Déclaration de M. Jean Perrin, président du CNI, parue dans "Les 4 vérités hebdo" du 17 juillet 1998, sur les notions de droite libérale, nationale et indépendante et les valeurs de "la vraie droite" autour des thèmes de la famille, de l'entreprise et des libertés, Paris le 6 juin 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Convention "Pour l'entente à droite" à Paris le 6 juin 1998

Média : Les 4 vérités hebdo

Texte intégral

« Tout d’abord, je voudrais féliciter Alain Dumait et Claude Reichman de l’organisation de cette manifestation. Je crois que nous avons besoin de pouvoir parler, de pouvoir nous exprimer. Je les remercie profondément de leur invitation, parce que c’est pour moi la première « sortie officielle », depuis deux mois que j’ai pris la président du Centre national des indépendants et paysans. J’ai eu beaucoup de contacts avec de nombreuses personnes et personnalités, mais, à ce jour, je n’avais encore pas eu l’occasion de m’exprimer devant une assemblée aussi noble.(*)
J’ai beaucoup apprécié tout ce qui s’est dit ce matin, et, véritablement, je me dis qu’avec les hommes qui ont parlé, qu’avec toutes les idées qui ont été développées, si on n’arrive pas à créer un grand courant qui se fait respecter dans la France, alors on est mauvais. Et comme on n’a pas l’intention d’être mauvais, eh bien on va essayer d’être bons !
Pour le Centre national des indépendants, je vais faire un peu d’historique. Vous savez tous comme moi que c’est Antoine Pinay qui a lancé ce grand parti il y a près de cinquante ans. Et donc, quand j’ai proposé ma candidature au poste de président, je me suis dit : quelle est la motivation profonde de quelqu’un qui veut la présidence d’un parti ? Ce n’est pas de faire une carrière. Le reste, c’est de la magouille, de la fripouille, tout ça je ne connais pas, je n’en veux pas… Donc il faut proposer ses solutions avec des principes fondamentaux, qui sont ceux d’Antoine Pinay ; c’est la logique, le bon sens et l’honnêteté. On ne les trouve plus guère !
Les thèmes sur lesquels on a voulu intervenir chez les Indépendants et Paysans, c’est d’abord la famille. Pour nous, la famille c’est la base essentielle de notre société, c’est la structure nécessaire et fondamentale ; et nous seront toujours intransigeants sur la politique de la famille. Mais la famille, elle n’existe que si le chef de famille travaille. Donc, tout de suite derrière la famille, c’est l’entreprise : l’entreprise libérée, l’entreprise libérale, l’entreprise des entreprenants. Nous voulons la défendre et nous voulons qu’elle rayonne.
Évidemment, je vous l’ai dit, nous sommes le Centre national des indépendants et paysans, et pour nous l’agriculture ne doit pas continuer à être assistée, en permanence. Nous ne voulons pas d’une agriculture assistée et nous voulons qu’elle puisse vivre d’elle-même. Et puis, pour élargir le débat, l’Europe nous paraît incontournable. La mise en place de l’Euro est nécessaire, mais nous émettons de nombreuses réserves et nous souhaitons que notre voix soit entendue. Et puis, derrière tout cela, il y a un fil conducteur, qui est fondamental : c’est la sécurité des personnes et des biens. Voilà les idées que j’ai retrouvées au CNI et que je vais essayer de développer dans ce parti.
Dans les autres partis politiques, autour de nous, CNI, qui sont mes copains et qui sont mes ennemis ? C’est-à-dire : où vais-je retrouver un peu les même idées et où aurai-je véritablement des idées opposées ?
J’ai observé une espèce de groupe, que j’appellerais la « droite socialiste ». Là, j’ai vu un certain nombre de divergences avec nos idées. J’ai observé un autre groupe, que j’appellerais la « gauche communiste ». J’ai constaté des oppositions avec nos idées. Et puis, j’ai constaté un autre groupe, pas tellement représenté par les hommes politiques, mais plus représenté par le peuple, que j’appellerais la « vraie droite » : et dans cette vraie droite, j’ai retrouvé une aspiration fondamentale et une convergence totale avec les idées dont je vous parle, sur les thèmes de la famille, de l’entreprise, des libertés.
