Interview de M. Dominique Baudis, président exécutif du CDS et tête de liste de l'union RPR UDF pour les élections européennes, à France Inter le 18 mai 1994, sur la stratégie d'union de la majorité et les grands thèmes de la campagne électorale.

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Média : France Inter

Texte intégral

I. Levaï : La guerre en Bosnie est au cœur du débat et pour trois raisons : F. Léotard prépare le retrait d'un tiers de nos soldats, nos otages n'ont toujours pas été libérés, et une liste Sarajevo est à deux doigts d'être créée. Ces événements qui ont mobilisé hier soir des intellectuels à la Mutualité mais aussi, M. Rocard, F. Giroud, B. Stasi, vont-ils vous conduire à modifier votre stratégie d'ici le scrutin du 12 juin prochain ?

D. Baudis : Qu'est-ce qui vous permet de dire que je ne m'intéresse pas à la Bosnie ? Comme vous, comme tous ceux ici, dans ce studio, comme tous les Français, le soir, quand ils regardent la télévision, je suis indigné et bouleversé par ce que je vois. Je comprends donc parfaitement, l'émotion, l'indignation, la colère, la révolte de B.-H. Levy et de beaucoup d'autres. Ce sont des sentiments qu'il éprouve sans doute avec une acuité particulière, car il s'est rendu courageusement là-bas, souvent, comme beaucoup, comme B. Stasi, comme J.-F. Deniau, et je comprends très bien que dans ce cas, on ressente ces sentiments avec une violence terrible. Je l'ai vécu au Liban où j'étais durant 5 ans et j'ai vécu les deux premières années de la guerre civile. J'étais journaliste, donc je ne faisais pas des passages éclairs, j'y vivais, pendant deux ans de guerre. J'ai vu aussi des femmes et des enfants qui mouraient sous mes yeux. Il est vrai que dans ces cas-là, on est bouleversé, on a envie de hurler à la face du monde.

I. Levaï : 5 questions ont été posées par les intellectuels aux leaders des différentes listes. D'abord, maintien d'une Bosnie unitaire. Oui, non ?

D. Baudis : Oui.

I. Levaï : Application des résolutions de l'ONU sur les zones de sécurité, sous peine de menaces aériennes ?

D. Baudis : Oui.

I. Levaï : Levée immédiate de l'embargo sur les armes à destination de la Bosnie ?

D. Baudis : Je suis réservé.

I. Levaï : Les moyens donnés à un Tribunal international pour juger les crimes de guerres ?

D. Baudis : Évidemment.

I. Levaï : Sur l'embargo lui-même ?

D. Baudis : J'ai un doute sur le risque de voir, la violence, la guerre, les massacres s'aggraver en Bosnie et se propager. Que voulons-nous en Bosnie ? Le retour à la paix, le retour du droit, la fin des massacres, la fin de la purification ethnique, la fin du massacre des femmes et des enfants. Est-ce que le meilleur moyen c'est d'envoyer là-bas, davantage d'armement ? Je n'en suis pas certain. Je parlais des sentiments éprouvés par les intellectuels, par vous, moi, par ceux qui nous écoutent. Je voudrais évoquer aussi le désespoir des familles françaises, qui ont perdu un de leurs fils en Bosnie ou en Croatie. 18 jeunes Français sont morts, tués parfois par des Serbes de Bosnie, parfois par des tirs isolés. Actuellement, nous avons aussi 11 de nos jeunes compatriotes retenus en otages depuis 40 jours. Certaines familles habitent la région toulousaine, ce sont des justes, des gens qui sont partis là-bas pour porter secours et ils sont retenus comme des espions. C'est un acte de piraterie internationale. Je pense à l'angoisse, au désespoir de ces familles. Je suppose que pour ces familles, il est difficile d'entendre dire que la France ne fait rien, n'a rien fait. Notre pays est probablement, celui qui s'est impliqué le plus fortement dans l'ancienne Yougoslavie et qui a payé le tribut le plus lourd. Je ne dis pas que nous devons considérer que nous avons fait tout ce qu'il fallait faire. Il faut que l'Europe parle d'une seule voix, agisse dans une seule direction et se donne enfin, les moyens de faire respecter une volonté politique sur le Continent européen.

P. Le Marc : On a senti un désaccord, hier, entre F. Léotard et A. Juppé. Le premier qui estime que la décision de retrait des Casques bleus est prise et le second qui dit qu'elle reste à prendre. Êtes-vous partisan d'un retrait si la négociation n'est pas possible ? Approuvez-vous la prudence de Léotard, son pessimisme ou bien la persévérance de Juppé ?

D. Baudis : Je comprends le souci du ministre de la Défense. 18 de nos jeunes compatriotes qui sont tombés et une situation qui est infernale pour les Casques bleus français et les autres nationalités. Vous le savez, ils ne peuvent faire usage de leurs armes que dans des conditions très restrictives – il faut qu'on ouvre le feu sur eux –, ils sont en position de cible et je comprends qu'un ministre, qui, moralement, se sent en charge de la vie des hommes qui sont sur place – au total près de 30 000 jeunes français qui sont passés par rotations successives –, je comprends donc qu'à ses yeux, la situation ne puisse pas durer indéfiniment et une telle situation ne doit pas durer indéfiniment. Il faut arriver rapidement à une solution de caractère politique.

