Texte intégral
Q. : Approuvez-vous C. PASQUA qui, aujourd'hui, mobilise sa police face aux menaces ?
R. : Je pense que quand nous sommes dans un moment crucial comme celui-ci, avec les risques que cela comporte, les hommes politiques doivent faire preuve d'un peu de réserve et d'un peu de pudeur. Je me garderais donc de commenter en quoi que ce soit l'action de C. PASQUA, ce qui pourrait gêner cette action. Trois réflexions : la première, c'est que sur un territoire comme le nôtre, la loi doit être appliquée et respectée. La sécurité des biens et des personnes fait partie de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen et est un fondement de notre République. Deuxième réflexion : nous avons à nos portes, pas loin de chez nous, au-delà de la Méditerranée, une pression qui est une pression très forte. Une pression démographique, politique, et nous devons y prendre garde. Prenons-y garde, faisons attention que les gouvernements qui ne se développent pas très loin de chez nous, soient des gouvernements qui sont conformes avec les grandes orientations générales de la France. Là encore, il faut peut-être faire preuve d'un peu de recul. Troisième réflexion, qui est plus préoccupante, plus inquiétante : c'est un problème de fond. Nous avons aujourd'hui une République qui ne remplit plus ses fonctions d'intégration et ça c'est nouveau. Depuis que la République existe, on avait toujours intégré et aujourd'hui, nous ne savons plus intégrer. L'école n'intègre plus, l'armée n'intègre plus et nous aboutissons au développement des minorités qui sont parfois des minorités fortement organisées, qui mettent en péril l'existence même de la République et c'est le cas de certains mouvements islamiques, pas de tous, car la République peut intégrer l'Islam, mais certains mouvements islamiques jouent contre la République française.
Q. : On parle de la reprise, confirmée dans certains secteurs comme l'automobile, le bâtiment, l'alimentation. Ça va durer ?
R. : Je crois que nous sommes dans la bonne voie, sur la bonne direction et on doit féliciter le gouvernement et sa majorité de ce premier résultat, sans faire "cocorico" ! C'est encore fragile, mais c'est un bon résultat et le gouvernement d'E. BALLADUR doit en être crédité. Ça nous permet d'annoncer de bonnes nouvelles aux Français qui sont en vacances et de leur dire que la rentrée ne se présentera pas trop mal. Ça ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, car il y a des problèmes de fond. La situation va mieux, la conjoncture se porte mieux, mais on constate une chose : la reprise ne va pas suffire à résoudre le problème de l'emploi, nous le savons. Ce n'est pas parce qu'il y aura une reprise, qui est nécessaire certes, mais elle n'est pas suffisante pour lutter contre le chômage, premier élément. Deuxième élément : nous avons là encore des difficultés qui sont structurelles, tenant au fait que la croissance et nous l'avons constaté au cours des dernières années, la croissance est génératrice d'inégalités de plus en plus importantes. On ne pourra pas éviter un tel problème, faire en sorte de fermer les yeux éternellement. Nous avons devant nous de très graves difficultés qui s'annoncent : le problème du système de santé, les retraites, nous ne savons pas comment nous allons les financer dans 10 ans. Donc, ce n'est pas parce que nous avons une embellie de conjoncture que nous ne devons pas poser les problèmes de structure. Il y a des réformes qui s'imposent dans ce pays et ce n'est pas une amélioration des indices qui doit nous en dispenser.
Q. : C'est étonnant, d'un côté on parle de reprise économique et de l'autre, on peut craindre une explosion sociale ?
R. : Mais c'est vrai qu'il y a une évolution à plusieurs vitesses en fonction des catégories sociales. Vous avez eu de la croissance au cours des dernières années, sauf en 1993 et vous avez une explosion du nombre de gens qui touchent le RMI. Je ne dis pas que l'explosion sociale est pour la rentrée, je ne le crois pas. Je crois que les Français prennent conscience de l'action du gouvernement. Mais à terme, dans les années qui viennent, nous avons tous les germes d'une société en voie de désintégration. Et nous risquons d'avoir, quel que soit le futur président de la République, un homme de droite ou de gauche, devant nous, un vaste chantier. Il est temps que les hommes politiques fassent preuve de lucidité et de courage, disent la vérité et que les Français sachent qu'il y a des choix qu'ils ne pourront pas éviter. On ne peut pas à la fois avoir le beurre et l'argent du beurre, on ne pourra plus vivre à la fin des années 90 comme on a vécu pendant les 30 glorieuses.