Il faudrait que cette vraie droite puisse développer ses idées, qu’elle puisse les faire avancer. Les gens de cette vraie droite avaient misé beaucoup sur un homme, Jacques Chirac. Je ne sais pas, quand je le classe, s’il est droite, socialiste ou… je ne sais pas, j’ai du mal. On a été déçus… beaucoup. Alors, je me suis dit : si on n’arrive pas à avoir quelqu’un qui fait passer les idées de la vraie droite, eh bien il faut absolument que l’on puisse créer, lancer, dynamiser une droite libérale, une droite nationale, mais une droite totalement indépendante. Et j’ai vu qu’il y avait des hommes qui pouvaient le faire. Mais si ça ne se fait pas, je crois qu’il y a deux raisons fondamentales.
La première, c’est que la France vit avec un clivage droite-gauche ; c’est-à-dire qu’en dehors de droite-gauche, on n’existe pas. Mais il y a deux particularités à ce clivage. La première particularité, c’est que la gauche accepte tout le monde et que la droite doit rejeter des électeurs. Ça moi, je n’ai pas compris ! Je croyais que quand on avait la voix de quelqu’un, on pouvait la garder et qu’on était élu légitimement. J’ai constaté que ce n’était pas tout à fait le cas et que maintenant, en France, il fallait trier les voix, en disant : « celle-là je la prends, celle-là je ne la prends pas… et puis finalement oui, j’ai la majorité, j’ai 55 %, mais je ne suis pas élu parce que j’ai enlevé des voix ; et toi, tu as 45 %, oui mais tu es élu, tu les a toutes prises… » Alors, je me suis dit : ça cela ne peut pas marcher.
La deuxième particularité c’est que tout le monde – on a beaucoup parlé des médias, ce matin – admet, reconnaît, valide, une gauche plurielle. Mais tout le monde aussi voudrait imposer une droite unique. C’est-à-dire qu’à gauche, on peut penser différemment, même complètement différemment et à l’opposé sur un sujet et gouverner ensemble. À droite, on doit obligatoirement adopter toutes les positions de ceux qui ont des idées qui peuvent être parfois discutables. Alors j’ai dit non. J’ai regardé plus en détail. J’ai pris un exemple, sur deux hommes. L’un doit s’appeler Dominique Strauss-Kahn et l’autre Robert Hue. Je me suis dit : qu’ont-ils en commun pour gouverner ensemble ?
Physiquement, je me suis dit : ils doivent être tous les deux attachés à une bonne table, parce que… bon, c’est bien. Et puis après, je me suis dit : ils ont quand même des oppositions : il y en a un qui a les cheveux sur la tête, les autres sur le menton ! Tiens, c’est bizarre… Et puis après, j’ai regardé dans les programmes. Eh bien, je ne crois pas que l’homme du capital, Dominique Strauss-Kahn, accepte tout ce qui s’est passé dans les pays communistes ; et je ne crois pas non plus que M. Hue accepte toutes les théories capitalistes de Dominique Strauss-Kahn : ils gouvernent ensemble, et les médias, les Français, tout le monde trouve ça normal : « eh bien, oui, ils s’équilibrent »… Allons donc ! Et si, à droite, il y a une petite différence, on dit : ce n’est pas normal, vous ne devez pas. Alors, il faut arrêter ces particularités et il faut se dire que c’est normal qu’il y ait des différences, entre les gens, et que ces différences il faut les accepter. Comme dans un couple. Un homme et une femme, j’ai constaté que ce n’est pas tout à fait pareil, et même, c’est bien, ça se complète. Le monsieur dit « je vais aller fiche mon poing sur la figure au voisin », et puis la femme dit « non, calme-toi, discute… » C’est bien, voilà, et ça tourne bien. Eh bien, je crois qu’à droite, ça doit être pareil ; il y en a qui sont un peu plus nerveux, oui ; il y en a d’autres qui doivent tempérer, qui doivent calmer, et on doit trouver un équilibre.
Il faut qu’on arrête de culpabiliser les gens qui se disent de droite. Moi, j’ai été traumatisé en Bourgogne, aux élections régionales. Le président sortant, leader du RPR, a pris comme slogan : « ni de droite, ni de gauche : devant ». Attends ! C’est le chef du RPR et il n’ose même pas dire qu’il est de droite ! « Ni de droite, ni de gauche : devant »… Je ne comprends plus tellement. Par contre, la gauche dit « je suis à gauche, moi, j’y suis ». Alors, il faut qu’on arrête ce terrorisme intellectuel, qui est dramatique dans ce pays. Décomplexons-nous ! Nous sommes à droite, nous sommes fiers d’être à droite, et nous ferons gagner la droite.
