Texte intégral
Chers amis,
Nous ouvrons aujourd'hui une nouvelle campagne électorale. Ces élections, nous pouvons les affronter avec un optimisme relatif, mais réel. Qui l'aurait parié il y a un an ? Avouons-le : pas grand monde. Alors, certes, je suis mieux placé que quiconque pour mesurer le chemin qu'il nous reste à parcourir, mais celui déjà accompli en un an mérite d'autant plus d'être souligné ici que c'est, pour beaucoup, à vous tous que nous le devons.
L'Europe oui ! Mais solidaire ! C'est le slogan sous lequel va se battre la liste de 87 candidats que le Parti socialiste soutient.
L'Europe, oui ! L'Europe, bien sûr ! Car malgré les défauts que chacun lui connaît, elle reste un espoir, elle est un effort sans précédent de peuples décidés à agir ensemble.
Mais l'Europe solidaire, car les nations qui la composent, les peuples qui la font, n'ont de vraies raisons d'aller de l'avant que si c'est pour le bien de tous.
Or, quelle perception les Français ont-ils aujourd'hui de l'Europe ? Celle d'une organisation apparemment incapable de vaincre le cancer du chômage, qui ronge tous nos pays. Celle d'une organisation qui prétend interdire la chasse à la palombe dans le Sud de la France mais ne parvient pas à interdire la chasse au musulman dans l'Est de la Bosnie !
Comment s'étonner alors de découvrir du scepticisme contre l'Union européenne, dans de larges secteurs de la population ? Ce scepticisme, il ne peut être question pour nous de l'alimenter, moins encore de tenter de l'exploiter. Et à tous ceux qui suggèrent, comme une habileté, que nous mettions notre drapeau européen dans notre poche, je dis sans hésiter que non seulement ce serait électoralement inefficace, ce serait économiquement dangereux, ce serait stratégiquement irresponsable, mais qu'en plus jouer de ce scepticisme serait politiquement et moralement indigne.
Ce scepticisme ambiant, nous devons inlassablement en attaquer les causes, et pas chercher à « surfer » sur une vague anti-européenne qui trouvera toujours de bien meilleurs « surfers » que nous.
Autant, donc, nous devons être fermes face à ceux qui font des peurs ou des incompréhensions des Français leur fonds de commerce électoral, autant nous devons comprendre les inquiétudes réelles et essayer d'y répondre.
Nos compatriotes ne sont pas sûrs d'être prêts au monde de demain, préparés aux emplois de demain. Ils voient bien ceux qui disparaissent. Ils ne voient pas pour eux-mêmes ceux qui se créent. Ils voient clairement ce que la productivité d'automatisation. Ils ne voient pas clairement ce qu'elle crée de richesses. Et quand on leur parle de l'Europe, c'est, le plus souvent, d'un côté pour entretenir un espoir qui leur paraît lointain, mais d'un autre côté, plus immédiat, pour leur parler de règlements, de bureaucratie ou de crises qui se succèdent sans cesse. Ils vivent dans l'angoisse pour leur sécurité, leur emploi et ceux de leurs enfants. Et, dans l'Europe telle qu'elle se fait et qu'elle fonctionne aujourd'hui, ils ne perçoivent rien qui réponde à leur inquiétude. Elle leur apparaît comme un univers lointain, étranger au leur.
Où donc peuvent-ils trouver alors, dans l'Europe en perpétuelle évolution, la stabilité qu'ils sont en droit d'espérer pour leur vie professionnelle ou leur vie familiale ?
Or la sûreté, au sens large du terme, est l'un des premiers droits de l'Homme. Et nous ne pouvons nous contenter de dire qu'il faut vivre avec sen temps, accepter les modernisations inévitables, et les conduire pour les maîtriser. Tout cela est évidemment vrai. Mais c'est insuffisant.
