Texte intégral
Une émission proposée par Anne Sinclair
Réalisée par Jean-Claude Delannoy
Présentée par Anne Sinclair
Dominique Baudis et Michel Rocard
Dimanche 29 mai 1994
Mme Sinclair. – Bonsoir.
Dans deux semaines, on va voter dans toute l'Europe mais, malheureusement, jusqu'ici ce scrutin ne passionne guère les Français, alors peut-être à vous de jouer ce soir, tous les deux, Dominique Baudis et Michel Rocard.
Bonsoir à tous les deux, vous représentez les deux listes les plus importantes :
Dominique Baudis, tête de la liste RPR-UDF.
Michel Rocard, tête de la liste socialiste.
Merci d’avoir accepté ce face-à-face à 7 sur 7…
M. Baudis. – … Merci de votre invitation.
Mme Sinclair. – Ce sera, je crois, votre seul débat, tous les deux, de la campagne.
M. Baudis. – En effet.
Mme Sinclair. – Vos programmes sont publiés, je vois ici celui de Dominique Baudis, enfin de la liste d’Union RPR-UDF, complété, développé, par un livre qui reprend le même sigle : Dominique Baudis, l’Union.
Michel Rocard, le Parti socialiste a publié ce manifeste pour les élections européennes, complété lui aussi par cette brochure de Bernard Kouchner, « On ne va pas laisser l’Europe comme ça ! », avec une photo d’un camp dans l’ex-Yougoslavie.
Sarajevo, depuis deux semaines, les intellectuels et leur liste ont réveillé une campagne qui dormait et mis la Bosnie au cœur du débat sur l’Europe.
Nous allons parler de la Bosnie très vite, auparavant un mot de votre Europe : en quoi l'Europe de Baudis est-elle différente de l’Europe de Rocard ? Si je vous pose la question, c’est que la Sofrès l’a fait auprès des Français en demandant :
Entre la liste de Michel Rocard et celle de Dominique Baudis, avez-vous le sentiment qu’il y a, sur l’Europe, beaucoup de différences ou peu de différences ?
- Beaucoup de différences : 24 %
- Peu de différences : 42 %
- Sans opinion : 34 %
Ce qui est grave pour chacun, c’est que seulement 22 % des socialistes et 27 % des électeurs de droite estiment qu’il y a beaucoup de différences entre vous. A vous de vous arracher ce soir pour leur prouver que si.
Quelle est la différence entre l’Europe de Baudis et l’Europe de Rocard ?
Dominique Baudis, à vous.
M. Baudis. – Merci Anne Sinclair.
Comme vous l'avez dit tout à l'heure, notre liste du UDF-RPR est fondée sur un projet, un projet européen, pour une Europe plus forte, plus efficace, plus proche des gens.
Une Europe pour quoi faire, plus forte, plus efficace, plus proche des gens ? Non pas pour se disperser dans mille et une questions, mais pour se concentrer sur les terrains essentiels où les Français, non seulement les Français mais les autres Européens, attendent l’Europe. Que l’Europe se batte pour la paix, que l’Europe s’engage de toutes ses forces dans la lutte contre le chômage et que l'Europe travaille à notre sécurité, je pense notamment aux grandes causes liées à l'environnement, la sauvegarde du continent, et puis je pense aussi à des phénomènes de société qui pourraient être extrêmement lourds de conséquences, la nécessité de se protéger contre l’immigration clandestine qui, dans les pays européens, a atteint un seuil véritablement intolérable.
Voilà les objectifs que nous voulons assigner à notre action durant cinq ans au Parlement européen.
Votre question est : y a-t-il une différence entre l'Europe telle que la veulent, tel que la voient les socialistes et la nôtre ? Oui, et je pense que cela va apparaître durant ce débat.
Sur les problèmes de paix et de sécurité, il y a effectivement une approche différente. J'ai tendance à penser que les propositions récentes de monsieur Michel Rocard présentent de graves danger mais nous en parlerons, je pense, dans quelques minutes.
Sur le chômage, dix années de pouvoir socialiste dans notre pays ont fait apparaître que le Parti socialiste n’était sans doute pas le mieux armé pour faire reculer le chômage. Et, enfin, sur l'immigration clandestine, je constate que, à chaque fois que le gouvernement français s'efforce de prendre des mesures pour prendre fin à l’immigration clandestine, il se heurte toujours à une opposition farouche de la part du Parti socialiste.
Une dernière différence, Anne Sinclair, le Parti socialiste a une vision avec laquelle je ne suis pas d'accord, d'une Europe un peu touche-à-tout, l’Europe qui, par exemple, s’occupe de la date d'ouverture ou de fermeture de la chasse, l’Europe qui s'occupe du format des étiquettes sur les chaussures vendues dans le commerce. Cela me paraît inutile que l’Europe gaspille son énergie dans de petits sujets comme ceux-là, l’Europe doit se concentrer sur l’essentiel. Ce que je voudrais, j’en termine là, c’est que nous formions l’équipe de France pour l’Europe avec les députés français de la majorité au Parlement européen, avec le gouvernement français, avec les parlementaires de la majorité.
Hier, j’étais au Parc des Princes et j’ai eu la joie, le bonheur d’assister à la victoire du Stade toulousain face à Montferrand, Stade toulousain qui est champion de France au rugby…
Mme Sinclair. – … Nous sommes passés de l’Europe à Toulouse.
M. Baudis. – J’ai vu ce qu’était un pack, une mêlée soudée, eh bien, il faut que l’équipe de France se forme, les députés européens de la majorité, le Gouvernement, les parlementaires nationaux, pour travailler ensemble au succès de la France et à la défense des intérêts de la France en Europe.
Mme Sinclair. – Michel Rocard, pourriez-vous souscrire à ce qu’a dit Dominique Baudis ou proposez-vous autre chose ?
M. Rocard. – Le problème essentiel est le rapport entre les discours et les actes ou les faits.
Je veux d'abord rappeler que, de toutes façons, l’Europe, c'est la grande et la belle aventure de nos générations et rappeler que c'est un de nos grands écrivains sur cette terre, c'est Victor Hugo qui, le premier, a parlé des États-Unis d'Europe et je suis totalement dans sa lignée.
C'est vrai que, aujourd'hui, l’Europe est un peu indistincte, je ne peux pas oublier, moi, que si elle est en mauvais état, à mon sens, et si elle n'a pas rendu tout ce qu'on en attendait dans la lutte contre le chômage, c'est parce qu’elle est dirigée, le Conseil des ministres décide, il est seul à décider, par huit gouvernements conservateurs. En effet, je me bats pour qu'on change de braquet, pour prendre une autre image sportive, pour que l’Europe devienne l'affirmation d'une volonté de société solidaire.
Je me bats pour la société moins injuste, pour la société solidaire, et c'est un combat aussi vrai en France qu'en Europe. Et, en Europe, notre volonté est de mettre en place une Europe capable d'imposer la paix – nous allons voir comment et nous n’avons pas la même vision, mais l’intention peut-être – et d’assumer ses responsabilités contre le chômage alors que l’Europe d’aujourd’hui, on en a fait seulement un marché, une ouverture, une béance. Le fait de rendre l’Europe capable d’attaquer mieux le chômage, c’est d’accepter, l’alpha et l’omega, d’y mettre une volonté et qu’elle soit responsable.
Mon combat est celui de la société solidaire, ce n’est pas la même vision que celle de monsieur Baudis, c’est la vision d’une Europe intervenante au service de la générosité et de la solidarité.