Comment faire gagner la droite ? C’est bien beau, les bonnes idées, les bonnes théories, tout ça, oui… Mais pour les appliquer, il faut être au pouvoir. Nous, les Indépendants et les Paysans, on ne sait pas beaucoup de choses, mais on a bien les pieds sur terre, et on sait que pour être au pouvoir il faut plus de 50 %. Alors, si on veut gouverner, si on veut appliquer nos idées, il faut dépasser 50 %. Et on sait si systématiquement on rejette 20 % des gens – puisque si vous prenez ceux qui sont en dehors de l’Alliance, ça doit faire une bonne vingtaine, peut-être 25 ; on verra avec les partielles qui vont avoir lieu bientôt, je souhaite que l’Alliance réussisse bien mais je crains que ce ne soit un cuisant échec –, si on veut ça, eh bien il faut prendre en compte tout le monde, les aspirations de tout le monde, et il faut dire : on veut faire plus de 50 % et on fera plus de 50 % avec toute la droite.
Tout à l’heure, l’intervenant M. Touzé – que j’ai beaucoup apprécié – a rappelé un vieux principe du CNI, un principe qui a été posé depuis longtemps, c’est de dire : nous n’avons pas d’ennemis à droite, l’ennemi il est de gauche ! Nous ne voulons pas nous battre contre les gens de droite ! Cela ne veut pas dire que l’on accepte tous des gens de droite. Pour l’instant, on est en train de préparer la coupe du monde de football. C’est événement important, et il y a beaucoup de joueurs qui voudraient bien jouer dans l’équipe de France. Ils sont concurrents : il y en a qui veulent jouer au poste de gardien, les autres un poste d’avant-centre, ils choisissent un peu leurs conceptions de ce qu’ils vont faire dans le jeu. Puis il y a le sélectionneur – qui ressemble de très près à l’électeur – qui fait tomber le couperet, en disant, au moment de la décision : voilà, untel y est et puis untel n’y est pas. Mais après, quand ils sont ensemble, ils sont dans une équipe, avec chacun sa part contributive aux résultats de l’équipe, et ils sont ensemble face à un adversaire, pour faire gagner la France. Voilà ce que nous voudrions, nous, dans cette approche qui doit être faite à droite, c’est de dire : il faut faire gagner la France ; pour faire gagner la France, il faut faire gagner la droite, et pour faire gagner la droite, il faut faire plus de 50 % et pour faire plus de 50 %, il ne faut rejeter personne.
Quand il y a des élections, il faudrait qu’il ne reste en piste que les deux meilleurs, et puis que les autres se retirent. Que cela soit entendu comme ça. Et ne pas dire ensuite : je donne mes voix à untel, je les vends à untel… j’ai une rencontre discrète, qui est cachée dans un bar par là… officiellement, je peux le dire ou je ne peux pas le dire… Rien de tout cela. Chaque électeur vote en son âme et conscience pour le candidat qui lui paraît le plus apte à défendre ses idées. Point. Et nous serions d’accord au CNI pour dire : il faut qu’on arrive à ce qu’on laisse les deux meilleurs candidats, les deux candidats les mieux placés. Il y en a un des deux qui restera, l’autre qui partira ; personne ne refusera de voix, nulle part ni où que ce soit. Je crois que c’est un des grands principes si on veut revenir au pouvoir.
Le CNI a cinquante ans demain. Il est né de la fusion de deux partis : les Indépendants et les Paysans. C’était, à l’époque, les forces vives de notre pays. Moi, je souhaite que toutes ces familles puissent se rassembler, puissent discuter, puissent avancer. Mais il ne faut pas que ce soient les mêmes qui fassent tous les pas. Quand on veut se rencontrer, quand on veut se rapprocher, chacun doit faire un bout de chemin. Je pense que dans certains partis, il serait bon que les dirigeants prennent du recul, pour qu’il y ait, avec les nouvelles générations que nous voulons incarner, un renouvellement à droite, dans toute la droite. Que certaines personnes prennent du recul pour faire un geste dans notre direction, et nous irons volontiers faire des accords, travailler ensemble, pour qu’enfin on fasse dans ce pays triompher la droite, pour la France et pour les Français. »

*C’est volontairement que nous avons conservé intégralement le style parlé, au caractère vivant, de l’intervention de Jean Perrin.