Déclaration à la presse et interviews de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, à la presse française et à RTL le 30 juillet 1994, sur les décisions du groupe de contact pour le renforcement des sanctions contre les Serbes, le respect des zones de sécurité et la possibilité de la levée de l'embargo sur les armes.

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Circonstance : Réunion du groupe de contact sur la Bosnie à Genève le 30 juillet 1994

Média : RTL - Presse française

Texte intégral

Déclarations du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à la presse française (Genève, 30 juillet 1994) 

Q. : Monsieur le ministre, quelles ont été les mesures décidées ce matin par le groupe de contact après le refus des Serbes de Bosnie de se rallier au plan de paix ? 

R. : Je voudrais d'abord souligner que le groupe de contact a su garder aujourd'hui sa cohésion, contrairement à certaines inquiétudes qui s'étaient manifestées ici ou là, et en soi c'est déjà un résultat très positif. 

Ensuite, nous avons pris une attitude de grande fermeté qui consiste à mettre en œuvre les différentes mesures envisagées le 5 juillet. 

Première série de mesures, le renforcement des sanctions à l'encontre des Serbes de Bosnie et des Serbes de Belgrade. Un projet de résolution sera déposé dès la semaine prochaine au Conseil de sécurité pour prendre des dispositions nouvelles concernant en particulier les avoirs financiers.

Deuxième série de mesures, le strict respect des zones de sécurité et des zones d'exclusion. Ce qui s'est passé à Sarajevo au cours des derniers jours, de ce point de vue-là est inacceptable. Il faut donc que la FORPRONU, en liaison avec l'OTAN fasse respecter les dispositions qui ont déjà été prises et utilise, le cas échéant, les moyens militaires pour que les bombardements de la population ou les tirs de snipers ne reprennent pas. 

Enfin, nous avons évoqué, si tout cela reste inefficace, la possibilité de la levée de l'embargo sur la fourniture des armes. J'ai rappelé combien une telle mesure comporterait de conséquences difficiles à gérer. 

Je voudrais enfin souligner que tout ceci est bien, et je me réjouis que les Etats-Unis, les Russes, les Européens aient pu garder leur unité, mais ce qui compte c'est la façon dont cela va être appliqué. Les résolutions en soi, ce n'est qu'une première étape, il faut véritablement que ce soit mis en œuvre sur le terrain. De ce point de vue, je voudrais souligner quelque chose qui nous tient beaucoup à cœur, à nous Français, c'est le respect des sanctions à l'encontre de la Serbie. On sait très bien que les frontières aujourd'hui sont poreuses. Des centaines de camions et de wagons franchissent certaines de ces frontières, en contravention avec les sanctions. Nous avons donc demandé au groupe de contact de réunir très rapidement les pays concernés pour étudier avec eux la façon de faire respecter les dispositions prises. 

Q. : Avez-vous de ce point de vue là un engagement de vos partenaires au sein du groupe de contact pour rendre les frontières plus étanches ? 

R. : Au sein du groupe de contact, oui, puisque, je le répète, nous avons mandaté les experts du groupe de contact, les ambassadeurs, pour prendre les initiatives nécessaires. Mais ce n'est pas au sein du groupe de contact que le problème se pose, c'est avec la Macédoine, c'est avec la Bulgarie, c'est avec la Hongrie, c'est avec la Roumanie. Nous sommes conscients des problèmes que pose l'application de l'embargo à ces pays. Cela a désorganisé, cela désorganise encore leur économie. Il faut discuter, je pense que c'est un élément nouveau qui a été évoqué aujourd'hui autour de la table, des éventuelles compensations que nous pouvons offrir à ces pays s'ils s'engagent à faire respecter réellement les dispositions qui ont été prises. 

Q. :  La Russie a donné quelques signaux divergents depuis le début de la semaine. Qu'en est-il ce matin ? M. Kozyrev, le ministre russe des Affaires étrangères s'est-il rallié aux décisions des occidentaux, de la France, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de l'Allemagne ?

R. : Je ne sais pas si on peut dire qu'il s'est rallié. Ce que je sais c'est qu'il a approuvé le communiqué final et donc les mesures que nous avons prises; la discussion d'ailleurs s'est passée, vous l'avez vu, relativement rapidement en trois heures pour l'ensemble des décisions qui sont quand même lourdes de conséquences. Donc, j'ai été pour ma part très satisfait de la manière dont la cohésion du groupe de contact s'est à nouveau manifestée aujourd'hui. 

Q. : L'objectif aujourd'hui est de faire que les Serbes de Bosnie se rallient au plan de paix ?

R. : L'attitude des Serbes de Bosnie est inacceptable et incompréhensible. Nous avons fait tous les efforts possibles pour leur expliquer ce dont il s'agissait, pour leur montrer que leur intérêt était d'accepter la carte. Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés par la carte : il y a la constitution dont il faudra discuter, il y a le statut de Sarajevo à terme, il est même prévu que les deux parties, c'est à dire la Fédération croato-musulmane et les Bosno-Serbes puissent décider d'un commun accord certaines modifications territoriales. Donc, vous voyez que l'acceptation de la carte proposée le 5 juillet ne clôt pas le débat. Mais il faut d'abord commencer par l'accepter et j'espère que la raison se fera enfin entendre. 