Mme Sinclair. – Nous allons venir tout de suite au débat, je voudrais que vous preniez connaissance du sondage Sofrès d’intentions de vote, qui sera publié demain dans le journal La Tribune où le Parti communiste recueille 7 %, il ne bouge pas, Jean-Pierre Chevènement, 3,5 %, Michel Rocard, 17 %, moins 1, Bernard Tapie, 6,5 %, moins 1,5, la liste Sarajevo, 4 %, Dominique Baudis, 32,5 %, moins 1,5, de Villiers, 7, plus 2, Le Pen, 10 %, ne bouge pas.
Un commentaire, l’un ou l’autre, vous attendez sereinement le 13 juin pour faire les comptes ?
M. Baudis. – C’est le vrai sondage le 12 juin, celui qui compte.
M. Rocard. – Absolument ! Les sondages se sont beaucoup trompés dans les élections européennes précédentes.
Mme Sinclair. – Tout de suite, la Bosnie, revenue dans le débat et qui bouleverse les données électorales.
Reportage.
Mme Sinclair. – La Bosnie, trois thèmes : l'embargo, le plan de paix et l'avenir de la sécurité en Europe.
Michel Rocard, il faut que vous vous expliquiez parce qu'on vous accuse d'avoir couru derrière Bernard-Henri Lévy et sa liste pour dire oui à la levée de l'embargo.
M. Rocard. – La levée de l'embargo ne peut être qu'une catastrophe, ne peut être que la conclusion de négociations qui ont échoué, c'est cela le drame, mais la décision que nous avons prise, sur ma proposition chez les socialistes, d'amener l’ONU à décider si oui ou non elle met la pression de sa force derrière les négociations des frappes aériennes ou si elle enregistre qu'elle n'arrive pas à protéger les Bosniaques, auquel cas il faudra bien lever l’embargo, cette décision est du 20 avril avant que ne commence toute l’utilisation politicienne franco-française de cette affaire que je réprouve profondément.
Je n'ai pas à changer d'avis en raison des humeurs de tel ou tel en France, mais je considère qu'un massacre est en train de se faire et que pour la première fois dans l'histoire la communauté internationale maintient un embargo, c'est-à-dire une interdiction de livrer des armes, qui profite à l'agresseur et qui punit l’agressé. Cela est maintenu au milieu de négociations qui durent depuis deux ans et demi, au milieu desquelles un génocide continue, on torture, on tue des femmes, des enfants, il y a des camps de concentration. Rien ne se passe, avec une sérénité totale, la communauté internationale laisse faire et poursuit comme s’il y avait je ne sais quelle chance !…
C'est notre honte, je maintiens qu'il est urgent d'en terminer et que l'ONU ose enfin mettre la force derrière les négociations, faute de quoi il faudra enregistrer l’échec et, par conséquent, lever l’embargo.
Un dernier mot : monsieur le ministre de la défense de France, qui est, je crois, un de vos amis, annonce en effet qu'il va bien falloir retirer les casques bleus français de là-bas, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'on les laisse s'entretuer, qu’à tout le moins on leur permette de s'armer, une évidence ! En tout cas, on ne va pas laisser le camp de l'agressé en interdiction de s'armer, puis dégager les troupes, une honte !
Nous sommes ici devant un problème de morale internationale mais ma préférence demeure à ce que les négociations réussissent et qu’enfin elles s’appuient sur la force.
Mme Sinclair. – Dominique Baudis, vous êtes contre en disant : « J'aime mieux que les armes sortent plutôt que de les voir rentrer », une fois qu'on a dit cela le problème reste entier ?
M. Baudis. – Je suis tout d'abord pour la paix parce que je hais la guerre. J'ai connu la guerre au Liban, la guerre civile, la pire de toutes, celle où on massacre les femmes et les enfants, pendant cinq ans, c'est une horreur ! Lorsque je vois les images de Sarajevo ou de Gorazde sur les écrans de télévision, j'ai l’impression de sentir l’odeur que je sentais dans les rues de Beyrouth, c’est-à-dire l’odeur de la mort. Je veux la paix.
Notre pays a beaucoup fait, il y a eu des propos injustes à cet égard, pour essayer de faire progresser la paix en Bosnie. Tout d'abord, c'est la France qui est la plus présente sur le terrain, monsieur Rocard parlait du départ des casques bleus français, ils sont là, ils sont même les plus nombreux, environ 6 000 et, au total, 25 000 de nos jeunes compatriotes sont passés soit en Croatie, soit en Bosnie, 18 d’entre eux ont été tués, plusieurs dizaines très grièvement blessés.
Aujourd'hui c'est la Fête des mères, j'ai pensé à ces femmes qui n’auront pas la visite ou le coup de téléphone de leur fils parce qu'il est tombé là-bas et il est tombé là-bas pourquoi ? Il est tombé là-bas pour la paix, pour séparer les belligérants, pour protéger les Bosniaques contre les Serbes et la pression militaire des Serbes. Faut-il que le sacrifice de nos jeunes compatriotes soit inutile, n’ait plus de signification, qu'il ait été vain ? Il faut inlassablement poursuivre la recherche de la paix en manifestant vis-à-vis des Serbes qui sont les agresseurs, et le ministre français des affaires étrangères l’a dit très clairement, « une politique d’extrême fermeté »…
Mme Sinclair. – Sur l’embargo, précisément ?
M. Baudis. – Sur l'embargo, le problème, c'est la nécessité de rétablir l'équilibre des forces. Il est vrai que les Serbes sont plus armés que les Bosniaques, d’où la demande de la levée de l’embargo.
J'ai rencontré la semaine dernière le président de Bosnie, monsieur Itzebegovich, qui était de passage à Paris, monsieur Rocard l’a rencontré également, on a parlé évidemment de cette question. J'ai dit à monsieur le président de Bosnie que la levée de l'embargo était quelque chose qui me paraissait effrayant, qui pouvait avoir des conséquences terribles, d'abord pour les Bosniaques parce que les Serbes pourraient profiter de cette décision pour dévaler les montagnes et envahir Sarajevo, envahir Gorazde. N’oublions pas tout de même que, aujourd'hui, à Sarajevo, on circule dans les rues grâce au travail de l’ONU. Monsieur Itzebegovich me dit : « il y a une autre solution que la levée de l’embargo » et il a répété cela à la sortie de notre entretien. Je vais vous lire ces trois phrases, ce n’est pas long mais c’est important.
Le président bosniaque dit : « Je vous confirme les choses que je viens de dire à monsieur Baudis, puisqu'il est, semble-t-il, impossible d'obtenir la levée de l'embargo sur les armes, alors je fais une proposition, c'est une proposition de paix. Je demande au Conseil de sécurité d'appliquer enfin ses propres décisions et surtout l’une d'entre elles, obtenir des Serbes le retrait de l’artillerie lourde de leurs positions et la destruction, sous le contrôle, de cette artillerie. »
Mme Sinclair. – ???? extrait de l’article de Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur.
M. Baudis. – Non, mais ce n'est pas l'article de Jean Daniel, cela est une citation du président bosniaque.
Il y a deux solutions pour rétablir l'équilibre des forces.
La solution que préconise monsieur Rocard qui est celle du surarmement et il y a l’autre solution à laquelle souscrit le président bosniaque qui est celle du désarmement. Je préfère que nous travaillions tous dans le sens du désarmement, donc de la paix.
Mme Sinclair. – Michel Rocard, vous répondez à Dominique Baudis ?
M. Rocard. – J'ai un point d’accord fondamental mais unique, je hais la guerre autant que vous. J'ai eu une fois dans ma vie à traiter de problème de paix et de guerre, de vie de mort, cela s'appelle la Nouvelle-Calédonie, on ne me transformera pas en homme de guerre, j’ai su imposer la paix mais appuyée sur une force dans la négociation.
