Texte intégral
LE PARISIEN - 31 août 1998
Le Parisien : Lionel Jospin dit : « Nous continuerons à réformer (…). Il n'y aura ni recentrage ni dérive. » Cela vous suffit-il, vous qui réclamiez une accélération des réformes ?
Robert Hue : « La gauche plurielle a commencé à mettre en œuvre des réformes sociales significatives, pour lesquelles, je crois, personne ne conteste l'apport loyal et constructif des communistes. Je pense aux 35 heures, aux emplois jeunes, à la loi contre les exclusions.
Mais l'heure n'est pas à une vitesse de croisière tranquille. Il y a des urgences : le chômage et la précarité frappent des millions de Français ; la croissance reste fragile. Je persiste dans l'idée qu'il faut un rythme plus soutenu dans la mise en œuvre du changement. Il en va de la réussite ou de l'échec de la gauche plurielle.
Qui, à gauche, pourrait se plaindre qu'on accélère les moyens de faire reculer le chômage et les inégalités ? Alors que, si risque de dérive il y a, je le vois plutôt du côté de l'accélération du rythme des privatisations, sous la pression des marchés financiers.
Qui, à gauche, pourrait se plaindre qu'on accélère la progression du pouvoir d'achat des salaires, des minimas sociaux et des retraites face à l'explosion des profits boursiers et de grande fortunes ? D'autant que, avec la crise financière, on sait que c'est par la demande intérieure et l'investissement qu'on pourra consolider le début de croissance. Le changement, c'est une construction. Si on veut qu'elle soit durable, il faut des fondations solides. Et les fondations, c'est maintenant qu'il faut les assurer. »
Le Parisien : Sur les 35 heures, le Premier ministre condamne ceux qui, « au sein du CNPF », cherchent à « détourner ou contourner la loi ». Vous fait-il un clin d’œil ?
- « C'est clair, le CNPF fait tout pour mettre en échec la loi sur les 35 heures. Il veut en profiter pour généraliser la flexibilité et la précarité, sans créer d'emplois. Il est évident que les communistes vont tout faire pour créer les conditions de l'intervention des citoyens pour la réussite cette grande réforme. C'est, bien sûr, aussi l'affaire du Gouvernement, de toutes les forces de gauche et de progrès. J'appelle, en cet automne, à un grand mouvement social pour la réussite des 35 heures, sans réduction de salaire et avec créations d'emplois.
Vous comprendrez que je regrette d'autant plus que le Gouvernement se soit fragilisé en refusant ma demande d'intégrer les biens professionnels dans le calcul de l'impôt sur les grandes fortunes. Non seulement cela n'a apaisé l'appétit du CNPF, mais l'a aiguisé On le voit aujourd'hui avec 35 heures. »
Le Parisien : Selon certains, Lionel Jospin s'inquiéterait des oppositions que vous rencontrez au sein du PC. Cela va-t-il si mal chez vous ?
- « Vous savez, au congrès de Brest du PS, les opposants à la direction représentait environ 15 %. Lionel Jospin n'a pas eu l'air de s'en inquiéter outre mesure. Je le comprends. Il faut qu'on se fasse à l'idée qu'au PC la diversité a le droit de s'exprimer, et d'être respectée. Ce qui n'enlève rien au fait que l'immense majorité des militants et des électeurs se retrouve dans le choix de la participation au Gouvernement. Le débat dans le parti, je le souhaite. C'est un signe de santé. Et je suis certain que la Fête de « l'Humanité » va confirmer le bon climat qu'on a rencontré dans les fêtes et à notre université d'été.
Ceux qui mènent campagne autour de l'idée d'un PC bloqué dissimulent mal que, en fait, ils rêvent d'un PC se fondant dans une nébuleuse social-démocrate. Ils en seront pour leurs frais. La gauche et le pays ont besoin d'un PC moderne et ouvert. Un Parti communiste dont l'ambition est de progresser bien au-delà des 10 % dont on le crédite aujourd'hui. »
Le Parisien : Lionel Jospin dit que « le capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va » et il vante les vertus de l’État. Cela ressemble à un virage à gauche, non ?
- « J'apprécie cette critique du capitalisme du Premier ministre, même si je la trouve timide. Mais je n'attends pas de Lionel Jospin une profession de foi révolutionnaire. Effectivement, la crise qui secoue la planète (et personne n'est à l'abri, même en Europe) confirme combien l'ultralibéralisme et la mondialisation financière sont de désordres gravissimes et d'instabilité.
