc : essayer d'éteindre les foyers d'incendie qui se sont déclarés ici ou là ou qui pourraient se déclencher.
Deuxième objectif de notre diplomatie : assurer la relance et la convergence des initiatives diplomatiques, qui, il faut l'admettre, ont été depuis quelques semaines un peu dispersées. Je l'avais dit moi-même dès le lendemain de l'ultimatum de l'Alliance, et je vais vous expliquer pourquoi il en a été ainsi.
Nous, avons salué l'engagement actif des États-Unis et de la Russie, que nous avions toujours considéré comme indispensable, alors que l'Union européenne avait jusqu'alors supporté seule l'essentiel du fardeau, qu'il, soit diplomatique, humanitaire ou militaire.
La France était, en effet, parfaitement consciente de la nécessité d'un rapprochement entre Croates et Musulmans, et nous avons donc soutenu tout de suite, et sans aucune réserve, le processus ouvert par l'accord de Washington du 18 mars dernier, qui a créé une fédération entre les deux communautés en Bosnie. Cela va fort opportunément à l'encontre de la logique ethnique et renforce les chances de viabilité du nouvel ensemble.
Dans le même esprit, la France s'est réjouie de l'accord de cessez-le-feu dans les Krajina qui a été conclu à Zagreb sous les auspices de la Russie, des États-Unis et de l'Union européenne. Mais – et c'est là que je parlais d'« efforts diplomatiques dispersés », ce qui n'est pas une autocritique, mais un constat de la situation qui s'est créée au lendemain de l'ultimatum – ces accords partiels, conclus à l'initiative soit des. Américains, soit des Russes, si importants et si positifs soient-ils – et je viens de dire que nous les soutenons –, ne débouchent pas automatiquement on le voit bien aujourd'hui, sur un accord global.
C'est pourquoi, comme je n'ai cessé de le répéter depuis plusieurs semaines tous nos efforts doivent viser à replacer ces accords partiels dans une dynamique globale en ramenant les Serbes dans le processus de négociation.
Sur le fond, ce nouvel élan diplomatique doit s'appuyer sur les acquis des mois précédents. Je n'y reviens pas. Les initiatives américaines et russes n'ont pas rendu caducs les paramètres principaux du plan européen, notamment tout ce qui concerne la répartition des territoires. Je rappelle que, dans le plan d'action européen, un accord avait été obtenu des parties pour la répartition suivante : 17,5 % du territoire en faveur de la communauté croate, un tiers pour les Musulmans et le reste, c'est-à-dire 49 %, pour les Serbes de Bosnie.
Le deuxième élément essentiel du plan d'action européen est l'élément « levée » – ou, plus exactement, suspension progressive, puis levée – des sanctions. Il est capital de réintroduire cet élément dans la discussion, où il a été un peu perdu de vue.
C'est sur cette base que la diplomatie française s'est efforcée, depuis plusieurs semaines, de rapprocher les protagonistes, en multipliant les contacts avec chacun d'entre eux. J'ai reçu dans ce cadre, successivement, les ministres, ou Premier ministre, croate, M. Granic, bosniaque musulman, M. Silajdzic, serbe de Belgrade, M. Jovanovic, lord Owen, et ainsi de suite.
En termes de méthode, chacun des trois grands partenaires – les États-Unis, l'Europe, la Russie – doit reconnaître qu'il ne peut à lui seul résoudre le problème. Et c'était le sens de l'appel que nous avions lancé en même temps que l'ultimatum. Il faut s'y mettre ensemble si l'on veut avoir une chance de peser efficacement sur les trois protagonistes.
Il nous faut donc mettre en place des méthodes de négociation qui traduisent la réalité politique de ce nécessaire partenariat. Les négociations menées à tous les niveaux doivent désormais associer de manière plus systématique et sur un pied d'égalité les représentants de l'Union européenne, des États-Unis, de la Russie et des Nations unies.
C'est donc dans cette perspective que la France va proposer à ses partenaires de l'Union européenne de partager – c'est une information que je donne aujourd'hui à l'Assemblée – la coprésidence de la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie avec les États-Unis et la Russie.
Ce nouvel esprit doit s'appliquer dès à présent aux multiples contacts prévus avec les différentes parties au conflit et devra s'appliquer bien entendu, le moment venu, lorsqu'il faudra réunir la Conférence au niveau ministériel.
Premier objectif : éteindre ou essayer d'éteindre les foyers d'incendie. Deuxième objectif : remettre de la cohérence dans un processus diplomatique qui l'avait quelque peu perdue. Troisième objectif : prendre nos marques, pour la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine et, plus généralement, de l'ex-Yougoslavie. La France et l'Union européenne auront, à ce titre, un rôle décisif à jouer.