Vous venez de dire : « il faut rétablir l'équilibre des forces là-bas », vous venez de citer une proposition du président Itzebegovich qui aurait mon plein accord si elle était possible. Bien entendu, retirer les armes lourdes des Serbes.
Question, monsieur Baudis, comment fait-on devant tant d’incapacité de l’ONU depuis deux ans et demi à obtenir non pas que ces armes lourdes se retirent mais qu'elles cessent de tirer ? Parce qu'il y a peut-être un fait à donner à nos concitoyens, les téléspectateurs : pourquoi cet embargo, c'est-à-dire cette interdiction de livrer les armes, tourne-t-il comme ça ? Il a été décidé en 1991, avant que ne commence la bataille en Bosnie, pour séparer Serbes et Croates. Or, les Serbes qui ont attaqué la Bosnie après sont les héritiers de l'ancienne armée yougoslave dont ils ont tous les tanks et les canons et aux Bosniaques il ne reste que les fusils, voilà le problème.
Je suis d’accord avec le président Itzebegovich, mais il faut bien se rendre compte que cela demande de faire retirer l’artillerie lourde serbe, elle est juste, elle est encore plus difficile à satisfaire. Je me borne à dire que l’ONU, enfin, mette la frappe aérienne au service d’une négociation qui vise non plus des cessez-le-feu ponctuels mais la paix sur toute la Bosnie dans ses frontières reconnues, à défaut, acceptons que nous ne sommes plus capables, nous, la communauté internationale, de protéger ces hommes et, à ce moment-là, laissons-leur, à tout le moins, le droit de se défendre car c’est tout ce qui leur reste si nous ne sommes pas capables de mieux.
Mme Sinclair. – Un mot pour conclure su l’embargo.
M. Baudis. – Monsieur Rocard, ce serait l’aveu de l’échec, ce serait la solution du désespoir et du malheur.
M. Rocard. – Mais qu'est-ce qu'il vous faut de plus ? Il est là depuis deux ans et demi et il y a plusieurs centaines de milliers de morts.
M. Baudis. – Monsieur Rocard, il faut que de toutes nos forces nous fassions pression pour que la communauté internationale, l’Union européenne, l'ONU, les États-Unis, les Russes fassent pression.
M. Rocard. – Bravo, je l'ai demandé avant vous et par écrit.
M. Baudis. – Monsieur Rocard, il y a eu au Parlement européen, c'est le sujet aujourd'hui, au début de l'année, au mois de janvier, un débat où une motion avait été déposée demandant que soient démantelées les positions d'artillerie qui violent les cessez-le-feu et que les tireurs isolés soient réduits au silence… c'est cette politique-là qui vous voulez ? Les députés socialistes, au Parlement européen, ont voté contre et monsieur Schwartzenberg avec eux. C'est un cohérent !
Mme Sinclair. – Juste pour répondre pour monsieur Schwartzenberg parce que Michel Rocard est assez grand pour répondre pour le Parti socialiste, les positions de Léon Schwartzenberg, en février 1994, au Parlement européen, était clairement en tout cas de dire : « Il faut permettre aux Bosniaques de se défendre car ils subissent l'agression. »
M. Baudis. – Anne Sinclair, toutes les résolutions demandant de la fermeté internationale contre les batteries serbes, les socialistes ont voté contre au Parlement européen.
M. Rocard. –- S’il vous plaît, les choses ne sont pas si simples…
M. Baudis. – … Je vous donne les documents…
M. Rocard. – … Merci, je connais, je vous en prie !…
Les socialistes français sont en pointe dans cette réflexion, c'est vrai. Premièrement, c'est après la première délibération qui a manqué au Parlement européen que le premier secrétaire des socialistes, c'était à l’époque Laurent Fabius, a dans la presse, avec véhémence, demandé qu'on passe à la frappe aérienne. Moi-même, en décembre de la même année, nous sommes en 1992, j'ai demandé qu'on mette en place le tribunal international pour juger les crimes de guerre, il est maintenant en place mais il ne fait rien.
L'incident dont vous parlez, que vous avez situé en 1994, se passe en 1993 et c'est à la suite de cela que, en effet, notre colère n'a fait qu'un tour et que nous avons décidé qu'il fallait faire avancer une réflexion devant laquelle nos amis européens, plus pacifistes sans doute, ce que je crains, et parmi lesquels il y avait nos amis grecs qui, eux, non pas les mêmes jugements que nous sur tout ce conflit, ont entraîné à ce vote que je réprouve et que j'ai désapprouvé dès le début. J'aurais aimé que Schwartzenberg le désapprouve aussi et il n’a réfléchi qu'après. Nous sommes partis plus tôt, c’est juste après ce vote que j’ai j’écrit…
M. Baudis. — … Donc vous regrettez ce vote…
M. Rocard. – Je le condamne même !
M. Baudis. – … Des socialistes français au Parlement européen.
M. Rocard. – C'est juste après ce vote qu’avec Bernard Kouchner j'en ai appelé solennellement par la presse à passer du cessez-le-feu proposé, enfin, au cessez-le-feu imposé, à deux reprises.
J'ai eu la joie d'ailleurs de voir le président Giscard d'Estaing, votre chef de parti, se rallier à cette position et en donner une explication fort détaillée dans le journal Le Monde.
Mme Sinclair. – N'est-ce pas paradoxal d'ailleurs que Dominique Baudis soit plutôt en accord avec François Mitterrand et Michel Rocard plutôt en accord avec Valéry Giscard d'Estaing ?
M. Rocard. – Ne simplifions pas mais, de toute façon, cela montre que le problème est difficile, que les hommes de bonne foi ont des doutes ou une réflexion lourde et tout cela est respectable.
Je plaide simplement que la position que défend monsieur Baudis, cela fait deux ans et demi qu'elle est inefficace et qu'on n’en peut plus.
M. Baudis. – Un mot, si vous le permettez, Anne Sinclair. Le président Giscard d'Estaing a dit : « Si, par malheur, nous changions de politique, alors, à ce moment-là, il faudrait livrer »… si, par malheur… mais il ne faut pas se résigner au malheur, il ne faut pas baisser les bras, il ne faut pas avouer l’échec, il ne faut pas s’engager dans la solution du désespoir.
Enfin, monsieur Rocard, quand vous voyez monsieur Mitterrand et monsieur Balladur d'accord sur une position, le président Clinton d'accord également sur cette position – vous l'avez rencontré, il n'est pas favorable…
Mme Sinclair. – … Le président Clinton dit : « Si les négociations échouent, il faudra peut-être lever l’embargo. »
M. Baudis. – Ne commençons pas à raisonner sur l'échec, essayons de gagner la bataille de la paix. La Russie, les États-Unis, l’ONU, l’Union européenne, enfin, ont une position commune, ne brisons pas cette unité, recherchons inlassablement la paix, imposons la paix dans le cadre des frontières internationalement reconnues pour que, enfin, les Bosniaques puissent construire ensemble un avenir commun.
J'ai connu le Liban, je le disais tout à l'heure, il n'y avait pas de forces d'interposition, les armes entraient de tous les côtés et la guerre civile au Liban a duré 15 ans, je ne voudrais pas que la guerre en Bosnie dure 15 ans, sans compter les risques d'extension au Kosovo, à la Macédoine et peut-être à d'autres régions de l'Europe centrale et orientale avec de terribles conséquences pour nous.
Mme Sinclair. – Michel Rocard, je vais vous faire répondre en concluant sur l'embargo et en donnant lecture du sondage demandé par la Sofrès aux Français :
Vous-même, les Français, souhaitez-vous que l'embargo sur les armes à destination de la Bosnie soit maintenu ou soit levé ?