Q. : On peut se demander à qui va profiter cette reprise économique, aux entreprises ou aux salariés ?
R. : C'est la véritable question qui doit se poser. Savoir aujourd'hui comment on répartit la croissance. Nous avons un gâteau qui va augmenter un peu de volume, comment allons-nous le répartir ? Je le dis tout de suite, et c'est un homme dit de droite qui vous parle, que l'un des problèmes cruciaux qui se pose à la société française, c'est dangereux, il faut tirer le signal d'alarme, c'est l'accroissement des inégalités. Il faut faire en sorte que nous revenions aujourd'hui à une meilleure redistribution de la richesse.
Q. : Vous ne croyez pas que ce débat de société sur les risques d'explosion sociale soit relayé au deuxième plan dans la campagne présidentielle face au problème J. CHIRAC – E. BALLADUR par exemple ?
R. : Il faut qu'on arrête de nous ennuyer et j'ai envie d'employer un autre terme. À chaque fois aujourd'hui que l'on dit quelque chose, que l'on aborde un problème de fond, on essaye de savoir si vous parlez pour V. GISCARD D'ESTAING, pour J. CHIRAC ou pour E. BALLADUR. Je n'en ai rien à faire. Ce n'est pas mon problème pour le moment, on verra plus tard. Que l'on cesse aujourd'hui de poser tous les problèmes en termes d'hommes. La vie politique est en train de se débiliser, de se ringardiser à cause de ça. On verra si c'est J. CHIRAC, E. BALLADUR ou un autre qui est le mieux placé pour gérer les affaires du pays demain, mais que l'on pose d'abord les problèmes de fond. Je revendique pour les hommes politiques, pour les élus que nous sommes, le droit de poser les problèmes de fond et qu'on cesse de nous embêter avec les écuries partisanes, les écuries présidentielles.
(Invité de D. Guigou, France 2 – 7 h 45)
Mardi 30 août 1994
RMC
Q. : Le Premier ministre recueille 63 % d'opinions favorables, c'est le meilleur score depuis 24 ans. Avez-vous une explication de cette extraordinaire recette et pensez-vous que cela va durer ?
R. : Le gouvernement actuel et le Premier ministre ont pris une situation qui n'était pas brillante, mais les résultats de son action se font aujourd'hui sentir. On a de bons indices. Je prédis que nous allons avoir encore, cette semaine, de bons indices. Je ne serais pas surpris que nous ayons, pour le deuxième mois consécutif, une baisse du chômage. Par conséquent, les Français voient que, au moins, le navire est tenu. Il faut féliciter le gouvernement de son action, et je pense que l'ensemble des parlementaires de la majorité doivent soutenir très fermement le gouvernement.
Q. : Pensez-vous que nous allons dans la bonne direction et à la bonne vitesse ?
R. : Je pense que ce gouvernement va dans la bonne direction, raison de plus pour lui permettre de bien gouverner. Raison de plus, par conséquent, pour ne pas se tromper dans le calendrier, et vouloir ouvrir prématurément ce qui compliquerait la tâche du gouvernement, si vous voyez ce que je veux dire. Je trouve que quand on se précipite un peu trop pour engager dès maintenant un débat sur l'élection présidentielle, on ne rend pas service au gouvernement. On doit laisser le gouvernement accomplir ce qu'il a encore à faire, et notamment dans les quatre prochains mois avec le vote du budget, la prise de mesures qui sont importantes dans le domaine économique et social, plutôt que de polluer le paysage politique, économique et social avec cette espèce de pré-campagne qui est en train de s'ouvrir et qui me terrorise.
Q. : Partagez-vous avec E. ALPHANDERY l'opinion selon laquelle la reprise est saine et robuste ?
R. : Si on se fonde sur ce qu'on appelle la conjoncture, c'est à dire les tendances, l'évolution, la reprise de la croissance, la reprise est saine et robuste. Si on essaie de se projeter à un peu plus long terme, c'est à dire à 10 ou 15 ans, il faut reconnaître qu'il y a des décisions à prendre dans les 4 ou 5 années qui viennent. Et ce n'est pas critiquer le gouvernement que de le dire. J'entendais FH. DE VIRIEU qui disait, "ce qu'on attend des hommes politiques, aujourd'hui, dans une période comme la nôtre, c'est qu'ils nous disent ce qui nous attend dans les dix années qui viennent et comment ils comptent nous mener à une situation fondamentalement meilleure". Je pense qu'on peut dire que la conjoncture s'améliore, et que la reprise est saine sur ce plan-là, mais que, pour autant, nous avons à ouvrir des chantiers qui n'ont rien à voir avec la situation du pays. On ne peut pas évidemment le faire si nous n'avons pas une situation économique saine, mais on ne peut pas non plus se contenter d'une situation économique saine."
Q. : C'est le cas, à votre avis ?
R. : Non, mais on a tendance à vouloir réduire tout le débat politique à simplement des indices qui sont instantanés. C'est une condition nécessaire, ce n'est pas une condition suffisante.
