Interview de M. Jean-Marie Le Pen, Président du Front national, dans "Le Figaro" du 20 juillet 1998, sur la candidature du Front national aux élections européennes, la régularisation des immigrés clandestins, la mobilisation du "sentiment national" pendant la Coupe du monde de football, l'intégration des jeunes issus de l'immigration et la préférence nationale.

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Le Figaro : On vous prête l’intention de donner à votre femme, Janie, la tête de liste de votre mouvement aux élections européennes de 1999 si vous ne pouvez pas la conduire vous-même, pour cause d’inéligibilité. Qu’en est-il ?

Jean-Marie Le Pen : Je n’ai pas l’intention de dévoiler mes batteries. Je ferai en temps utiles, et si besoin est, la riposte appropriée. C’est moi qui suis maître de la manœuvre. Ce n’est pas par le biais de l’inéligibilité que nos adversaires vont nous faire désigner nos candidats.
Cela dit, les choses se discuteront. C’est sûr que la candidature d’une femme, femme d’origine étrangère européenne puisque ma femme est à moitié grecque et un quart hollandaise, serait un signal fort en direction des électrices d’origine européenne.

Le Figaro : N’y a-t-il pas aussi des arguments en faveur de la candidature de Bruno Mégret ?

Jean-Marie Le Pen : Si on choisit quelqu’un d’autre qu’un membre de ma famille, beaucoup peuvent y prétendre dans notre parti. Ce serait un comble, en tout cas, que certains veuillent profiter des coups qui me sont portés pur se promouvoir dans le parti.

Le Figaro : Comment réagissez-vous aux déclarations de Charles Pasqua demandant la régularisation des immigrés clandestins ?

Jean-Marie Le Pen : Il est évident que cela a un effet d’appel formidable sur tous les candidats à l’immigration clandestine, puisqu’il est désormais avéré que l’Etat français est non seulement incapable de faire respecter ses propres lois sur l’immigration, mais encore qu’au bout du compte les clandestins sont toujours régularisés. C’est une légalisation de l’illégalité. Cela me paraît totalement contraire au gaullisme. La France est devenue un pays où la loi est bafouée, un pays totalement ouvert à toutes les invasions. J’ajoute que cette déclaration débarrasse le plancher politique d’un national en peau de lapin.

Le Figaro : Le 14 juillet, le Président de la République s’est réjoui de la victoire de l’équipe de France de football en soulignant qu’il s’agissait d’une équipe « à la fois tricolore et multicolore »…

Jean-Marie Le Pen : J’ai trouvé le Président de la République avait atteint des sommets de démagogie puérile. Il a confondu gaullisme et « goal-isme ». Il s’est présent », non comme le Président de la République, mais comme un supporter de l’équipe de France. Il confirme ses positions délétères sur la préférence nationale et sur les alliances à droite. Il est complètement converti, rallié au gouvernement socialiste.

Le Figaro : Mais il a pris la défense du plan Juppé et prôné une autre politique familiale ?

Jean-Marie Le Pen : Il fallait bien qu’il dise quelque chose… Vraiment, si vous voulez savoir ce que je retiens de cet entretien, c’est : « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, sauf le Front national ». Lequel Front national, d’ailleurs, continue à ne pas être pris en considération par le Président de tous les Français ; Ce sont donc quatre millions et demi d’électeurs qui sont, en quelque sorte, hors contingent.

Le Figaro : Et vous, que pensez-vous de cette Coupe du monde de football, des jeunes issus de l’immigration qui chantent la Marseillaise et brandissent des drapeaux tricolores ?

Jean-Marie Le Pen : Le Mondial est un événement sportif de grande dimension, qui nous intéresse d’autant plus qu’il s’est déroulé en France et que l’équipe de France a été à la hauteur de tous les espoirs qu’on avait pu mettre en elle. Ce fut la compétition pacifique d’équipes nationale, et il y a là une dimension qui ne peut nous être que sympathique.
J’observe à ce sujet un paradoxe : le monde sportif est basé sur des valeurs qui sont à l’opposé de celles du monde politique de notre temps. Le sport c’est la reconnaissance des dons innés, la valorisation par l’effort, par le travail, par la méthode, l’acception de la souffrance, l’esprit de compétition, le classement, la tension vers la plus haute et la plus belle performance possible, autant de valeurs qui contrastent avec la traque par M. Allègre des pôles d’élitisme dans les lycées et les collèges.
J’ajoute que le Mondial, c’est aussi la reconnaissance du fait national et donc de sa bénéficité, c’est-à-dire de la capacité de mobilisation du sentiment national sur un espoir de victoire. Pourquoi ces foules dans les rues et avec des drapeaux français, chantant La Marseillaise aussi bien dans les stades que devant les postes de télévision ? Pourquoi ce déferlement de jeunes, si ce n’est parce qu’il y a dans notre peuple une frustration du sentiment national, une soif d’accomplissement et de victoire dans le cadre de la nation. C’est sympathique d’entendre un des joueurs de l’équipe de France, Thierry Henry, dire : « J’ai été ému en écoutant La Marseillaise et j’ai été fier de marquer un but pour mon pays ». Il y a là la démonstration que le seul facteur d’unité, d’intégration si on peut dire, c’est la patrie.