C'est cela qui appelle des réformes radicales et une réorientation en profondeur de la construction européenne, pour s'en prendre directement à ce qui es au cœur de la crise : les exigences de rentabilité des marché financiers. La privatisations, comme celle de la France Télécom par exemple, ne vont dans le bon sens.
Compte tenu de la gravité de la crise, le problème n'est pas de s'adapter, mais de dépasser le capitalisme, ce qui nous conforte dans notre raison d'être communistes. Nous voulons être porteurs de la radicalité des exigences populaires. »
LE JOURNAL DU DIMANCHE - 6 septembre 1998
Jean-Pierre Bédeï : Combien de temps pourrez-vous encore tenir coincé entre votre base militante et la solidarité gouvernementale ?
Robert Hue : Je ne me sens pas du tout coincé. La discussion au sein du Parti ne porte pas sur la participation ou non des communistes du Gouvernement. La véritable interrogation est la suivante : comment la gauche plurielle, dans un climat favorable, va-t-elle engager des réformes profondes ? Avec le retour de la croissance, allons au fond des réformes !
Jean-Pierre Bédeï : Lionel Jospin ne semble pas vouloir presser le pas ainsi que vous le demandez...
Robert Hue : Comme d'autres, j'ai appelé à une accélération du changement. En fait, il ne s'agit pas d'un problème de rythme, mais plutôt de contenu. Nous devons passer à des réformes de fond qui permettent à la gauche de ne pas décevoir. Il faut que le changement se traduise dans la vie des Français.
Jean-Pierre Bédeï : Le discours de Lionel Jospin à la Rochelle vous a-t-il rassuré ou inquiété à ce sujet ?
Robert Hue : Par certains côtés, il a confirmé des choix politiques qui sont des engagements de la gauche. Mais par d'autres, il a montré qu'il est essentiel que le PC joue tout son rôle de relais de la radicalité des exigences populaires.
Jean-Pierre Bédeï : Dans quels domaines ?
Robert Hue : D'abord, si on veut consolider la croissance, il faut favoriser davantage la relance de la consommation - surtout avec la crise financière-, ce qui implique d'augmenter les salaires, les retraites, les minima sociaux. Il faut aussi engager la réforme de la fiscalité, enrayer les plans de licenciements et l'explosion de la précarité, et procéder à une véritable réforme de la Sécurité sociale.
Jean-Pierre Bédeï : Mercredi, Dominique Strauss-Kahn présente le projet de budget 1999 à la commission des Finances de l'Assemblée. Jusqu'à présent vous n'avez guère été entendu dans vos revendications. Que pouvez-vous espérer ?
Robert Hue : Nous avons été entendus sur un certain nombre de points. La loi sur les 35 heures, les emplois-jeunes, la loi contre les exclusions sont indiscutablement marquées par l'apport communiste. En ce qui concerne la baisse de la TVA, nous commençons à être entendus. Mais ce n est qu'un point de départ. Nous allons faire des propositions pour un budget de gauche répondant mieux aux attentes des Français.
Jean-Pierre Bédeï : Ce budget n'est pas de gauche ?
Robert Hue : Il peut être amélioré sensiblement. J'avais proposé que l'impôt sur les grandes fortunes prenne davantage en compte les biens professionnels. Je n'ai pas été entendu, mais je n'ai pas l'intention de baisser la garde. Le patronat a élevé la voix et il semble avoir été écouté par le Gouvernement. Eh bien les communistes contribueront à ce que le mouvement social se fasse mieux entendre.
Jean-Pierre Bédeï : Considérez-vous qu'à La Rochelle, les socialistes ont pris un tournant libéral en matière de privatisations ?
Robert Hue : La vraie question pour les services publics, c'est la modernisation et la démocratisation de leur gestion, ainsi que la conquête de droits nouveaux pour les salariés. Je ne pense pas qu'on y répondra par une privatisation à marche forcée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, pour Air France. On peut imaginer une ouverture du capital qui ne conduise pas à la privatisation. Encore que le risque puisse toujours exister ! Je suis en désaccord avec ce qui se passe à France Télécom ou à Thomson. On ne me fera pas passer pour une politique industrielle, une politique de privatisations. Ce n'est pas conforme aux engagements que nous avons pris ensemble avec le PS. Il faut que cela soit clair !
Jean-Pierre Bédeï : Comment allez-vous répliquer ?
Robert Hue : Beaucoup attendent du PCF qu'il soit un garde-fou face à des dérives éventuelles. Nous y sommes attentifs. On ne peut pas imaginer que la gauche plurielle puisse se réduire à une synthèse dans laquelle se fondraient différents courants. Le PC n'est pas un courant du PS et n'entend nullement le devenir.
