Texte intégral
M. Denoyan : Bonsoir.
On ne devait en parler qu'à partir de la fin de l'année, mais une Université en fin d'été aura, en un week-end, fait voler en éclats toutes les pieuses recommandations. La guerre Chirac-Balladur est lancée, les lieutenants des deux candidats potentiels de la Majorité à l'élection présidentielle ont sorti les épées des fourreaux.
La paix, puis l'union, est-elle encore possible ? On peut s'interroger tant chaque jour, en effet, apporte son flot d'informations dont chaque camp fait une arme de campagne. Quelques-unes sont actuellement favorables au Premier ministre : le chômage qui a reculé depuis deux mois la croissance qui semble être plus forte que prévue et à l'UDF Valéry Giscard d'Estaing qui se tient toujours prêt, dit-on.
Invité d'Objections ce soir : monsieur Charles Millon, Président du groupe UDF à l'Assemblée nationale.
Charles Millon, bonsoir.
M. Millon : Bonsoir.
M. Denoyan : Nous allons vous interroger sur une actualité qui démarre sur les chapeaux de roues, avec Annette Ardisson et Pierre Le Marc de France-Inter, Fabien Roland-Lévy et Jean-Michel Aphatie du Parisien-Aujourd'hui.
Charles Millon, on a l'impression que l'espace d'un week-end, finalement, la Majorité a volé un peu en éclats. Le choix affirmé d'Alain Juppé, soutenu et relayé en cela par la nouvelle garde RPR en faveur de Jacques Chirac candidat de la Majorité actuelle, n'est-il pas le retour à des vieux démons qui vous ont conduits à la défaite en 81 et en 88 ?
M. Millon : Il est pour le moins normal que chacun fasse connaître ses préférences. Je crois qu'Alain Juppé, secrétaire général du RPR, a fait connaître sa préférence pour le président du RPR. Je ne vois là rien de plus naturel.
Le problème de cette candidature d'union, c'est une supercherie car chacun veut un candidat unique, un candidat d'union, à condition que cela soit le sien et c'est là où l'on voit qu'il n'y aura pas de candidat d'union puisqu'il y a en fait des conceptions, des thèses, des méthodes, qui sont diverses à mon avis. Y aura-t-il un candidat d'union aux Présidentielles comme il y a eu une liste unique aux Européennes ? Je me pose la question…
M. Denoyan : Vous la posez et vous répondez non…
M. Millon : Je ne réponds pas non, je dis simplement que la vie politique, ou plutôt le monde politique est là pour gérer des espaces politiques. Il y a un espace de la Majorité ; dans cet espace de la Majorité, il y a des tempéraments différents, qui sont aujourd'hui en train de s'exprimer. Si demain un miracle intervenait et qu'il y ait un candidat unique, il est bien évident que je le soutiendrai de toutes mes forces.
M. Roland-Levy : Vous faites allusion, monsieur Millon, à la candidature disons parasite de Philippe de Villiers aux Européennes. Mais là vos amis parlent d'un candidat d'union entre les grands candidats, ceux qui ont une chance de gagner. Alors vous faites allusion à quoi ? Qui serait le candidat qui viendrait troubler le jeu ?
M. Millon : Vous pouvez reprendre le scenario des Européennes et l'appliquer aux Présidentielles. Demain matin, les grandes formations politiques vont se mettre d'accord sur un candidat unique et, à côté, va se lever un autre candidat qui va récupérer tous les déçus, tous ceux qui ne sont pas satisfaits du candidat d'union, qui va spéculer sur un certain nombre d'aigreurs ou un certain nombre d'insatisfactions et on va s'apercevoir très rapidement que l'objectif du candidat d'union est un objectif idéal, ou même parfois hypothétique.
M. Roland-Levy : Comment faire pour éviter cette situation ?
M. Millon : C'est tout simple : il faut actuellement qu'on débatte d'abord des problèmes de fond, car ce qui intéresse les Français, c'est de savoir ce que l'on va faire du prochain septennat. Or c'est un prochain septennat qui, à mon avis, est très important car aujourd'hui la République est ébranlée, elle est contestée, elle est même déconsidérée par ce qu'on appelle le phénomène de l'exclusion. Les hommes-politiques ont des réponses graves à donner à cette question ou à cette interpellation et c'est à partir du moment où l'on connaîtra la réponse, ou les réponses des différents candidats à la candidature, que l'on verra émerger au mieux un candidat d'union qui pourra remplir tout cet espace ou alors sortir des thèses concurrentes qui pourront s'exprimer en toute amabilité.
Mme Ardisson : Vous, que vous souhaitez-vous ?
M. Millon : Je souhaite aujourd'hui que les familles telles qu'elles existent puissent d'abord débattre au fond et qu'ensuite elles soutiennent le candidat…
M. Denoyan : Vous ne vous mouillez pas beaucoup, là, Charles Millon…
M. Millon : … qui représente le mieux les thèses qui sont en fait analysées.
M. Le Marc : Charles Millon, est-ce que vous identifiez déjà clairement les projets, les façons de gouverner différentes qui justifient plusieurs candidatures ? Sur quoi porte le clivage entre un candidat de l'UDF et un candidat RPR, et entre Chirac et Balladur ? Comment identifiez-vous ce clivage actuellement ?
M. Millon : Je ne vois pas de clivage. Je dis simplement qu'il existe différentes manières de gouverner. On va faire, si vous voulez, une petite analyse très rapide.
