Texte intégral
P. Caloni : La paix en Bosnie, ça n'est pas bien parti.
R. Hue : L'accord intervenu, fragile, entre les forces militaires serbes et musulmanes, suscite de l'espoir. Il ne faut rien négliger de ce côté-là. En clair, les gens ne veulent pas la guerre. On le voit bien. Il faut tout faire pour empêcher l'engrenage militaire qui ne pourrait qu'aggraver les souffrances des populations et conduire à un bain de sang, voire à un embrasement dans toute cette région. Il n'y a pas d'alternative à une solution pacifique négociée. Nous avons des propositions très concrètes pour empêcher cet engrenage militaire. Il faut que nos gouvernants appuient tout ce qui peut être négocié, et notamment cette conférence internationale que nous souhaitons, à la fois pour régler le conflit, mais aussi pour favoriser le développement. Il faut penser à la reconstruction de l'ex-Yougoslavie. Et puis, il y a cet embargo sur les armes qu'il faut absolument rendre efficace.
P. Caloni : Il y de plus en plus de gens, de responsables syndicaux qui évoquent la possibilité d'une explosion sociale. Vous y croyez-vous ?
R. Hue : La politique Balladur apparaît désormais de plus en plus porteuse d'un malaise social qui touche notre société, les Françaises et les Français, au plus profond. Cela va des employés de Sud Marine, aux employés des banques, des marins-pêcheurs aux agriculteurs, du monde enseignant aux cheminots. Le mécontentement, voire une certaine révolte, grandissent. Et tous sont confrontés à la politique d'E. Balladur. Quand les licenciements se multiplient, quand on a du mal à faire face aux échéances, aux remboursements, aux impôts ! J'entendais parler d'embellie tout à l'heure, l'embellie annoncée par monsieur E. Balladur prend quelques allures provocatrices. Monsieur E. Balladur, c'est toujours plus de sacrifices pour le monde du travail, les gens modestes. Et pendant ce temps, la bourse flambe. Des milliards de profits continuent d'aller à la spéculation financière plutôt qu'à l'investissement productif. Les communistes ont, dans ce domaine, beaucoup de propositions. Elles sont livrées au débat. J'ai beaucoup d'ambition pour le PC.
Mardi 15 février 1994
Europe 1
F.-O. Giesbert : Vous avez approuvé certains propos du Premier ministre ? Par exemple, quand il a dit que la société française était fragile et que tout pouvait arriver…
R. Hue : J'ai trouvé la prestation du Premier ministre particulièrement choquante, et cynique vis-à-vis des millions de gens qui souffrent de sa politique. Le chômage ne cesse de faire des ravages, la France va mal, les Français sont mécontents et inquiets. Mais E. Balladur a occupé pendant une heure et demie la télévision pour afficher une autosatisfaction. Il a dressé un tableau avantageux de son bilan en affirmant qu'il n'a nullement l'intention de changer de politique. Je considère que ce n'est pas un discours anesthésiant, mais un discours révoltant. Une considération glacée pour les marins-pêcheurs, il ne veut pas discuter avec eux, à peine quelques mots pour ceux qui souffrent, il n'a pas répondu à l'appel de l'Abbé Pierre. En fait, il y a là beaucoup d'inconvenances.
F.-O. Giesbert : Quand il dit que l'État doit rassurer, défendre, protéger, c'est une philosophie qui devrait vous convenir ?
R. Hue : Il fait le contraire. Il ne rassure pas. Il n'entend pas les gens. Il y a des difficultés dans le pays, il ne les prend pas en compte.
F.-O. Giesbert : Il y a aujourd'hui un risque d'explosion sociale…
R. Hue : Il y a un grand malaise. Et je crois que ce n'est pas le discours d'hier qui dit "on change rien" qui va modifier les choses. Au contraire, il y a une volonté de protestation, d'indignation forte, et dans la prochaine période les choses vont se traduire dans le mouvement social, c'est incontestable.
F.-O. Giesbert : Que pensez-vous de l'idée d'E. Balladur d'exonérer les charges des entreprises qui embauchent des jeunes et s'installent en banlieue ?
R. Hue : E. Balladur ne cesse de proposer que les entreprises aient moins de charges. On vient d'accorder 85 milliards du budget de l'État, de la poche des Français pour aider les grandes sociétés, les grands groupes monopolistes, le grand patronat. Mais où sont-ils passés ? Combien d'emplois en face ? Monsieur E. Balladur n'a pas répondu à cette question.
16 février 1994
L'Humanité
Robert Hue
Le sens du vote communiste
Au cours d'un meeting, hier soir à Vitry, le secrétaire national du PCF a souligné l'enjeu du vote communiste lors des élections cantonales.