Jean-Pierre Bédeï : Quelle position prendrez-vous pour la ratification du traité d'Amsterdam ?
Robert Hue : C'est un mauvais traité. Il a été élaboré en dehors des peuples et il implique de nouveaux abandons de souveraineté. Nous voterons contre sa ratification. Nous sommes pour réorienter en profondeur l'Europe actuelle, qui est ultra- libérale. Nous sommes pour une Europe sociale, démocratique ; une Europe qui devienne réellement l'affaire des gens et qui respecte les souverainetés. Sur des questions d'une telle importance, il faut un référendum.
Jean-Pierre Bédeï : Avez-vous peur de prendre la tête de la liste du PC pour les européennes ?
Robert Hue : Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Le problème est d'abord de définir le projet politique européen. Ensuite, je vous le garantis, les communistes qui seront en tête de liste seront des personnalités de premier plan. Au-delà des européennes, nous ne nous contenterons pas d'un niveau de 9 ou 10 % pour l'influence du PCF. Des potentialités existent dans le pays pour qu'un PC porteur de la radicalité de gauche dépasse ce seuil.
Jean-Pierre Bédeï : Vous deviez assister au concert de Johnny Hallyday vendredi. Est-il toujours votre idole ?
Robert Hue : Comme tous ceux qui étaient là, j'ai été très déçu de cette annulation. D'autant plus que j'étais, en 1963, avec ces petits jeunes qui se pressaient contre les barrières pour écouter Johnny lors de ce formidable rassemblement à la Nation. A l'époque, je préférais « Schmoll » (Eddy Mitchell). Le rock'n'roll était plus qu'une musique, c'était un véritable fait de société. On sortait des guerres coloniales et il exprimait une libération de la jeunesse. Vendredi, j'étais invité par Johnny Hallyday. J'en étais très heureux. A 55 ans, quelle carrière et quelle longévité !
France 2 - Lundi 7 septembre 1998
Claude Sérillon : Cela doit être un exercice pas facile, cet équilibre entre « j'appartiens » et en même temps « je critique » ?
Robert Hue : Ah non, j'appartiens. Mais oui, critique parfois. Nous voulons que la gauche plurielle réussisse, et les premiers mois de son action à la tête du pays marquent des résultats intéressants, significatifs. Mais, précisément, parce que ces résultats sont significatifs, parce que l'on sent un climat un peu meilleur, il faut profiter de cette fenêtre, en quelque sorte, pour que s'engage un élan plus radical dans les réformes. Voilà l'état d'esprit qui est le nôtre.
Claude Sérillon : Ma question était plus personnelle, parce que j'ai 'l'impression qu'entre vos militants, qui vous réclament des réformes, des vraies réformes, inscrites dans le programme du Parti communiste, et puis le fait, quand même, que vous êtes obligé de faire alliance avec le Parti socialiste, c'est un rôle qui est quand même un peu difficile ?
Robert Hue : Non, je crois que...
Claude Sérillon : La base vous pousse, quand même, là-dessus !
Robert Hue : Les militants, les adhérents savent - et ils ont décidé ainsi il y a un an et demi, quand nous sommes rentrés au Gouvernement - qu'on n'est pas venu au Gouvernement de la France avec la gauche plurielle pour mettre en œuvre la politique du Parti communiste. Donc, on est là pour être utile à ce que la gauche plurielle soit bien ancrée à gauche, qu'un certain nombre de réformes importantes s'engagent. Or, qu'est-ce que je constate aujourd'hui ? Il y a ce climat, dont je parlais, et incontestablement...
Claude Sérillon : Vous avez vu le sondage de La Tribune : on dit que tout va bien !
Robert Hue : Oui. Moi, je voudrais dire, de ce point de vue, il y a en même temps des millions de Français qui continuent d'être au chômage, la précarité qui existe, même si le chômage a un peu reculé. Tout cela reste dur, il y a des urgences, et je pense que l'heure est à des mesures audacieuses. Alors, évidemment, cela implique qu'il y ait une autre utilisation de l'argent, mais je crois que le moment est venu de le faire !
Claude Sérillon : Si vous dites cela, c'est que les socialistes ne le font pas. Vous êtes un peu agacé par le fait qu'ils vont pas à pas, trop modestement, trop prudemment ! Vous avez envie de réformes plus radicales !