Q. : Avec les bénéfices de la reprise, faut-il augmenter les salaires de ceux qui travaillent, ou vaut-il mieux aider ceux qui n'ont pas de travail ?
R. : Je pense que c'est la deuxième solution qui est importante. Dans les vingt années qui viennent de s'écouler, pratiquement depuis le premier choc pétrolier de 73-74, on a toujours arbitré au détriment de l'emploi. Quand il y a eu des marges de manœuvre, on a arbitré au détriment de l'emploi, c'est à dire qu'on a plutôt servi ceux qui étaient au travail que ceux qui n'en avaient pas. La priorité absolue doit être mise aujourd'hui au service de ceux qui sont exclus de la société. Ça veut dire que, pour d'autres, il y aura nécessairement, pas de sacrifice, mais un peu d'effort à faire. On ne peut pas vouloir tout promettre à tout le monde, en même temps. Il faut savoir choisir ses priorités. La priorité, c'est l'emploi et la lutte contre l'exclusion.
Q. : Faut-il privilégier la baisse des charges des entreprises ou bien, comme la majorité l'avait promis, diminuer les impôts pour l'an qui vient ?
R. : Là encore, quand on a la possibilité d'alléger quelque chose, et même si jamais on ne peut pas alléger, il y a peut-être des transferts à faire. Nous avons aujourd'hui un système fiscal et un système de charges sociales qui favorisent plutôt la machine, plutôt la productivité que l'emploi humain. Donc, nous devons – c'est encore une réforme de fond mais elle se traduira, sur un plan conjoncturel, par l'engagement budgétaire – nous devons privilégier les allégements sur le travail humain. On appelle ça l'allégement sur les charges des entreprises, l'allégement sur le travail humain.
Q. : Même s'il n'y a pas d'embauches ?
R. : Il faut qu'il y ait de l'emploi au bout. Nous n'avons peut-être pas pris les mesures nécessaires. Vous avez un système, aujourd'hui, où vous avez tout à fait intérêt à ne pas employer et à investir dans des systèmes de production dégageant de l'emploi. Je serais tout à fait d'accord – je vais dire quelque chose d'iconoclaste – pour qu'on revoie le système d'imposition sur les bénéfices des sociétés de manière à permettre l'allégement des charges sur le travail. Il n'est pas normal, aujourd'hui, que l'on favorise, sur un plan financier, ceux qui emploient le moins. On doit financer les entreprises qui emploient le plus et revoir tout notre système de charges fiscales et sociales en la matière. Ça, c'est un vaste chantier. Ça, c'est vraiment un grand défi pour le futur président de la République.
Q. : Que pensez-vous de ce jeu d'ombres où tous les candidats à la présidence de la République sont connus et où chacun s'accorde à dire qu'il n'est pas candidat ?
R. : Tous les candidats sont connus, c'est vous qui le dites. On en trouvera toujours, au dernier moment, pour se déclarer, croyez-moi ! Je pense qu'il est bon que les candidats potentiels, ceux qui le seront et ceux qui pensent l'être, ne cherchent pas à brusquer les choses. Nous sommes maintenant à huit mois de l'élection présidentielle. C'est pas beaucoup mais j'appelle ça une course de demi-fond. Ceux qui font de la course à pied, et c'est mon cas, savent très bien que quand on veut courir un 5.000 mètres ou un 10.000 mètres, on ne prend pas le départ comme si on courait un 400 mètres ou un 200 mètres. J'ai un peu l'impression aujourd'hui qu'il y a un certain nombre de gens qui se trompent de compétition et qui risquent de s'essouffler très vite. Je leur conseille, comme le font E. BALLADUR, J. DELORS, de savoir prendre leur temps. Le moment sera venu, au mois de janvier, de se préoccuper des candidatures. Mais dans les quatre mois qui viennent, de grâce, on ne va pas s'obnubiler là-dessus. Vous savez, je vais vous le dire, nous, hommes politiques, comme vous, journalistes, on va se retrouver un peu court quand, pendant quatre mois, on aura tourné en rond autour de la potentialité d'un certain nombre de candidats. On a peut-être à parler d'autre chose avant cela.
Q. : Comment comptez-vous départager entre les candidats concurrents de la majorité ?
R. : Il faut faire appel à leur raison.
Q. : C'est un combat parfois perdu.
R. : Il ne faut jamais désespérer de l'intelligence des hommes politiques. Je fais confiance à l'intelligence des hommes politiques pour éviter la répétition des affrontements suicidaires que nous avons vécus dans des échéances passées. Si jamais nous étions à nouveau amenés à nous entre-déchirer, et si, à cause de ces rivalités, nous avions un président de la République à nouveau issu des rangs du PS, je crois que nous serions vraiment la droite la plus bête de l'univers.