Aujourd'hui, vous avez une France qui est menacée par l'exclusion, avec les chômeurs de longue durée, l'illettrisme et l'analphabétisme, le problème des banlieues, le problème de l'immigration qui est toujours là, le problème de la solitude qui frappe certaines catégories de la population, et en particulier les personnes âgées, le problème de la désertification rurale, etc… Et vous avez une République dont l'ambition est d'intégrer, d'assimiler, qui devient un ensemble hétéroclite, balkanisé, avec ces personnes qui sont laissées pour compte et laissées sur le bord du chemin.
Le défi qui est lancé aux hommes politiques est de donner une réponse à cela.
Parallèlement, il y a les premiers signes de la reprise, c'est-à-dire que l'on s'aperçoit, comme disait tout à l'heure Gilbert Denoyan, que le chômage a tendance à ralentir dans sa progression, que la croissance est en train de reprendre dans la plupart des secteurs. Il y a donc des signes de reprise.
La question posée est : « Que va-t-on faire de cette reprise ? Va-t-on choisir la voie de la facilité où l'on va – et à la veille d'une élection la démagogie est facile – subventionner un certain nombre de catégories pour les calmer ou ralentir la mutation ? Ou va-t-on au contraire faire les réformes qui s'imposent, qui sont nécessaires et qui, si elles avaient été faites préalablement, auraient peut-être empêché d'avoir une crise si dure, si longue, si sévère ? »
M. Le Marc : Quelles sont vos réponses à vous ?
M. Millon : Personnellement, je suis favorable, tout le monde le sait, à ce qu'aujourd'hui on annonce les réformes que l'on va faire, à ce qu'aujourd'hui on essaie de reconstituer le pacte républicain avec les Français pour leur dire : « Ensemble, nous allons durant les 7 ans qui viennent, faire toutes les réformes, dans le domaine de la santé… »
M. Denoyan : Il faut se déclarer à la présidence de la République pour faire cela…
M. Le Marc : C'est très chiraquien tout cela…
M. Millon : Je ne sais pas si c'est chiraquien…
M. Le Marc : Ah si !
M. Millon : … mais ce sont en tous les cas les idées que Charles Millon soutient.
M. Aphatie : Essayons de préciser, parce que vous posez beaucoup de questions… On va essayer ce soir de vous faire apporter quelques réponses.
Style de gouvernement, disiez-vous : quand vous voyez depuis 18 mois le Gouvernement d'Édouard Balladur qui fait face à l'exclusion et qui gère aujourd'hui la relance, est-ce que cela vous inspire plutôt de la confiance ou plutôt de la défiance ?
M. Millon : Bien sûr, c'est de la confiance. J'ai voté la confiance, je revoterais la confiance demain. Le Gouvernement d'Édouard Balladur est un gouvernement qui a pris une situation très difficile et qui a mené des politiques pour pouvoir rétablir l'équilibre des finances publiques, pour pouvoir tendre à l'équilibre des finances publiques, pour pouvoir combler un certain nombre de trous, particulièrement dans le domaine de l'action sociale, qui a engagé un certain nombre d'actions pour pouvoir réformer des secteurs tels que le secteur de la santé et le secteur de l'hôpital, et je crois qu'il s'est engagé dans le bon sens.
Mais le Gouvernement d'Édouard Balladur…
M. Denoyan : Vous l'avez quand même critiqué un peu, de temps en temps…
M. Millon : … naturellement, se place dans une période de 2 ans et il est évident qu'à l'occasion des élections présidentielles, on va faire un choix fondamental, qui n'a pas été fait depuis des décennies : c'est de savoir si la société française est prête à faire un grand effort sur elle-même pour pouvoir rétablir les conditions d'une véritable République, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas d'exclus et que l'on puisse vivre ensemble dans la convivialité et l'amitié.
C'est cela le problème qui est posé aujourd'hui : savoir quelles sont les méthodes, les moyens, que l'on va utiliser pour pouvoir empêcher que les Français aient cette impression que la République a été confisquée par une Nomenklatura, que la République aujourd'hui est ébranlée par l'exclusion.
M. Le Marc : Et Balladur n'est pas capable d'apporter cette réponse, à votre avis ?
M. Millon : Je n'ai pas dit du tout cela. J'attends que le débat présidentiel soit ouvert, je ferai part avec mes amis de mes propositions, de mes suggestions. Je souhaite qu'il y ait un vrai débat de fond et quand ce débat de fond aura lieu, quand les candidats se seront déclarés, je ferai connaître – et j'amènerai la formation politique dans laquelle je milite à s'aligner sur ma position, c'est bien normal – mon opinion et mon soutien.
M. Aphatie : Jacques Chirac a ouvert ce débat avec son livre.
M. Millon : J'ai dit que Jacques Chirac avec son livre avait mis le débat, à mon avis, au niveau où il fallait car la plupart du temps, à la veille des élections présidentielles, on a des programmes où ce sont des énumérations, chiffrées la plupart du temps, qui font des promesses à toutes les catégories. Et je crois que le problème ne se pose pas du tout comme cela, que le problème se pose d'une manière tout à fait différente : quelle est la méthode qu'on va utiliser pour réconcilier les Français avec leur République ?
Mme Ardisson : Pour pouvoir choisir les différentes réponses données par les différents candidats à la candidature, on ne fait pas cela le 5 janvier ; il faut commencer avant… Cela implique qu'ils se déclarent tous avant, sans cela vous n'aurez jamais ce débat de fond.