Robert Hue : Je suis communiste, et je ne suis pas socialiste. Je suis pour, effectivement, qu'il y ait plus de radicalité à la politique à mettre en œuvre. Non pas que je souhaite m'inscrire dans une ritournelle permanente du toujours plus. Mais quand même, aujourd'hui, on voit bien que si nous ne relançons pas, par exemple, la consommation intérieure - on a vu, avec la crise internationale, la consommation intérieure, c'est quelque chose d'important : c'est-à-dire par des salaires plus significatifs, des retraites aussi, des minima sociaux - eh bien, on n'aura pas cet élan nécessaire pour relever le défi des défis. Il y a un défi décisif, sur lequel la gauche sera jugée, c'est le défi de l'emploi. Donc faire reculer le chômage implique des mesures audacieuses.
Claude Sérillon : Monsieur Jospin le dit. Donc, vous êtes en désaccord sur les mesures qu'il prend ?
Robert Hue : Non, comprenez bien, il y a ces millions de chômeurs dont je parlais tout à l'heure, il y a des petites avancées mais cela ne suffit pas, même au rythme où cela va aujourd'hui.
Claude Sérillon : Qu'est-ce qu'il faut faire ?
Robert Hue : Je pense qu'il faut relancer de façon significative la consommation pour qu'elle soit créatrice d'emplois.
Claude Sérillon : Comment ?
Robert Hue : Par une augmentation des salaires, par des mesures incitatives à l'emploi. Par exemple, il faut apporter des aides aux entreprises,notamment aux PME et PMI, mais il faut systématiquement lier ces aides, ces exonérations fiscales à des dispositions visant à créer des emplois. Il faut vraiment que l'argent des Français soit utile à l'emploi. Je pense qu'il faut être plus fort, plus pressant. Le patronat exerce une pression incontestable sur le Gouvernement.
Claude Sérillon : Chacun de son côté. Est-ce que, vous, vous êtes pour la baisse des charges sociales, par exemple, sur les bas salaires ? Est-ce que vous pensez que cela peut-être incitatif ? Est-ce que vous approuvez cette idée qui est dans l'air et qui devrait être annoncée par Mme Aubry dans peu de temps ?
Robert Hue : Je ne sais pas si Mme Aubry va annoncer cette disposition, parce que j'en ai parlé un peu avec elle. Il reste que je pense qu'il nous faut faire attention que toute baisse des charges sur les bas salaires n’entraîne pas un patronat, qui est aux aguets, à baisser les salaires et à faire une politique des bas salaires qui est déjà patente.
Claude Sérillon : Mais vous n’êtes pas contre ?
Robert Hue : Moi, je suis pour des allégements significatifs, si par ailleurs il y a des emplois créés. Moi, cela ne me gêne pas qu'on aide une entreprise, cela ne me gêne pas qu'il y ait une exonération fiscale pour une entreprise - par exemple sur la taxe professionnelle – à condition qu'on prenne en compte la nécessité de créer des emplois.
Claude Sérillon : Dites-moi vous avez changé quand même ?
Robert Hue : Pas vraiment.
Claude Sérillon : Ce n 'était pas le discours du Parti communiste ?
Robert Hue : C'est le discours du Parti communiste.
Claude Sérillon : Les milliards qu'on donnait au patronat, vous avez souvent dénoncé cela. Maintenant vous dites : on peut les aider s'ils créent des emplois. Vous modérez quoi ?
Robert Hue : Non, c'est un langage tout à fait réaliste. Moi, je ne veux pas diaboliser l'entreprise. Je souhaite surtout que l'argent des contribuables, la richesse créée puisse aller effectivement à l'emploi. Par exemple, il faut une autre politique du crédit beaucoup plus incitative que celle qui, aujourd'hui est mise en œuvre. Autant d'éléments modernes, voyez-vous ! Oui, nous sommes porteurs, les communistes, aujourd'hui plus que jamais, de mesures fortes, innovantes, permettant de faire reculer le chômage et la précarité. C'est notre obsession.
France Inter - Vendredi 11 septembre 1998
Comment être communiste, en cette année politique qui aboutira, en juin prochain, aux élections européennes ? Comment être communiste face à un Premier ministre qui écrit, cette semaine, dans les pages du Nouvel Observateur, que le meilleur rempart à la crise mondiale que nous traversons, c'est l'Europe. Et qui, précisant son discours de La Rochelle, propose un projet économique faisant la part belle à une économie de marché régulée. Comment être communiste face à un projet de budget 1999, plus généreux pour les entreprises que pour les ménages ? Comment être communiste et souscrire au théorème libéral des profits d'aujourd'hui, qui font les investissements de demain et les emplois d'après-demain ?
Stéphane Paoli : C'est la fête de l'Huma qui commence ou c'est la fête à l'Huma ?
