Interviews de M. Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé et de l'action humanitaire, à RTL le 19 mai 1994 et dans "Le Monde" le 20, sur le débat engagé par les intellectuels sur la Bosnie, et sur la situation au Rwanda.

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Média : RTL - Le Monde

Texte intégral

Q. : Les 11 otages ont été libérés, le gouvernement français a fait ce qu'il devait faire ?

R. : Sans doute, une négociation plutôt active. Mais bienvenue, qu'il se reposent et nous sommes heureux de les accueillir. N'oublions pas la manière dont ils ont été malmenés, accusés, n'oublions pas comment les Serbes s'y prennent pour déconsidérer leur propre cause qui n'en avait pas besoin.

Q. : Caution ou pas caution ?

R. : J'aurais été à la tête de Première Urgence, j'aurais sûrement versé la caution.

Q. : La responsabilité de la France est importante dans ces massacres ?

R. : Mais ce n'est pas la France qui a tué 300 000 ou 500 000 personnes. Simplement, nous ne sommes pas fiers de voir quand nous sommes là-bas de voir que nous nous sommes trompés. Ce n'est pas de notre faute, nous étions pleins de bonne volonté. Nous passons des accords de coopération avec des régimes. Ils ne sont pas une garantie de démocratie, le moins qu'on puisse dire, et ils n'appliquent pas les droits de l'homme. De là, à déraper comme ils l'on fait, il y a un pas que les militaires et les responsables ne pouvaient franchir d'avance et qu'ils ne connaissaient pas. Nous avons collaboré, on accuse même certains militaires français d'avoir, en 90, aidé ce gouvernement à chasser le Front patriotique du Rwanda.

Q. : Vous apparteniez à un gouvernement qui n'a pas changé sa politique africaine que vous jugez aujourd'hui catastrophique ?

R. : Et alors ? Vous m'avez entendu parler de l'Algérie, de Mobutu et de tout ce qu'on a fait de pas bien.

Q. : Effectivement, mais comment expliquez-vous que cette politique n'ait pas changé ?

R. : Parce qu'elle est obscure, parce que je crois que c'est le seul pays où il y a un ministère de la Coopération séparé au lieu d'une agence centrale, parce que nous entretenons des rapports historiques, psychologiques, économiques et militaires avec l'Afrique qui mériteraient un grand débat. Et puisque depuis La Baule, on parle enfin de démocratie, ça devrait être possible.

Q. : Vous avez l'impression d'avoir lutté contre des ministres socialistes pour la démocratie en Afrique ?

R. : Ce n'est pas contre des ministres socialistes. Il y a tout un mouvement encore une fois historique. Il faut changer et à partir du discours de La Baule, qu'on oublie un peu trop souvent, avec de bons résultats, certains médiocres et catastrophiques, mais ce n'est pas La Baule qui a fait le Rwanda. L'Afrique ce n'est pas seulement le Rwanda, c'est l'horreur absolue et l'espoir total.

Q. : B. H. Levy a réussi à mettre la Bosnie au cœur du débat européen, il a bien fait ?

R. : Bien sûr. Comme on devrait d'ailleurs mettre la protection sociale au cœur du débat européen, comme la relance économique, les Droits de l'homme, le Rwanda. Je fais tout cela dans un document qui va être utilisé dans pas longtemps. Et je crois que plus on agite et plus même on provoque, et mieux c'est.

Q. : M. Rocard a eu raison d'aller à la Mutualité ?

R. : Mais c'était prévu qu'il y aille, moi aussi d'ailleurs si je n'avais pas été à Kigali. Non seulement il a eu raison mais il a dit ce qu'il pensait et ce qu'il avait affirmé et écrit, en particulier avec moi, depuis un certain nombre de mois.

Q. : Etes-vous d'accord pour accepter un certain nombre de conditions de B. H. Levy ?

R. : Je suis d'accord pour les accepter toutes, simplement, la dernière concernant la levée de l'embargo. Je l'avais écrit : si on n'arrive pas à les protéger, il faudra bien leur donner des armes.

Q. : La levée conditionnelle de l'embargo ?

R. : Conditionnelle, si on n'arrive pas à force de faire des ronds de jambes, si la diplomatie n'avance pas, si le plan politique indispensable n'est pas accepté de part et d'autre, que faut-il faire ? Les laisser mourir ?

