Texte intégral
J.-L. Hees : Qu'est-ce que vous reprochez au projet Giraud ?
P. Vasseur : Il faut aussi qu'on prenne l'habitude dans ce pays de savoir que nous sommes dans une démocratie parlementaire et qu'il est parfaitement légitime que les députés manifestent soit leur impatience, soit leur volonté de participer à l'amélioration des textes qui leur sont proposés. Il peut y avoir, de temps en temps, une certaine incompréhension entre le Parlement et le gouvernement, mais je souhaiterai qu'on en revienne à des pratiques plus normales. Les parlementaires sont tout à fait fondés à porter des jugements sur le texte qui leur est présenté et qui leur a été présenté de mon point de vue avec une petite erreur de communication. On a parlé de grand plan quinquennal sur l'emploi, ce qui laissait penser qu'on allait avoir le texte qui allait permettre de résoudre les problèmes du chômage. Nous avons aujourd'hui un texte qui comprend des mesures qui sont des mesures très importantes, audacieuses, c'est un bon texte, mais pour autant nous ne sommes pas au bout du compte. Et il faudra qu'il y ait un certain nombre de modification, grâce à des amendements, soit que nous adoptions par la suite d'autres textes. Et je sais que certains ministres sont en train de préparer d'autres projets de loi en matière d'emploi et notamment de simplification des entreprises et le statut du travailleur indépendant. Et puis, au-delà, nous sommes fondés à créer un débat dans le pays, à poser des questions, sans forcément avoir par avance les réponses.
J.-L. Hees : Quelles sont les modifications que vous souhaitez voire apporte ?
P. Vasseur : Il y a notamment la volonté d'aller un peu plus loin dans le domaine de la création des emplois de service, dans l'allégement d'un certain nombre de charges qui pèsent sur l'emploi, et puis le débat sur les 32 heures est un débat qu'on sent venir. Et quand il y a un débat comme ça qui est en train de naître, il faut vraiment le poser. Moi je souhaite que nous posions la question. Je n'ai pas d'avis déterminé sur la question, parlons-en.
J.-L. Hees : Qu'est-ce qui empêcherait E. Balladur de faire plus que ce qui est fait dans le projet Giraud des préoccupations électoralistes ?
P. Vasseur : Non parce que, s'il y a vraiment une qualité qu'il faut rendre à E. Balladur, c'est d'avoir un certain courage et de ne pas avoir des préoccupations directement électoralistes. Je crois simplement qu'un gouvernement a le souci du corps social, et que le corps social est représenté par des corps intermédiaires et j'ai le sentiment qu'il y parfois des réticences mais quand même une volonté d'audace dans la politique…
J.-L. Hees : Il faut parfois violer les partenaires sociaux ?
P. Vasseur : Il faut quelquefois violer. Il faut violer la classe politique. Il y a, dans la population, une compréhension qui est beaucoup plus profonde que l'on croit, mais j'ai le sentiment que les partenaires sociaux sont un peu arc-boutés sur un conservatisme, qui n'est pas aujourd'hui de bon aloi. Je pèse mes mots en disant cela. Il y a vraiment le feu à la maison, le problème du chômage et de la déstructuration du corps social de ce pays atteint des proportions dramatiques et il ne suffit pas de rigoler quand je dis ça à des patrons en me disant « et Dieu, dans tout cela ? » Parce que le problème, il n'est pas simplement économique, c'est un vrai problème d'avenir de notre société. J'attends des propositions constructives des uns et des autres.
J.-L. Hees : Quand on parle d'utopie, est-ce que ce sont des choses qui rentrent facilement parmi vos collègues, parmi les gens du gouvernement, parmi les experts ?
P. Vasseur : Disons que les experts admettent l'utopique, le gens du gouvernement, et c'est leur rôle, sont assez prudents et même au sein d'une formation comme celle à laquelle j'appartiens, il y a des réserves. Ce que je souhaite, c'est que nous cessions d'avoir des tabous et que nous acceptions de poser les problèmes, même si c'est pour dire que les problèmes que nous avons posés ne débouchent pas sur des bonnes solutions. Il faut admettre le droit à l'expérimentation, le droit à l'échec. Je dis qu'aujourd'hui nous n'avons pas le droit d'écarter d'un revers de main quelque solution que ce soit.
J.-L. Hees : Est-ce que vous pensez que les Français accepteraient l'idée de la semaine des 32 heures avec une réduction de salaire, alors que leur pouvoir d'achat est appelé à la baisse ?
P. Vasseur : Je ne sais pas si c'est une bonne solution ou pas, je m'interroge. Les Français sont tellement déboussolés aujourd'hui qu'ils sont prêts à expérimenter un certain nombre de solutions qui nécessitent des sacrifices. Et si je me reporte à un sondage qui est paru dans un grand hebdomadaire, la semaine dernière, 87 % des Français seraient prêts à une réduction de la durée du travail, à condition qu'elle créée des emplois accompagnés d'une réduction de leur pouvoir d'achat limitée. Nous avons le droit de poser la question.
J.-L. Hees : Est-ce que cette ouverture d'esprit a pris profondément chez vos collègues ?
P. Vasseur : Il faut reconnaître que ce n'est pas toujours facile, mais il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. J'espère que nous arriverons à avoir une force de conviction qui nous permettre d'ouvrir un peu les esprits.
J.-L. Hees : Que pensez-vous du système de vote posé par P. Séguin ?
P. Vasseur : Vous savez, il faut distinguer l'essentiel de l'accessoire. L'essentiel c'est le débat, le désarroi qui est celui des Français, qui est aussi celui d'une certaine partie de la classe politique. L'accessoire c'est effectivement ce vote. Je crois que c'est parfaitement secondaire, on aurait peut-être intérêt à rechercher pour l'Assemblée nationale d'autres solutions que ce vote personnel qui a lieu au moment où M. Seguin préside la totalité des débats. Je crois que P. Séguin a trouvé matière à faire parler, mais on peut peut-être parler d'autre chose.