Texte intégral
Déclaration à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'issue de son entretien avec M. Yasushi Akashi, représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour l'ex-Yougoslavie (Paris, 11 avril 1994)
Je viens de m'entretenir avec M. Akashi, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'ex-Yougoslavie. Nous avons déjà beaucoup apprécié le travail de M. Akashi au Cambodge où il a eu la responsabilité d'une opération des Nations unies qui a bien réussi et nous souhaitons avoir avec lui des relations de confiance s'agissant de l'ex-Yougoslavie, ce qui bien entendu est le cas.
J'ai d'abord pris note avec satisfaction du fait que les procédures d'intervention de la force aérienne, lorsque cette intervention est requise, ont été sensiblement améliorées, puisqu'à Gorazde, les délais d'intervention ont été brefs. Ceci satisfait pleinement la demande formulée par M. Balladur lors des incidents de Bihac, qui a donc été suivie d'effets. Nous pensons également en France que le cadre général fourni par le plan d'action de l'Union européenne reste la seule solution d'ensemble actuellement disponible et nous pensons que c'est dans ce cadre-là qu'il faut se resituer le plus vite possible.
Nous sommes enfin, et je l'ai confirmé à M. Akashi, tout à fait prêts à accroître nos efforts pour la reconstruction des villes de Bosnie, particulièrement Sarajevo où, j'espère pouvoir me rendre dans les prochaines semaines pour concrétiser l'effort civil de la France à la reconstruction de la ville, de même qu'à Mostar où l'Union européenne est très engagée et prépare sa propre intervention de reconstruction.
Q. : Le président bosniaque a estimé que l'action d'hier avait été très limitée et trop tardive ; êtes-vous d'accord avec cette analyse ?
R. : Je pense que l'intervention a été faite à la demande du commandement de la FORPRONU dans des délais satisfaisants et qu'elle a permis de marguer un coup d'arrêt. Autant je suis favorable à l'utilisation de la force chaque fois que c'est nécessaire – et c'était nécessaire dans ce cas précis – autant j'insiste sur le fait qu'il nous faut maintenant reprendre un processus politique. Il faut négocier un cessez-le-feu général entre les Serbes et le gouvernement bosniaque pour stabiliser la situation.
Q. : Quel a été le délai d'attente entre la demande d'intervention et l'intervention elle-même ?
R. : Vingt-cinq minutes.
Q. : Les Russes ont demandé une réunion du conseil de sécurité de l'ONU...
R. : Tout ce qui s'est passé s'est déroulé dans le cadre des dispositions existantes et je ne vois pas pour ma part la nécessité de décisions du conseil de sécurité ; une information certes, mais il n'y a pas matière à de nouvelles décisions.
Point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l'issue de son audition par la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale (Paris, 21 avril 1994)
Comme vous le savez, je viens d'être entendu par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, la quasi-totalité des intervenants – je le dirai peut-être en allant au-delà de ce que m'autorise la confidentialité des débats – a exprimé une appréciation positive pour la manière dont le gouvernement conduisait son action diplomatique. Nous avons pour l'essentiel parlé bien sûr de la situation en Bosnie. Nous avons également évoqué la situation en Algérie et le calendrier international des prochains mois.
J'imagine que ce qui vous intéresse le plus et je le comprends, c'est la situation en Bosnie. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit hier sur l'analyse des récents événements et de ce qui s'est passé notamment à Gorazde. Je voudrais simplement exprimer ma surprise quand je vois, ici ou là, que l'on trouve le gouvernement français moins ferme sur Gorazde qu'il ne l'a été sur Sarajevo. Je ne crois pas que cela corresponde ni à notre état d'esprit, ni à la réalité.
La conduite des opérations de Gorazde relève de la responsabilité de la FORPRONU, du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, de l'Alliance atlantique. Le dispositif était parfaitement en place pour fonctionner dans le même esprit Il n'a pas fonctionné ainsi et j'ai eu l'occasion de dire publiquement que cette affaire avait été, de mon point de vue, mal gérée. Pourquoi ? Parce que la riposte aérienne dans les premières heures de l'offensive serbe n'a pas été à la hauteur de l'agression ; les frappes aériennes ont été en réalité homéopathiques, ce qui a été interprété comme un contre-signal, bien entendu, par les Serbes. Deuxièmement, l'analyse de la situation par les responsables sur le terrain et notamment par le représentant spécial des Nations unies, a été beaucoup trop optimiste sur la capacité, notamment, à obtenir un accord de cessez-le-feu avec les Serbes.
