Interview de M. Dominique Baudis, président exécutif du CDS et tête de liste de l'union RPR UDF pour les élections européennes, à France 2 le 16 mai 1994, sur le déroulement et les thèmes de la campagne électorale.

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Média : France 2

Texte intégral

G. Leclerc : On a un peu le sentiment, dans cette campagne pour les élections européennes, que l'on ne débat pas vraiment de l'Europe. On parle des affaires de Tapie, de la Bosnie, éventuellement des présidentielles. Comment expliquez-vous ce désintérêt pour l'Europe. Est-ce que le fait d'avoir sur votre liste des pros et des anti-Maastricht, est-ce que ça ne vous paralyse pas un peu ?

D. Baudis : On parle de l'Europe, je parle de l'Europe, tous les jours, dans toutes les régions de France où je me rends et dans chaque émission de télévision. Je ne parle pas des affaires de B. Tapie, ça n'a rien à voir avec l'Europe. Je parle de la Bosnie, ça concerne l'Europe car elle a un rôle pacificateur. La guerre, la paix, ce sont les enjeux des prochaines années. La Bosnie et le sort de l'ancienne Yougoslavie font partie, au tout premier plan, de la question européenne, car c'est notre sécurité et celle de nos voisins. Sur le fait de conduire une liste où se trouvent des personnes qui ont voté oui et d'autres qui ont voté non, est-ce difficile ? Non, évidemment pas. C'est une liste de rassemblement. On trouve donc des gens qui ont voté oui et d'autre qui ont voté non, il y a 2 ans, lors d'un référendum particulièrement confus. Cette liste est à l'image des Français. Car la France a hésité et beaucoup de Français aussi. Il y avait à l'intérieur des Français, un peu de oui un peu de non, et dans les derniers jours, la balance a penché d'un côté ou de l'autre. On ne va pas transformer ce problème en une sorte de frontière qui séparerait les Français en deux catégories comme s'il y avait entre nous, une ligne jaune infranchissable. Donc je suis heureux de rassembler sur la liste d'union de toute la majorité, RPR/UDF, des personnes qui ont pu voter oui et d'autres non, mais qui sont d'accord sur ce qu'il faut faire, dans les 5 prochaines années au Parlement européen.

G. Leclerc : Vous avez abjuré l'Europe fédérale, n'est-ce pas un peu l'Europe honteuse ?

D. Baudis : Non. L'Europe fédérale, il y a longtemps qu'elle ne me paraît plus possible, en tout cas une sorte de fédéralisme à l'américaine. Si on pouvait y penser quand on était 6, à savoir un ensemble assez resserré, compact, on ne peut plus imaginer une organisation de type fédéral à l'américaine dans une Europe à Douze et peut-être demain à Seize, avec des pays comme le Danemark et le Portugal, la Grèce et l'Irlande et des pays de dimensions très différentes par ailleurs. Donc, il faut inventer quelque chose qu'on a appelé l'Union européenne. Je trouve qu'"Union" c'est plus beau que "Fédération".

G. Leclerc : Si l'on en croit les sondages, les Français estiment dans une grande majorité que l'Europe ne va pas dans le bon sens, notamment en matière d'emploi, de protection sociale, d'agriculture. Est-ce votre avis et faut-il plus ou moins d'Europe ?

D. Baudis : On en revient à la question précédente "Européen honteux." Non, je ne suis pas du tout un Européen honteux ! Je suis un Européen convaincu, de toujours et c'est parce que je suis ainsi, que je suis un Européen critique, là où ça ne marche pas très bien. C'est vrai qu'il y a des domaines où ça ne fonctionne pas très bien. Plus ou moins d'Europe disiez-vous ? Ça dépend sur quel terrain. Pour la date d'ouverture et de fermeture de la chasse par exemple, il faut moins d'Europe. On n'a pas besoin de l'Europe pour s'occuper de ça. Nos pays, nos régions peuvent prendre des décisions sur ce sujet. Par contre, pour l'environnement, il faut plus d'Europe pour régler un problème qui est une terrible menace : ce sont les centrales nucléaires type Tchernobyl. Il y en une quarantaine qui se trouvent le long des frontières de l'Europe. Vous vous rappelez ce qui s'est passé avec 2 millions de personnes irradiées. Le nuage radioactif est passé au-dessus de nos têtes. Ces pays-là sont dans l'incapacité financière de réparer ces centrales pour les mettre en état de sécurité. Aucun pays européen tout seul ne le fera car c'est une opération lourde financièrement. L'Union européenne peut le faire. Pour la France, ce sera la possibilité de faire tourner notre économie, car dans le domaine électronucléaire, les Français ont une grande expérience.