I. Levaï : "Tirer ou se tirer" ? La formule n'est pas de moi…

D. Baudis : C'est la formule en termes strictement militaires. En Bosnie, ce que nous recherchons c'est la paix. L'Europe doit exporter la paix et le droit sur le Continent. Car il y a une Bosnie, après la Croatie et avant. Bien d'autres régions de l'ancienne Yougoslavie, mais aussi de l'Europe centrale et orientale. On a cru, lors de l'effondrement du Mur de Berlin et lors de l'effondrement du communisme, on a cru que l'histoire, au sens tragique du terme, était terminée.

P. Le Marc : Faut-il partir si les choses n'avancent pas ?

D. Baudis : Il faut faire prévaloir une solution politique pour la Bosnie, pour l'ancienne Yougoslavie, et je le répète, pour l'ensemble de l'Europe centrale et orientale. Le Premier ministre a proposé récemment et la conférence va se réunir bientôt, une conférence sur la stabilité en Europe. Nous avons tout le problème de ce Continent qui, longtemps, a été monolithique, comme une sorte de bloc de glace, c'était l'empire communiste, soviétique avec ses satellites. Depuis l'effondrement du Mur et du communisme, nous nous trouvons, après avoir cru que tout était fini, sur un Continent qui est devenu plus dangereux encore, car totalement instable et imprévisible. Ça ne veut pas dire, évidemment, que nous devrions l'espace d'une fraction de seconde, regretter l'effondrement du Mur, du communisme et le fait que ces peuples puissent avancer progressivement vers la liberté. Mais nous avons maintenant, une responsabilité immense vis-à-vis d'eux, immense. Pendant des dizaines d'années, on leur disait : "Il y a eu à la fin de la Guerre Yalta, le partage de l'Europe en deux. Nous ne pouvons rien faire pour vous." Quand les Hongrois se faisaient massacrer en 56, on leur disait "On ne peut rien faire." Quand les Tchèques se faisaient massacrer à Prague en 68 on leur disait la même chose. Et effectivement, on ne levait même pas le petit doigt.

P. Le Marc : Et aujourd'hui on peut faire ?

D. Baudis : Aujourd'hui, non seulement on peut, mais on doit le faire. On leur disait : "Le jour où vous serez libérés, si vous y parvenez un jour, alors on pourra travailler avec vous et bâtir quelque chose en Europe avec vous." Aujourd'hui on le peut. Il faut donc le faire, car sinon ce qui se passe en Bosnie, se propagera et nous aurons dix Bosnie sur le Continent européen.

A. Ardisson : Y-a-t-il un autre terme à l'alternative que la guerre ? Pas celle qu'on regarde mais celle qu'on fait. C'est aussi la question posée par F. Mitterrand ?

D. Baudis : L'alternative à la guerre c'est la paix. Je parlais du Liban ; je ne dis pas que la situation au Liban, actuellement soit idéale. Mais le Liban d'aujourd'hui, comparé à celui que j'ai connu dans les années 76, 77, 78, c'est tout de même un Liban en paix. Les enfants peuvent traverser la rue sans avoir à courir pour échapper aux balles. Et quand on est au fond de la guerre, on croit que ça ne finira jamais, car il y a un engrenage de violence, de représailles, de haine. L'histoire est tellement tragique, qu'on pense qu'elle n'aura jamais de fin. Elle peut avoir une fin – regardez ce qui se passe en Afrique du Sud, ce qui s'amorce en Palestine, au Liban – Il faut faire triompher le droit et la paix en Bosnie et sur l'ensemble du Continent européen qui est malade de la décomposition du communisme. Quand ce dernier est mort en 89, on a pensé que tout était terminé. On avait oublié qu'après la mort du communisme, il y aurait la lente décomposition de son cadavre qui empoisonne l'Europe entière.

I. Levaï : L'Afrique, continent oublié, l'Europe, continent perdu, pour reprendre l'expression de J.-F. Deniau, et puis les réactions de M. Rocard et de quelques autres à la demande des intellectuels réunis hier à la Mutualité. B. Stasi était présent hier, et tout le monde a été sifflé. Je voudrais que vous nous disiez si, oui ou non, vous êtes pour la partition de la Bosnie à 51-49. Êtes-vous pour une Bosnie indépendante qu'on ne couperait pas en morceaux, ou vous admettez qu'il y ait accord et qu'on partage ce territoire contesté ?