Ces erreurs sont factuelles, tout le monde peut les constater ; il faut en tirer les leçons, je ne vais m'y attarder trop longtemps, je préfère maintenant me tourner vers l'avenir. Qu'essayons-nous de faire ? Nous déployons notre action sur trois plans.
Tout d'abord, Gorazde. Il faut à tout prix obtenir le cessez-le-feu à Gorazde et la remise en cause du fait accompli. Les nouvelles se succèdent et se contredisent ; un cessez-le-feu avait été signé avant-hier soir, il n'a pas été respecté, je n'ai pas les dépêches de la dernière heure, mais au début de la matinée, on pouvait constater qu'il ne l'était toujours pas. À la demande de la France, le conseil de sécurité va procéder cet après-midi à 15 heures de New York à l'examen du projet de résolution que nous avons préparé, qui enjoint les Serbes de cessez-le-feu, de se retirer et qui prévoira le déploiement d'un détachement de la FORPRONU sur le terrain pour s'assurer du respect du cessez-le-feu .et faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire. La FORPRONU a pris les dispositions pour que ce détachement puisse se mettre en route dès lors que les conditions préalables que nous avons fixées, c'est-à-dire cessez-le-feu, retrait des troupes serbes et respect du statu quo à Sarajevo, auront été assurées. La France est prête, si ces conditions sont remplies, à participer à ce détachement de la FORPRONU. Nous allons voir dans les toutes prochaines heures comment les choses évoluent. À Sarajevo, on est revenu à une application des dispositions de l'ultimatum après les prises de contrôle d'armes lourdes qui avaient eu lieu dans la journée d'hier et contre lesquelles nous avions immédiatement réagi en demandant à la fois à la FORPRONU, aux Nations unies et à l'Alliance d'en tirer toutes les conclusions indispensables si les Serbes ne revenaient pas sur leur comportement.
Deuxième niveau d'action de la France, – je lis ici ou là d'ailleurs que c'est une proposition américaine, tant mieux, je voudrais simplement rappeler que c'est dans la logique de ce que nous demandons depuis un an maintenant – sanctuariser véritablement les zones de sécurité. Cela veut dire définir un périmètre de protection, définir des règles d'engagement précises des forces des Nations unies et des forces de l'Alliance atlantique ; cela veut surtout dire ce que j'ai réclamé en vain lors du Sommet de l'Alliance atlantique en juillet dernier, que l'on étende la notion de protection aérienne et de frappe de protection des troupes à la protection des populations. Je n'avais pas pu obtenir cela dans ce débat dont je me souviens parfaitement, parce que les Américains et beaucoup de nos alliés y étaient hostiles. On y vient maintenant, je m'en réjouis, il faut le faire vite. Il faudra que dans l'hypothèse où ces dispositions ne seraient respectées, la riposte soit rapide et proportionnée. C'est-à-dire pas comme à Gorazde. Cela fait l'objet actuellement de discussions à Washington et bientôt dans les instances de l'Alliance. La seule chose sur laquelle je voudrais insister, c'est que dans ce cadre il va de soi qu'une étroite coordination doit être maintenue entre la FORPRONU et l'Alliance. Car les frappes aériennes doivent prendre en considération la situation sur le terrain. La situation sur le terrain, c'est les troupes de la FORPRONU ; il y en a dans les zones de sécurité, il n'y en avait pas à Gorazde – il y en aura peut-être ce soir ou demain – il y en a à Bihac, à Tuzla, à Srebrenica, évidemment à Sarajevo, donc il faut que les décisions soient très étroitement coordonnées, je le répète, entre ONU, FORPRONU et Alliance atlantique.
Enfin, troisième niveau d'action, la recherche de la solution politique et de la position commune entre les grandes puissances. Là aussi, on avance un petit peu ; des contacts sont actuellement en cours à Moscou, entre les représentants russes, ceux des Nations unies, de l'Union européenne et sans doute des représentants américains. Je viens de lire une dépêche disant que M. Eltsine et Clinton étaient d'accord pour un sommet sur la Bosnie d'ici un mois, délai qui me paraît un peu long enfin, enfin, il est vrai que ce sommet sera un sommet conclusif, s'il a lieu et que tout doit être préparé dans l'intervalle par des réunions à niveau soit des experts, soit au niveau ministériel.