C'est pourquoi nous avons fait connaître notre intention de participer, à Sarajevo, à la reconstruction des infrastructures et des services publics essentiels. Cela a été l'objet de la résolution n° 900, adoptée le 4 mars dernier à l'initiative de la France par le Conseil de sécurité. Non sans mal ! Nous y sommes finalement arrivés. Il importe de la mettre en œuvre rapidement.
Dès que les circonstances l'ont permis, la France a pris les devants pour renforcer son ambassade à Sarajevo. Notre ambassadeur, qui, je tiens à le rappeler ici, fut longtemps le seul diplomate étranger à séjourner à Sarajevo, et à y séjourner fréquemment, plusieurs semaines par mois – il était bien le seul –, hébergé d'ailleurs par les forces françaises dans ce qui était présenté comme l'ambassade de France, est désormais entouré de plusieurs collaborateurs : un adjoint, un attaché humanitaire, très bientôt un conseiller commercial et un conseiller militaire. Et je veux ici remercier nos forces du très précieux concours qu'elles ont apporté à la mission de M. Jacolin. De même, les recherches sont en cours pour disposer dans les meilleurs délais d'une implantation immobilière stable pour notre ambassade sur place, hébergée jusqu'à présent dans les conditions que je viens de rappeler.
La France participe largement aux instances qui, sur le terrain, préparent la réhabilitation des infrastructures. Et, j'ai reçu hier l'assurance du représentant spécial du secrétaire général que l'adjoint du coordonnateur civil pour Sarajevo serait une personnalité française.
À Paris, une cellule interministérielle animée par mon ministère a été mise en place pour coordonner notre action et sensibiliser nos entreprises.
À moyen terme, il faut mobiliser les différentes enceintes internationales et européennes susceptibles de contribuer au financement de l'effort de reconstruction. À titre d'exemple, il conviendrait que la Bosnie devienne éligible aux dons et prêts de la BBRD, la Banque européenne pour la reconstruction et de développement, et des différents fonds communautaires.
Dans la phase de transition actuelle, un effort doit être effectué à titre national. Je souhaite en particulier que la France puisse annoncer rapidement un don pour réhabiliter, via EDF, une partie du réseau électrique de la capitale. D'ores et déjà le ministère des affaires étrangères et celui de la culture ont décidé de contribuer à la reconstruction de la bibliothèque de Sarajevo, qui constitue le symbole de la vie culturelle et intellectuelle dans cette grande ville.
D'autres actions sont à l'étude, dans le domaine des transports par exemple. J'appelle les autres pays qui se sont tant exprimés sur ce conflit et qui ont donné tant de conseils à apporter également leur contribution à cet effort.
C'est pour assurer la coordination et la cohérence de ces décisions que je compte me rendre dans les prochaines semaines à Sarajevo afin de marquer l'engagement de la France à poursuivre ses efforts diplomatiques et à mobiliser la communauté internationale en vue de la reconstruction.
Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce que je voulais vous dire sur la situation en Bosnie. Il va de soi que M. le ministre de la défense développera comme il convient les aspects opérationnels, et notamment les aspects les plus actuels.
J'en viens maintenant au deuxième thème de mon propos, qui se relie tout naturellement au précédent : comment éviter que ne se déclenchent demain en Europe de nouveaux conflits de type bosniaque ? Nous essayons de guérir, nous essayons aussi de prévenir. Il le faut, car les risques sont grands sur notre continent.
Les événements récents ont montré la persistance des problèmes de minorités et de frontières en Europe. C'est pourquoi le Premier ministre français a pris l'initiative, dès son discours d'investiture, de proposer à ses partenaires de l'Union européenne une conférence sur a stabilité en Europe, afin d'inciter les pays qui entendent se rapprocher de l'Union, et même y adhérer, à trouver des solutions pour apaiser les tensions liées en particulier aux problèmes de minorités et consolider leurs frontières, bref améliorer leurs relations de bon voisinage.
Il s'agit là de procéder à un exercice de diplomatie préventive, dans la perspective de l'élargissement de l'Union.
Il est urgent que les pays qui ont une volonté d'adhésion et à qui, lors du Conseil européen de Copenhague de juin dernier, nous avons dit : « L'Union est prête à vous accueillir en son sein ». Il est urgent, dis-je, que ces pays – la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, les trois États baltes – parviennent à surmonter les difficultés de nature politique qui pourraient peser sur leurs relations réciproques ou sur leurs relations avec leurs voisins. On ne peut pas imaginer qu'ils entrent dans l'Union avant d'avoir réglé ces problèmes, sous peine de voir transposer à la charge de l'Union leur règlement.
