Texte intégral
France 3 : mercredi 23 mars 1994
Q. : Que demandez-vous aux proviseurs de lycées ?
R. : C'est une affaire de bon sens. On a eu un certain nombre d'informations officielles par les recteurs nous indiquant qu'il y avait des manifestations des élèves très jeunes, collégiens par exemple. Je vous rappelle qu'un collégien a entre 11 et 16 ans. Quand vous êtes parent d'élève et que vous confiez votre enfant à l'Éducation nationale, la moindre des choses que vous puissiez exiger d'elle, surtout s'il est très jeune, c'est qu'il soit en sécurité. C'est la première des choses que j'ai rappelées. Lorsque l'on est collégien, normalement, on dit être au collège et autrement on court trop de risques d'incident et d'accident. Deuxièmement, au lycée, il doit y avoir une appréciation entre l'expression d'une opinion de la part des lycéens qui est tout à fait reconnue par la loi et des incidents violents de déstabilisation, de troubles importants et de casseurs.
Q. : Mais dans certains cas, les lycéens sont majeurs.
R. : C'est évident que la situation n'est pas tout à fait la même selon que l'on a des élèves majeurs ou selon que l'on a des élèves qui sont encore très jeunes. De ce point de vue-là, une partie importante de ma lettre aux chefs d'établissement concerne les principaux de collège. Quant aux proviseurs, ils doivent bien faire la distinction entre ce qui relève de l'expression d'une opinion et de ce qui relève de troubles et de dangers.
Q. : On se demande pourquoi vous intervenez de cette façon avec les jeunes ?
R. : Si vous aviez écouté le proviseur s'exprimer, il a dit que le dialogue entre les chefs d'établissement et le ministre de l'Éducation avait été fructueux et positif et je crois qu'il y a des prises de position pour dire cela. Ne faisons pas de ça une affaire politique. Cela n'a rien à faire avec une affaire d'opinion de gauche et de droite. Cela a à voir avec le sentiment, le droit des parents d'élèves à voir leurs enfants en sécurité dans un collège. C'est la première des choses qu'on puisse demander, faire en sorte que les très jeunes enfants ne soient pas mêlés à tout ça parce qu'il y a un vrai risque.
Q. : Quel est votre sentiment sur ce qui peut se passer maintenant ?
R. : Vous avez un jeune sur cinq qui est au chômage. D'ailleurs, les jeunes diplômés sont beaucoup moins au chômage que les jeunes qui ne le sont pas. Lorsque vous avez un diplôme, quelque mois après, six sur dix des jeunes qui ont un diplôme, ont un emploi.
Q. : Ne pensez-vous pas qu'il y ait un certain flottement dans le gouvernement ?
R. : La question est toute simple. Est-ce que l'on fait quelque chose pour les jeunes au chômage ou pas ? Les jeunes au chômage savent tous, pour l'avoir expérimenté, que lorsqu'ils répondent à une offre d'emploi, la première chose qu'on leur demande est : avez-vous de l'expérience ? Ils savent que lorsqu'ils répondent non, ils ne trouvent pas d'emploi. Tout l'effort du gouvernement est porté vers cette démarche qui consiste ensuite à offrir une première expérience d'emploi aux jeunes. Il y a une deuxième chose qu'il faut dire. Sur toutes les mesures qui ont été proposées ces 12 dernières années, pour que les jeunes qui sont au chômage trouvent quelque chose, le CIP est la formule la plus avantageuse de toutes pour les jeunes. C'est trop injuste, lorsque l'on a mis en place toute une batterie de mesures qui sont toutes plus désavantageuses pour les jeunes, de protester aujourd'hui.
Europe 1 : vendredi 25 mars 1994
F.-O. Giesbert : Aujourd'hui s'il y a des débordements, qui sera responsable ?
F. Bayrou : J'espère qu'il n'y aura pas de débordements. Je vois deux types de jeunes qui défilent. Ceux d'un côté, qui expriment une opinion, qu'elle soit juste ou erronée. Ceux-là sont tout à fait dignes, estimables, respectables. Et puis, il y a en a pour qui cette manifestation comme les autres, comme les précédentes, est un prétexte, une occasion, pour essayer des violences qui sont tout à fait inacceptables. J'espère que ceux-là seront les moins nombreux et que les autres sauront les empêcher d'agir. Ça les désespère autant, sinon plus que nous.
F.-O. Giesbert : Qu'est-ce que cela vous fait de voir des lycéens menottes aux poignets ?