Ce n'est pas de l'Europe qu'il faut attendre la solution à tous les problèmes des Français. La solution aux problèmes des Français, elle viendra avant tout de la France, moyennant quoi l'Europe pourra la faciliter considérablement, l'accélérer, la consolider. Mais faire croire que tout serait suspendu à l'Europe, ce serait d'une part faire peser sur elle une responsabilité indue, ce serait d'autre part abdiquer nos propres responsabilités. Ce n'est pas de l'Europe seule qu'il faut attendre directement la solution au drame du chômage, mais il est clair en revanche qu'une Europe économiquement forte, et capable de résister à la concurrence extérieure, mettra chacun de ses membres en mesure de créer beaucoup plus d'emplois.
L'Europe n'a pas les moyens d'être une panacée. Mais elle a les moyens d'être un atout formidable au service de tous les Européens, au service des Français.
Fondamentalement, l'Europe, pour paraphraser une formule ancienne, c'est une communauté de douze vieilles nations recrues d'épreuves. Chacune d'entre elles est attachée à son histoire, autant que nous. Chacune d'entre elle est fière de son passé et attachée à certaines de ses traditions, autant que nous. Chacune d'entre elles, même, a fait à un moment la guerre à une ou à plusieurs des autres, voire à la quasi-totalité d'entre elles.
Alors l'avenir qu'elles ont néanmoins décidé de tracer ensemble, il ne peut que s'enraciner dans cette histoire, histoire commune à toutes, mais aussi histoire propre à chacune. Dans ces conditions, si les douze aujourd'hui, et davantage demain, sont prêts à faire l'effort sans précédent dans l'histoire de l'humanité, de s'unir en temps de paix et volontairement, ce ne peut être qu'avec la certitude que cette union sera respectueuse de toutes les identités. Elle ne peut devenir une sorte de maelström qui oublierait l'histoire.
Mais elle ne peut pas non plus devenir un club fermé qui oublierait la géographie. L'Europe est un continent. Et il n'appartient donc pas aux membres actuels de l'Union de décréter qui est Européen et qui ne l'est pas. Quant à savoir si les pays qui actuellement ne sont pas membres de l'Union y accéderont, ma conviction est qu'ils y ont d'ores et déjà un droit acquis, un droit qui leur vient de l'histoire et de la géographie.
Alors, bien sûr, l'histoire et la géographie ne sont pas tout. Il y a aussi la politique, il y a l'économie. Et ce sont elles qui détermineront la durée des phases transitoires qui seront nécessaires avant que tous les pays d'Europe deviennent à part entière membres de l'Union européenne. Cette période transitoire pourra durer des années. Peu importe.
Mais il n'y a pas des Européens de première classe, les membres de l'Union, et les autres, qui seraient des Européens de seconde classe. Tous les Européens, s'ils le veulent, s'ils acceptent les règles institutionnelles nécessaires à un fonctionnement efficace, ont vocation à appartenir un jour à l'Union, et plus tôt cette vocation sera consacrée, plus tôt les pays du centre et de l'Est de l'Europe verront dans l'Union autre chose qu'un club fermé, égoïste et vaguement hostile.
Nous ne sortirons pas autrement de la querelle permanente entre approfondissement et élargissement. Mais avant d'en venir aux propositions que je déduis de tout cela, il me faut dire un mot des autres listes, de celles du moins dont on connaît déjà clairement les positions, ce qui n'est pas le cas de toutes.
Pour schématiser, sans cependant caricaturer, je dirai qu'elles se divisent en deux camps : d'un côté celui des faux européens, de l'autre celui des vrais libre-échangistes.
Commençons par les faux-européens. Il y en de droite, il y en a de gauche - on vient d'ailleurs d'apprendre, sans véritable surprise, que Philippe de Villiers avait songé à proposer une liste commune à Jean-Pierre Chevènement. Les uns comme les autres en appellent à la France éternelle. Ils se disent partisans d'une autre Europe, faute d'oser avouer qu'ils sont adversaires de l'Europe.
À l'égard du monde, ils veulent élever des barrières infranchissables. Comme il est acquis que jamais, quelle que soit la couleur politique de leurs gouvernements, nos partenaires n'en voudront, cela veut dire que se profile le retour de barrières douanières pour la France seule, qui y perdrait très vite bien plus qu'elle ne pourrait y gagner.