Sur quelle base ? Je ne reviens pas sur ce que j'ai eu l'occasion de déclarer hier à propos de l'actualité du plan d'action de l'Union européenne enrichi par l'accord croato-musulman du 18 mars dernier et par l'accord de cessez-le-feu dans les Krajina. J'observe d'ailleurs que ces deux cessez-le-feu tiennent ; les choses évoluent bien dans ces secteurs-là, je voudrais simplement mettre l'accent à propos de cette position commune sur la carte. Mon idée, j'espère la faire partager, je m'en suis entretenu hier longuement avec Douglas Hurd, pour Andreï Kozyrev, et Warren Christopher, c'est de mettre l'accent sur la carte. Les pourcentages ont été agréés. Il faut que nous demandions aux parties de nous confirmer, une fois encore, que ces pourcentages sont bien acceptés. Je les rappelle, vous les connaissez : 17,5 pour les Croates, 33,3 pour les Musulmans et le solde, c'est-à-dire la moitié environ, pour les Serbes. Il nous a toujours été assuré, avec la plus grande clarté, la plus grande netteté, que l'accord croato-musulman était compatible avec ces pourcentages, qu'il ne les remettait pas en cause. Il faut d'abord les faire confirmer et ensuite il faut absolument que l'on passe de ces principes, qui ont trait à la quantité, à une carte, qui traite le problème de ce que l'on appelle la qualité. Lorsque l'ultimatum a été lancé au début du mois de février, la diplomatie américaine avait indiqué qu'elle se donnait un délai de quelques jours, voire de quelques semaines, pour obtenir la réponse des Musulmans sur ce point, c'est ce que l'on appelait la « Bottom Line ».
J'ai fait remarquer hier que je n'avais toujours pas la réponse en ce qui me concerne. Donc, si les parties ne sont pas capables d'apporter une réponse à cette question, il faudra que les experts des grandes puissances mettent sur la table des propositions. Vous savez que c'était cette logique que nous avions adoptée lorsque le plan d'action européen a été mis au point, nos partenaires avaient longtemps traîné les pieds et ils avaient fini par entrer dans cette logique consistant à dire : si les parties n'arrivent pas à se mettre d'accord, il faut que ce soit les puissances internationales qui les aident en mettant sur la table une carte. L'initiative n'avait pas abouti, on le sait, du fait de l'absence de participation des Russes et des Américains. Il faut reprendre cette tentative, avec les Russes et les Américains, cette fois-ci, pour définir cette position commune.
Voilà ce que nous sommes en train de faire sur les trois niveaux : le très court terme à Gorazde ; le court terme aussi sur les autres zones de sécurité, et le court-moyen terme sur la solution politique et la nécessité d'un partenariat de négociations ; permettez-moi de rappeler, là encore, que c'est une idée que nous avons lancée il y a un certain temps, réactualisée fortement il y a 15 jours par la voix du Président de la République et par la mienne. Je la vois cheminer, nous allons multiplier nos efforts pour que ce cheminement s'accélère.
Q. : En dehors de la protection des zones de sécurité, serait-il envisagé des frappes sur les dépôts de munitions en dehors de ces zones ?
R. : Je suis extraordinairement, non pas surpris, mais intéressé de voir à quel point les stratèges en chambre veulent faire monter les enchères. On va frapper sans dire ce qu'on veut à la clef. Que se passera-t-il le lendemain ? La frappe aérienne n'a de sens que si elle est dans un projet politique. À Sarajevo, cela avait un sens, parce que l'on disait voilà ce qu'on vous demande : plus de bombardements, plus d'armes lourdes dans un tel périmètre, vous avez tant de jours, si vous ne les respectez pas, on frappe. Il faut adopter la même logique dans les autres zones de sécurité. Mais l'idée d'aller frapper tous azimuts partout sur le territoire de la Bosnie, pour demander quoi ? Pour faire quoi après ? Cela ne me paraît pas une idée opérationnelle.
