Texte intégral
Europe 1 - lundi 24 août 1998
Europe 1
Vous êtes dans le Jura où commence aujourd’hui l’université d’été des Verts ? C’est ça ?
Yves Cochet
- « Eh oui, exactement. Nous sommes à Lamoura, au village de vacances. »
Europe 1
Mais les vacances sont terminées. Est-ce que cette rentrée, qui se fait - on le voit depuis hier avec l’université d’été du Parti communiste - sur une question de rythme, va vous amener, vous aussi les Verts, à être critiques sur le rythme d’action du Gouvernement ?
Yves Cochet
- « C'est moins sur le rythme que sur les orientations elles-mêmes. Parce qu'on a déjà beaucoup travaillé depuis un an. J'en sais quelque chose, puisque je suis député du Val-d'Oise. Donc on a vu qu'à l'Assemblée, on avait pas mal de travail, imposé d'une certaine manière par le Gouvernement, mais c'est la nature même des propositions de réforme qui nous sont proposées dont nous pouvons espérer - en tout cas pour nous les Verts - qu'il y ait des inflexions. »
Europe 1
Ce n'est pas une question, comme le disait R. Hue, de vitesse ? Il disait qu'il fallait aller plus vite. Il donnait même des exemples en matière de droits sociaux. Le programme vous paraît toujours satisfaisant ?
Yves Cochet
- « Oui. Nous, on a signé un texte commun avec le PS voilà un an et demi. On essaye de le mettre en œuvre. Simplement, prenons un exemple social en effet : nous pensons qu'il y a à la fois les moyens financiers, mais il y a un manque de volonté politique de relever les minima sociaux. Nous pensons que personne ne doit vivre en France, aujourd'hui, avec moins de 3 000 francs par mois. Ce n'est pas, pour l'instant, l'arbitrage de L. Jospin, ce que nous contestons et que nous essayerons de dire au moment du débat budgétaire. »
Europe 1
F. Hollande dit : « N'oublions pas qu'on est là encore pour quatre ans » ?
Yves Cochet
- « Ah ben, certainement, et je pense qu'on a encore beaucoup de travail, même au-delà de quatre ans. Ceci étant dit, c'est moins une question de rythme qu'une question de nature des propositions qu'on met en œuvre. »
Europe 1
Donc, si je comprends bien, vous aussi vous pensez qu'il y a un certain immobilisme en matière sociale de ce Gouvernement ?
Yves Cochet
- « Je crois qu’il y a une timidité, sous prétexte en effet de maintenir des équilibres entre les patrons et les salariés. Moi je crois qu'il y a des gens surtout qui doivent eux, rentrer dans le monde du travail. Certes il y a les emplois-jeunes et les 35 heures. Mais on le voit, sur les 35 heures, la loi est plus incitative, si vous voulez, que légiférante, et je crois qu'il faudrait que le Gouvernement de nouveau relance ce processus de 35 heures avec peut-être plus de fermeté politique. »
Europe 1
La popularité de L. Jospin ne semble connaître aucune limite, on l'a vu encore avec le dernier sondage. Ça ne vous incite pas à un peu de retenue ou de réflexion par rapport à ce qui s'est fait pendant cette première année ?
Yves Cochet
- « Je crois que L. Jospin est un homme habile, intelligent et qui mérite, si vous voulez, cette reconnaissance de la part de la population. Le fait qu’il ait - j'ai vu en effet hier - 63 % d'opinions favorables, je ne puis que m'en féliciter. Je pense que c'est bon à la fois pour la France, pour son Gouvernement, et pour les réformes que nous mettons en œuvre, y compris du côté écolo. Donc, je ne vois là aucune crainte, au contraire. C'est plus la possibilité d'aller plus loin et, d'une nouvelle manière, de relancer l'action gouvernementale. »
Europe 1
On connaît, depuis la semaine dernière - puisque le Gouvernement a déjà fait sa rentrée un certain nombre de dossiers qui seront l'ordre du jour. Il y en a pas mal. Est-ce que pour vous, il y en a certains qui vont servir de test pour le jugement que vous porterez sur la deuxième année de l'action gouvernementale ?
Yves Cochet
- « Oui, il y en a deux essentiellement : il y a le premier projet de loi qui sera présenté par D. Voynet, qui est la loi sur l'orientation sur l'aménagement durable du territoire, et donc ça sera quelque chose qui, pour nous, évidemment, sera une inauguration un peu d'une responsabilité de Mme Voynet en face de l'Assemblée nationale ; et donc avec un bon débat, et Dieu sait si l'aménagement du territoire, qui semble abstrait à nos concitoyens, est quelque chose de très important ! Et puis il y a la loi d'orientation agricole qui va se profiler dès la rentrée parlementaire, en octobre et qui, là aussi, j'espère, essayera de contredire le productivisme chimique actuel pour une agriculture plus durable, c'est-à-dire en fait plus biologique. »
Europe 1
Ce sont en plus des dossiers vraiment environnementaux, et justement est-ce que vous trouvez que, dans cette première année, D. Voynet, qui est votre unique représentante au Gouvernement, a pu - a eu le loisir de - suffisamment faire entendre sa petite musique ?