D. Baudis : C'est toujours un peu surréaliste, quand on est assis dans un fauteuil à Paris, d'expliquer ce qui doit se passer dans un pays qui est martyrisé par la guerre civile. Je vous parlais tout à l'heure du Liban. Durant deux années de guerre, j'ai vécu là-bas, au milieu des massacres, des haines terribles de gens qui, quelques années auparavant, étaient des amis et des voisins. Quand j'étais à Beyrouth, je lisais dans des articles les explications de ce qu'il fallait faire ou ne pas faire pour retrouver la paix. Sur le terrain, c'est toujours beaucoup plus compliqué. L'objectif, c'est le retour à la paix. Et il faudra que les ex-Yougoslaves, c'est à dire les Bosniaques, les Serbes de Bosnie, les Serbes, les Croates, les habitants du Kosovo et ceux de la Macédoine trouvent un mode d'organisation collectif, de vie en commun. Il y a une maison à reconstruire, ou des maisons à reconstruire. Et n'imaginez pas une seconde que les solutions d'importation puissent prévaloir. Ce n'est pas à Washington, à Moscou, à Genève ou à Paris, dans les colonnes d'un quotidien ou au micro d'une radio que l'on peut expliquer comment les gens pourront vivre durablement en paix dans une terre qui a été aussi violemment déchirée. Il faut les aider, les accompagner dans la recherche d'une solution qui permettra à chacun de préserver son identité nationale et sa sécurité.

I. Levaï : Donc, à la question, on maintient les frontières de l'État bosniaque en l'état où on partage, vous continuez d'être réservé ?

D. Baudis : À la question, je dis qu'on ne solutionne pas des questions comme celle-là par des conversations de café du commerce. Il faut que tout le monde soit assis autour d'une même table. Il faut faire parler ceux qui vivent là-bas, ceux qui ont des responsabilités, les représentants des Bosniaques, les représentants des Serbes de Bosnie, les Croates, les Serbes. Il faut, je dirais presque les enfermer, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé une solution. Mais la solution, elle leur appartient.

I. Levaï : Vous voulez enfermer agresseurs et agressés ?

D. Baudis : Ils vivront sur le même espace. Ceux qui ont, durant cette guerre, commis des crimes contre l'Humanité, doivent passer devant un tribunal international. Mais il y a aussi, parmi les Serbes, parmi les Serbes, parmi les Croates, des femmes et des enfants, et des hommes innocents de tout massacre. Ils vont devoir vivre les uns avec les autres. Est-ce que c'est nous qui devons inventer le mode d'organisation de la vie dans l'ancienne Yougoslavie, ou est-ce que ce sont ceux qui vivront sur cette terre qui doivent l'inventer et l'imaginer? Ceux sont eux qui devront l'assumer. Il faut qu'ils déterminent ensemble des conditions de vie commune permettant d'assurer la souveraineté, l'indépendance de nouvelles nations, la Croatie, la Bosnie, et qui leur permettent de vivre en sécurité. Et de vivre aussi en bon voisinage, car, dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans, la Bosnie, la Serbie, la Croatie recommenceront à échanger, vivront côte à côte. Parce qu'on en sort toujours, heureusement. Mais à quel prix ? Ce que nous devons faire, notre responsabilité à nous, Européens, c'est de tout faire pour accélérer un processus de paix.

P. Le Marc : Les députés RPR disent avoir eu, hier, une belle surprise en vous écoutant à l'Assemblée. Vous avez juré que vous n'êtes plus le pro-européen fédéraliste qu'ils croyaient que vous étiez resté. Pourquoi et depuis quand cette conversion ? Et que pensez-vous de l'obstination de certains irréductibles comme Giscard ?

D. Baudis : Ceci prouve qu'il y avait un grand malentendu. On imaginait qu'au sein de la majorité, entre le RPR et l'UDF, ou au sein du RPR, existaient des divergences très profondes sur la façon de construire l'Europe. Je me suis rendu compte, à la fin de l'année dernière, au début de cette année, lorsque nous avons travaillé pour un projet commun sur les élections européennes, qu'en fait, nous pouvions parfaitement tomber d'accord sur ce qu'il convient de faire, en Europe, dans les cinq ans qui viennent. Pourquoi cinq ans ? Parce que c'est le délai qui nous sépare de la fin de ce siècle et ce sera la durée du Parlement européen qui sera élu le 12 juin prochain. Nous sommes tombés d'accord, sans grandes difficultés, sur un texte commun.