M. Millon : Le débat de fond, je crois qu'il doit avoir lieu maintenant. Il aura lieu aux Journées Parlementaires de l'UDF qui vont se tenir à Vittel à la fin du mois de septembre, il a déjà commencé aux Universités d'été, il continuera durant le débat budgétaire. Et pendant ce temps-là, il faut que ceux que nous appelons, nous leaders naturels, nos responsables politiques, s'expriment et que ceux qui ont l'ambition de participer à la course présidentielle le fassent ; quand ils se déclareront, on connaîtra les choix de chacun et on choisira.
Personnellement, je souhaite, je le dis très clairement, que l'UDF ne soit pas à l'écart de ce débat. C'est une grande force politique, c'est la deuxième force politique française. Elle a actuellement la majorité dans les régions, dans les départements, au Sénat et elle est le deuxième groupe parlementaire à l'Assemblée nationale. Je souhaite que l'UDF participe à la campagne présidentielle.
M. Roland-Levy : Vous voulez dire qu'elle ait son candidat ?
M. Millon : Je veux qu'elle puisse prendre parti d'une manière très claire. Elle n'aura pas son candidat car vous savez très bien que dans la Ve République, monsieur Roland-Lévy, ce sont les candidats qui se déclarent et ensuite ce sont les partis politiques qui les suivent.
M. Denoyan : Un candidat issu de son rang…
M. Roland-Levy : Je repose la question : vous voulez qu'il y ait un candidat qui ait l'étiquette UDF, qui ne sera pas le vôtre, mais qui sera UDF ?
M. Millon : Non, je veux un candidat qui vive en osmose avec les thèses que soutient l'UDF et qui aura, je l'espère, à ce moment-là le soutien de l'UDF. Mais je souhaite aussi que cela aille bien au-delà de l'UDF car, pour gagner les Présidentielles, il faudra aller bien au-delà.
M. Le Marc : Cela peut-être qui ? Giscard, Monory ou Barre ?
M. Millon : Il y a de nombreux candidats. Vous en avez cité trois, il y en a peut-être d'autres.
M. Le Marc : Quels autres ? Vous par exemple ?
M. Millon : Je ne suis pas là aujourd'hui pour commencer la course à l'échalotte. Je suis là pour dire simplement aujourd'hui qu'il y a un débat qu'il faut ouvrir et croyez bien que je mettrai toutes mes forces pour l'ouvrir, car je crois qu'aujourd'hui le débat sur la République, sur l'exclusion, sur la nécessité de recréer les conditions d'égalité des chances en France, est un débat essentiel.
Parallèlement, il y a la nécessité pour les hommes politiques qui souhaitent concourir à la magistrature suprême de prendre parti dans ce débat-là. À un moment donné, sans doute au premier trimestre 95, les formations politiques feront connaître les candidats qu'elles soutiendront.
M. Denoyan : Charles Millon, vous pouvez peut-être nous dire si vous avez le sentiment que la chose est bien engagée. Tout à l'heure, je faisais allusion…
M. Millon : Bien sur que la chose est bien engagée. Je suis très frappé aujourd'hui par tous ceux qui se plaignent…
M. Denoyan : Les mots doux sont sortis…
M. Millon : … qu'il y ait débat, mais c'est bien normal qu'il y ait débat. Je souhaite qu'il y ait débat…
M. Denoyan : Mais il n'y a pas débat sur le fond, tel que vous le souhaitez…
M. Millon : … Je souhaite simplement qu'il n'y ait pas débat sur les personnes, qu'il n'y ait pas débat sur les tactiques…
M. Denoyan : Il n'y a que cela pourtant…
M. Millon : Non, il faut qu'il y ait débat sur le fond.
M. Denoyan : Pour l'instant, vous avez le sentiment qu'il y a débat sur le fond ?
M. Millon : Bien sûr, …
M. Denoyan : Ah bon…
M. Millon : … le débat sur le fond a commencé. Actuellement, quand vous écoutez les discours d'Édouard Balladur, les discours de Jacques Chirac, les discours de Valéry Giscard d'Estaing, les discours d'Alain Madelin ou les discours de Philippe Seguin, vous vous apercevez bien que ce sont les débats de fond qui commencent à être abordés. Je souhaite qu'on aille jusqu'au bout et il y aura sans doute des différences. S'il y a des différences trop flagrantes, il faudra laisser le choix aux Français. S'il n'y a pas de différences trop flagrantes, à ce moment-là on se dirigera vers un candidat d'union. Mais la démocratie…
M. Roland-Levy : Par quel procédé ?
M. Millon : Par un procédé tout simple : les candidats se présentent et les formations politiques décident de soutenir. Je ne vois pas d'autre procédé possible car autrement vous aurez toujours le petit dissident du coin qui viendra en réalité semer sa panique après tous les accords d'état-major que vous pourrez passer.
M. Le Marc : Et les sondages ? Est-ce qu'on peut en tenir compte ? Est-ce que c'est un instrument politique raisonnable ?
M. Millon : Un quotidien du matin a fait une analyse aujourd'hui tout à fait intelligente où il démontre que pour les trois dernières élections les sondages 5 ou 6 mois avant se sont complètement trompés par rapport aux résultats. Alors ne prenons pas les sondages…
Je suis contre la civilisation des sondages ; je pense que les citoyens sont majeurs et qu'il parait bien meilleur qu'il y ait des hommes politiques qui aient une vision, qui aient des idées, qui aient des solutions, qui se présentent et que ce soit les citoyens qui tranchent. Le meilleur sondage, c'est le sondage de l'élection.
M. Le Marc : Que pensez-vous de l'attitude de vos amis du parti républicain, comme Gérard Longuet ou François Léotard, qui déjà ont choisi Édouard Balladur ? Est-ce que vous pensez qu'ils naufragent l'UDF, comme le disent certains justement à l'UDF, comme Raffarin ?
