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Remboursez ! Décidément, il va falloir arrêter de payer sa redevance. Ils se fichent de nous. Pourtant, tout avait bien commencé, à la télé : la journée de dimanche laissait présager qu'à partir de minuit on allait, enfin, assister, en vrai, à la fameuse « frappe » tant attendue. Depuis des mois, on en parlait. Il y avait eu quelques dizaines d'avertissements « sérieux » de l'ONU et « très sérieux » de l'OTAN. Une déclaration menaçante à chaque bombardement de Sarajevo. Pour le 1er de l'an, un pas supplémentaire avait été franchi. Rappelez-vous, Kouchner avait même eu le temps de poser son sac de riz en Somalie et d'arriver juste à point à Sarajevo pour le journal de 20 h, talonné de près par Giscard, pour le 20 h de l'autre chaîne. L'ancien président avait réussi à trouver des soldats clermontois à aller saluer. Mais, même sans eux, je crois qu'il serait venu, comme Léotard d'ailleurs et tant d'autres présents à Noël, apporter aux Bosniaques un peu de chaleur.
Cette semaine, on sentait le dénouement approcher et la « frappe » se préciser. Le dernier week-end, nous fumes comblés. Enfin, nous retrouvions les effluves de la guerre du Golfe. Tout y était : les journalistes en kaki, heureux de nous faire visiter les porte-avions, de nous montrer nos magnifiques marins et pilotes jouant au volley-ball sur le pont, pour se détendre avant l'heure fatidique. Inoubliable ce pilote, sentant bon le sable chaud, déclarer : « Moi, là-haut, je ne pense à rien, uniquement à ma mission, réussir ma frappe. » Maintenant, on connaît tout sur le Foch, son commandant, ses coursives et ses bombardiers superbes qui décollent en quelques mètres. On ne peut pas oublier ces journées télévisées qui nous rendent fiers de nos-petits-gars-là-bas et du drapeau.
Bref, on attendait la « frappe qui allait épargner les collatéraux ». Certains soldats ont été jusqu'à dire, dans le Figaro, qu'ils avaient été « mieux préparés » que pour le Golfe où, là quelques centaines de milliers de collatéraux n'avaient pu être épargnés... La tension était vive. Un conseil spécial de sécurité se réunissait le soir, un dimanche, avec Mitterrand en personne. Parce que, dans ce genre de cas, il n'y a, bien sûr, ni gauche ni droite, mais la France. Certes, il y eut ce matin historique le petit grain de sable de la rédaction de TF1 qui eut le culot de prétendre que l'obus assassin du marché était bosniaque. Bien sûr, tout est possible, mais certaines mauvaises langues ont été jusqu'à suggérer que cette information aurait pu être téléguidée pour amoindrir la solidarité avec les Bosniaques et faire comprendre que, finalement, la « frappe » de minuit n'était peut-être pas indispensable. Mais qui pourrait avoir de si mauvaises pensées et croire, par exemple, que les puissances occidentales ne font qu'amuser la galerie depuis des mois, parce que la Bosnie est le cadet de leurs soucis ?
La vérité est toute autre, chacun le sait : les grandes puissances partagent totalement le sort du peuple bosniaque, au sens ethnique du mot, bien sûr. Et ce partage imposé par l'alliance serbo-croate, elles l'ont accepté ; il n'y plus qu'à l'appliquer. Tant pis pour Tuzla, Srebrenica et autres villes bosniaques agonisantes.
Les sondages d'opinion n'étaient pas très bons ces temps-ci pour Balladur, Clinton et Eltsine. Ce week-end les a améliorés. Quant aux peuples de l'ex-Yougoslavie, s'ils ne prennent pas en mains leurs propres affaires, ils continueront à se faire écraser par les bombes, la connerie et l'hypocrisie.
La nausée continue.