Q. : Quand M. Rocard dit : je ne suis pas sur la même ligne que F. Mitterrand apparemment vous non plus. Ça pose un problème quand on appartient à une liste socialiste ?

R. : F. Mitterrand n'appartient pas à cette liste socialiste que je sache.

Q. : Il n'est pas très loin.

R. : Non, pardon. Il est chef de l'État, il a des responsabilités. Le ministre de la Défense, qui s'indignait de ces provocations, il joue un rôle de ministre de la Défense, il ne va pas dire : on va faire la guerre. Il n'en pense pas moins. C'est-à-dire qu'il n'est pas question, comme l'argument a été avancé, d'envoyer le contingent français. Si nous sommes capables de construire l'Europe, on pourra protéger les gens avant. Les protéger après c'est ridicule, coûteux, dommageable et en termes de vie humaines c'est impossible parce que c'est déjà fait. Donc, il ne s'agit pas d'engager le contingent. Il s'agit avec ses partenaires de convaincre suffisamment pour protéger cette communauté menacée et ne pas accepter la purification ethnique, ni à Sarajevo, ni à Kigali.

Q. : La position de M. Rocard et son antagonisme avec F. Mitterrand fait problème par exemple à L. Jospin, L. Fabius.

R. : Mais non, M. Fabius a été bien plus loin encore puisqu'il avait déclaré qu'il fallait au contraire intervenir en Bosnie bien avant. Je ne suis pas un membre du PS, je suis dans cette liste pour l'Europe solidaire.

Q. : Vous n'avez pas fait comme H. Carrère d'Encausse, vous n'avez pas adhéré ?

R. : Non, ils ne m'ont pas prévenu tout de suite. Je félicite H. Carrère d'Encausse d'avoir signé si vite, mais je n'ai pas fait ça. À l'intérieur du PS, ce débat existait et les positions sont majoritairement celles de M. Rocard, c'est-à-dire de remplir ses engagements, de protéger. L'Europe des Droits de l'homme avait un modèle, c'est ce que les Bosniaques nous proposaient à nos portes. Modèle de tolérance et d'ouverture. Nous ne pouvons pas accepter que ce modèle disparaisse en prétendant construire notre Europe à nous. Donc ce débat a lieu et majoritairement, les idées de la gauche qui sont celles des droits de l'homme et de la protection, y compris par les armes.

Q. : Derrière la Bosnie, on n'oublie pas le débat sur l'Europe ? Où est l'Europe et quelle Europe voulez-vous ?

R. : Malheureusement on n'a pas le temps de la résumer maintenant, c'est pourquoi encore une fois je sors ce petit document qui a quand même une cinquantaine de pages. On vient de parler de la protection des autres, parlons de la nôtre. La protection sociale, la relance de l'emploi, de l'Europe dans laquelle il fait bon vivre. Comment la protéger ? Elle mérite un débat intérieur avec les mêmes moyens, la même vivacité, le même dynamisme que ce qui se passe pour la Bosnie. Encore une fois, je suis surpris arrivant de Kigali, je veux bien qu'on parle de Sarajevo, mais parlons aussi de l'autre purification beaucoup productive en termes de morts. Et tout cela fait une Europe décidée, et une Europe que les intellectuels adopteront aussi ainsi que les militants. C'est un débat, continuons. C'est bien, un formidable débat est relancé en France, donnons les moyens aux gens d'y participer. Comment on invente le débat en France ? Voilà ce qui m'intéresse.

 

20 mai 1994
LE MONDE

Bosnie : "L'initiative d'une liste "Sarajevo" secoue les idées reçues, mais passer à l'acte serait stupide"

Rwanda : "Entre deux cent mille et cinq cent mille morts, des tombeaux de cadavres"

À son retour du Rwanda, Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé et de l'action humanitaire, numéro trois sur la liste socialiste aux élections européennes, réagit à l'initiative des intellectuels qui envisagent de présenter une "liste Sarajevo".

Q. : Vous avez, un temps, envisagé de constituer vous-même une "liste Sarajevo", avant de rejoindre la liste de Michel Rocard. Que pensez-vous de l'initiative de Bernard-Henri Lévy ?