Les problèmes de minorités et de frontières seront réglés dans le cadre de la Conférence par des méthodes et des solutions choisies par les pays eux-mêmes. Les solutions retenues constitueront le pacte de stabilité lui-même, qui sera l'aboutissement de la Conférence.
Cette proposition d'origine française a été adoptée par les Douze, et le Conseil européen des 10 et 11 décembre dernier, à Bruxelles, l'a faite sienne. Ce Conseil a décidé que la Conférence sur la stabilité en Europe serait la première manifestation importante de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne, ce que l'on appelle dans le jargon de Bruxelles la PESC, dont elle constitue une action commune au sens du traité de l'Union européenne. Le Conseil européen a également décidé que la conférence inaugurale se tiendrait à Paris, les 26 et 27 mai prochains.
Comme je l'ai dit, le pacte de stabilité sera le résultat d'un processus de consultations et de négociations multiples se déroulant sur plusieurs mois après la conférence inaugurale, pour conduire à réunir dans une même corbeille l'ensemble des contributions des pays concernés par l'amélioration de leurs relations de bon voisinage.
Ces contributions pourront être des accords formels, d'amitié et de coopération, des arrangements généraux ou particuliers, des dispositions unilatérales prises par chaque État dans le cadre de ses lois et de ses règlements, notamment sur le statut des minorités, des projets concrets d'intérêt commun, pour tel ou tel barrage, sur telle ou telle opération d'intérêt général, auxquels la communauté internationale pourrait apporter son appui.
Participeront à la Conférence, outre l'Union européenne, les Douze, qui en sont la puissance invitante, les quatre pays en cours d'adhésion, c'est-à-dire la Suède, la Norvège, la Finlande et l'Autriche, et les pays intéressés à la stabilité de l'Europe : les États-Unis, le Canada, la Russie et quelques autres. Nous avons également décidé d'inviter à titre d'observateurs l'ensemble des pays membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.
Les procédures de négociation seront très souples. Elles prendront la forme de tables régionales ou de tables bilatérales. Elles seront choisies par les parties elles-mêmes. Et le résultat des négociations dépendra de leur seule volonté. Ce n'est pas un processus autoritaire visant à imposer sous l'autorité des grandes puissances telle ou telle solution, c'est une manière de mettre en contact les pays concernés dans un cadre qui soit propice à la négociation.
Cette initiative européenne, d'origine française, a été rapidement approuvée et développée, mais il faut être bien conscient que ces questions de minorités et de frontières, héritage d'une histoire souvent fort ancienne ; sont extraordinairement sensibles et touchent à des problèmes qui sont parfois très délicats sur le plan de la politique intérieure dans des États dont certains sont de création récente.
Une préparation diplomatique intense est donc nécessaire pour recueillir l'assentiment complet des pays concernés et les amener à négocier véritablement entre eux de bonne foi. Cette préparation est en cours.
Nos ambassades sont mobilisées à cette fin. La présidence de l'Union européenne, assistée de l'Allemagne et de la Belgique, qui constituent actuellement la « troïka », assistée également de la France en sa qualité de pays hôte de la conférence inaugurale, procède à des consultations bilatérales et multilatérales avec les pays concernés. Ce dialogue politique avec des pays appelés à adhérer à l'Union est essentiel. Nous en avons encore trouvé l'occasion aujourd'hui, le Premier ministre et moi-même, en recevant le Président de la République de Lettonie qui était à Paris et qui nous a confirmé – je prends cet exemple tout récent – le très vif intérêt de son pays pour cet exercice, qui devrait permettre de passer d'un cadre bilatéral Russie-Lettonie à un cadre multilatéral, auquel pourront participer telle ou telle grande puissance garante afin de régler les problèmes bien connus de minorités et de frontières.
Les éléments de la négociation commencent à apparaître, les procédures à se dessiner, les solutions à s'esquisser. Nous avons donc bon espoir de lancer à Paris en mai prochain un processus qui sera une contribution pragmatique à la stabilité de l'Europe centrale et orientale d'abord, puis, si cette première entreprise dirigée vers les pays ayant une perspective d'adhésion, réussit, de l'Europe tout entière.
On nous a ainsi questionnés sur la manière dont les Balkans pourraient être le cas échéant associés à cet exercice. Il va de soi que, pour l'instant, dans les Balkans, nous ne sommes plus au niveau de la diplomatie préventive. Mais, si les choses évoluaient dans les mois ou les années qui viennent, rien ne s'opposerait à ce qu'une table régionale des Balkans vienne s'agréger aux procédures actuellement prévues dans le cadre de la Conférence sur la stabilité en Europe.