M. Millon : Ils ont fait un choix qui leur est personnel. Personnellement, j'attends de connaître les candidats. Je trouve assez extraordinaire qu'aujourd'hui on déclare déjà qu'on soutient tel ou tel alors que personne ne s'est déclaré.
M. Le Marc : Est-ce que c'est dangereux ou pas, pour l'avenir de l'UDF, de soutenir Balladur ?
M. Millon : La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'à titre personnel, je mettrai tout en œuvre, je dis bien tout, pour que la formation politique dans laquelle je milite, c'est-à-dire l'UDF, le courant de pensée dans lequel je m'inscris depuis que je suis rentré en politique, c'est-à-dire l'UDF, aille bien au-delà des prochaines élections. Car je considère qu'elle est porteuse d'un patrimoine intellectuel, d'un patrimoine politique qui lui est propre et je ne souhaite pas que l'UDF fasse l'objet d'enchères à l'occasion de ces élections.
M. Aphatie : Quand on vous entend dire que personne ne s'est déclaré aujourd'hui, Philippe Seguin dit : « C'est un secret de Polichinelle, Jacques Chirac sera candidat ». Le comportement d'Édouard Balladur suggère que pour le moins la candidature l'intéresse. Vous ne pouvez quand même pas faire aujourd'hui comme si rien ne s'était passé.
M. Millon : Je suis contre la langue de bois et je suis contre les attitudes de bois. J'attends donc qu'ils se déclarent. Pour le moment, ils ne se sont pas déclarés. Quand ils se déclareront, je vous ferai connaître ma position d'une manière claire.
Mme Ardisson : Il y avait deux sujets sur lesquels vous souhaitiez qu'il y ait débat de fond. L'exclusion, on en a parlé. L'autre est : il y a une légère reprise, qu'en fait-on ? Comment l'utilise-t-on ? Justement quelle est votre réponse ?
M. Millon : D'abord il faut prendre acte de la reprise. Si c'est vrai que cette reprise s'intègre dans la reprise mondiale, la reprise des États-Unis, la reprise de l'Allemagne, la reprise d'un certain nombre de pays, elle est aussi le résultat de la politique menée par la majorité depuis 1993.
Mais cette reprise est très fragile : on s'en rend compte lorsqu'on regarde les mouvements des taux d'intérêt, les mouvements de la Bourse, ou lorsqu'on écoute les agents économiques. Il faut donc d'abord continuer à la conforter. Cela me paraît une nécessité. Si l'on veut avoir des fruits de la croissance à utiliser pour des réformes ou pour des distributions, il faut d'abord conforter la reprise. C'est le premier point.
Le deuxième point…
Mme Ardisson : Justement, certains disent qu'il faut conforter la reprise en faisant un peu de relance.
M. Millon : Le deuxième point, c'est que nous allons avoir rapidement un choix : soit on fait de la relance par la consommation, soit on fait une politique d'investissements et on engage une politique des réformes.
À titre personnel, je pense qu'une politique de relance est une politique de facilité et je suis plutôt favorable à une politique d'investissements et à une politique de réformes. Je le dis depuis près d'un an : je crois que la France doit s'engager dans une politique de réformes en profondeur pour réformer son système éducatif, pour réformer son système de santé, pour réformer son système d'apprentissage, car si la crise a été si difficile à supporter pendant ces 10 dernières années, c'est parce qu'on avait omis de faire les réformes en temps voulu.
M. Le Marc : Est-ce que ce que vous savez de la préparation du budget vous satisfait et vous rassure sur ce point, notamment en ce qui concerne la baisse des charges d'entreprises, la réduction du déficit et tout ce qui est fait en faveur de l'emploi et de la lutte contre l'exclusion ? Est-ce que le budget qui s'annonce vous satisfait ou est-ce qu'il vous inquiète un peu ?
M. Millon : Je crois que le Gouvernement fait tout ce qu'il peut avec ce budget. Je crois qu'il faudra aller plus loin après, parce qu'il y a une inquiétude, et nous la partageons tous : c'est l'inquiétude de la dette publique, une dette publique qui actuellement pèse et sur le budget et sur l'économie française – 3 000 milliards de francs –, parce que l'on sait que les taux d'intérêt sont supérieurs aux taux de la croissance et qu'à partir de ce moment-là on est devant un problème très grave. Il faudra que durant les années à venir on fasse des économies.
C'est la raison pour laquelle il y a nécessité de passer un pacte avec les Français pour pouvoir engager des réformes avec eux et avec leur consentement, parce qu'il ne va pas falloir augmenter les dépenses, il va falloir en fait les diminuer, faire des économies dans un certain nombre de secteurs. Il faut que toute la solidarité nationale soit affirmée pour pouvoir mener à bien les réformes.
OBJECTIONS.
M. Denoyan : Objections vraisemblablement de Monsieur Claude Evin, ancien ministre socialiste rocardien.
Bonsoir, Monsieur Evin.
M. Evin : Bonsoir.
M. Denoyan : Je suppose que vous n'êtes pas tout-à-fait d'accord sur les perspectives dessinées par Charles Millon à l'instant ?
M. Evin : Sur les perspectives et sur l'analyse qu'il porte. Je voudrais revenir sur les deux questions sur lesquelles Charles Millon a commencé à s'exprimer, sur lesquelles vous l'avez interrogé, la reprise, d'une part, et l'exclusion.