Yves Cochet
- « Pour faire entendre, oui, parce qu'on lui connaît, disons, sa liberté de parole. »
Europe 1
Faire admettre ses points de vue, disons ?
Yves Cochet
- « Alors, maintenant, c'est ça ! D'un côté, elle a une grande liberté de parole, on l'entend. Est-ce que son ministère a les moyens de sa politique ? Je ne crois pas, même s'il faut saluer l'effort, cette fois, d'arbitrage budgétaire. Le budget uniquement de l'environnement va augmenter de 16 %, ce qui est bon. Ceci étant dit, on part de très bas, et donc il faudrait une augmentation beaucoup plus forte. Donc, elle n'a pas encore les moyens de sa politique. J’espère qu'en effet sur la législature, c'est-à-dire dans quatre ans, on aura un ministère beaucoup plus fort. »
Europe 1
Il y a un autre sujet, qui, on l'a vu d’ailleurs au Parti communiste, pourrait être l'objet de tensions cette année, avec les élections européennes, la ratification du traité d'Amsterdam, c'est l'Europe. Est-ce que ce sujet-là, aussi, peut faire naître chez vous, chez les Verts, un peu d'incompréhension, et surtout, d'ailleurs, si, comme on commence à le dire, votre chef de file aux européennes serait D. Cohn-Bendit ?
Yves Cochet
- « Alors, aussi bien D. Cohn-Bendit que tous les Verts, nous sommes des europhiles. On peut dire qu'on aime l'Europe, on est européen, on est pour l'Europe. Mais, en effet, si elle se profile sous la forme du traité d'Amsterdam, que nous récusons, et dont nous pensons qu'actuellement... »
Europe 1
Mais que D. Cohn-Bendit ne récuse pas !
Yves Cochet
- « … ne récuse pas. Mais dans la mesure où, effectivement, il y a ce qu'on peut appeler une dimension plus européenne qu'internationale dans le traité d'Amsterdam, cela peut être quelque chose qui est intéressant. Même, par exemple dans le traité de Maastricht, il y avait cette dimension, disons supranationale, qui nous intéresse. Ceci étant dit, il manque quand même beaucoup du volet, disons social, et écologique, et démocratique. Donc, il y a des réformes qui doivent être faites et qu'aussi bien D. Cohn-Bendit que nous-mêmes, nous essaierons de mener ensemble, à l'occasion de la campagne des élections européennes. »
Europe 1
Pourquoi avoir fait ce choix de D. Cohn-Bendit ?
Yves Cochet
- « Le choix n’est pas encore tout à fait, fait. Il le sera officiellement, si vous voulez, au moment du débat sur ces élections, en novembre, à notre congrès. C'est là qu'on constituera notre liste. Ceci étant dit, on sait que D. Cohn-Bendit est un vrai européen, un pro-européen, et puis c'est un vrai Vert, aussi, puisqu'il a beaucoup travaillé avec les Verts allemands. Bon, c'est quelque chose en plus qui montre la dimension européenne, en effet, de cette liste, dans la mesure où Dany n’est pas français, au sens nationaliste du terme, puisqu'il n'a pas la carte d'identité, mais les occasions ne manquent pas de montrer notre caractère, disons transnational. En plus, c'est quelqu'un qui défend évidemment nos idées, donc, je pense qu'il n'y aura pas de problème avec lui. Mais je vous dis formellement, ce choix sera fait en novembre. »
Europe 1
Il y a un autre sujet dont on n'a pas encore parlé, mais qui alors, pour le coup, donne lieu à un affrontement au sein de la gauche plurielle, même du Gouvernement, entre la tendance que vous représentez et puis J.-P. Chevènement sur les sans-papiers...
Yves Cochet
- « Oui »
Europe 1
Et on l'a même entendu, quasiment, vous accuser de faire la courte échelle au Front national sur ce sujet. Est-ce que vous avez envie de lui répondre ?
Yves Cochet
- « Ah oui, nous récusons totalement, évidemment, cette opinion de J.-P. Chevènement. Nous croyons qu'au contraire, il aurait fallu - et il est toujours temps - régulariser tous les sans-papiers qui en ont fait la demande, et qui ont fait confiance à la République française, et non pas, comme il le fait, avoir des critères qui sont extrêmement discriminants entre les familles, entre les gens d'une même famille, et qui font que de nouveau, on aura entre 50 et 60 000 sans-papiers, qui essaieront de devenir régularisables, parce qu'ils sont depuis sept, dix ou quinze ans en France, et ils continueront à faire des manifestations comme celle d'hier, que nous soutiendrons. »
Europe 1
Mais, pour vous, ce n'est pas l'ouverture des frontières, comme semble redouter J.-P. Chevènement !
