Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les conséquences pour la société du vieillissement de la population, Paris le 9 décembre 1993.

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Circonstance : Colloque "Longévité et société", à Paris le 9 décembre 1993.

Texte intégral

Monsieur le Député, … Président du Groupe d'Études sur les Personnes Âgées de l'Assemblée Nationale,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,

Ce n'est que depuis peu que notre Société commence à s'interroger sur les conséquences de l'augmentation de la durée de la vie dans nos pays développés.

Certes, nous percevons tous les avantages de ce progrès pour l'homme, mais nous en saisissons moins les conséquences pour la société.

La tenue de ce colloque est à cet égard, par les thèmes qu'il aborde et la qualité des intervenants, tout-à-fait importante et je tenais à la fois à vous remercier de m'y avoir associé et témoigner ma satisfaction d'être parmi vous pour son ouverture.

L'exhaustivité et la complémentarité des thèmes qui vont être abordés aujourd'hui, me semblent tout-à-fait de nature à poser clairement les questions essentielles et les défis majeurs auxquels notre société va devoir répondre.

Pour le ministre de la Santé que je suis, cette prise de conscience se traduit par un essor considérable de la gérontologie.

Cela ne tient pas seulement aux nécessités d'une époque où les perspectives démographiques laissent augurer d'une proportion croissante de personnes de plus de 60 ans.

Cela relève bien d'une démarche sociale, digne d'une civilisation moderne à la recherche du bien-être de ceux qui la constituent.

Je voudrais devant vous, à l'amorce de cette journée évoquer successivement trois points :

1) le premier illustrera les progrès accomplis en matière de longévité qui s'accompagnent d'une augmentation de l'espérance de vie sans incapacité ;

2) en contre-point, le second thème de mon intervention traitera rapidement de la question de la perte d'autonomie, de la notion de dépendance des personnes âgées ;

3) ces deux réflexions m'amèneront en dernier lieu, à m'interroger sur la place des personnes âgées dans la société : cette place me paraît en effet devoir faire l'objet d'une nouvelle définition.

I. – Devenir vieux un fait désormais banal

Au début du siècle, seuls quatre français sur dix atteignaient 65 ans. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, c'était le cas de deux personnes sur trois et maintenant de quatre sur cinq.

Atteindre la vieillesse n'est donc plus un privilège et on prend là toute la mesure de ce progrès social incontestable qu'a été la lutte contre la mort, d'abord aux jeunes âges, puis, peu à peu, à des âges de plus en plus avancés.

Durant les dix dernières années, l'espérance de vie à la naissance a augmenté de 2,5 ans, passant de 70, 4 ans à 72,9 ans pour les hommes et de 78,6 ans à 81,1 ans pour les femmes. Calculée à la naissance, l'espérance de vie SANS INCAPACITÉ a gagné au cours des années 1980 : 3 ans pour les hommes (60,8 à 63,8) et 2,6 ans pour les femmes (65,9 à 68,5).

L'allongement de la durée de vie sans incapacité apporte, et je m'en réjouis, une note optimiste dans le débat actuel sur l'évolution des dépenses de santé et sur l'avenir de l'aide aux personnes dépendantes.

Toutefois, soyons clairs, dans 20 ans, la population des personnes de plus de 75 ans aura augmenté de 40 % et même si, au cours des dix dernières années, l'espérance de vie a augmenté moins vite que l'espérance de vie sans incapacité, la prise en charge de la dépendance ou plutôt la prévention de la perte d'autonomie sera une question centrale pour le système de santé dans les vingt ans qui viennent.

Aussi, prévenir et prévoir les pertes d'autonomie de la personne âgée seront le défi du prochain siècle.

II. – Prévenir le vieillissement pathologique

Le vieillissement de la population constitue, en effet, l'élément majeur des évolutions prévisibles de la morbidité. Il explique notamment le poids croissant pour les années à venir des maladies dégénératives.

Cancers et maladies vasculaires, dépendant de l'âge, sont actuellement responsables de plus de 50 % des décès annuels, des 2/3 des décès de personnes de + 65 ans et d'une hospitalisation sur 5.

Pourtant, l'OMS a constaté que la prévention des cardiopathies, des accidents cérébro-vasculaires chez les personnes âgées n'est pas considérée comme prioritaire : il nous reste en effet beaucoup de progrès à accomplir dans ce domaine.

Quant aux cancers, leur nombre est appelé à augmenter, principalement sous l'effet du vieillissement démographique pour le début du XXIe siècle, le comité d'experts européens sur le cancer estime à 15 % l'augmentation vraisemblable du nombre des cancers due au vieillissement de la population.

Les accidents domestiques et notamment les chutes dont le risque s'accroît avec l'âge tendent également à devenir une cause majeure de mortalité des personnes âgées.