Après avoir souligné toute la portée novatrice du 28e Congrès et porté une condamnation résolue de la politique du gouvernement Balladur, Robert Hue a abordé hier soir à Vitry, au cours du meeting, la campagne pour les élections cantonales des 20 et 27 mars. Il a notamment déclaré : "Ce scrutin va permettre l'élection des conseillers généraux. Il ne changera donc pas la majorité politique actuelle qui dirige le pays. Mais, bien entendu, il pèsera d'un grand poids, car – qu'il le veuille ou non – il faudra que le gouvernement de M. Balladur entende ce qu'exprimeront les citoyens. Il constitue donc une bonne occasion de dire avec force ce que l'on a sur le cœur. Quand on veut se faire entendre, autant choisir de parler haut et fort, afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le contenu du message. Or, je l'ai montré, nous ne sommes pas la seule force d'opposition au gouvernement Balladur, et c'est heureux, mais nous sommes bien – l'expérience le montre –, la force d'opposition la plus déterminée, la plus constante face à la droite. Y aura-t-il moyen plus clair et plus efficace d'exprimer son contentement face à l'avalanche de mauvais coups, de condamner la droite au pouvoir, de donner raison à toutes celles et à tous ceux qui luttent ou qui souhaiteraient pouvoir le faire, que de voter pour les candidats présentés par le Parti communiste ?
Ces luttes rencontrent, je l'ai dit, la sympathie de l'opinion. Cela ne signifie-t-il pas que des millions de gens ont envie de dire un non résolu au pouvoir et qu'ils peuvent être sensibles à nos arguments en faveur du vote communiste ? Et puis, chacun le sait bien, parce que, là encore, l'expérience des gens le montre, les militants, les élus communistes sont les plus préoccupés du sort des plus démunis, et, au-delà, de tous ceux qui ont à souffrir des décisions du grand patronat et du gouvernement. Aujourd'hui, leur nombre ne cesse de grandir. Ceux qui sont directement et parfois durement touchés, ceux qui, sans être directement concernés par elles, sont heurtés de voir exister et grandir les difficultés, ceux qui ne se satisfont pas de voir notre société glisser de plus en plus dans l'inhumain, tous ceux-ci auront sans doute à cœur, à l'occasion de cette élection, d'envoyer un signal fort de ce côté-là. Beaucoup d'entre eux sont sensibles à nos arguments, à notre action quotidienne, au combat pour la justice sociale que mène ici, dans le Val-de-Marne, la majorité de votre conseil général avec un président communiste. Comment, si on les rencontre, ne pourraient-ils pas en venir à cette idée que le bulletin de vote qui leur permet le mieux d'exprimer leurs aspirations est le bulletin de vote communiste ?
J'ai parlé du la démarche novatrice de notre congrès, de notre effort pour recréer une dynamique des forces de progrès, appuyée sur une analyse des raisons de l'échec antérieur, des leçons qui en découlent pour l'avenir. Ne peut-on sensibiliser à cette volonté toutes celles et tous ceux qui ne veulent ni de la droite au pouvoir, ni d'un retour aux désillusions antérieures ? Tous ceux qui souhaitent une conception neuve de la politique pour un avenir de progrès à gauche ? Et comment pourraient-ils mieux manifester ces aspirations qu'en se servant du bulletin de vote au nom des candidats présentés par notre parti, indéfectiblement attaches au progrès social et à l'union, et qui le prouvent dans toutes les municipalités qu'ils dirigent et, ici, au conseil général ? Quel meilleur moyen de s'exprimer peuvent-ils avoir que d'utiliser le bulletin de vote des candidats présentés par ce parti qui met tout son cœur dans la réalisation de cette entreprise novatrice ?
Chacun le ressent bien il n'est pas besoin pour se reconnaître et s'impliquer dans cette démarche d'être d'accord en tous points avec ce que dit et fait le Parti communiste. Au cours des dernières élections, nous avons invité toutes celles et tous ceux qui, sans partager toutes nos analyses, voulaient se défendre et faire entendre leurs exigences à se servir dans ce but du vote communiste. Nous leur avions dit nous ne nous approprierons pas votre voix à des fins étroitement partisanes, nous ne vous ferons pas dire autre chose que ce que vous avez voulu exprimer. Nous avons tenu parole. C'est dans le même esprit que nous renouvelons aujourd'hui cet engagement. Partout en France, dans chaque canton concerné, que la possibilité soit offerte ou non d'élire un conseiller général communiste, chaque voix en faveur de nos candidats compte. Le nombre de suffrages recueilli par notre parti soulignera la volonté de résister face à la droite, l'exigence d'autres choix politiques et d'une nouvelle construction politique de progrès."
Vendredi 25 février 1994
RMC
P. Lapousterle : Vous êtes secrétaire national du PCF depuis quatre semaines, une surprise déjà ?
R. Hue : La surprise est la dynamique du XXVlllème congrès. Plus que le secrétaire national, il y a un souffle très intéressant et significatif.
P. Lapousterle : Comment réagissez-vous devant le massacre de palestiniens à Hebron ce matin ?
R. Hue : Je suis frappé par ce drame insupportable. Quand on regarde ce qui peut se passer, on voit bien qu'il y a un certain nombre d'extrémistes et de conservateurs qui refusent la mise en œuvre de l'accord OLP-Israël. Il faut tout faire pour que cet accord soit vite mis en œuvre. J'espère que ce qui se passe actuellement sur le terrain ne va pas entraver le processus de paix qui est engagé.