Q. : Quelle peut être la prochaine étape maintenant ? 

R. : La prochaine étape, c'est la résolution du Conseil de sécurité renforçant les sanctions, c'est la stricte application des zones d'exclusion et des zones de sécurité. Je voudrais enfin dire que la prochaine étape peut être le redémarrage de la discussion. Si les Serbes réagissent et s'ils nous disent demain, "d'accord nous acceptons la carte", alors la porte reste ouverte à la discussion. Nous avons prévu dans le communiqué final que dans le même temps où nous préparons un projet de résolution durcissant les sanctions, nous préparons aussi un projet de résolution suspendant les sanctions, pour le cas, évidemment, où les Serbes accepteraient. Donc, vous voyez que notre position est équilibrée. Nous ne fermons pas, je le répète, la porte à toute négociation, nous lançons encore un appel à la reprise de la discussion sur les bases qui ont été proposées le 5 juillet. 

Q. : Pour l'instant, on ne parle pas encore de transformer les zones de sécurité en zones d'exclusion ? 

R. : Il y en a deux qui existent : il y a Sarajevo et il y a Gorazde. Donc, ce que nous disons c'est, « faisons respecter les zones d'exclusion » : nous n'excluons pas la transformation des quatre autres zones de sécurité, Zepa, Tuzla, d'autres encore, en zones d'exclusion. 

Q. : La levée de l'embargo est toujours vue comme l'ultime recours, mais la France est prête éventuellement à lever cet embargo à terme si les Serbes conservent cette position ? 

R. : Oui, la France ne s'y opposera pas, nous l'avons déjà accepté dans son principe. Mais je voudrais souligner que ce n'est pas une bonne solution. D'abord ce n'est pas une bonne solution pour les populations, parce que ce sera la reprise des combats. Je ne suis pas sûr que ce soit véritablement dissuasif vis-à-vis des Serbes qui sont pour certains d'entre eux en tout cas, dans une logique de guerre dont ils ne veulent pas sortir. Enfin, cela implique des mesures très difficiles à planifier et à mettre en œuvre pour sauvegarder la FORPRONU et la sécurité de nos soldats qui est évidemment pour nous prioritaire. 


Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à « RTL » (Genève, 30 juillet 1994) 

Q. : Maintenir la cohésion, c'était un des buts de cette réunion. Est-ce que le groupe des cinq est arrivé à maintenir cette cohésion ? 

R. : Ce but est atteint puisque nous avons mis au point après trois heures de discussions des un communiqué commun qui a recueilli l'accord aussi bien des Américains, des Russes que des Européens. Ce n'était pas le seul objectif car maintenir la cohésion, oui, à condition que ce soit dans la fermeté. Quelle est la situation en effet ?

Les Croato-Musulmans ont accepté sans condition nos propositions. En revanche, les Serbes ont refusé, ils se livrent même depuis plusieurs jours à de véritables provocations sur le terrain, je pense en particulier à ce qui s'est passé à Sarajevo. Il était donc très important que le groupe de contact fasse preuve de détermination. C'est ce que nous avons fait, je pense, en décidant de mettre en œuvre les différentes mesures que nous avions évoquées le 5 juillet.

De quoi s'agit-il ? Dans un premier temps, renforcer les sanctions pour isoler les Serbes de Bosnie et pour également faire pression sur Belgrade. Un projet de résolution va être déposé, dès la semaine prochaine, au Conseil de sécurité dans ce but. 

Renforcer les sanctions, c'est aussi faire en sorte qu'elles soient appliquées. Elles ne le sont pas aujourd'hui, c'est un secret de polichinelle, j'ai déjà eu l'occasion de le répéter, il y a des centaines de camions et de wagons qui passent par certaines frontières de la Serbie. Nous avons mandaté le groupe de contact au niveau des experts, des diplomates, pour qu'ils prennent contact précisément avec les pays voisins afin d'étudier avec eux comment faire respecter réellement cet embargo. 

Q. : Une espèce de réunion régionale avec les États voisins ? 

R. : Oui, vous savez quels sont les pays concernés, la Macédoine, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie. Nous sommes parfaitement conscients que la stricte application des sanctions pose des difficultés économiques à ces pays. Mais il faut que nous en discutions avec eux. C'est en tout cas, le premier étage, si je puis dire, de la riposte du groupe de contact. 

Le deuxième étage, c'est tout ce qui a trait aux zones de sécurité et aux zones d'exclusion. Nous avons décidé, dans le courant des prochaines semaines, de planifier l'extension et le renforcement de ces zones. Il n'est plus tolérable, une fois encore, qu'à Sarajevo, les snipers recommencent à tirer contre la population ou que la FORPRONU soit attaquée. Toutes les dispositions existent sur le papier pour que la force aérienne soit utilisée dans ce cas. Nous avons réaffirmé notre détermination de le faire. 