Yves Cochet
- « Mais non, mais non... Les frontières sont fermées en France depuis 1974, il y a moins d'immigration en France qu'avant 1974. Il y a également, en proportion, moins d'immigrés. Je crois que ce n'est pas cela le problème. Le problème, c'est que des gens ne soient pas rejetés dans la clandestinité, pour fournir des filières plus ou moins mafieuses de travail au noir. Et que pour cela, il vaut mieux, évidemment, régulariser les gens qui en font la demande, de telle manière que, justement, leur situation en regard, notamment du droit du travail, soit plus claire. »
Europe 1
Cela fait quand même beaucoup de sujets de discorde, tout cela ?
Yves Cochet
- « Il y a, évidemment, le fait que cette majorité - au Gouvernement, à l'Assemblée - soit plurielle. Elle porte bien son nom. Nous avons un souci, évidemment, de ne pas faire chuter le Gouvernement. Nous sommes solidaires du Gouvernement, nous le soutenons, et il n'est pas question de voter quelque motion de censure, ou de ne pas voter le budget de la France. Mais nous avons à faire entendre nos orientations, celles des Verts, et je crois que, notamment sur le problème des sans-papiers, mais dans les autres domaines qu'on a évoqués ce matin avec vous sur votre antenne, eh bien, nous continuerons... Nous allons, pendant cette université des Verts, continuer à essayer, non pas d'affirmer notre différence pour jouer les originaux... »
Europe 1
C'est le ministère de la parole, en quelque sorte !
Yves Cochet
- « Non, non, pas du tout. Parce que quand même, nous sommes solidaires du Gouvernement, et puis nous avons Mme Voynet qui y est, et donc, globalement, nous pensons que la manière dont L. Jospin mène sa politique est la bonne manière. »
France 2 - vendredi 28 août 1998
France 2
Vous êtes en direct de Lamoura, dans le Haut-Jura. Rassurez-nous tout de suite, les Verts sont-ils devenus daltoniens, pour envisager de mettre « Dany, le rouge » à leur tête de liste ?
Yves Cochet
- « Cela fait déjà plus d’une dizaine d'années que Dany n'est plus rouge, comme il le fut en 1968. Il est maintenant chez les Verts allemands ; il est d'ailleurs déjà député Verts au Parlement européen, issu des Verts allemands et maintenant, parce qu'il est profondément européen, il souhaite se présenter en tête de liste des Verts français. Je pense qu'en novembre, lors de notre congrès, nous ratifierons sa candidature. »
France 2
Vous, vous pensez que c'est une bonne idée de le mettre en tête de liste ?
Yves Cochet
- « Je crois parce que l'on connaît évidemment sa grande expérience politique et d'autre part, pour des élections européennes, il n'y a pas meilleur symbole que quelqu'un ayant vécu des expériences très différentes, par exemple, comme adjoint au maire à Francfort en Allemagne, et également comme militant politique en France. Donc, Dany est tout à fait bien placé pour pouvoir représenter l'Europe nouvelle que nous souhaitons. »
France 2
C'est une position qui n'est pas partagée par l'ensemble de vos amis des Verts. Comment allez-vous concilier tous ces courants ?
Yves Cochet
- « Il est possible qu'une petite minorité, qui s'exprimera dans la démocratie interne des Verts au congrès, ne vote pas pour Dany. Mais moi, je pense que l'immense majorité, D. Voynet en premier, soutient cette candidature de D. Cohn-Bendit et je crois que l'on fera tous campagne ensemble. On demandera une campagne très dynamique pour une Europe sociale, une Europe écologique, une Europe démocratique, qu’il représente tout à fait bien. »
France 2
Et vous ne pensez pas que D. Voynet, justement, aurait fait une bonne tête de liste ?
Yves Cochet
- « Elle l'aurait faite aussi, elle est excellente au Gouvernement ! Justement, elle est déjà au Gouvernement, elle a donc un emploi plein temps au moins et même plus que cela, par conséquent, je crois qu'il faut pouvoir changer évidemment de leader pour telle et telle élection. Pour l'Europe, Dany est tout à fait bien placé pour le faire. Il est vraisemblable que D. Voynet soit la dernière de la liste pour pousser cette liste, tandis que Dany la tire. »
France 2
En fin de liste, elle sera donc inéligible ?