La reprise est là, c'est tant mieux mais comme on observe cette reprise un peu partout, et Charles Millon d'ailleurs là-dessus le disait tout-à-l 'heure, dans tous les pays industrialisés aujourd'hui, je voudrais faire observer que ce serait vraiment dommage qu'on n'observe pas aussi cette reprise dans notre pays.
Il faut toutefois être un peu réservé dans la mesure où cette reprise semble être essentiellement externe, c'est-à-dire qu'elle est essentiellement due à nos exportations, au déstockage mais, pour le moment, on ne voit pas repartir la production, on ne voit pas non plus la consommation intérieure repartir.
Charles Millon, vous disiez tout à l'heure que cette reprise était le résultat de la politique menée par le Gouvernement depuis 1993, je voudrais tout de même qu'on revienne sur l'appréciation que vous portez sur la politique qu'a menée ce Gouvernement. Pensez-vous réellement que le Gouvernement a fait ce qu'il fallait pour que la France bénéficie aux mieux de cette reprise internationale ? Moi, je ne pense pas.
Je voudrais vous rappeler l'une de vos interventions publiques, il y a quelques semaines, quelques mois, au moment où Monsieur Balladur avait annoncé un certain nombre de mesures, vous aviez dit : « C'est un catalogue de mesures sympathiques, ce ne sont pas les réformes de fond qui permettront à notre pays de faire face à la reprise ». Quand je vous entends dire aujourd'hui que tout cela est le résultat de la politique menée par le Gouvernement, quand Charles Millon parle-t-il vrai, aujourd'hui ou il y a quelques mois ? J'aimerais bien avoir votre appréciation sur ce point…
M. Denoyan : … On va lui demander. Vous voulez bien, Monsieur Evin, qu'il vous réponde ?
M. Evin : Allez-y, puis on reviendra sur l'exclusion.
M. Millon : C'est tout simple, un certain nombre de projets de loi ont été votés et son arrivés à terme, que ce soit dans le domaine de la formation professionnelle, que ce soit dans le domaine de la fiscalité…
M. Evin : … Pardonnez-moi, Charles Millon, ils ont été adoptés au Parlement. Pour le moment, les régions n'ont pas encore mis en œuvre, justement le fait que cela ait été transféré aux régions retarde considérablement.
M. Millon : Vous êtes sans doute dans une région qui n'a pas mis en œuvre, il n'empêche que dans ma région, dans la région Rhône-Alpes, nous avons déjà fait le transfert complet de la formation professionnelle et que, actuellement…
M. Evin : … Vous êtes bien l'une des seules régions en France.
M. Millon : Non, je ne suis pas la seule région. Il y a déjà d'autres régions, je voudrais en citer une de mémoire, la région Languedoc-Roussillon qui l'a déjà fait. Donc actuellement le mouvement est déjà parti…
M. Evin : … Et c'est cela qui, selon vous, est suffisant pour qu'il y ait de la reprise ?
M. Millon : Pas du tout. Vous me demandez les mesures qui ont été prises, j'ai commencé la liste, vous m'avez interrompu tout de suite, je peux continuer ?
J'ai parlé en fait de la fiscalité qui a été allégée, je peux vous parler aussi de toute la politique qui a été menée pour pouvoir ralentir la progression du déficit public. Je crois que là si, entre 1988 et 1992, une période que vous connaissez bien puisque c'était Michel Rocard qui était premier ministre, au lieu de dilapider les fruits de la croissance, on avait utilisé ces fruits de la croissance pour pouvoir faire les réformes de structures qui s'imposaient, aujourd'hui la reprise serait sans doute beaucoup plus facile, j'en conviens.
M. Denoyan : Il y avait un deuxième point, c'était sur l'exclusion.
M. Evin : Je voudrais revenir sur l'exclusion parce que j'ai quelque mérite pour cela puisque j'étais ministre des Affaires sociales, c'est effectivement une préoccupation très importante, mais il ne suffit pas de le dire dans les mots, encore faut-il regarder la réalité. Car si reprise il y a, on constate en tous les cas aujourd'hui une aggravation de cette exclusion.
Quelques chiffres très rapidement, je constate que le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 20 % depuis le printemps dernier et particulièrement chez les jeunes, une augmentation de 26 %. Plus précisément encore, pour avoir été à l'initiative de ce projet de loi sur le revenu minimum d'insertion, c'est une préoccupation, la progression du nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion a été de 22 % depuis le printemps dernier. Je pense qu'il ne faut pas simplement tenir des discours et faire des phrases, il faut qu'on examine très concrètement comment on répond à cette situation.
On avait mis en place le revenu minimum d'insertion et c'était un droit. Il y a un projet aujourd'hui que le Gouvernement commence à tester, c'est de supprimer ce droit nationalement au revenu minimum d'insertion aux bénéficiaires et de renvoyer cela aux collectivités locales et donc donner aux collectivités locales le soin d'apprécier au cas par cas et donc de sortir dans un des facteurs d'intégration dont Charles Millon parlait tout à l'heure qui est que les Français aient des droits et qu'on ne les traite pas à la tête du client.
J'aimerais bien avoir la position de Charles Millon là-dessus parce que c'est une remise en cause du RMI aujourd'hui, que propose le Gouvernement ?