Robert Hue : C'est la fête de l'Huma, et cela va être une grande fête. Comment être communiste face à tout cela ? Il faut surtout être communiste, il faut des communistes, justement, pour que l'on fasse, parfois, autrement que ce qui est prévu dans ce que vous énonciez tout à l'heure. Vous avez évoqué le budget, par exemple, et c'est une question qui, depuis plusieurs jours, intéresse le pays.
Stéphane Paoli : Il passe relativement en douceur, au passage ?
Robert Hue : On n'en est qu'au tout début. Il s'agit d'un projet de budget pour le moment. Il est présenté par le Gouvernement. Ce budget, en l'état, mérite d’être sensiblement amendé. Alors que la gauche plurielle, compte tenu du climat général, devrait trouver, en fait, une situation ou devrait se mettre dans une situation de plein régime, pour reprendre une formule populaire, ce projet de budget, à mon avis, doit être plus ancré à gauche qu'il ne l'est. Et les parlementaires communistes vont y contribuer. II y a les intentions qui sont affichées, elles sont positives : priorité à l'emploi j'entendais, hier, sur votre antenne, D. Strauss-Kahn qui l'évoquait - et soutien à la croissance. Mais, il y a des choses dans ce budget qui ne vont pas. Même si, d'apparence, elles peuvent s'inscrire dans cette logique que j'évoquais.
Stéphane Paoli : Quand D. Strauss-Kahn dit : on donne la priorité aux investissements, parce qu'en effet, les investissements, c'est ce qui fera tourner la machine et donc finira à terme par créer des emplois, est-ce que l'on peut être contre cela ?
Robert Hue : Dans l'immédiat, il s'agit plus de donner la priorité à des aides nouvelles au patronat qu'à l'investissement lui-même. Cela fait longtemps que l'on donne des moyens financiers aux entreprises, au patronat, pour l'investissement et pour l'emploi. Depuis des années, pour ne pas dire maintenant des décennies, on voit que ces moyens financiers, qui sont ceux de l’État, ceux des contribuables français, ceux des citoyens français, ne vont pas à l'emploi. Ils vont plutôt à la spéculation. Il y a un problème. Regardez, la taxe professionnelle. On a parlé de cette réforme, je trouve que c'est très intéressant, enfin, qu'il y ait une réforme de la taxe professionnelle. Mais en quoi consiste, actuellement, cette réforme, telle qu'elle est présentée. Ce serait simplement exonérer les entreprises d'une partie de la taxe professionnelle. Mais où est la garantie, en face, qu'il y aura des emplois créés. Je suis pour réformer cette taxe professionnelle, mais je suis pour qu'il y ait un système garantissant la création d'emplois.
Stéphane Paoli : J'imagine que, pour vous, la porte est compliquée, parce que, sur le front de l'emploi, cela va mieux. La machine commence à nouveau à créer des emplois.
Robert Hue : Si cela va mieux, je suis content.
Stéphane Paoli : On est tous content quand cela va mieux là-dessus !
Robert Hue : Naturellement Mais, regardons la réalité. Il y a un mieux. Je crois que la politique des emplois-jeunes peut permettre un certain nombre de débouchés. Avec les 55 heures, s'il n'y a pas ce frein terrible du patronat, qu'il faut absolument faire reculer dans cette affaire, on peut créer un certain nombre d'emplois. Il reste qu'il faut, à mon avis, prendre des dispositions beaucoup plus fortes en matière d'emplois. Regardons bien la réalité du chômage aujourd'hui. Certes, il a reculé un petit peu, mais attendons les prochains chiffres. Mais cela ne suffit pas.
Stéphane Paoli : Qu 'est-ce que vous proposez ?
Robert Hue : Je propose une relance par la demande intérieure, à partir de la demande intérieure.
Stéphane Paoli : Elle va plutôt bien, la consommation intérieure !
Robert Hue : II faut aller bien plus loin. Elle nous a mis en situation d’être un peu mieux que d'autres dans la crise financière. C'est donc bien de ce côté-là qu'il faut aller. D'ailleurs, vous vous souvenez qu'ici même, j'ai réclamé, à plusieurs reprises, qu'il y ait une augmentation plus sensible des bas salaires, des minima sociaux. Ce n'est pas suffisamment significatif dans le budget actuel. Nous allons contribuer à ce que cela soit entendu, parce qu'il faut relancer cette consommation. Je crois qu'il s'agit à la fois du contenu des réformes et de leur rythme. Je maintiens, d'ailleurs, les deux termes de cette démarche. Il faut donc des réformes qui engagent réellement une politique nouvelle en la matière, et qui apportent les réponses que l'on attend en matière de chômage. La gauche devra répondre sur cette question du chômage et de l'emploi de façon tout à fait décisive dans les années qui viennent.