P. Le Marc : Un peu vague.

D. Baudis : Pas du tout, relisez-le. Il est très précis sur beaucoup de points. Les positions de l'UDF et celles du RPR sont parfaitement compatibles. À partir de ce moment-là, il est évident qu'il fallait présenter une seule liste d'union de la majorité où figurent des candidats de l'UDF et du RPR. Sur la question fédérale, j'ai été, lorsque j'avais 20 ans, en 1968, favorable à une Europe fédérale. Parce que, à l'époque, nous étions six, et à six on pouvait peut-être caresser ce rêve, cette idée, ce projet. Aujourd'hui, nous sommes douze, l'année prochaine, nous serons sans doute seize. Ceci, il y a 25 ans, on ne pouvait pas l'imaginer. Par ailleurs, s'offre devant nous un immense chantier. C'est celui de l'Europe centrale libérée du communisme. Et nous ne pouvons pas dire à ces pays, il y avait un rideau de fer, maintenant, il y a un rideau d'indifférence, ce qui vous arrive ne nous regarde pas. D'abord, ce serait inacceptable moralement, et ce serait complètement irresponsable, par rapport à nous-mêmes, parce que l'Europe ne pourra pas vivre indéfiniment en paix et en sécurité, notre Europe de l'Union européenne, si nous sommes partout cernés par la haine, la guerre civile, la violence et le racisme. Donc il faut prendre en compte une Europe dont la dimension est complètement différente et qui, par conséquent, est antinomique avec l'idée d'une fédération. Par ailleurs, la fédération, c'est le mode d'organisation des États-Unis, c'est le mode d'organisation de certains États européens, tels que l'Allemagne. Mais cela signifie que chacun des États qui compose la fédération n'est plus une nation, n'est plus un pays, au sens plein et total du terme. Ça devient un périmètre administratif. Un État fédéré, c'est un État comme le Minnesota, aux États-Unis, c'est un Lander, en Allemagne, c'est à dire qu'on perd la personnalité nationale. Et ça, c'est quelque chose qui n'est pas possible, ça ne se décrète pas. Il y a des personnalités nationales fortes, en Europe, et l'Europe ne gagnerait rien à les décapiter. L'Europe, c'est un espace de liberté où nous devons inventer une architecture politique, économique, sociale, nouvelle. C'est notre liberté et il faut le faire de façon très pragmatique. Quand je dis que je ne suis pas favorable à une Europe fédérale, je ne trahis rien. Je suis au contraire fidèle à la démarche de ceux qui ont créé l'Europe. Schuman, puis De Gaulle et Adenauer, puis G. Pompidou : tous ont fait preuve de pragmatisme. Ils ont tenu compte des réalités, et le monde a changé autour de nous. Et quand le monde change, nous devons, nous aussi, changer pour nous adapter à une situation nouvelle.

A. Ardisson : Regrettez-vous les arguments que vous avez utilisés pour défendre le oui au référendum sur Maastricht ? Puisque, actuellement, la campagne européenne semble se résumer à un remake de ce qui s'est passé il y a deux ans.

D. Baudis : Pas du tout. D'ailleurs, c'était il y a deux ans. Pas du tout, puisque sur la liste d'union de la majorité UDF-RPR que je conduis, vous avez des femmes et des hommes qui, pour les uns, ont voté oui – c'est mon cas – et pour d'autres, ont voté non. Mais nous l'avons fait, les uns et les autres, pour des raisons qui sont parfaitement respectables. Et d'ailleurs, il y avait à l'intérieur de chaque Français, un peu de oui et un peu de non. Et puis chacun a fait la balance. Mais ceux qui ont voté non, en tout cas sur la liste que je conduis, ils ne voulaient pas la mort de l'Europe, ils ne voulaient pas dynamiter l'Europe : ils se méfiaient d'un traité confus, complexe, obscur, et puis surtout, ils voulaient sanctionner un certain nombre de défaillances de l'Europe. Et parmi ceux qui ont voté oui, et j'en faisais partie, il y en avait beaucoup qui ne sous-estimaient pas ses défaillances, ses erreurs, ses dévoiements.

P. Le Marc : Mais ce dualisme est-il crédible ? De Villiers dit que vous êtes devenu une image virtuelle, une espèce d'hologramme politique.

D. Baudis : Moi, je parle de mon projet, je parle de ma liste et je m'adresse aux Françaises et aux Français. Il n'y a pas du tout d'ambiguïtés, dans ce projet. C'est une liste ouverte. J'ai demandé dès le début, le soir de ma nomination, que cette liste soit une liste ouverte, c'est à dire une liste où l'on trouverait, encore une fois, des gens qui ont pu voter oui, des gens qui ont pu voter non, pour des raisons qui sont parfaitement respectables, à l'occasion d'un référendum qui s'inscrivait dans un contexte politique très particulier. On était à six mois de l'élection législative, beaucoup de gens voulaient sanctionner le gouvernement socialiste, voulaient manifester leur mécontentement vis à vis du président de la République. L'Europe n'était plus très présente dans tout cela. Le texte était illisible, et comme beaucoup de Français, comme l'immense majorité des Français, j'estime que cette page est désormais tournée. Et ce qui est important, pour notre pays, pour l'Europe, ce n'est pas de garder les yeux fixés sur le rétroviseur et de regarder deux ans en arrière ce qui s'est passé à l'occasion du référendum. Ce qui est important, c'est de regarder ce que nous ferons dans les cinq ans qui viennent. Je ne vois pas les Français séparés en deux catégories, avec une sorte de ligne jaune infranchissable. D'un côté, ceux qui ont voté oui, et de l'autre, ceux qui ont voté non.

I. Levaï : Au congrès de votre formation politique, le CDS, à Rouen, le mois dernier, vous avez désigné clairement vos adversaires. Il y avait M. Rocard, bien sûr, et l'Europe de la réglementation. Après la grève d'Air Inter et le débat terrible avec British Airways, est-ce que vos adversaires sont toujours les mêmes ?

