Texte intégral
Le Parisien : 3 juin 1994
Q. : Quatre ministères participent à l'organisation de l'opération « Visitez un jardin en France ». Quel est l'objectif principal de celui que vous dirigez ?
Michel Barnier : Protéger et valoriser notre paysage s'inscrit vraiment dans la mission même du ministère de l'Environnement. J'y suis personnellement très attaché. Les parcs et jardins, qu'ils soient traditionnels on contemporains, sont la vitrine de notre art du paysage. Pendant les week-ends du mois de juin, mille jardins classiques ou insolites s'ouvriront au public, parfois exceptionnellement. C'est l'occasion de découvrir ou redécouvrir ce patrimoine précieux.
Q. : Quel rôle souhaitez-vous confier aux scolaires avec l'initiative « Mille défis pour ma planète » ?
R. : Cette opération, nous l'avons lancée en collaboration avec les ministères de l'Éducation, de l'Agriculture et de la Pêche, de la Jeunesse et des Sports, et elle mobilise, depuis la rentrée scolaire de 1993, 125 000 élèves de huit à vingt et un ans. Encadrés par leurs éducateurs et aidés de leurs parrains techniques, ils imaginent et réalisent des projets en faveur de l'environnement. Ces jeunes acteurs de l'environnement contribuent, avec leurs moyens, à faire progresser l'écocitoyenneté. Ils donnent l'exemple. C'est de cette façon que l'on parviendra à modifier peu à peu le comportement de la société tout entière. Les jardins ont inspiré huit défis en Ile-de-France. L'un d'entre eux est relevé par tout le lycée technique de Villiers-Saint-Frédéric, qui se propose de planter un mail de 1 000 arbres dans la cour d'école. Et 5 000 jeunes viendront présenter leurs défis le 25 juin lors d'une grande fête au Parc floral de Vincennes (XIIe).
Q. : Les parcs et jardins publics sont-ils à protéger au même titre que le patrimoine historique ? Ont-ils une identité à part entière ?
R. : Bien sûr ! Les parcs et jardins publics et privés, urbains ou intimement liés à la trame rurale, ont une identité à part entière. Ils doivent être pris en compte au même titre que les paysages dans lesquels ils s'insèrent. Ces espaces exceptionnels permettent de mieux prendre conscience de la qualité paysagère en général et de travailler à l'émergence d'une dynamique pour la protection de notre patrimoine paysager.
Q. : L'initiative des emplois verts apportera-t-elle une bouffée d'oxygène à la crise ?
R. : C'est un des chemins pour retrouver la croissance. Le Gouvernement a souhaité encourager les emplois verts en accordant une enveloppe de 300 millions de francs dont 200 seront gérés par les régions et 100 par l'État. Il s'agit d'aider les projets des collectivités territoriales ou d'associations créateurs d'emplois dans les secteurs de l'environnement. Je suis sûr que des dizaines de milliers d'emplois utiles pourront voir le jour dans les années qui viennent. Utiles, quand il s'agit de lutter contre les risques naturels (nettoyage des berges, des cours d'eau), de protéger la nature (création de brigades vertes), de préserver la qualité de vie (paysagistes).
LA CROIX : 11 juin 1994
Ayons l'optimisme de la volonté
Suffit-il que 110 chefs d'État et de gouvernement se rassemblent pour que, d'un coup, les mers soient claires, l'air pur, et la terre propre ? À l'évidence, non ! Mais il est des discours qui engagent, des mots qui obligent. Ceux qui ne respecteraient pas leur propre parole se discréditeraient. Voilà le sens du sommet de la Terre à Rio en juin en 1992. Prendre acte.
Aujourd'hui, qu'en est-il ? La France, et d'autres pays avec elle, ont agi. Une « commission du développement durable » devait être mise en place. C'est fait. La France s'était engagée à ratifier la « convention climat » destinée à lutter contre le réchauffement du climat. C'est fait. La France s'était engagée à ratifier la « convention sur la biodiversité ». C'est fait et avec l'unanimité du Parlement.
Conformément aux orientations de l'Agenda 21, la France a augmenté son effort d'aide au développement dans les secteurs jugés prioritaires pour la coopération avec les pays en développement et en transition : la gestion des ressources en eau, la conservation et l'exploitation des forêts tropicales, la lutte contre la désertification, l'environnement urbain et la maîtrise de l'énergie. Le mois dernier, la France a décidé d'apporter 807 millions de francs au Fonds pour l'environnement mondial et de créer un Fonds français de 440 millions de francs.
1,8 milliard de francs : c'est, chez nous, le montant du volet environnement du plan de relance du gouvernement en mai 1993. Une première en France ! Moins d'un an après le sommet de la Terre, la France montrait ainsi que la croissance ne passe pas seulement par des logements et des autoroutes mais aussi par des travaux publics de lutte contre le bruit et les sols pollués, d'entretien des berges et des rivières…
Le projet de loi sur le renforcement de la protection de l'environnement que j'ai eu l'honneur de présenter en mai dernier met en œuvre les grands principes issus de Rio : principe de précaution, principe de correction par priorité à la source des atteintes à l'environnement, principe « pollueur-payeur » ». Le projet de loi de Charles Pasqua sur le « développement durable » du territoire s'inspire aussi des orientations définies à Rio et constitue un pas en avant pour l'environnement. Mais encore, nous travaillons à la création prochaine d'une dizaine de parcs naturels régionaux et de deux nouveaux parcs nationaux dont l'un, exceptionnel, protégera la forêt tropicale de Guyane.