R. : Du bien. Je ne sais pas dire le contraire alors qu'au début de l'année j'avais lancé cette idée de "liste Sarajevo", avec les mêmes. Cette initiative secoue des idées reçues, elle empêche d'oublier, elle relance le débat, qu'elle fera, j'espère, progresser. Attention pourtant à l'effet pervers. Passer à l'acte, recueillir 0.5 ou 2 % des voix, surtout chipées à la gauche, serait stupide. On s'apercevrait seulement que la France s'intéresse trop peu à Sarajevo. Ceux qui sont endormis ne s'éveilleront pas autour d'une liste provocation. C'est pour cela que j'avais renoncé, pour mieux imposer les mêmes enjeux au cœur de la campagne de la gauche.

Q. : M. Rocard s'est rendu à la Mutualité à l'invitation de M. Lévy, devant une assemblée qui a conspué les politiques en disant qu'ils avaient abandonné la Bosnie. Fallait-il y aller ?

R. : Bien sûr. J'y serais allé si je n'avais pas été à Kigali. Nous avions été invités tous les deux. Je n'approuve pas la séparation arbitraire entre intellectuels et politiques. Je n'approuve pas plus le mépris très français et populiste pour la classe politique en général. Critiquons les idées !

Q. : C'est tout de même, ce qu'exprime M. Lévy. Quel est l'intérêt de faire une liste séparée, si vous considérez que la liste socialiste reconnaît suffisamment le droit d'ingérence humanitaire ?

R. : BHL réduit le problème à la Bosnie, j'en comprends l'urgence, mais Kigali ? Et la prévention c'est-à-dire le droit d'ingérence ? Savez-vous pourquoi on destine au seul Parti socialiste cette épine ? Parce que les militant socialistes, la gauche, partagent majoritairement l'indignation des intellectuels. J'espère que tous finiront par soutenir la liste socialiste. Je ne suis pas choqué par une décision intellectuelle un peu surréaliste. Même si leur agitation, leurs excès, les rendent parfois aussi "obscènes" que ceux qu'ils dénoncent, les intellectuels ont donné vie à la campagne.

Q. : Pourquoi ? Jusque-là, elle en manquait ?

R. : Apparemment.

Q. : Trouvez-vous que Michel Rocard ne parvient pas à animer cette campagne ?

R. : Pourquoi ne parlez-vous que de Michel Rocard ? Dominique Baudis était invité à la Mutualité, il s'est dérobé. J'ai entendu sa position neutro-balladurienne. La "liste Sarajevo" s'adresse surtout à ses partisans. Il y a deux Europe : l'une qui veut aller de l'avant vers le droit d'ingérence, la sécurité et les droits de l'homme, l'autre en retrait, frileuse, conformiste, qui répète : "Attention ! Attention ! C'est difficile". Il y a deux positions, une de droite, une de gauche. Je suis heureux qu'à l'occasion de cette polémique on prenne acte de cette différence.

Q. : François Mitterrand a dit à propos de M. Lévy qu'il s'agissait d'une "voix sincère" que la pression égare…

R : Il m'a dit ça à moi aussi, souvent… Et arrêtons d'accabler, de caricaturer les positions de François Mitterrand, dont BHL, il n'y a pas si longtemps, était le chantre ! Malgré ses insuffisances, la France a beaucoup fait en Bosnie.

Q. : Il y a des divergences d'appréciation entre M. Mitterrand et M. Rocard sur la question bosniaque. Où vous situez-vous ?

R. : Je refuse que l'on en fasse un problème de politique intérieure réducteur. Le débat dépasse l'épisode "Rocard contre Mitterrand". Je pense qu'il y a, aussi des convergences entre eux, et que la politique de tolérance, des droits de l'homme et de la recherche de la paix, ce sont de grandes idées que Michel Rocard et François Mitterrand ont en commun. Qu'il y ait des appréciations différentes sur une politique entre celui qui la conduit et celui qui l'observe, ce n'est pas une horreur. C'est comme ça. Ce sont deux hommes de générations différentes, je crois que cela a beaucoup compté sur les appréciations qu'ils ont portée sur les agissements des serbes.