Yves Cochet
- « Oui, si elle est 87e, évidemment ! C'est juste un acte symbolique pour montrer que tous les Verts seront unis pour faire campagne ensemble, pour gagner les élections européennes, pour une Europe qui soit plus juste, plus sociale, parce que nous pensons qu'actuellement, la dimension trop économique, trop monétariste fait qu'il y a un déficit citoyen dans cette construction européenne. Nous sommes des Européens, nous sommes pro-européens, mais la manière dont elle est construite nous inquiète. Par conséquent, aussi bien D. Voynet que D. Cohn-Bendit seront capables de montrer quelles orientations nous souhaitons pour l'Europe, une Europe plus citoyenne, plus démocratique, plus écologique aussi et certainement plus sociale. »
France 2
Et vous-même, est-ce que vous serez sur une position éligible dans cette liste ?
Yves Cochet
- « Je suis déjà députe du Val-d'Oise. C'est pareil, je serai en fin de liste, un peu avant D. Voynet, pour montrer que tous les députés Verts, qui sont actuellement à l'Assemblée nationale, soutiennent également la candidature de Dany et l'ensemble de la liste des Verts aux européennes. »
France 2
La décision de la tête de liste sera annoncée définitivement quand ?
Yves Cochet
- « Justement, on est dans l’université d’été, par conséquent, il n'y a pas de décision formelle qui puisse se prendre. Ce sont des journées d'étude, on travaille beaucoup. La décision formelle se prendra lors de notre congrès, qui aura lieu quelque part en Île-de-France, le 14 et le 15 novembre prochain. Donc, dans quelques mois. »
France 2
L'objectif affiché, c'est 7 %. C'est beaucoup, c'est quasiment le double de ce que vous avez fait en 1994.
Yves Cochet
- « 7 % au moins. On n'a pas évidemment à s'autocensurer quant au score que nous souhaitons réaliser. Vous savez qu'à 7 ou 8 %, on aura à peu près sept ou huit députés, mais pourquoi pas atteindre 9 ou 10 ? Notre objectif n'est pas limité par le haut. »
France 2
On a évoqué beaucoup, en début de semaine, le financement des partis, avec la mise en examen Juppé. Que pensez-vous de la proposition de P. Séguin de procéder à un nouveau toilettage de la loi ?
Yves Cochet
- « Nous avons, nous, été tout à fait rigoureux quant à la gestion de notre argent depuis le début de la création des Verts. Mais je crois qu'en effet, depuis le début des années 90, il y a quelques lois anticorruption pour séparer franchement le monde politique, qui doit avoir un financement public, du monde de l'économie et des financements privés. On voit que toutes les affaires ont touché pratiquement tous les partis, sauf le nôtre. En effet, il faudrait peut-être retoiletter, et j'allais dire sévériser encore plus, la loi afin que le monde politique puisse être tout à fait correct vis-à-vis de cette histoire de financement et que les Français sachent exactement comment se fait leur politique, comment elle est menée du point de vue financier. »
France 2
Ce n'est pas l'avis de vos amis du Parti socialiste, qui ont dit non à P. Séguin pour ce retoilettage ?
Yves Cochet
- « C'est sans doute parce qu'évidemment, nous avons déjà plus de 60 projets de loi que nous devons examiner à partir de la rentrée. Donc, le travail est considérable. Il est vrai que ce retoilettage n'est pas une urgence absolue. Mais sur le principe, nous sommes tout à fait d'accord. »
France 2
Vous faites partie de la majorité plurielle, est-ce que vous pensez, vous aussi, comme certains, notamment le Parti communiste, que cela ne va pas tout à fait assez vite dans les réformes ?
Yves Cochet
- « C'est moins sur le rythme des réformes - parce comme je vous le dis, on a énormément de travail - que sur leur qualité, que sur la nature, le contenu des réformes. Je crois que, par exemple, nous allons évidemment regarder dès le début, dès la rentrée, le projet de loi de finances. On va examiner le budget. Que je sache, afin d'après ce que D. Strauss-Kahn a dit en juillet, il n'y aurait pas de relèvement significatif des minima sociaux. Nous pensons qu'en France, nul ne peut et ne doit vivre avec moins de 3 000 francs par mois. Par conséquent, c'est sur la nature même des réformes que nous insistons, plus que sur le rythme, qui est déjà soutenu. »
France 2
Il faut relever les minima sociaux ? Au moins cela ?
Yves Cochet
- « C'est une des réformes que nous préconisons. Dans d'autres domaines, comme en ce qui concerne la fiscalité environnementale, j'ai vu que D. Voynet allait insister, proposer qu'on baisse la TVA sur les possibilités de faire ce qu'on peut appeler une collecte sélective des déchets, pour qu'il y ait moins de mise en décharge et même moins d'incinération. À taxation égale, il ne s'agit pas d'augmenter la fiscalité, il s'agit d'inciter de manière citoyenne, de manière civique, les Français à mieux recycler, à mieux revaloriser les déchets. Voilà encore une réforme que nous allons proposer. »