- Souhaitent que l’embargo soit maintenu : 53 %
- Souhaitent que l’embargo soit levé : 28 %
- Sans opinion : 19 %
Ce sondage doit être une déception pour la liste des intellectuels.
M. Rocard. – Mais non, c'est simplement que la question est mal posée car, en effet, le problème de la levée de l'embargo n’est que le résultat de l'échec de la pression internationale.
Cette politique de la force au service de la négociation, je l'ai demandée et je l'ai même demandée avant vous, je n'en ai pas de fierté particulière, mais il se trouve que maintenant on n'en peut plus, que la morale internationale est en cause et que nous avons tous, nous, démocrates, Occidentaux, nous avons tous honte. Vous pouvez citer des responsables, mais le chancelier Kohl, le Sénat américain, eux-mêmes, se posent des questions et le Sénat américain a décidé de demander la levée de l'embargo, c'est-à-dire la constatation que l’ONU est impuissante.
J'ajoute, en ce qui concerne la France, que le président de la République ne peut pas jouer sur deux moments historiques à la fois, qu'il est obligé d'appuyer la pression sur la négociation, qu’il n’est pas sommé par l’opinion publique de s’expliquer sur ce qui se passe après. Nous, nous sommes responsables politiques, je me demande combien de massacres, combien de morts supplémentaires il faudra en Bosnie pour que vous compreniez que la ligne sur laquelle vous êtes est celle de l'échec et de la tolérance au massacre.
M. Baudis. – Monsieur Rocard, vous pensez que, avec davantage d'armes, il y aura moins de morts ? L'équilibre des forces par le désarmement, comme je le souhaite et comme le souhaite le président Bosniaque, fais moins de morts, mais l'équilibre des forces par le surarmement, c'est davantage de morts et, quand ce type de guerre commence, on ne sait pas comment ça se termine.
M. Rocard. – Monsieur Baudis parle comme si les Américains, en 1940-41, avant d'entrer en guerre avaient désapprouvé mondialement le parachutage d'armes à la Résistance française. Il faut faire attention à ce que vous dites.
M. Baudis. – Je sais une chose, monsieur Rocard, c'est que quand mon grand-père a été mobilisé en août 1914, il ne pensait pas qu'il partait pour quatre ans dans les tranchées et que ce serait une guerre mondiale, quand mon père a été mobilisé en 1940, il ne pensait pas non plus que ce serait une guerre mondiale. On part toujours pour de bonnes raisons, on s’engage toujours pour de bonnes raisons et tout ceci peut finir par d’immenses catastrophes.
Le siècle a commencé, monsieur Rocard, à Sarajevo, pendant l’été 1914…
M. Rocard. – … Alors, laissons les Serbes écraser doucement les Bosniaques et qu’on n’en parle plus, c’est cela que vous dites.
M. Baudis. – Si l’embargo est levé, il y aura un massacre parce que les Serbes attaqueront de façon foudroyante. Ils descendront des collines, ils entreront dans Sarajevo, ils entreront dans Gorazde et, ce jour-là, que pourrons-nous faire pour les Bosniaques ? Plus rien, parce qu'il n'y aura plus de casques bleus, plus d'organisations humanitaires, plus de discussions de caractère politique, l'escalade du conflit et l'extension du conflit.
M. Rocard. – Ils n'en ont plus les moyens. Qui demande la levée de l'embargo ? Le président Itzebegovich et les Bosniaques…
M. Baudis. – … Ou bien le désarmement.
M. Rocard. – Et, alors, vous allez chercher les canons serbes ? C'est là qu'il faut 200 000 soldats.
M. Baudis. – L’organisation des États-Unis appuyée par l’OTAN en a la possibilité si on a la volonté politique mais vous n'avez plus la volonté politique.
M. Rocard. – Deux ans et demi de paralysie.
Mme Sinclair. – Je vous arrête là-dessus parce que je voudrais qu'on avance un tout petit peu.
M. Rocard. – Si la phrase aérienne immédiate peut suffire, à défaut reconnaissons simplement qu'on a échoué.
M. Baudis. – Alors pourquoi avez-vous voté contre les frappes aériennes au Parlement européen ?
M. Rocard. – Je me suis désolidarisé de ce vote immédiatement, on se l’est déjà dit.
Mme Sinclair. – Dominique Baudis et Michel Rocard, je vous propose d'avancer un petit peu. Il nous reste assez peu de temps parce qu'il ne faudrait pas que tous le débat se passe là-dessus…
M. Baudis. – … C'est une question de guerre ou de paix, donc de vie ou de mort pour des centaines de milliers de personnes.
Mme Sinclair. – Continuons sur la Bosnie mais il reste deux questions :
1. Le plan de paix et de partage de la Bosnie, le plan européen, 51-49, doit-il être à toute force imposé aux Bosniaques ?
2. Que veut dire « sur le terrain de la sécurité en Europe », cela veut-il dire, demain, une Europe plus forte, plus forte sur la défense, plus forte sur l'armée, donc des abandons de souveraineté ?
Michel Rocard, vous avez un léger retard, je vous propose de traiter les deux questions l'une derrière l'autre, que Dominique Baudis et que nous concluions sur la Bosnie.
M. Rocard. – La Bosnie est une république reconnue par les Nations unies, elle est pluriculturelle, personne au monde n'a le droit d'en reconnaître le partage, surtout le fait d'entériner un partage par la force, si ce n'est par son propre peuple. La communauté internationale n’a aucun droit de la découper en tronçons, ce n'est pas possible, et c'est derrière cela qu'il faut en effet la force des frappes aériennes, à défaut reconnaître qu’on a échoué.
Ceci m'amène à dire que, en effet, l’Europe, si elle est absente de tout cela, c'est parce qu'elle n'avait pas l'outil. Nous avons besoin, maintenant, de mettre en place cette union politique européenne qui est le produit du traité de Maastricht dans les textes, dans le droit, personne n'a encore rien fait. Le gouvernement de la République française, notre gouvernement, depuis quatre mois que le traité fonctionne, aurait pu saisir le Conseil des ministres d'une demande d'actions communes sur la Bosnie, il s'en est bien gardé. Rassurez-vous, dès que nous serons au Parlement européen, depuis le Parlement, c'est ce que je ferai : mettre en place, vite, les procédures de l'action commune en matière de sécurité et le recours aux services de la paix à travers les résolutions de l'Organisation des Nations unies. C'est une urgence qu'il faut renforcer.
Mme Sinclair. – Michel Rocard a été bref, je vous demande de l’être aussi sur ces deux points :
faut-il obliger les Bosniaques à accepter le plan de paix européen ?…
M. Baudis. – … L’Europe plus forte et plus efficace dont je parlais tout à l'heure au service de la paix passe par la mise en œuvre d'une politique étrangère commune, si l'Europe avait eu une politique étrangère commune au début du conflit, nous n'en serions pas là. Politique étrangère commune, politique de sécurité commune et il faut une force d'intervention rapide constituée de volontaires, cette force doit être d'au moins 100 000 hommes pour pouvoir, sur le continent européen, faire prévaloir le droit et la paix. Voilà notre objectif.
Mme Sinclair. – Dans un instant, nous allons parler du Rwanda et du sujet qui angoisse le plus les Français, c'est-à-dire l'emploi : y a-t-il une politique européenne qui nous aide à endiguer le chômage ?
A tout de suite.
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Mme Sinclair. – « Ce qui se passe au Rwanda est un déshonneur pour la communauté internationale, j'ai honte », a dit Boutros Boutros-Ghali. Je vous demanderai à vous deux, Dominique Baudis et Michel Rocard, votre sentiment derrière ces images.
Reportage.