À l'égard de l'Est, ils veulent une intégration immédiate, au nom de l'altruisme, sans mesurer combien il est contradictoire de dire que l'Europe est invivable et de vouloir amener d'autres pays à y vivre !
Faute, donc, de vouloir vraiment faire l'Europe, les faux européens doivent apparaître pour ce qu'ils sont : des mous qui ont peur de tout, et d'abord de leur ombre ou de celle du voisin, des mous qui croient si peu dans notre pays qu'ils ne le jugent pas capable de faire face, des mous qui font si peu confiance à notre histoire et à nos concitoyens qu'ils pensent que la France peut fondre dans l'Union comme du beurre au soleil.
Alors, pour dissimuler leur mollesse, ils cultivent le verbe, ils se présentent bardés d'exigences démagogiques, ne s'expriment qu'à coups de menton et ne marchent qu'au son du clairon, mais le tout dans un discours qui ne doit rien à la volonté et tout à la rhétorique. Car pour réussir une Europe ouverte, capable d'équilibrer les États-Unis et le Japon, il faut une Communauté beaucoup plus solidaire, beaucoup plus organisée encore que ne le prévoient les traités actuels. Et prendre le chemin inverse, c'est en fait accepter la réalité inverse : celle d'un monde définitivement dominé par le Japon et les États-Unis.
Face à cette mollesse, il y a une autre volonté, qui n'est pas moins dangereuse : la volonté des vrais libre-échangistes.
Ceux-là sont déjà à l'œuvré. Ce sont eux qui ont mis beaucoup d'arrogance dans l'affirmation d'une foi libérale, élevée au rang de dogme implicite de l'Europe. Cette arrogance, ce dogme, nous devons les dénoncer, car ce sont eux qui conduisent l'Europe à être de plus en plus un paradis pour les capitaux, mais un purgatoire pour les chômeurs.
Conduire une politique industrielle ? Pas question, disent-ils, cela pourrait nuire à l'équité de la concurrence. Lancer le grand emprunt qui permettrait de créer des emplois et financer l'avenir ? Vous n'y songez pas, les marchés boursiers pourraient ne pas comprendre. Imposer des normes sociales à respecter dans toute l'Europe ? Et puis quoi encore... !
Leur véritable ambition, c'est celle d'un vaste marché, aussi ouvert que possible, avec le moins de règles possible, et le plus possible de profits immédiats dont, parce que c'est indispensable, une petite partie sera prélevée pour soulager çà et là les maux les plus douloureux et que les pauvres se tiennent tranquilles.
Il faut rendre cette justice à la liste RPR/UDF qu'elle sera, sinon la seule, du moins la plus importante à faire coexister des faux européens avec des vrais libre-échangistes. Les résultats sont d'ailleurs déjà là : le Gouvernement que cette liste représente, vient d'accepter, avec ses collègues libéraux, de porter en terre l'idée du grand emprunt européen, pourtant soutenue par de très nombreux responsables Européens, et non des moindres.
Nous, au contraire, nous avons un seul registre et nous nous y tiendrons. Ce registre, c'est l'Europe solidaire. Cette Europe, elle ne se construira pas avec des mots mais avec des projets. Nous ne la construirons pas seuls mais avec des alliés.
Déjà les contacts sont constants, soit au sein du PSE, soit, directement, entre dirigeants. La semaine prochaine je m'en entretiendrai à nouveau avec nos amis portugais à Lisbonne. La semaine suivante, c'est Rudolf Sharping qui viendra à Paris pour une réunion de travail en commun. Le mois prochain, j'irai revoir John Smith à Londres, ceci pour m'en tenir à ce qui est d'ores et déjà programmé.
Et à chacune de ces rencontres l'objectif est unique : approfondir notre réflexion commune, mettre au point nos propositions communes, bâtir nos projets communs, en partant des craintes et des espoirs de nos concitoyens.
Or, des projets, nous pouvons en avoir de nombreux et je voudrais, ici, en évoquer quelques-uns. Tous n'ont ni la même urgence, ni la même importance, ni la même durée de mise en œuvre, mais tous ont en commun d'aller dans le sens de l'Europe solidaire.
