Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs
L'Europe et la francophonie sont pour la France deux engagements profonds, qui donnent toute son originalité à la politique de la France dans le monde.
Pour la France, participer à la construction européenne est d'autant plus naturel que les valeurs communes qui fondent l'idée européenne sont pour beaucoup nées en France participer à l'édification d'une communauté francophone vivante, c'est aussi, d'une certaine manière rendre hommage aux formes fécondes dans lesquelles s'est traduit ce même message dans près de cinquante pays.
Et de fait, il ne devrait pas y avoir de raison d'opposer le projet européen et le projet francophone : les institutions communautaires sont en grande partie le résultat d'initiatives françaises; la langue française reste la langue de travail principale des institutions de l'union européenne, comme l'a montré une étude de l'AIPLF ; grâce à l'action constante de la France, une grande part des crédits d'action extérieure de l'Union européenne est consacrée à l'Afrique, et en particulier à l'Afrique francophone.
Mais pourtant, il peut arriver que ces deux desseins, qui devraient être parallèles, se contredisent.
Il faut en effet reconnaître, et c'est inquiétant, que dans l'esprit de certains responsables européens, la construction de l'Europe passe par l'uniformisation: la diversité linguistique est perçue comme un obstacle à la libre circulation ; les règles linguistiques sont perçues moins comme la condition du respect de la diversité européenne que comme une source de coûts et d'embarras ; le président de la commission lui-même, dans une réponse à une protestation d'un parlementaire néerlandais, a confirmé de manière peu admissible que la commission utilisait prioritairement l'anglais dans ses relations avec les pays tiers.
À l'inverse, il faut voir que, de manière plus dangereuse, beaucoup de français, appartenant de surcroît souvent aux franges les plus dynamiques de la société, opposent Europe et francophonie : certains vivent le choix de l'Europe comme l'adhésion à un club de Nations riches plus fréquentable que celui qui réunit les pays ayant le français en partage; ils éprouvent parfois le besoin de dénigrer cette coopération francophone, de réclamer l'abandon de l'Afrique pour mieux montrer leur adhésion à un projet qui leur paraît plus moderne ; à certains égards, ils ont fondamentalement comme le sentiment pour être de vrais européens, de devoir expier le fait d'être français et d'avoir une histoire qui leur crée d'autres liens.
Les difficultés qu'il pourrait y avoir à concilier Europe et francophonie ne sont que dans les esprits; dans les esprits de ceux qui à Bruxelles ou en France font implicitement ou explicitement comme si le progrès ne pouvait être que dans l'uniformisation. Or rien n'est plus contraire au gente de l'Europe, au gente français, aux aspirations des francophones que cette philosophie !
Bien au contraire, la France n'apportera pleinement sa contribution à la construction européenne que pour autant qu'elle revendiquera sa spécificité et exaltera la diversité. C'est pour cette raison, qu'avec mon collègue Alain Lamassoure, j'ai décidé depuis neuf mois de faire de cette question une priorité, ce qui s'est traduit par les décisions suivantes, que je vais vous annoncer et qui dessinent une politique dont le maître mot est plurilinguisme :
1) Premièrement, à la suite du vote unanime du parlement français et d'une lettre que j'ai adressée avec mon collègue Edmond Alphandéry à Jacques Delors, les services de la commission ont enfin admis que les questions linguistiques relevaient de la souveraineté de chaque État : c'est ainsi que, grâce à la vigilance de la France lors de l'élaboration des directives sur l'étiquetage des chaussures ou sur la vente en multipropriété par exemple, il a été prescrit qu'il est de la responsabilité de chaque État de prendre les dispositions nécessaires pour imposer l'utilisation de sa propre langue. C'est une première victoire.
2) Deuxièmement, s'agissant de la place de la langue française à Bruxelles, le gouvernement français a à plusieurs reprises attiré l'attention, parfois avec succès, du président de la commission sur les manquements graves aux dispositions sur le statut des langues que nous relevions.
3) Troisièmement, afin d'éviter que l'élargissement ne réduise la place du français et que les nouveaux pays ne se trouvent isolés dans l'Europe latine, la France a accepté de participer avec la commission à un programme de formation au français des diplomates des pays de l'élargissement. Une mission d'identification des besoins est en cours, le programme devrait se mettre en place rapidement.
4) Quatrièmement, dans le cadre des instructions générales que le Premier ministre donnera aux agents publics, il est prévu d'imposer aux services publics de cesser de privilégier l'anglais de manière à la limite méprisante pour les citoyens européens qui visitent notre pays et de veiller à dispenser une information en espagnol, en allemand, en italien chaque fois que nécessaire. Le sondage que la SOFRES a réalisé il y a quelques jours à ma demande prouve clairement que les français refusent l'idée que l'anglais soit la langue véhiculaire de l'Europe.
5) Cinquièmement, la France fera du plurilinguisme européen, un des thèmes forts de sa présidence au début de 1995 : il s'agira :
D'abord de relancer les réflexions sur l'enseignement des langues européennes : la généralisation de l'anglais, fortement contestée d'un point de vue pédagogique est aussi une catastrophe pour toutes les autres langues de l'Europe dont la compréhension mutuelle régresse; il nous appartiendra de proposer des solutions pour que les Européens puissent mieux apprendre leurs langues.
Ensuite de faire respecter à la commission le statut des langues de travail et des langues officielles, et d'appliquer vraiment en cette matière le principe de subsidiarité.
Il s'agira également de suggérer que l'Union européenne, dans son action extérieure, prête une attention particulière, en tant que telles et parce qu'elles sont des formes du rayonnement de l'Europe, à la coopération ibéro-américaine, à la coopération francophone, à la coopération lusophone, aux actions du Commonwealth.
Il s'agira enfin de proposer que la commission accorde la place qu'elles méritent dans ses programmes de recherche aux industries de la langue, dont le développement est une condition de la vitalité des langues de l'Europe.
Tels sont, brièvement résumés, les axes d'une politique, qui s'enrichira du fruit de vos travaux, et qui tend à réconcilier les messages français, européen, francophone qui ne sauraient trop longtemps diverger car ils sont des reflets différents de la même aspiration à l'universalité.