G. Leclerc : Et quand P. de Villiers ou J.-P. Chevènement disent que finalement entre votre programme et celui du PS, il n'y a pas grande différence, c'est la même Europe un peu molle ?

D. Baudis : Non, ce n'est pas la même Europe, c'est l'Europe socialiste ou c'est l'Europe de la liberté et de la responsabilité. Ce sont deux visions différentes de l'Europe : celle de M. Rocard et la mienne. Le PS a conduit une politique pendant 10 ans, que les Français connaissent bien. L'an dernier, les Français ont décidé de mettre cette politique à la porte, ils n'en voulaient plus. À l'occasion de cette élection européenne, M. Rocard essaye de faire revenir la politique socialiste par la fenêtre de l'Europe. Il voudrait faire en Europe, ce qu'ils ont fait en France. Je pense que ce serait une mauvaise chose pour l'Europe. Voilà pourquoi le vrai débat est entre la liste du PS et celle que je conduis, qui est celle d'union de toute la majorité, la seule liste de la majorité.

G. Leclerc : Justement, de ce point de vue ce n'est pas l'avis de P. de Villiers qui dit que lui aussi appartient à la majorité. Est-il oui ou non dans la majorité et s'il ne l'est pas, ça veut dire qu'au soir du 12 juin, on ne peut pas totaliser ses voix avec les vôtres…

D. Baudis : L'avis du Premier ministre, de J. Chirac, de V. Giscard D'Estaing, de R. Barre, de tous ceux qui exercent une responsabilité dans la majorité, au RPR à l'UDF ou au gouvernement, c'est qu'il y a une seule liste de la majorité. Tous l'ont voulue.

G. Leclerc : P. de Villiers n'est donc plus dans la majorité…

D. Baudis : Il s'est mis en dehors de la majorité, puisqu'il cherche à la diviser. Nous avons un projet commun, donc une liste commune. Je vous fais une confidence : s'il n'y avait pas eu une liste d'union de la majorité, il est probable que je ne serais pas engagé dans ce combat. Je l'ai fait pour l'Europe, mais aussi parce que la majorité avait pu faire son unité autour d'un projet. Et ma fierté c'est de conduire une liste d'union de toute la majorité.

G. Leclerc : Vous perdez 4 points dans le dernier sondage BVA-Paris-Match et P. de Villiers en gagne 2,5…

D. Baudis : Le vrai seul sondage qui m'intéresse c'est le vote de nos compatriotes le 12 juin prochain.

G. Leclerc : Dans les affaires de B. Tapie, il n'y a pas un côté complot, acharnement?

D. Baudis : Est-ce que toutes ces affaires ont quelque chose à voir avec l'Europe ? Non.

G. Leclerc : Elles tombent en pleine campagne européenne.

D. Baudis : Si j'en parle, vous direz que je ne parle pas de l'Europe. Donc je préfère parler de l'Europe. Ce sont des affaires privées, de justice, de droit commun et ça ne concerne pas l'Europe. Donc, je ne sors pas du sujet.

G. Leclerc : La différence d'appréciation qui a été soulignée hier entre M. Rocard et F. Mitterrand sur la Bosnie ?

D. Baudis : Ça c'est un sujet grave la Bosnie. Deux options : ou bien nous continuons une politique de recherche de la paix. C'est long, difficile, il y a parfois des échecs et à nouveau des avancées. Ou bien on continue de rechercher la paix et de tenter de l'imposer pour que la Bosnie vive en paix dans des frontières internationalement reconnues. Ou bien on choisit radicalement une autre option : livraisons d'armes, retrait des Casques bleus, retrait des organisations humanitaires, escalades du conflit, des centaines de milliers de morts, et des risques de propagation de la guerre. Entre ces deux options, je choisis celle de la recherche inlassable de la paix, à laquelle la France a beaucoup contribué. N'oublions pas que nous avons perdu là-bas, beaucoup de nos jeunes compatriotes.