D. Baudis : L'Europe de la réglementation, c'est l'Europe qui s'occupe des dates d'ouverture ou de fermeture de la chasse, des conditions dans lesquelles les poules doivent pondre parce que vous avez des délibérations du Parlement européen pour expliquer la façon dont les poules doivent pondre et dont on doit élever les porcs dans les porcheries. Cette Europe-là ne m'intéresse pas. Je préfère une Europe qui se concentre sur les grands sujets, là où les Européens attendent l'Europe, c'est-à-dire la paix, la sécurité, l'emploi, la protection de notre continent face à toutes les menaces, le péril nucléaire, Tchernobyl, le SIDA, le cancer, voilà où l'Europe doit investir toutes ses énergies, toutes ses forces : l'emploi, la paix, la sécurité, la sauvegarde du continent. Et pas la réglementation de notre vie quotidienne mais c'est le péché, pas toujours mignon, des socialistes, qui adorent obliger, interdire, tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire et vice-versa. C'est une autre approche de l'Europe. Je préfère une Europe fondée sur la solidarité, la responsabilité et la liberté.

I. Levaï : Dans le débat sur les ailes, vous aviez fait remarquer, très pertinemment d'ailleurs, que British Airways n'achetait pas d'avions fabriqués chez vous à Toulouse…

D. Baudis : Non seulement à Toulouse. British Airways est une compagnie pour laquelle je n'ai vraiment aucune sympathie. C'est une compagnie qui n'a aucune conscience européenne et aucune conscience sociale, Vous dites, ils n'achètent pas d'avions fabriqués dans votre bonne ville de Toulouse. Les Airbus sont fabriqués à Toulouse pour partie mais ils sont fabriqués aussi en Grande-Bretagne. Les premiers Airbus ont commencé à voler en 1974, il y a vingt ans. Maintenant, il y en a plus de 1 000, 1 100 qui volent à travers le monde. Airbus-Industrie a enregistré depuis la fabrication des premiers Airbus 1 800 commandes. Cela représente 2 millions d'emplois en Europe, l'aéronautique civile européenne, c'est une formidable réussite des Européens. British Airways n'a jamais acheté un seul appareil européen alors qu'Airbus fait travailler des dizaines de milliers de personnes en Grande-Bretagne. Je dis que c'est une compagnie qui n'a aucune conscience sociale, aucune conscience européenne, aucune conscience nationale. C'est une boîte à gagner de l'argent.

I. Levaï : Dites-le à vos amis libéraux britanniques, espagnols…

D. Baudis : Pourquoi en sommes-nous là ? L'Europe avait décidé l'ouverture du ciel à la concurrence entre compagnies européennes pour 1997. Le rendez-vous de la concurrence était 1997. Pourquoi ? Parce qu'il fallait évidemment un délai pour que les compagnies, comme les compagnies françaises, Air Inter, Air France qui avaient notamment, pour Air Inter, opéré sur des situations de monopole, puissent s'adapter à la concurrence. La concurrence, c'est une bonne chose. C'est une bonne chose notamment pour les usagers mais à condition que les entreprises aient le temps de s'organiser pour faire face à la concurrence. On ne peut pas prendre une entreprise et la sortir du bain tiède du monopole pour la jeter brutalement dans l'eau froide de la concurrence. Il faut des paliers, des étapes, une préparation. Le rendez-vous c'était 1997 et le délai était bon. Malheureusement, à l'époque – et je ne le dis pas pour des raisons polémiques mais parce que c'est ainsi – du dernier gouvernement socialiste, en 1992, à l'été 92, il a été accepté d'avancer cette date de 1997 à 1994, cette année et voilà pourquoi nous nous trouvons dans cette situation. Cela tait partie de ce que l'on appelait à l'époque les bombes à retardement. On avait dit : il y a des bombes à retardement qui vont mettre le gouvernement issu des élections de mars 93 dans des situations difficiles. Voilà une de ces bombes à retardement. M. Bianco qui était à l'époque ministre des Transports, a accepté que l'on avance de 97 à 94 l'ouverture du ciel français à la concurrence. Il faut résister autant que possible. Il faut demander le temps de pouvoir d'organiser, il faut la réciprocité parce que je trouve assez singulier de voir British Airways réclamer le droit non pas de se poser en France, ils ont le droit. Ils se posent à Roissy, ils veulent se poser à Orly parce qu'ils estiment que c'est plus pratique et qu'ils ramassent davantage de passagers. Mais en même temps on ne laisse pas les appareils français se poser sur la plate-forme d'Heathrow, à Londres. On ne peut pas vouloir uniquement prendre de l'Europe ce qui vous rend service et refuser tout le reste. C'est l'attitude de British Airways.

M. Garibal : Vous êtes contre une certaine Europe bureaucratique mais est-ce que vous approuvez pour autant l'initiative prise par les Allemands de demander de soumettre à des experts indépendants une certaine réglementation communautaire pour voir dans quelle mesure c'est un obstacle à l'emploi ?

D. Baudis : Qu'est-ce qui est un obstacle à l'emploi ?

M. Garibal : Le ministre de l'Économie allemand a demandé qu'on fasse une sorte d'audit de la Communauté européenne pour voir dans quelle mesure certaines réglementations communautaires sont un obstacle à l'emploi.