De même le développement des maladies chroniques liées à l'âge telles que l'arthrose, l'incontinence, le glaucome, est de plus en plus fréquent avec l'augmentation de la durée de vie.

La prise en charge des démences enfin, comme la maladie d'Alzheimer pose un véritable problème de société. Pour la plupart de ces pathologies, l'identification des facteurs de risque, et le traitement de ces maladies posent des problèmes multiples.

Ceci montre bien, et j'y crois profondément, que le médecin doit aborder le canal de maladies gériatriques par le canal l'épidémiologie, par la recherche clinique et par la prévention.

En effet, lire la vieillesse comme la seule accumulation de pertes, c'est renvoyer chacun à ses seules ressources et c'est faire du vieillissement un chemin très aride.

À terme, les supports de toute stratégie de réforme du système de soins devront être :

– une action en profondeur sur les mentalités et les comportements des professionnels notamment à travers les formations initiales et continues,
– une meilleure intégration des différentes formes de prévention à la prise en charge normale des patients,
– une amélioration de la formation des étudiants, des praticiens hospitaliers et des généralistes. À cet égard, je souhaite qu'un enseignement de gérontologie clinique obligatoire soit introduit dans le deuxième cycle des études médicales,
– un système d'information et un mode de régulation économique qui favorisent le décloisonnement des structures et la rémunération du travail de prévention et de coordination entre les soignants.

Les expériences actuellement menées en matière de réseaux ville-hôpital et d'alternatives à l'hospitalisation doivent être soutenues et évaluées : elles constituent au même titre que la promotion de la qualité des soins le ferment d'une transformation de l'organisation du système des soins.

III. – Réfléchir à la place des personnes âgées dans la société

La question de l'effet du vieillissement de la population sur la santé ne se réduit pas à celle de son impact sur l'organisation et le coût des soins.

Par-delà les transferts de charges et de ressources financières qu'il implique, le vieillissement d'une population peut avoir, en effet, des conséquences profondes sur sa capacité d'innovation et d'adaptation, sur les relations entre les générations notamment au sein de la structure familiale, ainsi que sur les conditions d'exercice de la solidarité collective et la qualité de l'échange social qui en découle.

Contrairement à certaines idées reçues, la solidarité familiale intergénérationnelle est très forte en FRANCE.

Les travaux présentés à la conférence européenne des personnes âgées, qui s'est récemment tenue à PARIS, l'ont clairement attesté et ont permis de montrer la contribution déterminante que peuvent apporter les personnes âgées.

Outre la présentation d'une première esquisse fine d'une mesure des flux d'argent et de services entre trois générations, la conférence européenne a laissé la trace d'une vision positive des personnes âgées et de leur rôle au sein de notre société.

De multiples exemples d'aide des personnes âgées en direction des jeunes ont montré à quel point cela est vrai.

La question est donc bien celle de savoir comment encourager cette coexistence harmonieuse entre vieillesse et société.

Si de plus en plus d'individus vivent en dehors des stéréotypes (négatifs) sur la vieillesse ; s'ils vieillissent sans s'identifier à ce qu'ils perçoivent de ce que la société veut leur imposer ; s'ils refusent de s'accommoder d'images surannées d'eux-mêmes ; s'ils cherchent, au contraire, à vivre pleinement, alors les sociétés devront reconnaître à ce groupe social la place qui lui revient.

Il est temps de s'interroger sur la représentation que donne nos sociétés des retraités et des personnes âgées.

Il est temps d'instaurer une nouvelle démarche qui, comme le conclut M. Bourdelais dans son livre : « l'âge de la vieillesse » restituera à l'homme la possibilité de peser sur son histoire, faculté que la pensée mécaniste du vieillissement lui interdisait.


Conclusion

Notre civilisation fait de la vie le bien le plus précieux, le plus inaltérable qui soit.

Dès lors, il n'est pas étonnant que notre Société mette tout en œuvre pour donner consistance à cette valeur et fasse en sorte que l'allongement de la durée de vie soit un but à atteindre.

Le niveau d'un pays n'est-il pas mesuré à l'aune de la durée de vie moyenne de sa population ?

Pour ma part, l'allongement de la longévité moyenne sans incapacité est un objectif qui me paraît à la fois ambitieux et possible à atteindre.

Pour autant, tout le monde n'accédera pas au seuil de sa vie dans des conditions d'autonomie totale qui sont celles dont chacun rêve : nous devons donc prendre en compte ces données importantes sur le plan social, économique et financier.

C'est pourquoi, j'estime fondamental d'aborder la vieillesse et le vieillissement dans sa globalité, sans vision réductrice, ni schématique.

C'est-ce qu'avec vous, Monsieur le Député, beaucoup ont désormais compris, ce qui explique qu'en médecine pour ne parler que d'elle, la gérontologie est en passe d'acquérir ses lettres de noblesse.

Je vous remercie.