M. Denoyan : Sur cette question, est-ce la fin du RMI tel qu'il est ?
M. Millon : Je ne vais pas polémiquer, ce que je sais simplement, c'est que le revenu minimum d'insertion est né dans un département qui s'appelle l'Ille-et-Vilaine, à l'initiative de Pierre Méhaignerie, que, à partir de ce moment-là, le Gouvernement auquel participait Claude Evin a élargi ce revenue minimum d'insertion à la France entière, que nous étions un certain nombre, et j'en étais, pour réclamer que ce revenu minimum d'insertion soit géré d'une manière décentralisée car on se rend compte à l'évidence que de traiter tout d'une manière centralisée arrive à des inégalités flagrantes et à des gabegies incroyables. C'est la raison pour laquelle je suis favorable effectivement à une gestion décentralisée du revenu minimum d'insertion, c'est ma première remarque.
M. Denoyan : Donc vous ne démentez pas les propos de Monsieur Evin ?
M. Millon : Ma seconde remarque étant qu'il faut que, avec le revenu minimum d'insertion, il y ait effectivement une insertion, or, tout ce qui a été fait depuis que cette loi a été mise en œuvre par les gouvernements socialistes, c'est qu'on a versé un revenu minimum mais qu'on n'a pas mis en place les procédures d'insertion. Je salue l'action du Gouvernement actuel qui est en train de réfléchir à des méthodes d'insertion par les collectivités locales interposées, soit, mais je crois que c'est ici un objectif essentiel si on veut lutter contre l'exclusion.
M. Denoyan : On remercie Monsieur Evin d'avoir été avec nous quelques instants.
M. Aphatie : Vous disiez « la relance de la consommation serait une mauvaise chose », l'exemple de la prime de 5 000 francs pour les automobiles a montré que cela pouvait dynamiser une partie importante du secteur industriel français ?
M. Millon : Si on a le choix entre relance de la consommation et relance par l'investissement, j'ai fait connaître mon opinion, je crois qu'il convient de faire la relance par l'investissement.
M. Aphatie : Aura-t-on le choix ?
M. Millon : Je sais que c'est plus long mais ceci permet de faire les réformes de structures qui s'imposent dans notre pays et que la relance par la consommation est souvent une tentation démagogique, c'est la raison pour laquelle je suis réticent par rapport à une relance par la consommation.
Mme Ardisson : Qu'appelez-vous relance par l'investissement ?
M. Millon : C'est-à-dire en fait de créer des conditions favorables pour que les secteurs industriels puissent se moderniser, se structurer, puissent se lancer dans des opérations vis-à-vis de l'extérieur en matière d'exportation, puissent conquérir des marchés car je crois que le problème actuel de l'économie française est un problème d'adaptation à la concurrence internationale plus qu'un problème simplement conjoncturel de relance de la consommation.
M. Denoyan : Tout à l'heure, Monsieur Millon, vous avez égrené tout un chapelet de réformes, on aurait pu croire un instant que vous étiez pratiquement dans l'opposition, qu'est-ce qui vous paraît être la chose la plus essentielle à réaliser d'ici les élections pour ce Gouvernement ?
M. Millon : Aujourd'hui ?
M. Denoyan : Aujourd'hui.
M. Millon : Pour le Gouvernement présidé par Édouard Balladur, je ne crois pas que, durant les six mois qui vont venir, on va se lancer dans d'immenses réformes. Il y a un certain nombre de projets de lois qui devraient être votés définitivement, le projet de loi sur le développement du territoire, il y aura le budget, je ne souhaite pas qu'on aille bien au-delà. Je souhaite simplement que le débat soit engagé et c'est la raison pour laquelle tout à l'heure, comme vous le disiez, j'égrenais des réformes qui doivent se mettre en œuvre sur 7 ans car il est bien évident que la France va vivre, durant les sept prochaines années, une période un peu similaire à celle qu'elle a connue au début de la Ve République où il faudra revenir sur des situations acquises, revenir sur des droits acquis, revenir sur un certain nombre de…
M. Denoyan : … Du genre ? Par exemple, les droits acquis, cela intéresse tout le monde, du moins ceux qui nous écoutent.
M. Millon : Si vous voulez créer la polémique, je veux bien créer la polémique.
M. Denoyan : Non, mais l'information.
M. Millon : L'information, vous en connaissez autant que moi, il y a un certain nombre de droits qui ont été créés à une époque donnée, correspondant à une situation donnée, il faudra voir avec les personnes qui sont concernées comment racheter ces droits, je dis bien « les racheter », et permettre à ces personnes de rentrer dans le monde moderne sans pour autant…
M. Denoyan : … Vous avez bien une idée, vous avez réfléchi…
M. Millon : … Bien sûr, mais si vous le permettez je ne ferai pas à objections cet exposé-là car cela va donner lieu, demain, à un titre d'une phrase alors que cela exigerait en réalité une démonstration sans doute d'une demi-heure. Mais si vous voulez je peux vous donner un certain nombre de secteurs où cela est concerné…
M. Denoyan : … Oui, eh bien voilà.
M. Millon : C'est tout le secteur de la santé où, c'est évident, il y a en fait un certain nombre de réformes de fond à faire, tout le monde les connaît…
M. Denoyan : … Revoir le fonctionnement actuel de la Sécurité sociale, on en parle beaucoup, la départementaliser par exemple ou la régionaliser ?
M. Millon : Bien sûr, il faut revoir en fait un certain nombre de systèmes pour leur permettre une meilleure rentabilité, leur permettre de répondre à tous les problèmes qui sont posés et de recréer une véritable égalité entre tous les prestataires.
M. Roland-Levy : Monsieur Millon, Valéry Giscard d'Estaing dont vous vous sentez en ce moment proche se prépare à publier ses idées de lutte contre le chômage auxquelles il travaille depuis plus de six mois. J'aimerais savoir si vous attendez beaucoup de cette publication, de ces idées et si vous pensez qu'un homme seul, même si c'est un homme de très bon niveau, peut avoir des solutions auxquelles tous les autres n'ont pas pensé ?