D. Baudis : Il y a des rigidités en Europe qui font que, même lorsque l'Europe retrouve un taux de croissance, elle ne crée pas d'emplois. Il serait absurde que l'Europe reste les bras ballants et les yeux fermés face à une situation comme celle-là. Comparons un instant. Au Japon, sur 100 personnes en âge de travailler, il y en a trois qui sont au chômage. Aux États-Unis, sur 100 personnes en âge de travailler, vous en avez 6 au chômage et en Europe sur 100 personnes en âge de travailler, vous en avez plus de dix qui sont au chômage. Il y a donc bien une mauvaise spécificité européenne face au problème de l'emploi qui résulte beaucoup des rigidités. Le problème du chômage, c'est le contexte international mais ce sont aussi les rigidités qui sont différentes d'un pays à l'autre de l'Europe. Nous n'avons pas partout les mêmes réglementations, les mêmes législations mais nous participons un peu de la même civilisation et nous avons les mêmes obstacles, les mêmes rigidités. Il faut essayer d'assouplir.

M. Garibal : Vous soutenez cette initiative ?

D. Baudis : Toute initiative qui consiste à essayer de rechercher les moyens en Europe de créer davantage d'emplois. On verra ensuite le rapport. C'est comme le Livre blanc. Il y a des documents intéressants qui peuvent sortir. On verra bien ce qu'il sortira de cette étude.

A. Ardisson : La logique de cet assouplissement, c'est la déréglementation du marché du travail.

D. Baudis : La déréglementation, cela peut être dans certains secteurs la diminution de la durée du travail. C'est aussi de la déréglementation.

A. Ardisson : Mais ça peut être aussi la perte d'un certain nombre de garanties qui font la spécificité européenne…

D. Baudis : L'objectif c'est de faire en sorte que nos résultats soient comparables à ceux d'autres grands pays industrialisés. On ne peut pas s'accommoder d'un taux de chômage de plus de 10 % en Europe. On ne peut pas rester les bras ballants en disant "c'est une fatalité." Il faut rechercher les causes. Ces causes, sont notamment, pas uniquement, dans un certain nombre de rigidités. On a parlé aussi du déficit en matière de formation, de recherche. On dit déréglementation. Attention, la déréglementation ça peut être aussi dans certains cas, la réduction de la durée du travail ; donner plus de souplesse.

I. Levaï : Ces dernières années, d'autres qui sont de vos amis aujourd'hui, ont refusé l'Europe sociale…

D. Baudis : Les Britanniques l'ont refusée.

I. Levaï : V. Giscard d'Estaing fait campagne pour que les gens aillent voter, tout simplement.

D. Baudis : Il a tout à fait raison.

I. Levaï : Ne croyez pas sincèrement, aujourd'hui, qu'il aurait été plus positif pour les formations de la majorité, d'avoir chacun leur candidat ?

D. Baudis : Deux questions : la première est : faut-il voter ? Évidemment, il faut voter ! Dans toutes mes interventions, depuis le début de cette campagne, le poids sur lequel j'insiste le plus, c'est la nécessité de voter. Lors des dernières élections européennes, il y 5 ans, il y a eu à peine 51 % de participation. Beaucoup de Français, à juste titre, se plaignent de l'Europe bureaucratique, technocratique, ils ont raison. Mais si on ne va pas voter le 12 juin, il sera trop tard ensuite, pour se plaindre de la trop grande force, du trop grand poids de la bureaucratie. Par contre si on va voter, si les députés au Parlement européen ont la légitimité que donne l'expression massive du suffrage universel, nous n'en aurons que plus de poids pour contrôler l'administration de Bruxelles. Mon rôle dans cette campagne et celui de ceux qui font équipe avec moi, ce n'est pas d'être auprès des Français, l'avocat de l'administration de Bruxelles. Ce que je souhaite, c'est d'être avec mes coéquipiers, le représentant des Français, à Strasbourg, pour mieux contrôler Bruxelles. Donc il faut voter. Notre rôle aussi, ce sera de défendre les intérêts de la France en Europe et c'est le deuxième volet de votre question, à savoir deux listes de la majorité. Deux listes de la majorité, c'est moins efficace pour défendre les intérêts de la France en Europe. Nous avons intérêt à une liste commune, à partir du moment où nous avions un projet commun. Puisque que nous avons un projet commun. Nous avons donc intérêt à rester groupés. Il est évident que la défense des intérêts de la France en Europe, passe par l'élection des candidats de notre liste. Pourquoi ? La France dans quelques mois, va exercer une responsabilité majeure, elle va devenir présidente de l'Union européenne. Ce sont des ministres français qui présideront les conseils des ministres, sur les différents sujets, transport, environnement, recherche, industrie etc… Imaginez ce qu'il adviendrait de la réputation et de l'image de la France d'une part et des intérêts de celle-ci, si les députés français, siégeant au Parlement européen, passaient leur temps à combattre la politique du gouvernement français, celle conduite à Paris et la politique inspirée à Bruxelles par nos ministres ! Pour la défense des intérêts de la France, on a intérêt à ce que fassent bloc, les députés et les sénateurs de la majorité nationale, les députés français au Parlement européen, à ce que nous travaillons ensemble. Trop longtemps, les parlementaires nationaux et européens, ont vécu sur des planètes différentes, alors qu'en réalité nous travaillons sur les mêmes sujets. Donc parlementaires nationaux, européens, et gouvernement français, doivent conjuguer leurs efforts pour remettre l'Europe dans la bonne direction, changer les aiguillages de l'Europe, et faire en sorte, qu'elle s'implique pour la paix, la sécurité et l'emploi.