Mme Sinclair. – Tous gouvernements confondus, la France n'a pas à être très fière de ce qui se passe même si elle n’est pas seule responsable, Dominique Baudis ?
M. Baudis. – C'est une honte pour l'humanité tout entière, c'est le génocide de cette fin de siècle où on tue les enfants pour exterminer un peuple. Philippe Douste-Blazy, le ministre français de la santé, s'est rendu sur place, c'est d'ailleurs le premier ministre européen à être allé sur place et je l'ai vu le soir de son retour, il ne trouvait même plus les mots pour dire ce qu'il avait vu, une horreur, effroyable.
Mme Sinclair. – Que fait-on ?
M. Baudis. – Tout d'abord, il va y avoir une initiative qui va être prise pour une action humanitaire immédiate, la première chose, essayer de sauver ceux que l'on peut sauver. Puis il faut aussi une démarche de caractère politique sinon cela va recommencer dans quelques semaines ou dans quelques mois parce que, justement, là-bas, les armes entrent. Le Zaïre envoie des armes pour les Hutus, l’Ouganda envoie des armes pour les Tutsis, il y avait quelques centaines de personnes de l'ONU, ce n'est pas suffisant et, par conséquent, le massacre a pris des proportions effroyables. Il faut maintenant une action de caractère préventif avec les Etats de la région pour éviter l'aggravation et l'extension parce que ce qui se passe aujourd'hui peut se produire demain au Burundi. Il faut essayer de circonscrire ce qui s'est passé. C'est une horreur monstrueuse, il faut y mettre fin et surtout empêcher que tout cela s'étende à d'autres Etats africains.
La diplomatie préventive est un exercice indispensable dans le monde dangereux où nous vivons. A cet égard, je reviens un l'instant à l'Europe, d'une phrase, n'oublions pas que, cette semaine et à l'initiative du gouvernement français, l'Union européenne a réuni à Paris une conférence pour la stabilité en Europe, pour un pacte de sécurité en Europe, pour éviter que les drames, comme celui de la Bosnie, puissent se reproduire dans d'autres régions européennes. Il est vrai que, en Afrique également, on doit avoir une diplomatie préventive pour éviter des massacres monstrueux comme celui-là.
Mme Sinclair. – Michel Rocard…
M. Rocard. – C'est en effet l'horreur absolue et encore on la voit ! Que se passe-t-il au Haut-Karabakh, que se passe-t-il au Tibet ?… Je veux dire, le monde va mal.
A ce qu’a dit Dominique Baudis je veux ajouter des choses qui peut-être feront une différence.
Tout d'abord, je veux saluer le fait que le premier homme politique français à aller sur place prendre le risque de se faire tirer dessus mais pour attirer l'attention de l'opinion internationale, c'est Bernard Kouchner, qui a travaillé à la mise en place de couloirs humanitaires pour un petit début, première chose.
Deuxième chose, je crois faux et dangereux de résumer cette affaire à un combat ethnique entre Hutus et Tutsis, du coup tout le monde baisse les bras en disant : « Ces Africains, des affreux, les haines tribales, nous n'y pouvons rien… ». Ce n'est pas si simple ! Le président Habyarimana dirigeait une dictature militaire oppressive et il s'était construit, au service de la démocratie pour se battre contre cette dictature, une force de protestation, le Front démocratique rwandais, où il y avait une majorité de Tutsis mais pas mal de Hutus aussi. Il faut le savoir, c'est un combat politique et parce que c'est un combat qui dégénère, bien sûr, dans des haines… tout combat provoque des haines… que la communauté internationale y est intéressée.
La troisième chose est la plus fondamentale : bien sûr, il faut que la communauté internationale intervienne et la vérité, c'est que toutes les règles du jeu du monde sont organisées autour du respect des souverainetés nationales et de la non-agression entre nations et qu'il nous faut passer maintenant à une diplomatie des droits de l’homme, avec un droit d'ingérence humanitaire, écologique si nécessaire et surtout démocratique, dans les affaires des autres quand ils deviennent scandaleux.
Au service de tout cela, il nous faut une force internationale derrière la doctrine de l'ONU. C'est un combat mondial, c'est le combat que j'ai annoncé que les socialistes livreront, il nous faut une force internationale qui sache pratiquer l'ingérence démocratique. Nous n'en sortirons pas autrement, il faut une vision de principe et une responsabilité de la planète organisées.
M. Baudis. – Il faut aussi faire preuve de sens des responsabilités dans la façon dont on aborde les problèmes de l’Afrique.
M. Rocard. – Tout à fait !
M. Baudis. – Je voudrais citer un exemple encore, monsieur Rocard : après l'attentat terrible de Lockerbie, plusieurs centaines de morts, la Libye avait été mise au ban des nations puisque le colonel Kadhafi ne voulait pas livrer ceux qui étaient responsables de cet attentat et qui étaient connus de tous. Figurez-vous que c'est le moment qu’a choisi un député socialiste français au Parlement européen, un de vos amis, pour se rendre en Libye et signer un protocole d'accord et d'amitié où l'on dit : « La délégation a pris conscience des conséquences négatives et préjudiciables à la population des mesures résultant de l'application de l'embargo contre le peuple arabe libyen », signé par monsieur Henri Sabie, un député socialiste au Parlement européen, qui est allé dans la Libye du colonel Kadhafi, que le monde entier avait mis au ban des nations, pour regretter cet embargo.
Mme Sinclair. – Si je ne m'abuse, il y a bien un officier libyen qui est venu en France il y a quelques jours ?
M. Baudis. – Il est venu en catimini…
Mme Sinclair. – A l’hôtel Crillon.
M. Baudis. – Il a disparu et il n'a pas signé un protocole d'accord tandis que, là, c'est un accord disant : « On regrette cet embargo » alors que l'embargo était nécessaire pour que Kadhafi livre les auteurs de l'attentat de Lockerbie. Tout ceci est lié, c’est la sécurité du continent africain.
M. Rocard. – Dominique Baudis, tant que des peuples ou des pays ne sont pas en guerre, les gens se parlent avec un niveau de responsabilités différent. Je n'aime pas cette déclaration que je désapprouve…
M. Baudis. – … Les votes, vous les désapprouvez, les déclarations, voulez-les désapprouver, vous êtes en désaccord avec tout ce que font vos amis au Parlement européen, monsieur Rocard ?
M. Rocard. – Je suis encore plus en désaccord avec le fait que votre gouvernement ait accepté que le ministre des affaires étrangères, pas n'importe quel officiel, le ministre des affaires étrangères de Libye, ait fait un séjour clandestin à Paris il y a moins de 15 jours, cela me paraît aussi scandaleux.
M. Baudis. – Il n'y a pas eu de protocole signé, un protocole où l'on regrette l’embargo ?…
M. Rocard. – … Et quand on accepte le ministre des affaires étrangères, est-ce que cela ne vaut pas ?
M. Baudis. – Alors que c'est un moyen d'essayer d'obliger le colonel Kadhafi à livrer ses hommes qui sont des meurtriers, qui ont tué plusieurs centaines de personnes en mettant une bande dans un avion.
M. Rocard. – Ajouter des mots et des mots, la France reçoit, sous votre autorité, le ministre des affaires étrangères de Libye, je trouve cela encore pire. Tout le monde là-dessus se conduit mal, n’insistions guère et restons, nous, clairs.
Mme Sinclair. – Vous êtes d'accord pour que l'on passe la situation économique et sociale ?
En France, tout le monde voit que la reprise s’amorce, est-elle suffisante pour faire reculer le chômage et que proposez-vous, chacun de vous, au niveau européen et au niveau national pour y parvenir ? Je pense qu'il va y avoir, là aussi, des vrais désaccords de fond entre vos propositions.