Je commencerai par les plus éloignés, car au niveau européen aussi je crois qu'il faut d'abord déterminer où nous voulons aller, pour en déduire ensuite ce qu'il faut faire tout de suite.
Il y a en effet une clé : pour que l'Europe puisse jouer le rôle que nous attendons d'elle, c'est-à-dire mieux protéger ses habitants et être un instrument efficace de lutte contre le chômage, elle doit d'abord pouvoir fonctionner, savoir décider, et se faire respecter.
Je suis frappé, en premier lieu, de l'empilage de textes qui gouvernent l'Union et la Communauté. Ils forment une espèce de maquis touffus dans lequel seuls les spécialistes se retrouvent. Traité sur traité sur traité, rien n'est clair aux yeux des citoyens européens eux-mêmes. C'est pourquoi je propose que l'Europe, à partir du travail déjà fait par le parlement européen sortant, se dote d'un texte bref, clair, net, celui de la Constitution de l'Europe, qui pourrait être soumis au référendum de tous les citoyens de l'Union.
À part nos amis anglais qui n'ont pas jugé utile de rédiger la leur, chaque pays démocratique a une constitution écrite. L’ONU a une Charte. L'Europe, elle, a des volumes. Eh bien je dis qu'il est temps qu'elle se donne une loi fondamentale, basé sur les principes qui sont les siens. Une constitution qui précise les droits et les devoirs de chaque nation. Une constitution qui organise les procédures démocratiques, qui délimite les compétences en énonçant clairement les domaines dans lesquels les nations partagent leur souveraineté et ceux dans lesquels chaque pays reste maître chez lui. Une constitution qui porte l'engagement de tous sur l'aide au développement. Une constitution qui ne soit pas remise en cause à chaque instant. Une constitution à laquelle adhéreront tous ceux qui voudront faire partie de l'Union, sans que chaque adhésion nouvelle ne soit l'occasion de marchandages mesquins, où l'idéal européen se ramène à un pourcentage de contribution budgétaire !
Certes, l'exercice ne sera pas facile. Et alors ? Mais l'exercice, outre qu'il est déjà avancé, sera fécond.
Alors, me direz-vous, un exercice d'écriture constitutionnelle, même achevé par un référendum européen, c'est bien beau, mais c'est bien loin des préoccupations des Français. A priori, oui. Mais à cela il y a deux réponses. La première pour dire que ce qui est le moins supportable pour les Français, c'est de ne pas savoir exactement ce que l'Europe fait, ce qu'elle doit faire, ce qu'elle peut faire pour eux. Et la clarification nécessaire de ses compétences, par un texte constitutionnel, permettra de répondre à leurs doutes.
La seconde réponse est plus immédiate, et c'est ma deuxième proposition. Rappelez-vous : lors de la ratification du traité de Maastricht, on a vu apparaître un mot barbare, celui de subsidiarité. Tout le monde l'a oublié depuis. Moi pas, et j'ai bien l'intention qu'on l'utilise très concrètement.
La subsidiarité, c'est un mot compliqué pour dire quelque chose de simple : que l'Europe ne traite que de ce qui ne peut être bien traité qu'à son niveau, et que le reste soit traité au niveau de chaque nation, voire de chaque région ou commune. Mais ce principe de bon sens, il a fallu attendre 1992 pour qu'il soit consacré.
Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'avant 1992, Bruxelles a pris toutes sortes de règlements, de directives, dans toutes sortes de domaines, sans se soucier toujours de savoir si c'était véritablement utile, et je ne songe pas seulement à la réglementation des chasses traditionnelles. C'est par ce type d'abus que l'Europe s'est rendue irritante à bien des Européens.
Dans ces conditions, nous devons proposer un inventaire précis des décisions européennes prises avant la ratification de Maastricht. Puis, sans naturellement chercher à tout remettre en cause comme souhaiterait John Major, examiner sur chacune d'elles la compétence qui doit s'exercer, européenne, nationale ou locale. Ensuite, et précisément grâce à Maastricht, nous pourrons ainsi nous ressaisir de compétences qui doivent redevenir les nôtres.