La Conférence est, en effet, un processus évolutif. Notre objectif est de l'étendre progressivement à tous les pays européens après l'apaisement des conflits actuels, pour en prévenir définitivement le retour.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ce que j'avais à vous dire sur la partie la plus chaude de l'actualité, à savoir la situation dans l'ex-Yougoslavie, et sur cette perspective et cet exercice de diplomatie préventive lancé par le gouvernement français. Nous sommes là, en fait, au cœur de la question diplomatique la plus importante que notre pays a à affronter dans les cinq ou dix ans qui viennent. À savoir l'image, le dessein, le fonctionnement de l'Europe élargie, qui a commencé, avec les récentes décisions prises à Bruxelles au profit de la Norvège, de la Suède, de l'Autriche et de la Finlande, à s'agrandir et qui a vocation, petit à petit, comme les chefs d'État et de Gouvernement le disaient à Copenhague il y a un an environ, à devenir la grande Europe, ouverte à l'ensemble de la famille des démocraties européennes.
Réponse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'issue du débat au Sénat sur l'ex-Yougoslavie et sur la prévention des conflits en Europe - 13 avril 1994
Messieurs les Sénateurs,
Permettez-moi tout d'abord de me réjouir de la haute tenue que vos interventions ont su donner à ce débat. Je me félicite tout particulièrement qu'il n'y ait pas eu de polémique. Je crois que la gravité de la situation, tout particulièrement à Gorazde, interdisait tout débordement oratoire.
Tous les orateurs, à l'exception peut-être d'un seul, ont salué dans ce débat le rôle que la France s'efforce de jouer dans l'ex-Yougoslavie depuis plusieurs années, notamment depuis le mois de mars, pour ce qui concerne l'action du ministère de la Défense et la mienne propre.
Je voudrais, sans prétendre à l'exhaustivité – car de très nombreux points ont été abordés – répondre aussi clairement que possible aux interventions des orateurs qui se sont succédé.
M. de Villepin, Président de la Commission des Affaires étrangères, a ouvert la voie en posant un certain nombre de questions. Il m'a notamment interrogé sur l'opportunité d'une extension aux Serbes des négociations bilatérales qui sont engagées depuis le mois de février.
J'ai la conviction profonde que cette extension est nécessaire, et c'est le sens de l'action que la France tente de mener depuis plusieurs semaines. J'ai lancé hier, à l'Assemblée nationale – le calendrier l'a voulu ainsi – l'idée d'élargir la coprésidence de la conférence de Londres, assumée, d'une part, par l'Union européenne, et la personne de son représentant, Lord Owen et, d'autre part, par les Nations unies, qui ont désigné M. Stoltenberg, aux États-Unis et à la Russie. J'ai soumis cette idée hier à mon homologue américain et je compte la soumettre demain à mon homologue russe. J'ai sous les yeux une dépêche d'agence qui montre que, avant même que cette idée n'ait été tout à fait formalisée, elle correspond à un besoin ; en effet, la dépêche en question indique que Lord Owen, M. Stoltenberg, M. Tchourkine et M. Redman sont réunis aujourd'hui même à Sarajevo.
On en vient donc bien à cette remise en cohérence, que je souhaitais tant, des initiatives diplomatiques. Il faut absolument – c'est la seule chance de succès – que et les Américains, et les Russes, et les Européens se joignent pour convoquer de nouveau autour de la table des négociations les trois belligérants : Croates, Musulmans et Serbes. Je le répète, dans un conflit à trois, on ne fera pas la paix à deux.
Peut-être y a-t-il là un premier pas dans la bonne direction.
Vous m'avez également demandé, Monsieur de Villepin, si le plan d'action de l'Union européenne demeurait actuel. Je le crois profondément. C'est une façon de répondre en même temps à une question de M. Mauroy sur nos perspectives en ce qui concerne le règlement politique.
Nous avons défini ces perspectives dans le plan d'action de l'Union européenne qui pose un certain nombre de principes, ou les rappelle, par référence à la conférence de Londres il s'agit, notamment, de l'intégrité territoriale de la Bosnie et de son indépendance. Le plan d'action prend acte de l'accord conclu au mois de septembre dernier entre les différentes communautés sur le plan institutionnel. Ce qui est en question, c'est la création d'une Bosnie qui en soit une, mais incluant des communautés liées par des mécanismes confédéraux très souples.
