Article de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "La Tribune" du 28 avril 1998, sur l'attachement des agriculteurs à la monnaie unique, dans le cadre de la PAC et de l'élargissement de l'Union européenne, intitulé "Les agriculteurs disent oui à l'euro".

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Média : La Tribune

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A l’heure où la représentation nationale s’exprime et s’engage et alors que le désenchantement vis-à-vis de l’Europe s’étend, les agriculteurs français réaffirment leur attachement à la monnaie unique et à l’espace européen. Non seulement parce que l’Europe leur tient lieu de quotidien depuis bientôt quarante ans, mais surtout parce que la monnaie unique représente un atout incontestable pour l’agriculture française et européenne.

Le chaînon manquant. Parce qu’ils réalisent plus des deux tiers de leurs exportations sur le marché communautaire, les agriculteurs français sont convaincus à plus d’un titre des vertus mécaniques de l’euro. Au-delà de l’économie réalisée sur le budget européen par la disparition des coûts de gestion du régime « agri-monétaire » (1,5 milliard d’Ecus par an tout de même), l’euro représente un facteur d’équilibre indéniable dans les échanges entre les agricultures des pays membres : il sonne, une fois pour toutes, le glas des dévaluations compétitives qui ont tant coûté à notre pays et au budget communautaire. Le souvenir des montants compensatoires monétaires, des « switch-over », de l’Ecu vert… reste encore présent et cuisant dans la mémoire agricole et collective.

Nous ne devrions plus connaître ces crises qui ont vu nos exportations bovines et les cours de nos fruits et légumes s’effondrer en quelques semaines, du fait de la dépréciation de la lire ou de la peseta. Des dévaluations qu’il a fallu chaque fois compenser par un surcroît de compétitivité. Souvent au détriment des attentes légitimes du consommateur. L’euro constitue donc pour nous, agriculteurs, ce liant, ce lien, le chaînon manquant qui donne toute sa cohérence au système et cimente son union et qui nous faisait dire : « Pas de marché unique sans monnaie unique ». Mais l’Europe doit veiller à ce que cette cohérence ne soit pas remise en cause par le jeu personnel de ceux qui peuvent l’euro mais ne le veulent pas ! Au risque de voir certaines distorsions perdurer.

La satisfaction affichée des agriculteurs pour l’euro reste lucide. En effet, l’euro ne réglera pas d’un coup de baguette magique tous les obstacles quotidiens liés aux surproductions, aux facteurs climatiques, aux crises ponctuelles… De même, il ne supprimera pas les distorsions sociales entre pays membres. A quand l’Europe social qui permettrait de réduire le différentiel économique existant entre un salarié agricole du sud de l’Europe, payé trois euros de l’heure, et celui du nord qui en coûte dix ? A quand l’Europe verte qui gommera définitivement les distorsions de concurrence fondées sur des critères environnementaux ? Est-il normal que les produits agricoles soient moins compétitifs parce qu’ils respectent l’environnement ? En agriculture, comme dans bien d’autres secteurs, l’euro ne jouera pleinement son facteur « stabilité » que dans le cadre d’une loyale émulation et d’une saine concurrence.

L’euro représente un facteur d’équilibre indéniable dans les échanges entre les agricultures.

Plus proche des citoyens. Conscients que l’euro n’est qu’un instrument au service de l’économie communautaire, les agriculteurs pensent qu’il est plus qu’un outil. En effet, l’euro ne peut vivre que si l’Europe confirme ses ambitions et les renforce autour de l’identité communautaire. Les pères fondateurs de l’Europe ne s’y sont pas trompés quand ils ont fait de la politique agricole commune le fer de lance de la construction européenne (une politique agricole commune qui demeure la seule politique véritablement intégrée au plan européen). Et les chefs d’État et de gouvernement ne s’y sont pas trompés non plus en entérinant, au dernier sommet de Luxembourg, le principe d’une identité agricole européenne. Une identité que nous devons concrétiser aujourd’hui à quinze, et réussir demain à vingt ou vingt-cinq.

L’action de l’euro comme ciment de l’identité européenne, c’est la reconnaissance d’une agriculture qui se nourrit de la diversité des « hommes, des produits et des territoires ». C’est aussi lui permettre de réussir son élargissement. Mais pas à n’importe quel prix. La maîtrise des productions, l’approfondissement de la PAC, la réforme des institutions et l’instauration de périodes transitoires constituent autant de préalables à l’adhésion progressive des candidats. S’ouvrir sur l’extérieur nécessite aussi pour l’Union européenne de recentrer ses moyens. En cela, des institutions plus ramassées permettraient à l’Europe d’être politiquement plus efficace. Prendre en compte le vote à majorité qualifiée et limiter l’action de la Commission au respect des mandats qui lui sont attribués donneraient à l’Europe des gages plus démocratiques et la rapprocheraient du citoyen.

Monnaie de référence, l’euro constituera un contrepoids sinon un contre-pouvoir incontestable à l’emprise du dollar sur l’économie mondiale. A armes égales avec ses concurrents directs, l’Europe bénéficiera alors d’un atout supplémentaire pour la compétitivité de ses produits agricoles et industriels sur les marchés tiers, et d’un argument de poids dans les négociations internationales. Elle confirmera sa place dans les échanges mondiaux et dans l’équilibre alimentaire mondial.

Les agriculteurs n’ont de conseils ni de leçons à recevoir de personne en matière de construction européenne : ils souhaitent simplement faire partager leur expérience de quarante années de pratique de l’Europe, tant sur le plan de sa vie démocratique interne, du fonctionnement de son marché intérieur, que sur celui de son rayonnement extérieur. Ne désespérons pas pour l’Europe. Confirmons-la.