Lorsque Michel Rocard et moi avons signé deux textes ensemble sur la Bosnie, c'était déjà différent de la politique officielle. J'ai notamment à plusieurs reprises prôné la levée de l'embargo si l'on ne pouvait pas faire autrement. Lorsque François Mitterrand dit que cela ferait 150 000 morts, faut-il le prendre à la légère ? Non. Si je me suis résolu à être dans cette liste "Europe solidaire" soutenue par le PS, c'est aussi parce que dans le programme figure le droit d'ingérence démocratique, c'est-à-dire l'outil indispensable pour prévenir les guerres.

Q : Êtes-vous favorable à la levée de l'embargo ?

R. : S'il n'y a pas de solution politique et diplomatique, oui. Je suis favorable à la décision du congrès américain qui va dans le même sens. Si les efforts diplomatiques n'aboutissent pas, nous serons bien obligés de ne pas les laisser mourir.

Q. : Que pensez-vous de la position d'Édouard Balladur sur un éventuel retrait des "casques bleus", français ?

R. : Je ne suis pas d'accord avec cette position, d'ailleurs peu claire. Ce serait pour l'Europe la honte des hontes de se retirer. "Tirer ou se tirer", disions-nous. Comme fuir n'est pas possible, il faut être ferme. S'il s'agit d'un retrait généralisé de la communauté internationale pour laisser mourir les Bosniaques désarmés, non.

Q. : Vous rentrez du Rwanda. Quel est l'état des lieux ?

R. : Indescriptible et tragique. Entre 200 000 morts et 500 000 morts. Des chiffres hallucinants, des tombereaux de cadavres : 60 000 morts ramassés dans les rues de Kigali, la capitale, et je ne parle pas des autres villes : 25 467 corps arrivés dans le lac Victoria après avoir été charriés par la rivière Akagera. Et puis il y a des fosses communes, connues ou inconnues. Un exemple : au village de Kipaga-paga, nous marchions sur les cadavres d'enfants décapités. Il y en avait sans doute 2 000.

Un à deux millions de réfugiés et de personnes déplacées dans toutes les zones ; des camps très difficiles comme Kapgai, où il y a 25 000 personnes, dont la moitié de Tutsis, et où l'on nous a fait le récit des assassinats nocturnes. Des yeux tellement apeurés et des détresses si grandes, j'en ai rarement vu. C'est une vraie catastrophe humanitaire. Les réfugiés qui s'installent dans la région de Gitarama ont été déplacés quatre fois depuis le Nord. Ils n'ont rien, et rien à manger.

La Croix-Rouge internationale, dont il faut saluer le courage, a été la seule à rester. Ils tiennent leur hôpital, ont préservé leur neutralité. Moi qui ai tellement critiqué la neutralité, regardez comme elle est nécessaire quand on n'a pas su prévenir. Ils livrent de la nourriture quand ils en ont. Les convois arrivent – lundi encore un convoi est arrivé – et la route à partir de Bujumbura paraît perméable mais c'est très largement insuffisant. Plus de médecins, plus d'hôpitaux dans la capitale à part celui de la Croix-Rouge. Voilà la situation, elle est horrible, mais le plus horrible reste à venir.

Q. : Quels sont les besoins les plus urgents ?

R. : La paix. Le cessez-le-feu. La protection des personnes menacées. À Kigali, on a recensé plus de 20 000 personnes protégées par 400 "casques bleus" admirables représentant vingt-trois pays. Ils résistent sous les ordres du général Dallaire, le commandant canadien de la MINUAR, la Mission des Nations unies au Rwanda. Voilà un homme qui représente tout seul une part de l'honneur de l'humanité. Certains sites comme l'hôtel des Mille Collines, l'hôpital King-Faiçal, le stade et les orphelinats, sont à peu près protégés. Plusieurs autres milliers de personnes, cachées dans la ville, sont en danger de mort permanent. Des milliers d'Anne Franck qui attendent le massacre. Quant aux Oradour-sur-Glane, où les gens ont été regroupés par centaines dans des églises qu'on a arrosées d'essence avant de jeter des grenades à l'intérieur, il y en a des dizaines dans le pays. Je salue deux français restés pour protéger les leurs, Marc Vaitter et le Père Blanchard. Quel courage !