P. Le Marc : La construction européenne, c'est l'enfant du couple franco-allemand. Or la vision allemande de l'Europe et de l'Union européenne, a changé et beaucoup, depuis les bouleversements à l'Est. Jean-François Poncet demandais une redéfinition du contrat franco-allemand. Sur quelles bases selon vous ?

D. Baudis : Sur la base de la confirmation que l'axe franco-allemand est l'axe moteur de la construction européenne. Vous dites que la position allemande a évolué, oui. Comment voulez-vous que l'Allemagne n'enregistre pas des évolutions, telles que l'effondrement du Mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne. Le contexte a changé, c'est une réalité géopolitique, dont les Allemands doivent tenir compte, ainsi que nous. Il faut remarquer que les Allemands ont réussi la réunification en restant dans l'Union européenne, en restant dans l'Alliance atlantique, ce dont beaucoup pouvaient douter. On disait, il y a 10 ans : l'Allemagne se réunifiera peut-être un jour, mais alors elle deviendra un État neutraliste, et elle sortira de l'Alliance atlantique, elle prendra ses distances, par rapport à l'Europe. L'Allemagne n'a pas quitté l'Europe, elle est restée dans l'Alliance atlantique. Il faut redéfinir les missions et les contours de l'Europe et il faut en effet, que l'Allemagne et la France, restent l'axe moteur. Ce sont les deux grandes puissances les plus européennes qui ont des intérêts communs et qui ont toujours été, depuis le Traité franco-allemand, De Gaulle, Adenauer, le moteur de la construction européenne. Il se trouve que la période est propice. Pourquoi ? Parce que la France va prendre la présidence de l'Union européenne, le 1er janvier prochain. Mais les Allemands vont la prendre dès le 1er juillet. Donc pendant 1 an, vous allez avoir une présidence allemande, suivie d'une présidence française. Il faut donc profiter de cette période d'1 an, pour que la coopération entre la France et l'Allemagne soit un facteur de relance de la construction européenne et surtout, de l'orientation de l'Europe, sur les grands objectifs dont je parlais tout à l'heure : l'emploi, la paix, la sécurité.

A. Ardisson : L'Europe a toujours balancé entre deux pôles : la conception un peu franco-allemande qui débouche vers l'union politique et la conception anglaise, libre-échangiste. Actuellement, ça semblerait être plutôt la position des anglais qui l'emporte. Comment vous situez-vous, comment allez-vous défendre les intérêts français dans ce balancement ?

D. Baudis : J'appartiens à l'école franco-allemande. Je ne peux pas me satisfaire d'une Europe qui ne serait qu'une vaste zone d'échanges commerciaux et financiers.

I. Levaï : C'est pourtant ce qui est en train d'arriver…

D. Baudis : Non ! Ça fait partie de ce qu'il faut faire, mais il ne faut pas faire que cela. C'est nécessaire mais ce n'est pas suffisant. Il faut ajouter à cela une finalité politique. Non pas simplement, pour des raisons mythologiques ou symboliques, mais c'est parce que c'est une urgente nécessité. Ce qui se passe en Bosnie et ce qui risque de se passer ailleurs, en Europe centrale, est là pour nous le démontrer. Si nous n'avons pas une politique étrangère commune, des drames comme la Bosnie vont se multiplier. Rappelez-vous ce qui s'est passé au début de la crise yougoslave, quand la Fédération yougoslave a commencé à se dissocier. L'Europe n'a pas parlé d'une seule voix.

A. Ardisson : Oui, et on a cédé aux Allemands…

D. Baudis : Non, nous avons chacun mené nos politiques traditionnelles.

I. Levaï : Et vous avez dit oui à Maastricht, en dépit, j'ai sous les yeux le livre de Deniau : "Maastricht ne dit pas un mot du sort de l'Europe du Centre et de l'Est, qui est pourtant le véritable défi économique, politique, moral, des années qui viennent." Donc, chez vous, dans votre famille politique, il y a des gens qui ont noté au moment de Maastricht, qu'on ne posait pas les questions les plus importantes, celles de la sécurité, de cette Europe en mouvement. Deniau le note et vous avez dit, vous, quand même oui, à Maastricht…

D. Baudis : Oui, car dans Maastricht, il y avait d'autres dispositions qui sont utiles pour l'Europe, notamment le fait de faire une monnaie unique en 1999. C'est un élément important pour protéger l'économie de l'Europe et pour protéger nos emplois. Mais il est vrai que le Traité était silencieux sur la situation en Yougoslavie, la Croatie à l'époque, en Bosnie les combats commençaient. Sauf une chose : dans le Traité d'Union européenne, on recommande la mise en place d'une politique étrangère et d'une politique de sécurité communes. Hélas ! par étape, comme une sorte de processus lent, alors que c'est une urgence absolue.