Stéphane Paoli : Vous dites tout le temps : la gauche, la gauche. Hier, le Parisien titrait en disant : où est la droite ? Finalement, j'ai presque envie de demander où est la gauche ce matin. Parce qu'en effet, M. Strauss-Kahn était là ; la politique de L. Jospin, on a tendance à dire, un peu : balle au centre. En ce moment, la France est plutôt gouvernée au centre. Alors, où est la gauche ? Vous êtes à gauche, vous-même ?
Robert Hue : Il y a une politique de gauche plurielle mise en œuvre. D'ailleurs, on voit bien comment réagit le patronat français. Parce que, il y a la droite qui est vraiment dans la situation politique que l'on sait, mais il y a des forces économiques qui s'inscrivent dans une démarche de droite, conservatrice et on voit bien comment elles réagissent actuellement à la politique qui est proposée. Il reste que - alors je vais dire très franchement les choses - il faut mieux ancrer cette politique à gauche. Et là, on est dans le rôle, dans la fonction du Parti communiste. Certains s'interrogent sur ce que fait le Parti communiste ? Qu'est-ce qu'il peut faire ? Son rôle est d'être précisément le relais, au sein de l'action gouvernementale, de cette radicalité des exigences populaires.
Stéphane Paoli : Et sur l'enjeu majeur de cette année qui vient, sur l'Europe, qu'est-ce que vous allez faire ? Elle nous protège bien l'Europe, là, dans la crise !
Robert Hue : Vous trouvez ?
Stéphane Paoli : Tout le monde le dit, on est un peu à l'abri de la crise.
Robert Hue : J'entends tous les matins dire, pas forcément sur votre antenne : ça y est, il y a le paratonnerre de l'euro. L'euro n'existe pas. Il n'est pas en place. Certes, nous sommes engagés dans une politique de l'euro, mais il n'y a pas d'euro aujourd'hui. Donc, ce n'est pas cela, aujourd'hui, qui protège. Ce qui protège, cela a été les premiers éléments de relance de la consommation intérieure, de la demande intérieure, qui, effectivement, là, ont apporté une résistance.
Stéphane Paoli : Quand même, quand vous discutez avec les spécialistes économiques, ils vous disent tous que l'Europe est une zone de sécurité, que les capitaux viennent se réfugier en Europe !
Robert Hue : Qu'il y ait une pensée unique au plan économique et que les communistes y résistent et contribuent à ce que la gauche plurielle ne se laisse pas dériver en la matière, oui, cela, c'est vrai. Mais donc, dans la gauche plurielle, il est clair que nous voulons ancrer une démarche qui... Vous avez évoqué, tout à l'heure, le texte de L. Jospin dans Le Nouvel Observateur. J'ai lu attentivement - vous vous en doutez bien - ce texte, surtout qu'il prolonge un certain nombre de propos qu'il avait tenus à La Rochelle. Et je vois bien qu'il y a la recherche d'une régulation et je pense que c'est bien d'imaginer une régulation. Mais il ne s'agit pas de réguler le marché capitaliste pour s'y adapter, mais pour le dépasser. Et là, nous avons une différence. Et il faut que nous en discutions, il faut avancer. Je pense qu'il faut davantage se dégager d'une logique de l'argent pour l'argent, qui, actuellement, continue de dominer. Or la politique de la gauche ne pourra réussir que si on se dégage de cette logique. Nous sommes, là, dans des débats importants, mais il me semble, très intéressants.
Stéphane Paoli : Et le débat est ouvert chez vous aussi, parce qu'on ne va pas ouvrir à nouveau le front de la gauche rouge, comme on dit, mais au sein du Parti communiste, c'est un débat paisible ou cela va être un débat difficile ?
Robert Hue : Non, c'est un débat naturel. Il faut qu'on s'imagine, une fois pour toutes, qu'au Parti communiste, il y a la diversité, qu'elle a le droit de s'exprimer, qu'il faut la respecter et qu'il peut y avoir des avis différents. C'est ce qui se fait au Parti communiste aujourd'hui. Vous voyez bien qu'il y a, de façon forte, une orientation qui est celle de contribuer, de façon constructive, à la gauche plurielle. Mais il y aussi des avis qu'il faut entendre.
Stéphane Paoli : Il parait que vous avez fait éclater de rire F. Bertinotti en Italie, le patron de Refondation qui vous a dit : vous, vous êtes un cas quand même, c'est la participation sans soutien. Ils n'ont jamais vu cela en Italie.
Robert Hue : F. Bertinotti voudrait bien une situation qui lui permette de participer au gouvernement en Italie. Ce n'est pas le cas, parce que c'est vraiment un gouvernement de centre gauche, auquel il ne peut pas participer.