Q. : Vous voulez dire qu'il peut y avoir des ultimatums sur les autres zones de sécurité ?
R. : Mais ce qu'on est en train de lancer, quand je dis sanctuariser les zones de sécurité, c'est, sans le nom, un ultimatum...
Q. : Il manque la date...
R. : Oui, mais la date est immédiate dans ce cas précis, la sanctuarisation des zones de sécurité, c'est immédiat.
Q. :-Mais ça, c'est la solution qu'on a effectivement dans les textes...
R. : Non, on ne l'a pas justement dans les textes, parce que la France n'a pas été entendue. On n'a pas le périmètre premièrement et, deuxièmement, on n'a pas la notion – c'est là qu'il faut changer les choses – d'intervention aérienne pour protéger les populations. Vous savez très bien que je ne l'ai pas obtenu à Athènes l'année dernière après un long débat. Nous avons pour l'instant, simplement, la protection des troupes...
Q. : Oui, mais une expression assez ambiguë…
R. : Ambiguë justement, mais moi, j'avais une interprétation…
Q. : Vous l'aviez interprétée positivement.
R. : Oui, je l'avais interprétée positivement, mais en fait je n'étais pas suivi ; il faut dire la vérité. Aujourd'hui, il faut vraiment préciser le concept sur ce point, le concept de périmètre, le concept d'armes lourdes et dire très clairement que si ceci n'est pas respecté, sans délai, immédiatement, on fait une frappe proportionnée et non pas sous-proportionnée comme ça a été le cas à Gorazde.
Q. : Ne craignez-vous que cela n’entraîne les troupes de l'ONU dans la logique d'une guerre ?
R. : Il faut bien marquer les choses, que je me fasse bien comprendre. Quand je dis qu'il n'y a pas de solution militaire, qu'il n'y a qu'une solution politique, je ne dis pas qu'il ne faut pas utiliser la force. Je dis qu'il faut utiliser la force pour faire respecter un certain nombre d'objectifs et que, simultanément, il faut dérouler le processus politique. On ne peut pas accepter que des résolutions internationales soient bafouées comme elles le sont à Gorazde et que les populations soient bombardées comme elles le sont à Gorazde. Dans ce cas-là, il faut frapper et il faut frapper fort, parce que des exigences ont été posées et personne ne peut les refuser ; je rappelle que les Russes ont voté les résolutions relatives aux zones de sécurité. Cela, il faut le faire, le faire vite et le faire fort. Pour le reste, il faut poursuivre la voie diplomatique.
Q. : Pour une sanctuarisation efficace des zones de sécurité, faut-il préciser de nouvelles règles au niveau de l'OTAN, ou avez-vous besoin d'une résolution du conseil de sécurité ?
R. : Je ne pense pas qu'il soit besoin d'une résolution du conseil de sécurité ; les résolutions existent, 824, 836. Pour Sarajevo, on n'a pas eu besoin d'une résolution du conseil de sécurité ; il faut préciser les règles d'emploi. J'ajoute que pour ces zones de sécurité, il faut également se poser la question, on l'a vu à propos de Sarajevo, du renforcement de la FORPRONU, car pour faire respecter l'exclusion des armes lourdes, seule manière d'éviter les bombardements, il faut les contrôler. Il faut donc renforcer la FORPRONU, soit par redéploiement, soit peut-être s'interroger sur le dispositif qui est actuellement entre Croates et Musulmans, puisque le cessez-le-feu tient. Je tiens cela sous forme interrogative, c'est évidemment aux militaires de l'apprécier. Ou également sur les 10 000 hommes qui sont dans les Krajina. Le mieux serait effectivement de renforcer en net, si je puis dire, la FORPRONU. Nous le demandons depuis longtemps. Là aussi, je voudrais, comme je l'ai fait hier à l'Assemblée, pondérer un peu les jugements qui sont portés sur les uns et les autres. C'est vrai que Gorazde n'a pas été une affaire bien conduite, mais c'est vrai aussi que tirer sur les Nations unies et leurs représentants est un sport facile : les Nations unies n'ont pas d'argent et pas de troupes. Il faut leur donner de l'argent et des troupes. À ce moment-là, si elles ne font pas leur travail, on pourra valablement les critiquer, mais je rappelle que le secrétaire général a demandé 7 500 hommes en soutien, en plus, pour la FORPRONU depuis juillet. Il ne les a toujours pas, sauf les mille soldats français qui sont venus en renfort précisément en juillet.