M. Millon : Je ne crois pas qu'un homme seul ait la solution miracle. Si vous interrogiez Valéry Giscard d'Estaing, il ne vous dirait pas : « j'ai la solution miracle », je crois simplement que le débat sur l'emploi est un débat trop important pour que des personnes d'expérience comme Valéry Giscard d'Estaing n'y participe pas.
Il y a des problèmes extrêmement concrets auxquels il faut réfléchir. Tout le problème de l'adéquation entre l'emploi et la formation. Lorsqu'on voit les inscriptions dans les universités aujourd'hui, le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur qui va sortir dans les prochaines années et le nombre de postes qui va être offert dans l'industrie ou dans l'administration à des personnes qui auront ce niveau d'études, on s'aperçoit qu'il y a une inadéquation complète et qu'on est en train de créer aujourd'hui les conditions d'un chômage structurel des diplômés de l'enseignement supérieur, donc il faut bien y réfléchir et voir ce que l'on va faire.
Deuxièmement, on s'aperçoit qu'un certain nombre de besoins de la population ne sont pas satisfaits parce que le système de rémunération tel qu'il existe est un système qui pénalise celles et ceux qui voudraient satisfaire ces besoins. Donc, il faut bien y réfléchir, de voir si on ne peut pas mettre en place des systèmes d'ailleurs qui ont déjà été expérimenté, par exemple, de la déduction fiscale pour personnels de service ou personnels familiaux que l'on emploi. Là, Valéry Giscard d'Estaing a mené une réflexion plus globale, il est en train actuellement de la peaufiner pour la présenter aux Français, je crois qu'il est souhaitable et nécessaire que, durant le débat qui va précéder les Présidentielles, tout le monde y participe. Mais qu'on n'aborde pas ces questions d'ailleurs sous l'angle purement technique ou technocratique, qu'on les aborde véritablement comme étant des réformes qui s'intègrent dans un projet de société car, à mon avis, c'est ce qu'attendent les Français, ils attendent de savoir quelle est la France qu'on va leur proposer demain…
M. Denoyan : … Donc, vous attendez que Monsieur Giscard d'Estaing dessine un projet de société ? Vous l'amenez à être un peu candidat à la prochaine élection présidentielle…
M. Millon : … Vous l'interrogerez.
M. Denoyan : Non, mais tel que vous dessinez l'affaire ?
M. Millon : Je pense qu'un ancien président de la République qui est le président de la seconde formation politique de la France est bien amené aujourd'hui à avoir une vision de la France pour les 5-7 prochaines années et qu'il va la faire connaître. C'est non seulement son droit, à mon avis, c'est son devoir.
Mme Ardisson : Vous venez parler de l'université, demain, ce n'est pas la rentrée universitaire, mais c'est la rentrée scolaire. À vous entendre, on croirait qu'on fabrique trop de diplômés ?
M. Millon : Je n'ai pas dit cela, j'ai dit que, actuellement, le problème qui est posé, lorsque vous faites les analyses avec l'industrie et l'administration, c'est que vous vous apercevez qu'un certain nombre de diplômés de l'enseignement supérieur, tels qu'ils sortent aujourd'hui de l'université, sont demandés mais que l'université au lieu de les diriger vers d'autres secteurs en dirige trop et vous avez un décalage. Pour 100 sorties, 25 seront rembauchés, pour les 75 autres, il aurait mieux valu mieux les orienter, c'est tout le problème qui est posé.
Mme Ardisson : Vous voulez dire par des carrières plus industrielles ?
M. Millon : C'est peut-être des carrières industrielles, c'est peut-être des carrières artistiques, c'est peut-être des carrières…
M. Roland-Lévy : … politiques.
M. Millon : Je ne vais pas résoudre le problème maintenant mais il y a un problème effectif que l'on ne rencontre pas dans un certain nombre d'autres pays, il y a une inadéquation entre les emplois et les formations qui sont faites en France.
M. Le Marc : Charles Millon, passons à un autre sujet : on assiste à un rebondissement de l'affaire Trager avec la mise en examen du PDG de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, pour une commission dont aurait bénéficié le parti républicain, votre Parti. Pensez-vous qu'il s'agisse de la part du juge Van Ruymbeke d'un acharnement judiciaire ou fait-il son métier ? À votre avis, la loi sur le financement des partis a-t-elle réduit le phénomène de corruption en France ou cette corruption règne-t-elle encore à tous les niveaux, comme on le dit et comme beaucoup le pensent ?
M. Millon : Tout d'abord, j'ai un principe, je me refuse à commenter toutes les procédures judiciaires. Simplement sur ces affaires qui viennent d'être connues, je voudrais faire une seule remarque, c'est que je souhaiterais qu'on puisse éviter une publicité excessive car s'il y a délit, il y a aussi présomption d'innocence.
Ces affaires concernant des entreprises qui emploient des milliers de salariés, qui ont des marchés à négocier dans le monde entier, je crois qu'il serait nécessaire d'avoir une certaine retenue et qu'il n'y ait pas une publicité comme malheureusement on le constate trop souvent. D'ailleurs, mes propos sont confirmés par le jugement du juge italien de l'opération « mains propres » qui vient de dire : « Il faut organiser la lutte contre la corruption sans pour autant qu'elle devienne quelque chose de démagogique à l'extrême ».