Ce que je propose ici, qui est dans la droite ligne du traité, je suis sûr que d'autres de nos partenaires s'en préoccupent déjà. Alors, pour une fois, faisons en sorte de n'être pas les derniers à nous réveiller, les derniers à revenir sur les effets d'une certaine boulimie d'intervention qui a longtemps frappé certains bureaux bruxellois.
Et puisque j'évoque ceux-ci, il me faut faire une remarque importante à leur sujet. Les Français qui travaillent à Bruxelles, au sein de la Communauté ou auprès d'elle, sont spécialement méritants à mes yeux. Pourquoi ? Parce que, en France, contrairement à ce qui se fait à l'étranger, on ne fait rien pour les encourager, et parfois même au contraire.
Il faut savoir que certains de nos partenaires ont très vite compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer de la présence massive de leurs concitoyens au sein des instances européennes ou auprès d'elles. Les carrières, publiques et privées, ont été organisées en conséquence. Dans le corps diplomatique comme dans nombre d'entreprises ou de branches professionnelles, quelques années à Bruxelles sont non seulement un point de passage souvent obligatoire, mais un marchepied essentiel pour accéder à des responsabilités éminentes, dans la fonction publique ou dans l'entreprise.
Comment s'étonner alors que telle décision prise à Bruxelles ait épousé la thèse anglaise ou allemande, que telle directive soit plus proche des préoccupations néerlandaises ou italiennes, que tel projet de compromis soit déséquilibré au profit du Luxembourg ou du Danemark.
Les Français, au contraire, et sauf ceux qui ont fait de l'Europe leur vocation, vont à Bruxelles le moins souvent possible, le moins longtemps possible. Toute la France, public comme privé, n'a pas pris la mesure de l'enjeu et, faute d'influer sur les décisions en amont, doit les subir en aval, ou les combattre dans des conditions tardives donc difficiles.
Voilà donc un troisième problème qu'il nous faudra régler au plus vite, en prenant les dispositions nécessaires au sein de la fonction publique et en encourageant dans le secteur privé les évolutions indispensables.
Tout cela sera nécessaire pour rendre à l'Union européenne le respect de tous ses citoyens et la rigueur de ses processus de décision. Mais il n'est pas question d'attendre. Déjà l'Union peut faire plus et mieux qu'aujourd'hui dans al lutte contre le chômage.
Nous devons notamment continuer à promouvoir, j’y reviens, le projet d'une nouvelle donne européenne, un New deal pour reprendre la formule de Roosevelt. L'idée a déjà progressé. Même les gouvernements libéraux se sont sentis obligés, sous la poussée de Jacques Delors, de la reprendre un moment avant de la saboter.
Mon projet est autrement plus vaste, puisqu'il s'agit que l'Union européenne, lance un vaste emprunt – et d'abord auprès des Européens eux-mêmes – d'au moins 50 milliards d'écus par an, sur cinq ans, soit, en tout, plus de 1 500 milliards de francs. Avec cet argent peuvent être aussitôt engagés des grands travaux sélectionnés sur trois critères : créer des emplois immédiats, préparer l'avenir, stimuler la relance de la croissance.
Voilà une première mesure claire, créatrice de très nombreux emplois. Il n'est que de la vouloir. Et elle ouvrira la voie à la création, que je propose, d'un Fonds permanent d'action conjoncturelle, permettant de stimuler l'activité chaque fois qu'elle s'essouffle, en finançant des équipements, des infrastructures ou la reconstruction de nos banlieues, en aidant ponctuellement à la création d'emplois dans les régions en difficulté.