Le plan prévoit également une répartition territoriale qui, je le rappelle, a été acceptée par les parties à Genève, au mois de novembre dernier : 17,5 % pour les Croates, 33,3 pour les Musulmans et le reste, soit environ 49 %, pour les Serbes.
Je note, à ce propos, que l'accord croato-musulman s'emboîte parfaitement dans le plan de l'Union européenne puisqu'il est compatible avec ses grands principes.
Ce plan prévoit aussi, et c'est décisif dans la mise en œuvre du processus, un programme de suspension progressive, puis de levée des sanctions qui pèsent sur la Serbie. J'ai l'absolue certitude que, comme toujours en diplomatie, on ne peut pas trouver la solution uniquement en maniant le bâton. Le bâton, nous sommes capables de le brandir, on l'a vu, mais il faut aussi savoir manier la carotte. La carotte, en l'occurrence, c'est le programme de suspension, puis de levée des sanctions.
Enfin, le plan de l'Union européenne comporte, parmi d'autres dispositions, l'idée d'une administration de l'ONU sur Sarajevo, qui se met petit à petit en place, et celle d'une administration de l'Union européenne sur Mostar qui, elle aussi, se met en place puisque, lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères des Douze à Ioannina, nous avons désigné le responsable de l'Union européenne à qui sera dévolue cette tâche.
Quant au risque de contagion vers le Kosovo et la Macédoine, il est grand. C'est une de nos préoccupations essentielles. Je mentionnerai aussi l'Albanie, car tout ce qui se passe au Kosovo a forcément des répercussions en Albanie.
Vous avez sans doute noté les incidents qui viennent de se produire entre la Grèce et l'Albanie. Ils sont, pour nous, un sujet de préoccupation grandissante.
Voilà pourquoi l'idée d'envisager, dans le processus évolutif qu'est la conférence de stabilité, une table ronde ou une table régionale sur les Balkans ne doit pas être écartée. C'est un exercice de diplomatie préventive mais, au Kosovo, en Macédoine et en Albanie, nous en sommes encore, heureusement, au stade de la prévention.
Vous m'avez également demandé, Monsieur de Villepin, où nous en étions en ce qui concerne l'application du plan de paix et sa mise en œuvre par des troupes au sol.
J'en reste, sur ce point, aux déclarations les plus récentes de toutes les autorités concernées, en particulier du Président Clinton, qui a confirmé la disponibilité des États-Unis pour participer à une force de maintien de la paix, dès lors que la paix aurait été signée. Des engagements précis ont été pris ; ils ont même été chiffrés pour le cas où cette force devrait se mettre en place, ce que nous souhaitons puisque cela voudrait dire que l'accord a été signé.
Vous avez affirmé, Monsieur de Villepin, et je ne saurais trop abonder dans votre sens, que les États-Unis et la Russie devaient entrer dans le processus de négociation.
Sans refaire l'histoire des douze derniers mois, je veux rappeler succinctement ce qui s'est passé.
Dans un premier temps, la France et la Grande-Bretagne, parce qu'elles étaient les deux nations européennes les plus présentes sur le terrain, ont essayé de travailler avec les Américains et les Russes : cela a conduit à la déclaration conjointe de Washington, au mois de mai. Cette démarche n'a pas abouti, pour une raison toute simple : les Douze ne nous suivaient pas. Il y avait, au sein même de l'Union européenne, des différences d'approche très marquées.
Par conséquent, dans un deuxième temps, à l'automne, nous avons essayé de définir une position commune aux Douze. Sur la base de ce que l'on a appelé « l'initiative Kinkel-Juppé » – qu'on me pardonne d'utiliser cette expression – nous y sommes parvenus : ce fut le plan de l'Union européenne et les conférences de Genève et de Bruxelles.
Malheureusement, les Américains, comme les Russes, se sont trouvés en recul : ils n'ont pas participé à ce stade de la négociation.
En résumé, le défaut d'union des Douze, dans un premier temps, le défaut de participation des Américains et des Russes, dans un deuxième temps, ont bloqué le processus. J'en suis alors arrivé à me forger cette conviction : c'est uniquement dans l'hypothèse d'une volonté commune aux Russes, aux Américains et aux Européens que notre crédibilité sera suffisamment forte pour que les Serbes, les Croates et les Musulmans de Bosnie finissent par conclure la paix.
Ce fut tout le sens de l'ultimatum qui, je le rappelle, s'est accompagné, au mois de février, d'une implication des États-Unis – j'y reviendrai tout à l'heure.
La double démarche de la France était la suivante : proposer l'ultimatum de l'Alliance mais, simultanément, demander aux États-Unis et, bien entendu, à la Russie de revenir dans le jeu ; c'est ce qu'ils ont fait.