Est-ce suffisant ? Certainement pas. Plus de 160 États négocient aujourd'hui à Paris la conclusion de la convention sur la « lutte contre la désertification ». Est-ce tout ? Non plus. L'essentiel, c'est une double prise de conscience : d'une part, le développement ne pourra plus se fonder sur le vieux modèle de la reconstruction d'après-guerre. D'autre part, nous ne pourrons plus, au nom de la croissance, nous permettre de gaspiller des ressources et des espaces qui ne sont pas inépuisables. Les « excès » d'hier et les « manques » de demain nous montrent cette nouvelle voie : le développement durable.
L'environnement a débarqué à Rio en juin 1992 et a résonné comme un cri d'alarme : « Ça ne peut pas continuer comme ça ! » La puissance de cet appel, en présence des plus grands gouvernants de ce monde, et son amplification médiatique sans précédent, à quelques pas des favelas et de la misère, ont fait naître beaucoup d'espoirs. Mais les effets d'annonce portant plus sur les effets de suivi, plus austères et moins spectaculaires. D'où une déception aujourd'hui de certains. Elle est plutôt bon signe : elle prouve leur vigilance et que la cause défendue il y a deux ans est bonne. Le pire serait l'indifférence. Au pessimisme de l'impatience, je préfère l'optimisme de la volonté. Sans le sommet de la Terre, l'environnement aurait-il fait son entrée dans le Gatt en avril 1994 ?
LES ÉCHOS : 13 juin 1994
Q. : En tant que président du conseil général de la Savoie, qu'attendez-vous de la création de deux parcs naturels régionaux ?
R. : J'ai la certitude que cette création est prometteuse pour l'avenir des deux régions concernées. Chartreuse et Bauges sont en effet des régions dotées d'une forte identité, animées par des élus soucieux d'ancrer le développement dans le maintien d'une authenticité qui constitue leur meilleur atout. Le projet de parc régional est pour chacun un outil de fédération des énergies en vue de préserver et mettre en valeur un patrimoine naturel exceptionnel et promouvoir, dans le même temps, des productions agricoles et une capacité d'accueil touristique remarquable. La mise en place d'un parc naturel régional sera pour les Bauges et la Chartreuse une expérience de gestion intercommunale de l'aménagement du territoire et de l'espace presque idéale. J'ajoute que la dimension interdépartementale, entre Haute-Savoie et Isère, renforce le caractère exemplaire de ces deux initiatives.
Q. : Pensez-vous que cette structure, associant protection de l'environnement et développement, pourrait être une formule d'avenir pour les zones montagnardes ou rurales en difficulté ?
R. : Il ne s'agit pas, bien sûr, de généraliser sur le territoire national une formule qui, se banalisant, perdrait de sa force. Il n'en demeure pas moins que, dans nombre de régions montagnardes et rurales, la mise en place d'un parc naturel régional, si elle est fondée sur le maître mot de qualité, peut avoir un effet de levier efficace. Elle est donc parfaitement adaptée à la « renaissance » des terroirs qui constituent la trame économique, humaine et culturelle de notre pays, et que redécouvrent avec enthousiasme les citadins. C'est assurément une formule d'avenir. En témoigne d'ailleurs l'intérêt que les Américains portent aujourd'hui à cette démarche. Ils sont prêts à reprendre notre idée.
Q. : On va atteindre vingt-neuf parcs naturels en France. Votre ministère a-t-il d'autres projets et selon quels critères développerez-vous cette formule d'aménagement-protection ?
R. : Il me paraît utile de rappeler que les parcs régionaux sont créés à l'initiative des Régions. Avec l'appui de l'État, bien entendu. Surtout, l'État en valide la qualité en attribuant la marque « parc naturel régional ». Tous les dix ans, l'État vérifie que ce label est toujours mérité.
En France, les Régions ont une quinzaine de nouveaux parcs à l'étude et près d'une quinzaine de chartes existantes sont en cours de renouvellement. Mon objectif, face à cette demande, est d'éviter un affadissement des projets. Les parcs naturels régionaux ne doivent pas être des alibis « verts ». C'est l'intérêt commun des Régions et de l'État. Un nombre limité de sites répondront à mon avis à ces conditions.
Q. : La question de leur financement se pose-t-elle ?
R. : Le ministre de l'Environnement apporte un concours de 45 millions de francs aux parcs naturels régionaux, dont 20 millions au titre de leur fonctionnement. Cette intervention de l'État, complétée par les financements locaux, fait levier pour mener des actions expérimentales souvent reliées aux enjeux économiques locaux. Un exemple : les parcs naturels régionaux ont été à l'initiative des premières mesures agro-environnementales qui rémunèrent les services que rendent les agriculteurs pour la gestion des paysages et des milieux. De même, ils sont très impliqués dans toutes les démarches de développement d'un tourisme lié au patrimoine naturel et rural. Ils soutiennent ainsi un réseau de produits touristiques de nature en France, avec « voyages au naturel » et l'extension du réseau de gîtes « Panda » avec le WWF. Ils sont très présents sur les actions d'amélioration de la qualité des eaux et la gestion des déchets en milieu rural.
Le financement du noyau de l'équipe au parc, qui initie les projets, est assuré en « régime de croisière » par les collectivités. S'agissant du financement des programmes et des projets, cela dépend de la qualité des dossiers.