L'Europe, ensuite, est souvent de bonne foi dans les échanges économiques internationaux. Mais lorsqu'elle est confrontée à des partenaires qui ne sont pas toujours aussi loyaux, cette bonne foi devient de l'angélisme, devient une sorte de naïveté dont les travailleurs européens sont les premières victimes. En principe, la nouvelle Organisation Mondiale du Commerce, qui remplace le GATT, doit prévoir des procédures rapides de règlement de différends. Mais si elle tarde à le faire, alors il ne faudra pas hésiter à créer, au niveau européen, un dispositif de rétorsion équivalent à celui dont les Etats-Unis disposent avec leur célèbre clause 301. De même qu'avoir une armée n'implique aucune intention de faire la guerre mais une volonté de se défendre, un dispositif unilatéral de rétorsion ne serait pas fait pour agresser quiconque, mais pour réagir à l'égard de quiconque nous agresse. Et qu'on ne vienne pas nous dire que ce qui est légitime pour les USA serait inacceptable pour l'Europe, car ce que je trouve inacceptable, moi, c'est de laisser durer dans le commerce mondial, au nom d'un libre-échange très sélectif, une farce dans laquelle l'Europe tient trop souvent le rôle du dindon.
À cela, évidemment, devra encore s'ajouter la monnaie unique qui seule permettra de faire face au dollar et au yen. Tout cela nous dotera d'un véritable arsenal grâce auquel une volonté pourra s'exercer. Une volonté économique, de type keynésien, dans un espace pertinent, et toute entière orientée vers la lutte pour l'emploi. Ainsi, dès que l'Europe disposera de sa monnaie unique dont nous ne devons jamais oublier l'urgence, elle aura à sa disposition un ensemble vraiment cohérent pour assurer son propre pilotage.
Allons encore au-delà. L'Europe, ce n'est pas seulement Bruxelles ou Strasbourg. L'Europe, c'est celle des gens, celle des peuples qui la composent, qui y vivent et qui y travaillent. La réussite du programme Eurêka montre la voie : tout ce qui fonctionne en réseau, entre Européens, doit être encouragé, et l'on peut se fixer des objectifs clairs et mobilisateurs, celui par exemple de la voiture propre et sûre d'ici à l'an 2000.
En adoptant ces mesures, et en le faisant vite, l'Europe offrait déjà un visage différent, à l'intérieur par le dynamisme retrouvé, à l'extérieur par la loyauté imposée.
Maastricht n'est pas le fin mot de l'Europe. C'était une étape et elle doit être reconsidérée en 1996. Si, dans cette perspective, la convergence entre nos économies reste essentielle, elle ne peut plus aujourd'hui s'apprécier sur des critères exclusivement financiers. C'est l'emploi qui doit être placé au cœur de la démarche.
À des échéances variables, donc, une vraie constitution européenne, un réexamen méthodique des décisions prises avant 1992, une présence française plus affirmée à Bruxelles, un vaste emprunt européen, une clause de sauvegarde et de rétorsion contre la concurrence déloyale de l'extérieur, une monnaie unique, une relance active des réseaux européens, une politique favorable à des actions coopératives pour l'industrie, la recherche, la culture, voilà des projets qui donneront de la matière aux Français et aux députés qu'ils se choisiront. Mais cela n'est pas encore assez, car pour préparer l'avenir de l'Europe, il faut aller plus loin.
Aller plus loin, cela veut dire veiller à chaque instant à faire entrer la solidarité dans chacune des décisions de l'Europe, cela veut dire faire entrer la jeunesse dans chacun de ses projets.
L'Europe solidaire, c'est d'abord celle qui exige une taxation des revenus du capital, commune à tous les pays, et un allègement des charges sur les bas salaires.
L'Europe solidaire, c'est ensuite celle qui exige une politique concertée de réduction de la durée du travail afin que les Européens travaillent moins pour vivre mieux et pour travailler tous.
C'est ainsi que l'Europe viendra puissamment au secours des efforts de tous contre le chômage.
Mais l'Europe solidaire nous oblige aussi à songer aux générations futures. Elle exige l'adoption de règles pour un développement durable qui garantissent une planète habitable pour nos enfants, et les enfants de nos enfants, ce qui suppose des taxes pour l'économie d'énergie et des normes pour l'environnement.
Nous ne pourrons rien obtenir de tout cela si l'Europe reste, à chaque occasion, alignée sur le plus inerte de ses membres. C'est pourquoi il faut que le vote à la majorité au Conseil des Ministres devienne la règle. C'est pourquoi la présidence doit cesser de tourner tous les six mois, et être exercée pour deux ans par une personnalité élue au sein du Conseil Européen. C'est pourquoi, encore, le pouvoir de codécision du Parlement européen doit être étendu.