Vous avez également noté, Monsieur de Villepin, – et, là aussi, Je vous rejoins totalement – que sans la France et sans l'Allemagne il n'y aura pas de solution durable.
Vous m'interrogiez pour savoir quelle devait être l'attitude de la France dans l'immédiat spécifique ou fondue dans celle de l'Union européenne et de l'ONU ?
Je dirai que les deux sont nécessaires. C'est parce que nous menons une diplomatie indépendante, et qui s'efforce d'être imaginative, que nous pouvons jouer un rôle au sein de l'Union européenne – c'est l'initiative franco-allemande sur le plan d'action – ou au sein de l'ONU. Encore aujourd'hui nous sommes en train d'élaborer un projet de résolution sur. Gorazde qui fixerait très exactement les exigences de la communauté internationale vis-à-vis des deux belligérants, Bosniaques Musulmans et Serbes.
Opposer une attitude en quelque sorte solitaire de la France, qui jouerait seule son jeu, à une attitude qui l'amènerait à se diluer au sein de l'Union européenne et de l'ONU n'a donc pas de sens. Il faut que nous soyons la France au sein de l'Union européenne et au sein de l'ONU et que nous agissions dans cet esprit.
Vous m'avez enfin interrogé, Monsieur de Villepin, sur l'exercice de prévention que nous avons engagé au mois de mai prochain, indiquant que la question était de savoir quel rôle devaient jouer les institutions existantes.
Sur ce point, nous avons été aussi clairs que possible : la conférence sur la stabilité n'est pas une institution. C'est un processus transitoire. Le pacte auquel elle aboutira – je l'espère – sera mis en dépôt, si je puis dire, auprès de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, qui en sera garant et qui sera chargée d'en contrôler l'application. À l'évidence, et vous l'avez dit, ce processus est très lié à l'Union européenne et l'UEO.
Je l'ai 'indiqué dans mon propos liminaire : le règlement des problèmes de voisinage est, pour nous, une étape sur la voie de l'élargissement. Nous disons aux pays concernés : vous avez vocation à entrer dans l'Union, à être associés dans un premier temps à l'UEO. Réglez vos problèmes de voisinage et nous pourrons progresser sur le chemin de l'élargissement.
Enfin, vous avez évoqué le problème du contenu des droits collectifs des minorités. La question est extraordinairement difficile, elle ne relève d'ailleurs pas de notre philosophie traditionnelle, on l'a vu récemment lors de la conférence de Vienne sur les droits de l'homme.
La France, traditionnellement, aborde ce problème par le biais des droits individuels des personnes appartenant à des collectivités nationales. Nous devons demeurer dans le cadre de cette logique, laquelle emporte une conséquence concrète très précise : nous ne pouvons envisager la présence de minorités nationales autour des tables de négociation de la conférence de la stabilité en Europe ; nous ferions, à l'évidence, fuir les États qui comptent de telles minorités. C'est par l'intermédiaire des États que nous devons nous adresser à elles.
Je crois, Monsieur de Villepin, avoir répondu, sinon à la totalité des questions que vous aviez posées, du moins aux plus importantes.
Madame Demessine a, dans son intervention, développé ses propres thèses. Il se trouve, ce qui témoigne du caractère assez consensuel de ce débat, que je la rejoins sur un certain nombre de points, en particulier sur la nécessité de vérifier l'application de l'embargo sur les armes.
La situation, à cet égard, n'est pas satisfaisante. Des « passoires » existent, hélas ! Nous en connaissons certaines, contre lesquelles il nous faut réagir.
Je rejoins également Mme Demessine pour dire que la CSCE doit garder dans tout le processus un rôle primordial puisqu'elle est la seule instance qui associe tous les pays d'Europe, y compris la Russie et, au-delà même de l'Europe, les États-Unis, ainsi que d'autres de nos partenaires à la réflexion sur la sécurité en Europe.
Je puis lui assurer que nous sommes prêts à organiser d'autres débats de politique étrangère, même s'ils constituent une innovation, comme M. Couve de Murville a bien voulu le rappeler, par rapport à la tradition de la Vème République.
J'ai également écouté avec beaucoup d'attention ce qu'il a dit sur Maastricht et la PESC. Il est quelque peu injuste de déclarer que Maastricht n'a pas donné tout ce qu'on pouvait en attendre.