M. Le Marc : Cette corruption recule-t-elle, à votre avis, en France ?
M. Millon : À mon avis, aujourd'hui, la corruption recule, je ne dis pas qu'elle est terrassée, d'abord je crains que l'homme étant l'homme, elle ne soit jamais terrassée, mais je crois qu'elle recule et je souhaite que la séparation des pouvoirs soit renforcée encore dans notre pays entre pouvoir judiciaire, pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Je souhaite aussi que l'on réfléchisse à d'autres réformes institutionnelles qui touchent, par exemple, à l'exercice des mandats, au cumul des mandats, au contrôle de la Chambre régionale des Comptes, à la Cour de discipline budgétaire pour que, effectivement, la France puisse être exemplaire dans ce domaine-là.
M. Aphatie : Juste une précision, c'est la société Saint-Gobain, elle-même, qui a annoncé la mise en examen de son PDG, ce n'est pas le juge, c'est une précision sur la médiatisation des choses.
Ma question concerne le livre de Pierre Péan, on entend très peu de gens de la Majorité, aujourd'hui, commenter ce livre, l'avez-vous lu d'abord ?
M. Millon : Non, je ne l'ai pas lu.
M. Aphatie : Le lirez-vous ?
M. Millon : Oh, bien sûr.
M. Aphatie : Que pensez-vous de ce qu'on a pu lire dans la presse quant au contenu du livre sur le passé du Président de la République ?
M. Millon : C'est très difficile de commenter l'itinéraire politique d'un homme qui, aujourd'hui, est Président de la République. Le seul point qui me surprend, c'est de voir comment le Président de la République a pu cacher durant des années ses premiers pas dans la vie politique : ou il en a honte, pourquoi ? Ou alors il ne voulait pas en fait les exposer, pourquoi aussi ? Je crois le livre dont j'ai lu quelques extraits démontre que François Mitterrand est un homme, par certains côtés, relativement cynique. Ce sont les seules réflexions que la lecture des extraits m'a amené à faire.
Mme Ardisson : je voudrais revenir un peu sur la question précédente parce que vous oubliez en route, si je puis dire, une partie de la question de Pierre le Marc concernant la loi sur le financement des partis politiques. La question était la suivante : compte tenu du fait que cette loi et l'amnistie qui allait avec n'a donné aucun résultat, faut-il tout remettre sur la table ?
M. Millon : Pas du tout, d'abord parce que je pense que cette loi a eu des résultats effectifs, je pense que la corruption a reculé dans notre pays, j'espère que, durant les mois et les années qui viennent, on pourra encore moderniser le système. Je vous ai dit que j'étais pour le renforcement du pouvoir des Chambres régionales des Comptes, je m'interroge pour savoir s'il ne serait pas bon qu'un certain nombre d'élus, dans un certain nombre de conditions, relèvent de la Cour de discipline budgétaire…
M. Denoyan : … Ce sera peut-être un débat à l'intérieur de la campagne présidentielle ?
M. Millon : Oui, il y aura peut-être des réflexions à mener, mais je pense qu'il y a eu, dans ce domaine-là, un progrès certain.
M. Le Marc : Le Président de la République, dans une interview au Figaro demain, donne un sérieux coup de pouce à la candidature de Jacques Delors, pensez-vous que cette candidature a une chance et peut ramener un peu d'ordre dans la majorité en faisant toucher du doigt le risque d'une défaite ?
M. Millon : Je ne vais pas commenter les candidatures présentées par François Mitterrand ou soutenues par le parti socialiste…
M. Le Marc : Non, mais vous connaissez bien Jacques Delors, vous l'estimez ?
M. Millon : Bien sûr, j'ai de l'estime pour mes adversaires, pour mes concurrents, pour mes amis, c'est évident…
M. Le Marc : … Mais, celui-là, vous l'estimez particulièrement ?
M. Millon : Jacques Delors est un homme qui a des convictions, qui a su défendre ses convictions. Je n'ai pas approuvé toutes ses actions, chacun le sait, j'ai même combattu Jacques Delors d'une manière tout-à-fait tenace lorsqu'il était ministre de l'Économie et qu'il portait les nationalisations, chacun le sait. Je dis simplement que si Jacques Delors est candidat, il est candidat et je souhaite que, en face, il y ait des candidats de la majorité qui puissent exposer leur projet. Ces candidats ou ce candidat unique, s'il existe, je le soutiendrai, car je crois qu'il y a deux conceptions : une conception sociale-démocrate qui sera celle, je pense, de Jacques Delors et une conception libérale et sociale qui est celle de la majorité.
M. Le Marc : Une présidence Delors vous rassurerait sur le plan européen, alors que vous avez peut-être des inquiétudes en ce qui concerne une présidence Chirac ou une présidence Balladur ?
M. Millon : La présidence qui me rassurera sera la présidence du candidat que je soutiendrai.
M. Denoyan : La candidature qu'appelle de ses vœux François Mitterrand dans le Figaro de demain va-t-elle faire résonance à l'intérieur de la majorité et finalement aider peut-être Monsieur Balladur et ses amis ?
M. Millon : Je ne sais pas, vous me posez des questions… je vous ai déjà répondu que ce n'était pas des problèmes tactiques mais que c'était des problèmes de fond. Jacques Delors va peut-être, s'il participe au débat, animer le débat…
M. Denoyan : … On dit que c'est l'adversaire le plus redoutable pour un candidat issu de votre majorité ?
M. Millon : Eh bien, cela rendra peut-être sages un certain nombre de candidats fantaisistes qui penseraient vouloir se présenter.
M. Denoyan : Merci, Monsieur Millon.
Rendez-vous maintenant le mercredi soir.