Le Figaro : Vous admettez donc que la France est capable d’« intégrer » des jeunes issus de l’immigration…

Jean-Marie Le Pen : Qui a jamais dit le contraire ? Pas le Front national. En l’occurrence, il s’agit d’une équipe de France, qui est donc composée de citoyens français ; Qu’elle comporte un certain nombre d’Antillais, par exemple, il n’y a là rien que de très normal.

Le Figaro : Les joueurs peuvent aussi être Français d’origine maghrébine, comme Zinedine Zidane.

Jean-Marie Le Pen : Bien sûr. Mais nos élus Farid Smahi et Sid Ahmed Yayaoui, comme Stéphane Durbek, d’autres encore sont le témoignage du fait que le FN n’a pas les idées qu’on lui prête sur ce sujet. Ce que nous demandons, c’est que les critères de nationalité s’articulent aussi autour d’une dimension affective, de fidélité et de loyalisme.
Le fait que beaucoup de jeunes exaltent ainsi l’idée d’une victoire de la France, c’est peut-être un bon départ pour le renouveau de l’idée de nation et de patrie. D’autant plus que cela vient instinctivement, et malgré la classe politique.

Le Figaro : Le Front national vient de décider une mission d’ouverture en direction des jeunes beurs. Votre mouvement prend-il acte de l’irréversible présence de beaucoup d’immigrés ?

Jean-Marie Le Pen : Le Front national, constamment diffamé par les accusations de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme, tenu à l’écart des grands moyens d’information et frappé d’ostracisme, a un déficit de communication à l’égard des citoyens français en général, et en particulier, à l’égard des Français issus de l’immigration. S’agissant de l’immigration européenne, les Italiens, les Portugais, les Espagnols, les Polonais, les Grecs, les Hongrois peuvent croire, à entendre nos adversaires, que le Front national les considère comme des citoyens indésirables. C’est totalement faux.
Quant à ceux qui viennent d’autres continents et en particulier d’Algérie, je rappelle à ce sujet que j’ai été le premier homme politique français à présenter la candidature d’un arabe d’Algérie en 1957 à la députation de Paris. Cela étant, il y a dans notre pays trop de chômeurs et par conséquent le Front national est contre une politique d’immigration. Mais quand ces immigrés sont venus dans des conditions légales, qu’ils souhaitent s’intégrer et le manifestent par leur attachement et leur loyalisme envers la patrie française, le Front national a toujours été en faveur de cette intégration. A condition que l’Etat se donne les moyens de la réussir, en offrant aux jeunes une instruction civique, une espérance de travail et une société qui pratique le respect du droit concrètement.

Le Figaro : Et votre principe de préférence nationale ?

Jean-Marie Le Pen : Ce qui est stupéfiant, c’est le thème de la préférence nationale puisse être l’objet d’un débat moral. Ceux qui refusent à M. Balladur le droit d’évoquer la préférence nationale sont des sots ou des provocateurs. D’abord parce que refuser la préférence nationale, établissement d’un certain nombre de règles en faveur des citoyens, c’est nier les fondements même de la nation et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La préférence nationale est un fait pur toute la fonction publique. Elle était la règle générale, instituée d’ailleurs par un gouvernement de gauche, jusqu’en 1981 ; la loi Salengro de 1934 organisait la préférence nationale dans tous les emplois publics ou privés. Sa suppression marquait de la part de M. Mitterrand et de son gouvernement, la volonté de rompre avec la dimension nationale pour se rallier à la dimension européenne et mondialiste.
La droite est inhibée par l’accusation de relations avec le Front national. Celui-ci est instrumentalisé comme un moyen d’assurer  la défaite de la droite en permanence. A une condition : c’est que la droite accepte cette instrumentalisation organisée par la gauche. Et elle l’accepte. On entend beaucoup dire, on lit : « Il faut barrer la route au Front national ». Je pose la question : pourquoi ? Pourquoi faut-il barrer la route au Front national ? Est-ce là le seul programme de la casse politique française ?

Le Figaro : Charles Millon, en acceptant les élus FN dans sa majorité régionale, et en fondant La Droite, affirme vouloir engager l’opposition sur une autre voie.

Jean-Marie Le Pen : Je n’en sais rien. Ce que je sais c’est que le but de partis politiques est de gouverner. Pour gouverner, il faut avoir une majorité d’élus à l’Assemblée. Il est donc légitime pour les partis de se définir par rapport à cette possibilité de majorité. C’est pour cela que la droite est traversée par un fossé qui est pour le moment mortel pour elle : savoir si on peut ou si on ne peut pas s’allier avec le Front national. Dans cette situation-là, elle est écartée à jamais de toute espérance de majorité et de pouvoir. Pour qu’il y ait demain possibilité de pouvoir, il faut que l’on choisisse : ceux qui sont d’avis de gouverner avec la gauche et en assumer les risques ; Ceux qui veulent travailler avec le Front national doivent aussi le dire.