Vous nous avez expliqué que le Marché commun existe parce que le Traité de Rome était un bon traité. Mais pour aboutir au Marché unique, il a fallu trente ans. Nous reparlerons de la PESC dans trente ans. J'espère qu'avant cette date, nous aurons pu donner au traité de Maastricht, qui est entré en vigueur le 1er novembre dernier, un peu plus de consistance qu'il n'en a aujourd'hui. Cela dit, je veux bien accepter la critique portant sur l'insuffisante organisation du dispositif.
Toutefois, une concertation permanente existe entre les ministres des Affaires étrangères et les euro fonctionnaires. On a eu d'ailleurs la démonstration de l'efficacité de cette concertation lors des négociations sur le GATT. C'est parce que nous nous sommes réunis parfois plusieurs fois par semaine, parfois pendant de très longues journées et de très longues nuits que l'Union européenne a pu maintenir une position commune qui a infléchi le cours des choses sur le plan international et fait plier les États-Unis.
Il en a été de même pour la définition du plan d'action de l'Union européenne sur l'ex-Yougoslavie. Je ne crois pas qu'on puisse dire que l'Europe ait été absente de ce débat. Certes, elle n'a pas été efficace. Jusqu'à présent personne ne l'a été, il faut bien le reconnaître, c'est vrai pour les Américains, comme pour les Russes puisque la solution n'a toujours pas été trouvée.
Vous avez souligné le caractère très inattendu des conséquences de l'ultimatum ; vous entendiez par-là l'implication américaine. Il s'agit non pas d'une conséquence inattendue, mais d'une conséquence recherchée. Comme je l'ai dit tout à l'heure, lorsque la France a fait, au lendemain du bombardement du marché de Sarajevo, sa proposition, elfe liait très étroitement l'idée de l'ultimatum et l'idée de l'implication américaine.
J'ai moi-même négocié par téléphone à plusieurs reprises avec M. Warren Christopher pour lui dire qu'il fallait que les Américains reviennent dans le processus et qu'ils exercent une pression nécessaire sans quoi cet ultimatum n'aurait pas de sens. Il a fallu beaucoup d'énergie pour l'en convaincre. La démonstration est en train d'être faite que l'idée était bonne. En se réimpliquant dans le processus, les Américains vont peut-être prendre un peu plus conscience des difficultés de la situation. Jusqu'au mois de janvier dernier, chaque fois que nous parlions d'exercer des pressions sur les Musulmans, nos partenaires Américains s'indignaient en nous expliquant que c'était immoral. Or, qu'a fait hier le Président Clinton ? Il a admonesté les Musulmans pour qu'ils cessent d'exploiter la situation et de tirer profit des interventions de l'Alliance atlantique à Gorazde.
Se dessine donc une évolution qui me paraît très importante et positive : les Américains se sont rendus compte en « mettant la main dans le cambouis » – permettez-moi d'utiliser cette expression un peu vulgaire – que les torts étaient partagés et les responsabilités largement distribuées.
Lorsque vous établissez une grande différence entre Gorazde et Sarajevo, à savoir qu'à Sarajevo les Américains n'ont pas perdu une minute – je vous cite – pour faire appel aux Russes alors qu'à Gorazde, ils ont omis de les prévenir, permettez-moi de vous dire, Monsieur Couve de Murville, que cela n'est pas conforme à la réalité et qu'à Sarajevo, au moment de l'ultimatum, la réaction russe a été beaucoup plus violente qu'elle ne l'a été à Gorazde, et ce précisément parce les Russes n'avaient pas été consultés par les Américains.
Enfin, s'il est vrai que l'on peut sans doute faire mieux, je crois que la France a fait tout ce qu'elle a pu peut-être avant le mois de mars 1993 en tout cas, avant le mois de mars. Elle a pris des initiatives, elle a été présente sur le terrain grâce à ses soldats auxquels chacun d'entre nous a rendu hommage, mais aussi grâce à ses initiatives diplomatiques.
M. Trucy a insisté sur le rôle de l'Union de l'Europe occidentale et du Corps européen. Je ne puis qu'approuver les développements qu'il a faits, sur ce sujet qui nous tient beaucoup à cœur. Je le remercie également d'avoir souligné la place de la France dans le processus qui se déroule depuis maintenant plusieurs mois.
Je me mettrai pas en opposition l'avant et l'après-mars 1993 en répondant à M. Mauroy encore qu'on pourrait peut-être, si on le voulait, relever quelques inflexions depuis mars, mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui.
Les principes que vous avez rappelés, Monsieur le Sénateur – intégrité territoriale, existence d'un lien confédéral, refus des conquêtes par la force et de la purification ethnique sont les principes mêmes qui figurent, dans le plan d'action de l'Union européenne, et c'est l'une des raisons pour lesquelles je pense qu'il conserve son actualité.