I. Levaï : Aujourd'hui, vous avez remarqué que les Allemands et les Britanniques sont beaucoup plus prudents sur ce qui se passe en Europe centrale. Il n'y a pas de débat sur la Bosnie en Angleterre, ni en Allemagne. Pourquoi ?

D. Baudis : C'est le rôle de la France de poser le problème. Et la France a pris ses responsabilités notamment en prenant l'initiative de réunir une conférence sur la stabilité en Europe. Et dans les semaines qui viennent, vous allez voir s'asseoir autour de la même table les représentants des pays de l'Union européenne et les représentants des pays anciennement communistes pour essayer de définir des liens forts, politiques, de sécurité entre eux et nous. C'est une initiative française relayée par l'Union européenne. Parce que l'Europe peut donner de la puissance aux propositions de la France.

A. Ardisson : Quelle est votre réaction au sondage BVA selon lequel pour l'élection présidentielle de 2002 vous feriez partie des candidats les plus prometteurs ?

D. Baudis : Dans la vie politique française, on a toujours trois temps d'avance en ce qui concerne les sondages et les analyses politiques. À l'heure actuelle, nous sommes dans l'élection européenne. Je suis content, aujourd'hui, on a parlé de l'Europe. Parce qu'en général, il faut éviter toutes les questions sur les élections présidentielles de l'année prochaine. Mais je vois qu'on fait plus fort. On est en train de parler des élections présidentielles du troisième millénaire. Je suis maire de Toulouse. Ce que je fais me passionne. J'aspire à siéger au Parlement européen pour y défendre les intérêts de la France, de ma ville et de ma région. Je trouve que c'est déjà une grande ambition.

P. Le Marc : En écoutant E. Balladur à Toulouse, lundi, donner sa vision de l'Europe, parler de l'union de la majorité autour de sa personne, appeler au rassemblement plus large pour l'avenir, est-ce que vous avez eu l'impression d'entendre le Premier ministre qui va remettre modestement les clefs de Matignon en 95 ou bien le candidat virtuel de la majorité à l'Élysée qui a déjà commencé sa campagne ?

D. Baudis : Qu'est-ce que je vous avais dit. On y est. Jusqu'au 12 juin je ne parlerai que de l'Europe. C'est une promesse que je me suis faite à moi-même et c'est une forme de respect pour ceux qui nous écoutent et pour ceux qui seront appelé à voter le 12 juin prochain.

P. Le Marc : Parce que la question vous embarrasse ?

D. Baudis : Non. L'élection européenne est une affaire importante. On est à 25 jours du scrutin. 25 jours pour parler de l'Europe une fois tous les cinq ans, cela me paraît peu. Je veux profiter de ce temps très bref pour parler de l'Europe, et pas d'autre chose.

I. Levaï : Vous allez débattre face à M. Rocard qui sera candidat à la présidentielle. Quel type de débat aurez-vous ?

D. Baudis : On parlera de l'Europe. Un de vos confrères a dit que je ne disais jamais de mal de personne. Dans la vie politique, il y a suffisamment de gens pour dire du mal des autres. Je suis sûr que le débat sera courtois. Mais cela n'amènera pas à masquer les différences. Il y a une vision socialiste de l'Europe.

A. Ardisson : Vos amis vous reprochent de ne pas marquer assez la différence entre votre projet et celui de M. Rocard.

D. Baudis : Il y a une différence. Vous le verrez à l'occasion de ce débat. Les socialistes adorent l'Europe administrative, l'Europe réglementée. Je préfère une Europe de liberté et de responsabilité. Les socialistes se sont mal servis de l'Europe. On a parlé du problème de l'ouverture à la concurrence. On aurait pu tenir sur 1997. Ils ont accepté 1994. C'était une erreur. Six mois avant de perdre le pouvoir. Ils se sont dit que c'était les successeurs qui gèreraient l'affaire. Ce sera un débat digne et intéressant. Mais le fond des choses, l'Europe socialiste et la nôtre, ce ne sont pas les mêmes. L'Europe sera ce que nous ferons d'elle. Ce ne sera pas quelque chose que nous subissons. L'Europe, on peut lui donner une orientation : on peut mener différentes politiques, de caractère socialiste ou de liberté et de responsabilité. Ce que veut le PS, c'est réintroduire une politique socialiste à l'étage européen, politique à laquelle les Français ont mis un terme il y a un an. Je souhaite que cela ne se fasse pas. Ce qui n'a pas été bon pour la France ne serait pas bon pour l'Europe.

I. Levaï : Vous préférez Tapie ou Rocard ?

D. Baudis : Je déteste ce genre de question. Je ne vois pas· pourquoi un débat politique qui est fait pour confronter des idées et des solutions, des problèmes qui intéressent les Français, se réduirait à des problèmes de sympathies ou d'antipathies personnelles entre les différentes têtes de liste. Ça n'intéresse personne.