Voici trente secondes où Viviane Junkfer et Joseph Pénisson font le point, notamment en France.
Reportage.
Mme Sinclair. – Deux thèmes, si vous voulez. Qu'est-ce que l'Europe pour nous et quelles sont, à chacun, vos propositions sur l'emploi ?
Premier thème, Dominique Baudis : le chômage est-il un problème national ou un problème européen ? La France peut-elle le résoudre seule hors du contexte européen ?
M. Baudis. – C'est tout à la fois. C'est un problème national dans chacun des pays de l'Union européenne et c'est donc le problème de toute l'Europe, l'Europe ne peut pas rester les bras ballants face au chômage et nous avons, avec le Parti socialiste, des approches assez différentes de la façon dont il faut agir dans ce domaine…
M. Rocard. – … Et heureusement.
Mme Sinclair. – Vous nous dites quelles sont les vôtres précisément ?
M. Baudis. – Quelques exemples concrets : l'agriculture, dans notre pays, ce sont des emplois, c'est plus d'un million d'emplois directs et c'est beaucoup d'emplois dans toute la filière agroalimentaire. La Commission de Bruxelles avait négocié avec les Américains un accord catastrophique pour l'agriculture, c'était l'accord de Blair House, les agriculteurs, les paysans français savent ce qu’est Blair House, il n'y avait plus de préférence communautaire et on perdait toutes nos capacités d'exportations. Les socialistes avaient laissé la Commission négocier sans mandat et l'accord conclu était catastrophique.
Lorsque les négociateurs sont revenus au Parlement européen, il y a eu le dépôt d'une motion de censure contre cette accord de Blair House et contre la Commission qui avait accepté de signer cet accord, c'était essentiel pour défendre les intérêts de l'agriculture européenne et notamment française. Cette motion de censure, ce sont nos amis qui l’ont déposée, qui l’ont signée, qui l’ont votée, les députés socialistes au Parlement européen n’ont pas voté la motion de censure, c’est-à-dire qu'ils ont avalisé l'accord de Blair House. Incompréhensible !
Autre exemple : l'Union européenne investit beaucoup dans les régions, les différentes régions d'Europe, et quand elle investit dans une région, évidemment elle crée des équipements, elle crée des emplois pour fabriquer ses équipements. Durant la période précédente, 1989-1993, les contrats de plans précédents qui ont été négociés à l'époque où monsieur Rocard d'ailleurs était à Matignon, en 1989, nous avons reçu de l'Union européenne, pour nos régions en France, 60 milliards de francs. Pour la période actuelle, 94-99, celle qui s'ouvre cette année, qui a donc été négociée par l'actuel gouvernement, nous avons obtenu une augmentation de 60 %, 100 milliards de francs.
Je sais bien que, quand on dit « 100 milliards de francs », cela peut paraître un chiffre démesuré, on ne comprend pas très bien ce qu'on peut faire avec ça. Admettons qu'on ne fasse avec ça que des autoroutes – on fera beaucoup d’autres choses –, on pourrait faire 3 000 km d'autoroutes, ce qui représenterait 200 000 emplois. C'est-à-dire que le gouvernement actuel réussit mieux à se servir de l'Europe au profit de la France que ne le faisaient les gouvernements socialistes précédents.
Même chose pour la recherche, vous parlez souvent de la recherche, augmentation considérable des crédits de recherche, on passe de 60 milliards à 90 milliards, et c'est cela qui permettra de développer des programmes industriels : par exemple, Airbus, à Toulouse, il a fallu faire un énorme effort de recherche au départ, et on a réussi à orienter ses crédits recherche sur l'aéronautique, sur l'automobile, sur les technologies de l'information où les Français sont bien placés. Tout ceci sera créateur d'emplois en Europe et aussi en France.
Enfin, un programme de grands travaux : il était prévu 5 milliards d’écus, à la demande du gouvernement français, ce programme est porté à 8 milliards d’écus : il y aura le TGV Est, il était en panne, il se fera, le TGV Nord et, pour ce qui concerne ma région, le TGV par Barcelone jusqu'à Madrid.
Voilà des projets concrets qui vont contribuer à équiper la France et l'Europe et qui vont créer des emplois dans notre pays.
Mme Sinclair. – Michel Rocard, des projets ?
M. Rocard. – Ce qu'il y a d'infiniment réjouissant avec monsieur Baudis, c'est tout de même qu'il ne manque pas d’air. En effet, les fonds structurels européens augmentent beaucoup maintenant grâce aux décisions prises en 1992 et 1993 sur notre lancée et à la demande de Jacques Delors pour que le traité de Maastricht d'une correction des déséquilibres structurels en Europe…
M. Baudis. – … Quand cela va mieux aujourd'hui, c'est grâce à vous il y a trois ans.
M. Rocard. – Et comment donc ! Vous savez très bien qu'il y a du temps pour prendre des décisions.
De la même façon sur le GATT, fantastique. Vous savez quand s'est faite la catastrophe, quand a été jointe l'agriculture à toutes les négociations d'ensemble du GATT, c'est-à-dire dans une atmosphère de libre-échange et en ne reconnaissant pas que l'agriculture avait une vocation spécifique, c’est en 1987, cette capitulation, le gouvernement de monsieur Chirac, et depuis on ne s'en est pas remis.
Ensuite, il y a une règle en Europe et la règle, c'est qu’on tient sur la parole donnée. Que s'est-il passé quand la Commission a très mal négocié à Blair House ?
Mme Sinclair. – Je propose d’un mot de répondre sur Blair House parce que c'est le passé, cela n'engage pas l’avenir…
M. Rocard. – … Je ne peux pas laisser les agriculteurs de France croire que monsieur Baudis vient de dire la vérité parce que ce n'est pas vrai.
Mme Sinclair. – Alors répondez rapidement, s'il vous plaît.
M. Rocard. – Il faut tout de suite savoir que quand le gouvernement français, c'était Pierre Bérégovoy, s’est aperçu de la très mauvaise négociation, il est venu devant l'Assemblée nationale et a demandé la confiance à l'Assemblée nationale pour avoir une négociation bipartite pour rattraper cette négociation. Vos amis ont agité le bocal, ont parlé de veto, ont tout secoué, ont refusé cela et la communauté internationale européenne, autour de nous, s’est dite : « Le gouvernement français n’a pas la confiance, autrement dit, il n'y a rien à faire, il va être battu dans six mois, on attend. » Depuis, vous n'avez rien obtenu parce que l'enjeu central était que nos capacités d'exportation, pour l'avenir, soient définies en pourcentage du marché et non pas absolu et, cela, vous ne l'avez pas obtenu. Vous pouvez toujours en parler joyeusement.
Moi, je préfère revenir au fond du sujet qui est le chômage, qui est l'initiative européenne de croissance…
M. Baudis. – … Sur Blair House, pour qu'on en termine sur Blair House…
M. Rocard. – … Je veux bien mais on perd du temps et, moi, c'est du chômage que je veux parler. Je ne peux pas vous laisser dire des choses fausses.
M. Baudis. – L'agriculture, ce sont des emplois…
M. Rocard. – … Et comment !
M. Baudis. – Donc, vous convenez que Blair House était une catastrophe, un mauvais accord ?
M. Rocard. – Tout à fait ! Vous auriez mieux fait de vous en apercevoir en soutenant Bérégovoy qui combattait.
M. Baudis. – Quand il y a une motion de censure au Parlement européen pour condamner la Commission d'avoir signé, pourquoi les députés socialistes français au Parlement européen n’ont-ils pas voté cette motion de censure ? Là aussi, c'est un vote que vous allez récuser ?