Vous avez souhaité que l'invitation faite aux Américains et aux Russes de s'impliquer dans le processus soit entendue. J'ai déjà évoqué la réunion entre M. Owen, Stoltenberg, Tchourkine et Redman, qui devait se tenir à Sarajevo aujourd'hui même. Voilà peut-être, l'amorce d'une mise en cohérence de toutes les initiatives qui, depuis quelques semaines, il faut bien le dire, partaient quelque peu en ordre dispersé.
Quelles sont les perspectives d'avenir, m'avez-vous demandé ? J'ai essayé d'apporter des réponses à cette question en rappelant les grands principes· du plan de l'Union européenne.
Vous m'avez également interrogé sur la question de savoir pourquoi la France n'était pas représentée à l'assemblée des Serbes de Bosnie opposés à Karadzic qui s'est récemment tenue en Bosnie. Il s'est trouvé que notre ambassadeur, notre représentant naturel, était empêché. Mais je peux vous assurer qu'il a entretenu pendant tout le conflit alors qu'il a été présent à Sarajevo des contacts très étroits avec cette sensibilité de l'opinion serbe. Plusieurs de ces personnalités ont été reçues à Paris et certaines y demeurent même de manière quasi permanente. Nous entretenons des contacts avec elles car elles représentent sans doute pour l'avenir un élément important.
Je ne peux, enfin, que partager votre sentiment selon lequel l'élargissement de l'Union européenne ne doit pas se traduire par une dilution de la Communauté ; je l'avais dit moi-même dans mon intervention.
M. Durand-Chastel a insisté à son tour sur le rôle de la France dans les événements qui se sont déroulés en ex-Yougoslavie et je l'en remercie.
Quant à M. Roland Bernard, il a choisi de consacrer son intervention à la situation en Macédoine. Je partage la fin de son analyse sur le rôle que ce pays et ses dirigeants actuels, en particulier M. Gligorov, peuvent jouer dans la stabilisation de la région el son inquiétude. J'ai moi-même reçu M. Gligorov à Paris : il m'a donné l'impression d'un dirigeant politique qui cherchait à jouer un rôle modérateur dans une région où les passions nationalistes sont extrêmement aiguës.
Vous avez signalé, Monsieur le Sénateur, que la France, avait avancé à reculons. Je ne veux pas faire de polémique sur ce sujet, quoiqu'il y aurait matière. En réalité, j'ai essayé, depuis quelques mois, de faire avancer un peu le dossier. Nous avons donc reconnu officiellement la Macédoine, alors qu'elle était déjà entrée aux Nations unies. Nous avons érigé en ambassade notre délégation à Skopje et nommé un ambassadeur. La Macédoine vient à son tour de nous demander l'agrément d'un ambassadeur à Paris. Nos relations ont donc été établies. On sait, en Macédoine, que la France porte une attention toute particulière à ce qui se passe dans ce pays.
Lors de la réunion des ministres des Douze à Ioannina, à l'occasion de ce qu'on appelle le gymnich, c'est-à-dire la réunion informelle, nous avons examiné le problème de l'embargo imposé par les Grecs.
Nous avons fait remarquer à nos amis grecs, qui sont nos partenaires au sein de l'Union européenne et avec lesquels nous devons être solidaires, bien entendu que leur décision n'avait pas de base juridique et que l'on ne pouvait pas invoquer l'article 224 du traité de l'Union européenne au nom de la sécurité intérieure pour justifier la prise de telles mesures. Dans ces conditions, la Commission – je regrette que l'on en soit arrivé à cette extrémité – a saisi la Cour de justice pour faire condamner l'illégalité de cette mesure d'embargo. Ce n'est pas ainsi que nous parviendrons à calmer le jeu. C'est plutôt par la persuasion, par la solidarité avec la Grèce, membre de l'Union européenne que nous parviendrons à faire cesser cette escalade très dangereuse et inutile.
Vous m'avez demandé si la France allait, enfin, verser sa contribution en faveur de la Macédoine, conformément à ce qui a été décidé au Conseil européen d'Edimbourg, voilà plusieurs mois. Cette contribution s'élève à 16 millions de francs. Le Premier ministre vient de confirmer officiellement au Président Gligorov que cette participation allait être versée dans les plus brefs délais. Voilà qui est de nature, je pense à vous rassurer.
Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, les éléments de réponse que je tenais à vous apporter. Je remercie de nouveau la Haute Assemblée de contribution à la réflexion du gouvernement. Je me fais également l'interprète de M. le Ministre de la Défense sur ce sujet dont, je le crains hélas ! nous aurons à débattre de nouveau.