Quant à intéresser la jeunesse à cet avenir, à son propre avenir à travers l'Europe, Bernard Kouchner a fait sur ce sujet des propositions ambitieuses, animées d'un vrai souffle de générosité, sans cesser d'être réalistes. Nous devons les soutenir activement, car la mobilité de la jeunesse, son enthousiasme disponible, peuvent être mis au service de grandes causes humaines et écologiques.
L'Europe, oui ! Mais l'Europe solidaire ! Parler de l'Europe solidaire, c'est parler de l'Europe de gauche : seule une Europe de gauche sera solidaire et une Europe solidaire sera forcément de gauche. Car seule la gauche en a les moyens, car la gauche seule en a la volonté.
La droite, il suffit de la voir à l'œuvre pour imaginer ce qu'elle pourrait faire. Ne nous y trompons pas : ce qu'elle ne parvient pas à imposer directement aux Français, elle tentera de le leur faire imposer par l'Europe. Ne nous y trompons pas : une droite durablement majoritaire en Europe cherchera par tous les moyens à faire triompher ce qui est sa véritable obsession, c'est-à-dire la diminution aveugle et brutale des charges des entreprises, à n'importe quel prix, par n'importe quel moyen. Et le SMIC-jeunes, auquel les jeunes eux-mêmes ont fait échec, on ne pourrait même pas exclure, si la droite triomphait, de le voir resurgir un jour sous la forme d'un CIP européen.
Ce n'est pas un procès d'intentions. C'est la logique d'une mécanique libérale. C'est la logique profonde d'une droite qui croit savoir où elle va et ne se préoccupe que des moyens de l'imposer, d'une droite qui n'aime l'échange que si c'est un échange commercial, qui ne se penche sur la société que si c'est une société anonyme. Tout le reste est second, même, parfois quand il s'agit des fondements les plus essentiels de la démocratie. Ils viennent encore de le prouver avec le report des élections municipales à juin 1995. Ils ne veulent pas du débat. Ils espèrent tout engranger dans une foulée qu'ils imaginent gagnante, et mettent ainsi leurs soucis partisans avant la vie démocratique. Je le dis au Gouvernement, je le dis au Parlement : ne privez pas les Français du débat municipal, ne privez pas les Français d'une vraie campagne qui leur tient à cœur, ne sacrifiez pas ce grand moment de la démocratie à vos petits arrangements de partis.
À ce type de comportements, en France et en Europe, seule la gauche, les socialistes, peuvent s'opposer efficacement. Cette gauche, elle peut être majoritaire dans le prochain parlement. Nos voisins y contribueront. La France doit en prendre sa part et apporter à l'Europe suffisamment de députés élus sur notre liste pour qu'une majorité de gauche soit possible, pour que, face aux neuf gouvernements sur douze qui actuellement sont de droite, un parlement de gauche fasse entendre le souci du social, le souci de l'avenir, l'obsession du chômage.
La liste que nous présentons aux Français est la première, dans notre histoire, qui donne aux femmes la place qui doit être la leur. Elle est une préfiguration de cette Europe que nous voulons, une vision de cet avenir dans lequel les femmes cesseront d'être seulement électrices à égalité, pour être aussi élues à égalité, pour que le corps politique cesse enfin d'être hémiplégique, pour que la vie des peuples soit vraiment prise en charge par toutes celles et tous ceux qui les composent.
Cela dépend de nous, cela dépend de vous, cela dépend des Français. Nous saurons les convaincre. Chaque pays, mes amis, porte en lui des forces de refus et des germes de décadence. L'abandon de l'Europe soit au seul libre-échange, soit à la rhétorique des douze citadelles, de ceux qui disent « oui » à n'importe quoi dans un cas, ou ceux qui disent « non » à tout dans l'autre, ce seraient deux moyens certains de signer le déclin de la France. Nous seuls pouvons ouvrir le chemin véritable. Soyons donc réalistes, en osant proposer l'Europe solidaire de nos rêves.