M. Rocard. – Non, celui-là, je ne le récuse pas et je ne le récuse pas pourquoi ? Parce qu'il y a des solidarités européennes à l'intérieur desquelles nous sommes, hélas, minoritaires. Je rappelle que la faute initiale, c'est celle de Jacques Chirac en 1987, il ne fallait pas que l’agriculture soit incluse comme ça dans ces négociations.
M. Baudis. – 87 pour un accord de 92 ?
M. Rocard. – Et alors ? Vous avez probablement lu un peu la presse et suivi le temps des négociations de l'Uruguay Round, vous savez très bien qu'elles ont duré huit ans, ne faites pas semblant.
M. Baudis. – Oui, mais la négociation de Blair House a eu lieu en 1992, elle était catastrophique.
M. Rocard. – C’est la même.
Mme Sinclair. – Puis-je vous arrêter sur Blair House parce que le problème est terminé…
M. Rocard. – … J’attire l'attention de nos téléspectateurs sur le fait que monsieur Baudis noie un peu le poisson. Ces négociations ont duré huit ans, Blair House a été une étape.
Je voudrais revenir sur le chômage…
Mme Sinclair. – … La croissance repart, suffira-t-elle…
M. Rocard. – Oh non !
Mme Sinclair. – … Ou bien que proposez-vous au niveau européen et au niveau national ?
M. Rocard. – J'aurais souhaité d'abord qu'on accélère la croissance et je me bats pour une nouvelle donne européenne. Ces malheureux 8 milliards d’écus, dont monsieur Baudis vient de parler, sont un enterrement de l'initiative européenne de croissance dont le principe, pourtant, avait été adopté en décembre 1992 à Edimbourg.
Qu'est-ce que 8 milliards d’écus dans une Union européenne qui produit chaque année une richesse de 8 000 milliards d’écus ? C’est rien, on a besoin de créer et de financer des emplois par millions et, ô merveille, l’Union européenne n'est pas endettée. Je maintiens le projet de grands emprunts annuels de 50 milliards d’écus au moins qui, avec les fonds supplémentaires des Etats, des villes, des régions intéressées, produiront de l’ordre de 800 à 1 000 milliards d’écus de travaux par an, ce qui va faire dans les 1 200 à 1 800 milliards de francs…
Mme Sinclair. – … Pour quoi faire ?
M. Rocard. – Reconstruire nos banlieues dévastées ou sinistrées par le chômage et par la marginalité, toutes les infrastructures qui permettront de désenclaver notre grand Ouest, notre façade maritime, notre Sud-Ouest ou même aussi dans le reste de l'Europe : des chantiers, des besoins, il y en a partout, finançons-les.
A l'appui de cette proposition, la plupart des grands économistes de France et de l'étranger soutiennent, en effet, qu'elle est possible, il fallait devancer la croissance.
Première proposition : la nouvelle donne européenne.
Deuxième proposition : entamer au Parlement européen les concertations nécessaires pour faciliter une réduction de la durée du travail aussi simultanée que possible entre nos pays.
D’un mot, le chômage c'est un tremblement de terre, c'est une révolution technologique qu’aucun gouvernement n'a maîtrisé, ni droite ni gauche, personne n'y a rien pu. Il a augmenté de 350 000 en France en 1993 contre un peu moins de 200 000 en 1992, bref, il faut changer de vision.
Monsieur le Premier ministre, monsieur Balladur, a évoqué le sujet à la télévision il n'y a pas très longtemps et il disait qu'il espérait que la croissance l'année prochaine, 95, stabiliserait le rythme du chômage et même le ferait baisser de 50 000, c'est le chiffre qu'il a dit, à ce rythme, on résorbe le chômage en 60 ans. S’il a un peu de chance ou encore plus d'énergie qu'il n’en met, on diminue la durée de moitié, 30 ans, ce n'est plus tolérable ! Il faut comprendre que nous avons besoin de faire beaucoup plus qu'on a su faire jusqu'à présent.
Je suis le seul Premier ministre de la Ve République qui ait eu, grâce à la vigueur de ses interventions mais aussi à la croissance, la chance de quitter son mandat avec un peu moins de chômeurs que quand j'ai été nommé. Je ne tire pas de gloire particulière sinon celle qu'il faut faire encore beaucoup plus. Ce beaucoup plus, nouvelle donne européenne, cinq emprunts, 50 milliards d’écus par an et, deuxième élément, réduction concertée de la durée du travail. Quelles sont vos propositions, monsieur Baudis ?
Mme Sinclair. – Au niveau européen ?
M. Rocard. – Au niveau européen, bien sûr.
M. Baudis. – Un point sur les grands travaux : effectivement, à l'époque où le gouvernement socialiste était au pouvoir, la France et les autres partenaires étaient partis sur l'idée de 5 milliards d’écus…
M. Rocard. – … Tout petit.
M. Baudis. – C'est petit, oui, mais enfin c'était une somme que les gouvernements socialistes avaient acceptée. Le nouveau gouvernement français a demandé à ce que cela soit porté à 8 milliards, on est passé de 5 à 8 milliards, et, vous, vous dites tout d'un coup : « Non, pas 5, pas 8, 50 », j'ai envie de vous demander : « Pourquoi pas 500, pourquoi pas 5 000, et financés comment ? » Vous venez de le dire : « L’Europe n'est pas endettée », tant mieux, c'est une chance pour les Européens que l'Europe ne soit pas endettée et donc vous allez proposer d'endetter l’Europe.
Vous savez, les Français savent bien ce qu’est une dette publique quand ils empruntent, que ce soit pour leur vie familiale que ce soit pour un commerce, artisanat ou entreprise, une dette, monsieur Rocard, cela se rembourse et quand c'est de la dette publique, cela se rembourse avec des impôts.
Maintenant sur un problème que vous venez d'évoquer, vous en parlez souvent mais de façon cursive, allusive, la réduction du temps de travail…
M. Rocard. – … J’en parle de la manière la plus claire.
M. Baudis. – Parlons-en. Je vais vous poser deux questions, monsieur Rocard :
Vous proposiez déjà la réduction du temps de travail il y a plus de 10 ans, en 1981, au moment où les socialistes sont arrivés au pouvoir…
M. Rocard. – … Oui, tout à fait !
M. Baudis. – Première question, pourquoi ne l'avez-vous pas fait pendant 10 ans ?
Deuxième question, puisque vous projetez de le faire, voulez-vous le faire par la loi, de façon systématique, simultanée, dans le public, dans le privé, partout, par une loi, ou cela se fera-t-il au gré des possibilités dans les différents secteurs, quand on pourra ?
M. Rocard. – Je note avec plaisir que monsieur Baudis met sa satisfaction dans cette émission à me questionner plutôt qu’à ses propres propositions…
M. Baudis. – C’est un débat…
M. Rocard. – … Je suis très heureux de cette occasion…
M. Baudis. – … Parce que je voudrais y voir clair dans vos propositions.
M. Rocard. – … Et je constate que vous n’avez rien à proposer. Je vais vous aider un peu.
Premièrement, pourquoi 50 milliards d’écus ? Parce que c'est un chiffre qui correspond à un demi pour cent du produit national brut communautaire. Nous sommes dans le possible, nous sommes dans le plausible.
Vous avez peur de la dette. Connaissez-vous, en dehors des richissimes, comme monsieur Goldsmith ou monsieur Tapie, en France, des gens qui peuvent acheter leur maison ou leur voiture sans s’endetter ? Tout le monde sait bien que, quand il y a un gros effort à faire pour sortir de quelque part, on anticipe dessus et on ne rembourse pas qu’avec de l'impôt, ce n'est pas vrai, on rembourse avec de la croissance et il faut bien la provoquer. C'est un raisonnement tout simple. Pour un demi pour cent du produit national brut, vous ne ferez peur à personne.