Q. : Est-il envisagé d'étendre les zones de sécurité jusqu'à Maglaj ou d'autres agglomérations qui sont très sérieusement attaquées ?
R. : La situation aujourd'hui, sauf mauvaise information de ma part, est redevenue normale à Maglaj, mais on ne peut pas exclure, effectivement, que si d'autres foyers se déclaraient, on puisse étendre le concept. On va se trouver alors confrontés rapidement au problème du renforcement de la FORPRONU.
C'est pour cela que je dis : pas de solution militaire, simplement une solution politique. Il ne faut pas tarder sur le processus diplomatique, on est au bord du gouffre en permanence. Plus on tarde à trouver une solution politique, plus on court de risques, de risques d'escalade, de dérapage, de nouvelle agression ici ou là. Donc il faut vraiment aller plus vite qu'on ne le fait dans la recherche de cette solution. Les Russes et les Américains acceptent de parler ensemble, les Douze sont prêts à ce dialogue, allons-y maintenant, vite. On me dit, est-ce que ce sera efficace ? Je pense que le jour où M. Eltsine, M. Clinton, M. Mitterrand, M. Major, quelques autres diront aux Musulmans aux Serbes et aux Croates : voilà, maintenant, il faut un accord, cela aura du poids.
Q. : Est-ce que vous croyez les Russes quand ils disent que les chaînes de commandement entre Milosevic, Karadzic et Mladic ne tiennent plus, qu'il y a des failles qui font que les ordres ne sont pas respectés sur place ?
R. : Oui et non. Oui, c'est vrai qu'il y a des différences d'appréciation politiques, de comportement dans ce que vous appelez la chaîne de commandement serbe. Mais non, parce que si les Serbes de Belgrade avaient vraiment la volonté d'arrêter le conflit, ils pourraient couper les vivres au sens propre du terme, en particulier aux combattants de Bosnie. Donc, il y a double jeu, c'est clair.
Q. : M. Papandréou, le Premier ministre grec, rencontre M. Clinton dans les heures qui viennent. Il leur apporte un message du Président Mitterrand, paraît-il, ainsi que des propositions de M. Milosevic et d'autres pour un règlement. Quelle peut être la contribution de la Grèce en tant que présidente, avec ce voyage notamment ?
R. : La contribution de la Grèce ne peut être que positive. Je n'ai pas les détails de ses propositions, mais tout ce qui permet de nourrir le dialogue politique et d'approcher une position commune va dans le bon sens. C'est la Grèce qui assure la présidence de l'Union européenne et c'est tout à fait dans son rôle.
Q. : Est-ce qu'on s'attend à quelque chose de particulier justement, puisque vous serez informé par M. Papandréou de son entretien avec M. Clinton. Êtes-vous au courant du message que le Président Mitterrand lui a remis ?
R. : Bien entendu, mais il ne m'appartient pas de vous dire ce à quoi je m'attends. On verra quand la réunion aura eu lieu.
Déclarations à la presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé (Hôtel Matignon, 22 avril 1994)
La résolution du conseil de sécurité qui a été votée à l'unanimité avec le soutien des Russes et des Américains, est une résolution qui résulte de l'initiative de la France. C'est le texte que nous avions déposé il y a quelques jours, il a été amendé sur un certain nombre de points mais il nous donne satisfaction. D'abord parce qu'il est très ferme, pour ce qui concerne Gorazde, et il enjoint l'agresseur de cesser son agression, il refuse le fait accompli avec une très grande clarté et une très grande fermeté.
Deuxième point satisfaisant dans cette résolution – elle porte maintenant le numéro 913 –, c'est que le conseil de sécurité appelle les Américains, les Russes, l'Union européenne et naturellement les Nations unies, à activer les contacts diplomatiques pour préparer une position commune de ces puissances. C'est exactement ce que la France avait souhaité. Ceci va nous permettre de nous acheminer vers le sommet que le Président de la République et le gouvernement français appellent de leurs vœux.