F. Bayrou : Il faut faire en sorte que les choses ne dégénèrent pas. Il ne faut pas attendre que les commerçants s'arment. Est-ce qu'on va laisser dégénérer les choses de manière que les commerçants du centre-ville, en soient réduits à s'armer pour essayer de résister à des bandes ? Dans ce cas-là, il faut évidemment procéder à des arrestations, il faut évidemment être ferme. On m'a dit un chiffre. Sur 100 arrestations, à Lyon, il y avait deux lycéens.
F.-O. Giesbert : Est-ce que vous envisagez de sanctionner les enseignants ou les chefs d'établissement s'ils ne respectent pas vos conseils ou vos consignes ?
F. Bayrou : J'ai reçu les chefs d'établissement longuement, nous avons discuté ensemble. Ils ont publié un communiqué pour dire qu'ils étaient tout à fait d'accord avec moi. Autour de quelles idées ? La première, c'est que dans ces affaires, il faut distinguer l'âge des jeunes. Les collégiens doivent évidemment demeurer au collège. Qu'est-ce que diraient des familles si des enfants entre 11 et 16 ans se retrouvaient dans la rue exposée à un risque quel qu'il soit ? Quant aux lycéens, leur âge, un grand nombre est majeur, fait que bien entendu, les choses sont un petit peu différentes, et que là il faut distinguer entre l'expression d'une opinion que leur reconnaît la loi et puis des tentatives pour créer un climat de déstabilisation et de violence. Et c'est naturellement le rôle des proviseurs que d'essayer de faire en sorte que la distinction se fasse entre les deux.
F.-O. Giesbert : Vous pensez qu'il y a beaucoup d'étrangers parmi les manifestants ?
F. Bayrou : Il y en a… Ce n'est pas le problème central… Ce que C. Pasqua disait, c'est qu'à Lyon il y a eu, en effet, parmi ceux qui ont été arrêtés, un certain nombre d'étrangers. Et des mesures ont été prises.
F.-O. Giesbert : Vous croyez vraiment à la manipulation ?
F. Bayrou : Il y a deux sortes de manipulation. Il y a ceux qui profitent de cette occasion, que ce soit des bandes ou des inorganisés pour essayer de créer des incidents violents, soit par goût de la violence, soit pour des vols par exemple, ce que nous avons vu à Paris et à Lyon. Et puis, il a deuxièmement, une manipulation d'origine idéologique qui était de faire en sorte d'exciter les jeunes contre une mesure gouvernementale.
F.-O. Giesbert : C'est qui ? Est-ce que vous pouvez donner des noms ce matin ?
F. Bayrou : Vous le savez et je le sais et tous nos auditeurs le savent. Alors, ce n'est pas la peine d'ajouter à la polémique. A ceux-là, je trouve qu'il faut dire qu'ils rendent le plus mauvais service aux jeunes. Que les victimes ce sont les jeunes. Pourquoi ? Parce qu'il y a un jeune Français sur quatre au chômage et que ceux-là sont réellement désespérés, angoissés. Ils sont à la maison, ils n'ont pas un franc d'indemnité, ils sont sans aucun revenu d'aucune sorte, et tout ce que l'on propose, c'est de défiler pour que rien ne change. Eh bien nous, gouvernement, nous ne pouvons pas accepter cela. Hier, une jeune fille est venue me voir. Elle m'a dit, je n'en peux plus. Il faut bien que vous fassiez quelque chose. Je ne peux pas continuer à envoyer des réponses à des offres d'emploi par dizaines et que chaque fois les chefs d'entreprise me demandent, quelle expérience avez-vous ? La réponse du gouvernement, c'est exactement de faire en sorte qu'on puisse faciliter la première expérience. Et il y a une deuxième chose, qui est que parmi tous les dispositifs proposés depuis 12 ans que les jeunes connaissent bien et dont beaucoup sont des impasses, le CIP parmi tous ces contrats, c'est le plus avantageux pour les jeunes. C'est celui qui les protège le mieux et qui leur donne la garantie la plus importante. Alors, on leur ment puisqu'on souhaite que rien ne change et qu'ils continuent à être les victimes.
F.-O. Giesbert : Mais la réforme n'a plus de contenu après les aménagements acceptés par le gouvernement. Alors pourquoi ne pas la retirer ? Cela arrêterait les manifestations.
F. Bayrou : Vous ne pouvez pas dans la même émission m'expliquer que d‘un côté le CIP c'est dramatique, et que de l'autre il n'y a rien. Dans les deux cas cela ne justifie pas la manifestation. Simplement, il faut faire en sorte que nous puissions offrir une marche pour le premier emploi. Nous sommes le pays du monde dans lequel les jeunes sont le plus au chômage.