TF1 - Vendredi 11 septembre 1998
Claire Chazal : Vous allez ce soir écouter J. Hallyday, une autre fête populaire ?
Robert Hue : La première fois que j'ai vu Johnny, c'est Place de la Nation, en 1963. J'étais, là, derrière les barrières.
Claire Chazal : Parlons un peu plus sérieusement. Je crois que vous n'allez pas prononcer de discours à la fin de cette fête de l'Humanité. C'est parce que vous sentez un peu désorientés les militants ?
Robert Hue : Non, chaque année, c'est un dirigeant différent qui fait le discours. Cette année, c'est mon amie, N. Borvo. Moi, je vais parler. J'aurai des rencontres avec les nouveaux adhérents, je vais aller de stands en stands.
Claire Chazal : Il y a quelques sceptiques.
Robert Hue : Il faut qu'on se fasse une raison : le PC est dans une mutation profonde, il y a la diversité qui s'exprime. C'est un signe de santé, de démocratie. Tout le monde n'a pas le même sentiment. Il faut qu'on rompe avec cette idée qu'il pourrait y avoir un monolithisme. C'est bon pour la démocratie et le PC n'est pas fait de militants godillots. Moi, je trouve que c'est bien. En même temps, je partage un certain nombre de choses que j'ai entendues : l'inquiétude, l'attente des militants. Nous voyons la situation de la France aujourd'hui : il y a un peu plus de confiance, c'est incontestable ; la gauche avec des premières mesures a réussi déjà le premier pas. Mais, aujourd'hui, qu'est-ce que disent les gens ? Ils veulent que, concrètement, dans leur vie quotidienne, on sente un peu plus ce changement, que le chômage recule, que les inégalités régressent. Il faut donc prendre des mesures, me semble-t-il, plus nettes, plus marquées à gauche, plus fortes en termes de fiscalité, en termes de pouvoir d'achat.
Claire Chazal : On a entendu vos critiques sur le budget. Le budget de l'année 1999 qui vient d’être présenté. On a entendu certains communistes et vous-même dire que le budget n'était pas au fond assez social.
Robert Hue : Oui, je pense que, par exemple sur la fiscalité, il y a des aides qui sont apportées au patronat. Je ne suis pas contre qu'on aide les PME-PMI. Mais il me semble qu'en même temps, quand on apporte des aides, qu'on fait des exonérations, il faut que l'on compense les choses en termes d'emplois. Je suis pour qu'on mette un mécanisme beaucoup plus net entre l'aide aux entreprises et l'emploi. Je suis pour qu'on aide le développement de l'emploi, une relance par la consommation intérieure. On voit bien, dans cette période de crise financière, qu'il est important d'asseoir notre croissance sur la demande intérieure. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire : augmentation plus sensible des bas salaires, des minima sociaux, des retraites. Il y a là à dynamiser et ne pas rester dans une situation de croissance financière qui pourrait conduire à des situations difficiles, et surtout à mettre en cause les propositions de la gauche. Moi je veux que la gauche réussisse. C'est pour cela que je suis exigeant et que les communistes sont dans ce gouvernement, entendent y rester, mais exigeants.
Claire Chazal : Là, concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que, par exemple, les députés ne vont pas voter ce budget, ou est-ce que vous allez proposer des amendements ?
Robert Hue : Nous sommes dans un débat parlementaire. Vous posez la question qui est au cœur, effectivement, des préoccupations des députés : est-ce qu'on va pouvoir amender ce budget ? Je crois que oui ; il faudra de toutes façons l'amender. Par exemple, la taxe professionnelle : je pense qu'il faut, là, mettre un mécanisme qui incite davantage à créer des emplois, alors qu'on fait des cadeaux - tout à l'heure, je les évoquais. L'ISF, l'impôt sur les grandes fortunes : j'ai proposé qu'on intègre dans cet impôt, les biens professionnels.
Claire Chazal : Là vous n'avez pas eu gain de cause ?
Robert Hue : Pour le moment. Mais en même temps, vais-je baisser les bras ? Cela me semble une mesure, là aussi. On ne peut pas laisser s'accumuler un pôle des fortunes, qu'il y ait en même temps une partie des fortunes qui sont les richesses créées dans le pays, qui puissent aller ailleurs. Il faut que les biens professionnels soient intégrés. Il y a toute une série de dispositions comme cela qui doivent marquer une radicalité certaine. Nous sommes dans notre rôle, les communistes, dans la majorité plurielle - nous ne sommes pas les socialistes -; nous sommes différents, mais nous apportons cette volonté qu'on entende le monde du travail, qu'on entende les gens qui sont en difficultés. Je crois que nous sommes dans notre vocation.
