Interview de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, dans "Paris-Match" du 31 mars 1994, sur l'action gouvernementale et l'organisation de primaires pour les élections présidentielles de 1995.

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Média : Paris Match

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Paris-Match : Quel diagnostic portez-vous sur l'état de la France un an après que le gouvernement Balladur a pris ses fonctions ?

Charles Pasqua : Le redressement est entamé. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, voilà un an, la situation que nous avons trouvée était bien pire que celle que nous avions imaginée : 350 milliards de déficit budgétaire, 100 milliards pour celui de la Sécurité sociale, un régime de retraites en voie d'explosion et 30 000 suppressions d'emplois chaque mois. Nous avons trouvé une France éclatée, menacée par la fracture sociale. Notre expérience gouvernementale, en 1986, nous avait déjà montré qu'il faut un an et demi pour que des mesures prises fassent leur effet. La reprise économique que l'on décèle déjà aujourd'hui dans plusieurs secteurs sera vraiment là à la fin de l'année.

Paris-Match : La révolte qui gronde contre les CIP ne condamne-t-elle pas le gouvernement à ne plus engager de réformes ?

Charles Pasqua : On sait très bien que c'est lorsque l'économie se redresse que les tensions sont les plus vives. Les manifestations des jeunes, on pouvait les prévoir. Elles faisaient partie de mon diagnostic lorsque j'ai effectué le tour de nos vingt-deux régions pour mon projet d'aménagement du territoire. J'ai vraiment perçu ce danger en voyant tous ces jeunes au chômage qui n'ont droit à rien jusqu'à vingt-cinq ans. Mais il ne faut surtout pas arrêter de faire des réformes et, au contraire, aller plus loin et plus vite, Cela ne veut pas dire qu'on ne doit pas écouter les Français. Plus que jamais, la concertation est nécessaire. Il est indispensable d'écouter les gens, de les rencontrer, de leur demander leur avis sur chaque question. Au Japon, on appelle cela « perdre son temps utilement ».

Paris-Match : Justement, pour les CIP, le gouvernement a-t-il commis l'erreur de mal communiquer ?

Charles Pasqua : Peut-être y a-t-il eu défaut d'explication. Mais ce qui me frappe le plus, c'est l'attitude des syndicats. Parfois, je me prends à rêver qu'il y ait en France des syndicats très forts et puissants, comme il en existe en Allemagne, avec qui nous puissions vraiment négocier, sans arrière-pensées, sans archaïsme. Si certains syndicats ont fait des efforts de transformation considérables, d'autres s'enferment dans un entêtement suicidaire. Un exemple : voyez ce qui est arrivé à certains grands ports français comme Marseille.

Paris-Match : Quelle appréciation le maître Pasqua écrirait-il sur le carnet scolaire du gouvernement ? Peut mieux faire ou résultats satisfaisants ?

Charles Pasqua : Le gouvernement a fait aussi bien que possible. D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas puisque, aux cantonales, ils viennent de lui témoigner leur confiance, une façon de dire aux autres : laissez-le travailler. Mais le handicap du gouvernement, c'est qu'il ne peut pas avancer plus vite que les structures complexes et archaïques du pays ne l'autorisent. Pour faire une réforme, il faut souvent un an. Mon projet de loi sur l'aménagement du territoire, qui sera présenté au Parlement en juillet, lors d'une session extraordinaire, allégera les procédures trop multiples que l'État impose à toute réforme. Aujourd'hui, il faut vraiment une volonté farouche pour y arriver !

Paris-Match : Il vous reste un an jusqu'à la présidentielle pour avancer. N'est-ce pas trop court ?

Charles Pasqua : Il nous reste encore moins de temps, puisque nous devons faire les réformes avant le début de la campagne pour l'élection présidentielle, qui commencera au plus tard le 1er janvier 1995.

Paris-Match : Justement, les déclarations de François Léotard et de Simone Veil fin décembre, puis celles de Patrick Balkany, député maire de Levallois – un de vos proches –, en faveur d'une déclaration de candidature anticipée de Balladur, n'ont-elles pas déjà déclenché les grandes manœuvres ?