Q. : Quel temps pourrait se passer entre la première et la deuxième étape ? 

R. : Quelques semaines, puisque la résolution du Conseil de sécurité, je l'ai dit, c'est la semaine prochaine, j'espère que nous parviendrons à la faire voter, au cours de la toute première semaine du mois d'août. Quant à la planification des zones d'exclusion et des zones de sécurité, c'est dans les semaines qui viennent, avant la fin du mois.

Q. :  Est-ce qu'a déjà été évoquée aujourd'hui la levée de l'embargo ? 

R- Bien sûr, comme nous l'avions fait le 5 juillet, nous avons répété que si les Serbes persistaient dans leur refus, la levée de l'embargo sur la fourniture des armes deviendrait inévitable J'ai rappelé que cette solution n'était pas une bonne solution. Elle n'est pas bonne pour les populations. Je ne suis pas sûr qu'elle soit véritablement dissuasive à l'encontre des Serbes et elle pose le grave problème de nos troupes sur le terrain, du sort réservé à la FORPRONU. Cela dit, si l'entêtement de Pale persiste, il faudra bien se résigner à cette formule et nous avons d'ores et déjà en France, avec certains pays contributeurs de troupes, je pense aux Britanniques, mais également aux Espagnols, aux Canadiens, à d'autres encore, commencé à réfléchir à la planification de ce retrait. Ce sera difficile. 

Q. : Est-ce que vous avez déjà fixé une nouvelle réunion entre vous ? 

R. : Pas encore. Nous avons mandaté nos représentants à New York pour préparer le projet de résolution, dont je viens de parler. Nous avons donné instruction au groupe de contact au niveau des experts de faire les réunions que j'ai également évoquées. Sur la base de ces différents travaux, nous verrons s'il est utile de nous réunir la fin du mois d'août.


Réunion ministérielle du groupe de contact
Propos du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé (Genève, 30 juillet 1994) 

Maintenir la cohésion était l'une des suites de cette réunion; ce but est atteint puisque nous avons mis au point une position commune qui est reprise dans le texte qui vous a été distribué. 

Deuxième objectif, réagir avec fermeté au refus des Serbes et aux provocations auxquelles ils se sont livrés depuis quelques jours, notamment à Sarajevo. Cet objectif est également atteint puisque nous allons prendre les initiatives que vous savez. Je rappelle rapidement le projet de résolution sur le renforcement des sanctions à l'encontre de la Serbie- Monténégro ou encore la planification d'une stricte mise en œuvre des zones d'exclusion et des zones de sécurité. 

Notre troisième objectif, c'était de laisser la porte ouverte à de nouveaux développements. Je pense que là-aussi les dispositions ont été prises. Vous avez noté que dans le même temps où nous allons préparer un projet de résolution durcissant les sanctions, nous en préparons un aussi prévoyant leur suspension si les Serbes se décidaient enfin à accepter la carte du groupe de contact. Il a de même été prévu qu'en cas d'accord, nous étions prêts à garantir un règlement équitable et équilibré pour les deux parties sur l'ensemble des questions qui restent encore en débat. 

J'ajouterai une dernière remarque, le plus important dans tout cela ce sont les mesures d'applications. Voter des résolutions c'est bien, les faire respecter, c'est mieux. Beaucoup de résolutions existent déjà les résolutions relatives aux zones de sécurité ou aux zones d'exclusion existent. Il faut que nous soyons déterminés à les faire respecter Je dois dire que ça n'a pas été le cas au cours des derniers jours à Sarajevo. Il faut que les choses changent dans ce domaine. 

Autre exemple, les sanctions contre la Serbie-Monténégro existent, elles ne sont pas respectées. C'est la raison pour laquelle la France attache une particulière importance à ce que le groupe de contact au niveau des experts prenne très rapidement des contacts avec les pays riverains pour étudier avec eux les décisions à prendre afin de faire respecter les sanctions. Peut-être cela impliquera-t-il d'ailleurs des mesures de compensation de la part de la communauté internationale. Il faut y réfléchir, mais c'est la condition du succès si nous voulons que nos pressions soient réellement efficaces. 

Q. : Sur la dégradation de la situation. 

R. : Des progrès ont été réalisés depuis des mois. Vous nous dîtes, toutes les résolutions qui ont été prises, tous les plans qui ont été élaborés n'ont servi à rien, permettez-moi de rappeler que depuis six mois, la situation a changé en Bosnie et dans l'ex-Yougoslavie. On est passé d'un Etat de guerre à un état qui n'est pas la paix, qui est une sorte de paix armée extrêmement fragile mais qui a beaucoup allégé les souffrances des populations. Donc, nos efforts n'ont pas été vains, nous avons progressé, nous sommes arrivés à maintenir un plan de paix qui est accepté par l'une des parties. Je suis bien conscient que rien n'est réglé et que nous risquons demain à nouveau des dégradations et des affrontements sérieux. Mais enfin, je voulais souligner ce point, ce qui a été fait depuis plusieurs mois n'a pas été négatif ni inexistant.