Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur l'aide humanitaire de la France au Rwanda et la nécessité de parvenir à une réconciliation nationale, à l'Assemblée nationale le 1er juin 1994.

Prononcé le 1er juin 1994

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Texte intégral

Q. : Monsieur le ministre, la tragédie du Rwanda dépasse les limites de l'horreur et la communauté internationale n'a, pour l'instant, pas réussi à stopper les massacres.

La MINUAR a bien du mal à évacuer les civils restant à Kigali, les ONG et le HCR, malgré leurs trésors d'audace et de dévouement, sont impuissants devant l'ampleur du drame.

Ils ne peuvent d'ailleurs qu'atténuer les souffrances sans pouvoir guérir le mal. Car le mal a des racines politiques. Derrière le paravent de la guerre ethnique entre Tutsis et Hutus se cache en effet une lutte sans merci pour le pouvoir, un pouvoir absolu, détenu aujourd'hui par la majorité hutu extrémiste qui s'appuie sur l'armée rwandaise et les milices. Majorité qui n'entend pas appliquer les accords d'Arusha prévoyant pourtant la participation de l'opposition à ce pouvoir. Opposition constituée d’Hutus modérés, et de Tutsis rassemblés dans le FPR. Ces accords d'Arusha signés en Tanzanie en août 1993 sont pourtant la seule solution politique crédible pour installer la paix.

Et si dans l'esprit d'Arusha, une solution politique n'est pas trouvée rapidement, la masse des réfugiés rwandais fuyant l'horreur et frappant aux portes du Burundi risquent de déstabiliser demain ce pays déjà fragile.

Monsieur le ministre, ma question sera simple, quelle initiative la France compte-t-elle prendre pour amener les belligérants et les pays voisins à une négociation afin que l'esprit d'Arusha se concrétise dans ce pays, dans ce pays ami, le répète, mais déjà trop meurtri ?

R. : Monsieur le député, je partage tout à fait l'analyse que vous venez de faire de la situation au Rwanda.

J'ai déjà eu l'occasion devant cette assemblée de dénoncer et de condamner les massacres qui ont été perpétrés des deux côtés, à commencer par les milices qui ont agi dans les zones contrôlées par les forces gouvernementales. Nous avons d'ailleurs, à l'initiative de Mme Michaux-Chevry qui représentait la France lors de cette réunion, demandé à la commission des Nations unies pour les droits de l'homme, qui s'est réunie récemment à Genève, de désigner un rapporteur spécial afin d'identifier les coupables et de les punir.

Par ailleurs, notre action politique s'est déployée selon quatre axes que j'ai déjà évoqués ici. Je les rappelle très brièvement. Premièrement, alléger les souffrances des populations. Comme vous, je veux rendre hommage au courage extraordinaire et au dévouement inlassable des organisations non gouvernementales présentes sur le terrain. Nous essayons de les aider. M. Douste-Blazy s'est rendu sur place, il y a quelques jours. Parmi l'action humanitaire de vaste ampleur que nous avons engagée, soulignons la mise en place d'une antenne chirurgicale du Samu mondial au Burundi destinée à traiter les blessés les plus graves. Nous poursuivons l'action humanitaire au Burundi, en Tanzanie et au Rwanda même, par le biais (les organisations non-gouvernementales.

Deuxièmement, favoriser la mise en place de la force des Nations unies. C'est grâce à la France qu'a été sortie de l'enlisement où elle se trouvait la résolution du Conseil de sécurité. Sachez que 5 500 hommes sont prévus. On nous indique que 4 000 sont d'ores et déjà prêts à se mettre en place sur le terrain, des Sénégalais, des Ghanéens, et d'autres encore. La France est prête à participer à leur équipement.

Troisièmement, obtenir le cessez-le-feu, car, quels que soient les efforts humanitaires, nous ne parviendrons pas à améliorer la situation des populations si les parties n'arrêtent pas le feu. Des négociations sont en cours à Kigali depuis lundi dernier et par notre action diplomatique, nous essayons bien entendu de les appuyer.

Quatrièmement, enfin et là je vous rejoins totalement, il faut retrouver la ligne d'Arusha. L'accord d'Arusha a été signé, je le rappelle, en août 1993 et la France avait joué un grand rôle dans le rapprochement des parties afin de parvenir à la signature. Il faut revenir au processus de réconciliation nationale. Les pays de la région pourraient utiliser leur influence auprès des parties afin que le sommet actuellement en cours de préparation, soit en Tanzanie, soit au Kenya, aboutisse. C'est en tout cas ce à quoi la France s'emploie.

Au total, il faut effectivement redonner la parole aux hommes et aux femmes responsables et modérés et parvenir à museler enfin les extrémistes qui ont la responsabilité de ce génocide sans précédent en Afrique.