Charles Pasqua : Toutes ces déclarations, que je déplore, me font craindre que nous ne soyons déjà lancés dans une sorte de course à l'échalote ! Personnellement, je ne tiens pas du tout à ce que la campagne commence maintenant. Que chacun se détermine en faveur de son candidat à la fin de l'année. Édouard Balladur, pas plus que moi, ne souhaite que l'on engage ce débat avant la fin de l'année. Ce n'est dans l'intérêt de personne, ni de Chirac ni de Balladur.

Paris-Match : Certains prétendent que vous avez d'ores et déjà choisi le camp de Balladur.

Charles Pasqua : Ce n'est pas possible ! Je vais vous dire pourquoi. Tout simplement parce que, pour le moment, Balladur n'est pas candidat. Mais il est normal que je sois loyal avec le chef du gouvernement dont je suis, je vous le rappelle, l'un des ministres d'État.

Paris-Match : Posons la question autrement. Quel jugement portez-vous sur Édouard Balladur et sa première année à Matignon ?

Charles Pasqua : Édouard Balladur a une qualité essentielle : il est pragmatique. Il n'a aucun a priori. Il est le contraire d'un idéologue, mais cela ne l'empêche pas pour autant d'avoir des idées. Ça me convient.

Paris-Match : Ne trouvez-vous pas que la majorité, elle, en a trop et le critique vraiment beaucoup ?

Charles Pasqua : Il est normal qu'à l'Assemblée les députés jouent leur rôle, même quand ils grognent un peu. Ce qui est contestable, ce sont les critiques faites à l'extérieur du Parlement par certains dirigeants de la majorité.

Paris-Match : Revenons à la présidentielle. Êtes-vous toujours convaincu que seules des élections primaires éviteront à la droite de se déchirer ?

Charles Pasqua : Ma démarche n'a pas changé. Je ferai tout ce que je peux pour que mon projet de primaires aboutisse à ce qu'il n'y ait qu'un candidat unique de la majorité au premier tour de la présidentielle. Dans l'esprit de la Constitution de la Ve République, ce ne sont pas les partis qui désignent les candidats; c'est un homme qui décide, seul, et qui fait un choix personnel en se présentant face au pays. Ensuite seulement, ce sont les partis qui décident de le soutenir. C'est le principe que les partis de la majorité ont accepté en acceptant le système des primaires.

Paris-Match : Ces primaires, comment les voyez-vous ?

Charles Pasqua : Il est bon qu'il y ait plusieurs aspirants. Au RPR comme à l'UDF, c'est la vitalité et la richesse de la majorité. Il ne faut pas que cela devienne son handicap. L'avantage de ces primaires, c'est que ces candidats ne se présenteront pas les uns contre les autres mais, sur la même ligne, d'accord pour soutenir celui qui émergera.

Paris-Match : Comment présenterez-vous ce projet de loi, s'il y en a un ?

Charles Pasqua : Il y a plusieurs façons de s'y prendre. La plus simple consisterait à réformer seulement la loi sur le financement des campagnes électorales, à y ajouter celui des primaires pour que leur financement ne soit pas pris en compte sur le financement de la campagne présidentielle.

Paris-Match : Comment convaincrez-vous tous les candidats potentiels, Chirac, Barre, Balladur, Giscard, Monory et d'autres, de se plier au rythme inhabituel des primaires ?

Charles Pasqua : ils seront tous tellement soumis à la pression de l'opinion publique, qui ne supportera pas l'idée d'un conflit ou d'une division, qu'ils n'auront pas le choix. Quand nous étions dans l'opposition, tous les dirigeants de la majorité ont signé un accord en faveur des primaires. Je considère que leur signature est un engagement de chacun. Nous avons réussi à avoir un candidat d'union à toutes les élections. Cela a marché pour les législatives, pour les cantonales, pour les européennes. Qui comprendrait que la majorité se divise au premier tour de la présidentielle ?

Paris-Match : Serez-vous vous-même candidat ?

Charles Pasqua : Il y a suffisamment de candidats dans la majorité je ne fais pas ça pour moi

Paris-Match : Pourtant, votre parcours sans faute au ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire vous autoriserait à être candidat. Certains qui songent pour vous.

Charles Pasqua : Quand je suis dans un camp, je suis toujours loyal. J'ai retenu cette leçon du général de Gaulle, que j'applique quotidiennement : « L'intérêt général l'emporte sur tous les intérêts privés. » Ceux qui ont oublié cette leçon devraient se réclamer d'une autre famille politique que la mienne.