Claire Chazal : Mais est-ce que vous comprenez les contraintes du Gouvernement ? Il parle notamment d'une croissance qui sera éventuellement plus faible l'année prochaine.
Robert Hue : Oui mais les contraintes... Moi je pense qu'on peut consolider la croissance par une augmentation de la consommation et donc du pouvoir d'achat. Il me semble que c'est la meilleure façon de consolider la croissance. Et puis, il faut vraiment qu'on prenne en compte la situation réelle dans laquelle nous sommes. Les contraintes, on ne peut pas éternellement demander aux mêmes de se serrer la ceinture. Les déficits que l'on veut diminuer, je suis pour. Mais pourquoi on ne demande pas davantage aux grandes fortunes, aux revenus financiers ? La Bourse explose en ce moment. Il y a bien de l'argent dans ce pays. Je pense que la gauche doit effectivement, pour être fidèle à ses engagements, engager des réformes profondes, vite, parce qu'on attend cela de la gauche, et on attend que je dise cela des communistes.
L'HUMANITÉ - 14 septembre 1998
« (...) On voudrait faire croire que le Parti communiste n'aurait le choix qu'entre deux attitudes. La première le conduirait à s'aligner derrière un Parti socialiste dominant à gauche et porteur, tout naturellement, puisque c'est sa nature, son identité, d'une politique sociale-démocrate, voire sociale-libérale, hésitant à rompre avec les politiques passées ou même les reprenant dans certains domaines - comme par exemple les privatisations. Si nous faisions cela, nous ne serions pas le Parti communiste. Et surtout nous ne répondrions pas aux attentes des millions de Français qui ont voulu que le Parti communiste soit dans la majorité, au Gouvernement, pour y apporter la fermeté de ses choix transformateurs et y être un lien actif et constructif entre eux-mêmes, leurs aspirations, leurs exigences, et le pouvoir qu'ils ont confié à une gauche qu'ils ont voulue et veulent riche et forte de son pluralisme.
La deuxième attitude serait le repli dans une attitude frileuse de protestation d'autant plus impuissante qu'elle ne proposerait rien pour modifier le cours des choses.
Là encore, si nous faisions cela nous ne serions pas le Parti communiste ouvert, constructif, offensif pour être utile à notre peuple, utile au changement, utile à la transformation sociale, que nous avons décidé d'être toujours mieux.
Certains rêvent visiblement de nous voir reculer devant les difficultés et nous replier sur nous-mêmes. Ils s'efforcent de faire croire aux communistes eux-mêmes qu'ils seraient incapables de déployer leur politique de présence active, et constructive à la fois dans le mouvement social et dans la majorité. Ils essaient même d'accréditer l'idée que les adhérents et adhérentes du Parti communiste feraient pression pour que leur parti fasse machine arrière et vers un repli identitaire dont je viens de souligner combien il serait néfaste pour les Français et suicidaire pour le Parti lui-même.
J'ai la conviction que ce n'est vraiment pas cela que veulent les communistes, pas cela que vous voulez, vous qui venez de décider de devenir membres de ce Parti. Et j'ai la conviction que les hommes et les femmes communistes d'aujourd'hui sont au contraire parfaitement capables de déployer avec audace et imagination leur politique pour contribuer à réussir le changement et aider notre peuple à se donner un projet novateur de transformation sociale et à se rassembler pour le promouvoir.
Tant pis pour ceux qui rêvent d'un Parti communiste se mettant hors jeu de la vie politique et de l'effort pour que la France donne des réponses neuves et efficaces face aux grands défis de notre temps. Cela ouvrirait la voie à je ne sais quelles combinaisons politiciennes, dont en fin de compte, c'est notre peuple qui ferait les frais. Nous ne leur ferons pas ce cadeau !
Nous allons - nous devons continuer à nous ouvrir plus encore à la société, à la richesse de tout ce qui, dans cette société, est porteur d'idées nouvelles, créateur de lien social, à tout ce qui conteste le pouvoir des marchés et le monopole des pouvoirs entre les mains de quelques-uns. Nous voulons nous ouvrir davantage encore, en étroite symbiose avec les mouvements sociaux, à tous ceux pour qui modernité est synonyme de progrès humain.
Il n'est pas d'autre voie pour révolutionner la société que d'y être de plain-pied, comme un ferment d'idées, d'initiatives politiques. Il n'est pas d'autre voie pour être à la hauteur de notre responsabilité. (...) »