P. Lapousterle : Avez-vous le sentiment que l'audace et l'ouverture triomphent actuellement au PCF ?
R. Hue : Il y a des choses importantes qui se passent au PCF. Il me semble même que ce souffle de rénovation qui marque notre parti dans sa dimension nouvelle, dans la dernière période est quelque chose d'important. Il me semble que dans la vie politique française, c'est un événement. Au comité national, hier, nous avons prolongé un certain nombre de décisions du XXVlllème congrès. Nous avons la volonté de bannir toutes traces du centralisme démocratique, même si certaines traces subsistent, de dépasser vraiment dans la vie ces conceptions. J'ai parlé d'ailleurs avec franchise des défauts liés au fonctionnement ancien, au cloisonnement, à la rigidité, voire même à une certaine bureaucratisation qu'il nous faut totalement dépasser. Nous mettons maintenant en place des structures, des fonctionnements avec une interactivité et une ouverture sur la société qui sont vraiment un événement dans l'histoire du PCF.
P. Lapousterle : N'allez-vous pas assez vite dans cette rénovation comme vous le reprochent certains rénovateurs, comme G. Hermier ?
R. Hue : J'ai longuement discuté avec mon ami G. Hermier ces derniers jours. Il n'avait pas voté les résolutions du XXVlllème congrès, c'est normal qu'il ne soit pas d'accord. Cela dit j'ai proposé de lui confier à nouveau la tête du journal Révolution. C'est la preuve de la volonté de diversité de notre part. La présence d'un camarade, d'un ami qui conteste la ligne générale du PCF à la direction d'un grand journal comme Révolution est déjà la preuve d'un grand pluralisme. Je suis un homme de dialogue et j'ai l'intention de continuer à discuter avec G. Hermier.
P. Lapousterle : Parviendrez-vous à éviter la bataille qui s'annonce entre les rénovateurs et ceux qui sont fidèles à la ligne du parti en Seine-Saint-Denis aux cantonales ?
R. Hue : Le centralisme démocratique n'existe plus au PCF. Ce n'est donc plus la direction du parti qui va aller en Seine-Saint-Denis imposer à des communistes une décision. Les communistes sont souverains. Il y a un processus démocratique qui a été engagé en Seine-Saint-Denis. Les communistes se sont exprimés. Ils ont fait des choix. Je vois bien que ces choix posent problèmes. Personnellement, je ferais tout pour qu'il n'y ait pas de divisions du PCF dans un canton. Je ne désespère pas que les choses avancent dans le bon sens dans l'esprit de la souveraineté des communistes.
P. Lapousterle : Qui sera tête de liste des communistes aux européennes ?
R. Hue : La première chose est que je pense que le secrétaire du PCF n'a pas vocation à être candidat à toutes les élections. J'ai dit déjà, que je pense que F. Wurtz fera une très bonne tête de liste pour la liste du PCF.
P. Lapousterle : Avez-vous vocation à être candidat pour les présidentielles ?
R. Hue : Dans l'immédiat, la question ne se pose pour le moment. Les priorités pour le moment pour le PCF sont les élections cantonales. J'ai dit hier que ces élections allaient être en quelque sorte la première possibilité d'un affrontement à la politique du Premier ministre, une politique qui est désastreuse pour le pays avec les conséquences que l'on sait. On voit d'ailleurs dans les sondages l'évolution d'E. Balladur qui se dégrade, ainsi que le malaise social qui se développe. Je pense qu'à l'occasion des élections cantonales, que l'on soit d'accord ou pas avec le PCF, je propose de mettre le bulletin de vote du PCF à la disposition des gens pour qu'ils prennent position et qu'ils s'expriment contre cette politique.
P. Lapousterle : Quelle est votre sentiment sur le SMIC jeune ?
R. Hue : Dans une situation où le chômage pèse comme il pèse, il est vrai qu'il ne faut rien négliger. Cela dit, une fois de plus on crée des illusions avec cc SMIC. C'est en fait une mesure qui s'inscrit dans un traitement social du chômage très traditionnel et qui ne s'attaque pas vraiment au problème de l'emploi. Il y a d'autres solutions à envisager pour des emplois efficaces, des emplois utiles, stables, pas pour accentuer la précarité. Les syndicats ont à ce sujet une position d'hostilité, et ils ont raison. Je m'inscris dans cette démarche. Il faut aujourd'hui un autre type d'engagement concernant l'emploi. Il faut d'abord commencer par bloquer tous les licenciements qui arrivent et voir ce que l'on peut faire pour empêcher que cela s'aggrave davantage. Ensuite il faut prendre des mesures de relance de la consommation qui permettent une relance de l'économie et qui permettent réellement un début de croissance qui nous permettra de créer des emplois utiles, des emplois nécessaires. Ce SMIC pour les jeunes n'est pas une solution, à mon avis.