Q. : Combien y a-t-il de miliciens ?

R. : Il y a des milliers de miliciens, difficiles à dénombrer. Ils tiennent vingt-deux barrages rien qu'entre l'orphelinat au sud de Kigali, dont nous devions évacuer les enfants, et l'aéroport où devait avoir lieu l'évacuation. Vingt-deux barrages tenus par des civils armés de machettes et de grenades, qui fouillent les véhicules de l'ONU. Et le général Dallaire enrage de ne pas avoir assez de forces pour empêcher ces violations répétées de la neutralité de l'ONU. Ces milices, issues des partis politiques et des organisations de jeunesse, en particulier les plus extrémistes, sont devenues incontrôlables. La radio les excite, en particulier la station Radio Mille Collines qui a appelé plusieurs fois au meurtre.

Le lundi 16 mai, nous avions réussi notre négociation sur l'évacuation des orphelins et l'ouverture d'un corridor humanitaire. Nous avions reçu le feu vert de toutes les autorités, du Front patriotique rwandais au président du gouvernement provisoire, en passant par le chef d'état-major et tous les ministres, et jusqu'au chef des milices – tout avait été méticuleusement programmé avec le général Dallaire. On n'aurait pas touché à un cheveu des enfants. Eh bien, ce jour-là, après trois heures de réunion, les officiers de l'ONU se sont levés en demandant : "Plus de questions ?". Alors les miliciens, en tee-shirt et en jeans, devant les chefs militaires, ont levé la main et posé trente-cinq conditions, toutes inacceptables. Et pas un militaire n'a parlé.

C'est la rue qui commande, ce sont les miliciens qui commandent, voilà la réalité. Pendant que nous négociions – on l'a découvert après – la Radio Mille Collines appelait à ne laisser passer personne. Dans ces conditions, avec seulement 400 hommes, on ne pouvait pas évacuer les enfants. Il faut donc absolument qu'arrive très vite le supplément d'hommes avec lesquels le général Dallaire pourra faire baisser la tension.

Q. : Comment imposer, maintenant, un "corridor" humanitaire ?

R. : Tout dépendra de la rapidité avec laquelle viendront 1 000 à 1 500 "casques bleus" et observateurs et le nombre suffisant de blindés qui pourront parcourir la ville et garantir la sécurité. Ne croyez pas que les massacres ont cessé. Cela continue. Lundi, des enfants ont été assassinés au centre de la ville. Dimanche encore, dans la nuit, la famille d'un volontaire de l'UNICEF a été massacrée (le Monde du 19 mai), presque sous nos yeux. La grande supercherie est d'avoir transposé sur le plan ethnique ce qui était un raisonnement politique. C'est très difficile de le faire comprendre. On ne voit que les clivages Tutsis = 10 %, Hutus = 90 %. Mais les premiers massacrés ont été les Hutus démocrates à Kigali et ailleurs.

Q. : Quel que soit le mérite actuel des casques bleus, on ne peut pas oublier qu'il y a eu, au début des événements, une démission de l'ONU.

R. : Bien sûr, j'ai été le premier à la dénoncer. J'ai dit partout qu'il était scandaleux qu'on se contente d'aller chercher nos compatriotes sans imposer par les armes le couvre-feu comme les pompiers tuent le feu. Ce n'est pas l'ONU qui a démissionné, c'est le Conseil de sécurité qui a refusé la résolution proposée par Boutros Boutros-Ghali. J'ai été envoyé là-bas par M. Boutros-Ghali et j'y retournerai. Les arguments sont toujours les mêmes : on n'a pas d'hommes, pas d'argent, pas de volonté politique. Après les massacres, on trouve toujours des hommes, de l'argent et une volonté politique, mais c'est trop tard. Ce qu'il faut c'est un appareil préventif, un droit de prévention des guerres. Pour Kigali comme pour Sarajevo.

Q. : Quelle a été la responsabilité de la France dans cette tragédie ?

R. : Dans toutes les politiques africaines, il y a des zones d'ombre. Il faudrait une agence centrale de coopération au ministère des affaires étrangères à la place du ministère de la coopération. C'est ce que je demande dans cette campagne pour les européennes. Je veux une politique transparente menée au nom des droits de l'homme. Mais il ne faut pas exagérer, au Rwanda la France n'a pas soutenu que ceux qui sont devenus des assassins. Elle a respecté ses accords de défense avec le gouvernement, mais elle a réussi soutenu les accords d'Arusha, qui ouvraient la voie à une réconciliation nationale.