L'important maintenant, une fois cette résolution acquise, qui fixe le droit international, c'est de mettre la force au service du droit. Cela avait été fait à Sarajevo, nous sommes en train, à l'heure même où je vous parle, au conseil de l'Atlantique Nord, d'examiner les décisions qu'il convient de prendre pour faire en sorte que cette nouvelle résolution soit effectivement appliquée, et que, je le répète, si besoin est, la force soit mise au service du droit.
Q. : Est-ce que vous allez lancer un ultimatum comme à Sarajevo ?
R. : Je viens de le dire, ceci est en discussion. La décision est liée au conseil Atlantique. En ce qui me concerne, je considère que nous sommes, après la résolution du conseil de sécurité, dans une logique identique à celle qui avait prévalu à Sarajevo.
Q. : Est-ce que vous pensez que les Alliés pourraient décider cet après-midi d'accroître les raids aériens ?
R. : Ceci est en discussion aujourd'hui. En tout cas, je le répète, cette résolution du conseil de sécurité ne doit pas rester un document de papier. Elle doit être suivie d'effets sur le terrain. C'est de cela que nous parlons aujourd'hui. Permettez-moi de ne pas en discuter. Ce sont des décisions difficiles, qui vont peut-être durement peser, mais qui ne vont pas tarder.
Q. : Qu'est-ce que vous espérez, vous ?
R. : J'espère ce que j'ai toujours souhaité, à savoir la fermeté et la détermination de la communauté internationale. On a vu qu'à Sarajevo, cela a été utile.
Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé à France-Télévision (22 avril 1994)
Q. : (Sur l'efficacité comparée à l'ultimatum de Sarajevo et de celui de Gorazde)
R. : L'ultimatum de Sarajevo a été efficace et la situation à Sarajevo s'est stabilisée et améliorée après l'ultimatum de l'alliance Atlantique.
R. : La France, pour ce qui la concerne, souhaitait qu'après la résolution du conseil de sécurité, adoptée cette nuit, la force fut mise à la disposition du droit. C'est ce que l'alliance Atlantique est en train de décider et j'espère que ceci pourra se mettre en place dans les plus brefs délais. Il faut maintenant que les Serbes pèsent la responsabilité qui est la leur. Il faut qu'ils s'engagent à la désescalade et il faut qu'ils sachent que le processus de négociation est ouvert à tout moment, qu'ils cessent donc de bombarder, qu'ils cessent de tuer et que tout le monde se remette autour de la table de négociation.
Q. : Estimez-vous comme le Premier ministre Édouard Balladur hier soir que ce qui se passe à Gorazde, c'est honteux ?
R. : Bien sûr que c'est honteux et c'est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés de toutes nos forces pour faire cesser cela ; je le rappelle, la résolution du conseil de sécurité est une initiative française, elle a été voté à l'unanimité y compris par les Américains et par les Russes. Nous avons soutenu ensuite l'idée d'une implication plus forte de l'alliance Atlantique ; de même, la proposition d'un sommet entre les États-Unis, la Russie, l'Union européenne et les Nations unies est une idée française que le Président de la République et le gouvernement ont avancée il y a plusieurs jours maintenant, j'espère que nous allons là aussi dans cette direction.
Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé à l'AFP (22 avril 1994)
La résolution 913 du conseil de sécurité a donné l'injonction aux Serbes de cesser le feu et de se retirer de Gorazde. C'était la base juridique nécessaire à une action de la communauté internationale.
Le droit ayant été fixé, il fallait mettre la force au service du droit. C'est ce qui est en train de se passer au conseil de l'alliance de l'Atlantique Nord. La France soutient tout à fait cette initiative, à laquelle elle a pleinement participé.
Je souhaiterais rappeler, et cela figure dans la résolution du conseil de sécurité, qu'il ne faut pas négliger la voie diplomatique. Il faut progresser dans la voie de la négociation et dans la préparation de cette réunion à quatre que le Président et le gouvernement ont souhaité.
Il faut pousser les feux pour définir une position commune et repartir à la table de négociation.
Je lance un appel aux belligérants pour qu'ils cessent le feu et qu'ils acceptent de se rasseoir à la table de négociation. C'est la seule manière d'arrêter le drame dans l'ex-Yougoslavie.
Q. : Cette décision vous réjouit-elle ?
R. : Cette décision était nécessaire et logique tant que les Serbes continueront à provoquer la communauté internationale et les résolutions du conseil de sécurité.