Je peux même vous dire que ces gens qui opèrent sur les grandes affaires internationales, ces financiers que je n'apprécie pas beaucoup, commencent à se soucier dans leur jugement sur les monnaies et sur les cours de l'équilibre social interne et du chômage, cela leur paraît-il dangereux, plus encore que de la rectitude. Mais en tout cas nous n'en sortirons pas sans une incitation à la croissance, nouvelle donne européenne, forte proposition, vous n’en avez pas.
M. Baudis. – L’Europe endettée ou l'Europe avec des finances saines, c'est le débat entre vous et moi, ce sont deux options et c'est normal, d'ailleurs, que les électeurs aient deux options. Vous voulez de la dette, de l'emprunt, par conséquent, les impôts ensuite, moi, je préfère…
M. Rocard. – Je veux qu'on en sorte. Je dis qu'avec un emprunt d’un demi pour cent du produit national brut qu'on remboursera en 15 ans, la dette annuelle sera de 5,6 ‰ de la richesse que nous produisons, que ce n'est rien et que vous n'avez pas le droit de décider qu'on va rester à 20 millions de chômeurs en Europe ou 3,5 millions chez nous sans rien faire…
M. Baudis. – … Je n'ai jamais dit cela, monsieur Rocard.
Mme Sinclair. – Rapidement sur la réduction de la durée du travail parce que Dominique Baudis est en retard.
M. Rocard. – Et surtout il n'a pas encore proposé quoi que ce soit, ce qui est tout de même assez extraordinaire.
M. Baudis. – Vous allez voir !
M. Rocard. – Sur la réduction du temps de travail, notons que, en 1881, on travaillait 3 200 heures par an, 12 heures par jour, 6 jours par semaine sans congé et sans retraite et qu'on est à mi-temps, qu'on travaille 1 600 heures par an maintenant, la moitié, le pouvoir d'achat a augmenté tout du long. Donc, c'est possible puisque cela s'est fait, tout le problème est de relancer le mouvement.
Malheureusement, le mouvement ne peut pas être aux ordres d'un gouvernement ni de la loi, c'est bien vrai, c'est une affaire de partenaires sociaux. Et c'est parce que les partenaires sociaux, sans doute, n’étaient pas mûrs, en 1981-1982, que cela n'a pas accroché, sans doute aussi la puissance publique n'avait pas été capable de définir les incitations et les aides qu'elle peut mettre derrière, aussi avons-nous beaucoup travail ??? font 45 pages, elles sont fort précises mais elles vont dans ce sens et tout commence par la concertation entre ces partenaires.
Donc, deux propositions socialistes : la nouvelle donne européenne, la réduction concertée du temps de travail. Et vous, comment sortez-vous du chômage, c'est intéressant ?
M. Baudis. – Vous dites : « Chacun, là où il le peut, les chefs d'entreprise, PME, PMI, grandes entreprises, responsables du secteurs administratifs, doit prendre des décisions qui vont dans le sens de la réduction du temps travail quand il le peut, à la place où il est…
M. Rocard. – … Concertées.
M. Baudis. – Concertées, bien sûr. Vous avez une responsabilité, j'en ai une, vous êtes maire de Conflans-Sainte-Honorine, je suis maire de Toulouse, puis-je vous demander, monsieur Rocard, à la mairie de Conflans-Sainte-Honorine, pour le personnel municipal dont vous êtes le responsable, quelle est la durée hebdomadaire du temps de travail dans cette mairie dont vous êtes le maire depuis plus de 10 ans, combien de temps travaille-t-on par semaine ?
M. Rocard. – On travaille dans le cadre légal ?
M. Baudis. – C’est-à-dire combien d’heures ?
M. Rocard.- Selon les personnels, entre 38 et 39 heures, la loi ne me permet pas de descendre en dessous.
M. Baudis. – Et pourquoi pas 35 ?
M. Rocard. – Mais parce que la loi ne le permet pas encore, il y faut les compensations fiscales.
M. Baudis. – Monsieur Rocard, je vais vous dire, je suis surpris que vous ne le sachiez pas…
M. Rocard. – … Mais j’ai des services qui travaillent 32 heures.
M. Baudis. – La durée, c’est quoi, 37-38 heures ?
M. Rocard. – Ce n’est pas la même selon les services.
M. Baudis. – D’accord, mais il y a une durée qui est fixée dans chaque mairie…
M. Rocard. – … Quelles sont vos propositions ?
M. Baudis.- Je vais vous dire, à la mairie de Toulouse, vous savez de combien est la durée du temps de travail hebdomadaire ?
M. Rocard. – Vous êtes assez riche pour pouvoir devancer l'aide de l’Etat.
M. Baudis. – Trente-cinq heures, monsieur Rocard, et depuis 12 ans, donc la réduction du temps de travail, il y a ceux qui en parlent et qui ne la font pas et il y a ceux qui la font quand ils le peuvent. Dans ce domaine et dans d'autres malheureusement, votre devise pourrait être : « Faites ce que je dis ne faites pas ce que je fais. »…
M. Rocard. – … Oh, que c’est facile…
Mme Sinclair. – Je vous propose d’enchaîner, Dominique Baudis, on va dépasser le temps.
M. Rocard. – Il me faut dire une seule phrase : « Il faut pour devancer les surcoûts dans cette affaire une aide de la puissance publique », une grande ville riche peut le faire, l'ensemble du pays, l'ensemble de l'entreprise ne le peut pas encore, c'est pourquoi la puissance publique est responsable du lancement de ces concertations avec ces propositions d’aides…
M. Baudis. – … Enfin, ce que vous préconisez, vous ne le faites pas là où vous pourriez le faire dans votre mairie.
M. Rocard. – Je ne le peux pas encore.
M. Baudis. – Pourquoi ? Parce que vous n’avez pas bien géré votre ville.
Mme Sinclair. – Je suis désolée, on va faire un débat sur Toulouse - Conflans-Sainte-Honorine, à cette heure-ci, il faut conclure.
M. Baudis. – Non, c’est le temps de travail.
Mme Sinclair. – Dominique Baudis, je vous propose de conclure. Vous concluez comme vous voulez, sur vos propositions…
M. Baudis. – … Depuis 12 ans, c'est 35 heures, donc nous avons 12 ans d'avance sur ce que monsieur Rocard n'a pas encore fait chez lui en matière de réduction du temps de travail.
M. Rocard. – Je ne suis pas assez riche pour ça, je le deviendrais avec une aide de l’Etat.
M. Baudis. – Conclure ?
Mme Sinclair. – Oui, conclure.
M. Baudis. – Oh ce sera un mot très simple : je prends ce soir un engagement devant celles et ceux qui nous écoutent, cet engagement, c'est de travailler de toutes mes forces au Parlement européen avec ceux qui seront élus sur les listes de la majorité, la liste d'union européenne RPR-UDF, de travailler de toutes mes forces parce que c'est la mission que je me suis donnée.
Je ne suis pas, c'est une différence aussi avec monsieur Rocard, candidat à l'élection présidentielle, j'aurai donc le temps de faire mon travail de député européen. Une fois élu, je ne démissionnerai pas dans les quinze jours ou dans les trois semaines, comme le feront monsieur Chevènement, monsieur de Villiers ou d'autres candidats…
M. Rocard. – … Et pas moi.
M. Baudis. – Mon ambition, c'est de servir les Français au Parlement européen, de travailler pour ma ville de Toulouse et de représenter les intérêts de la France en Europe à l'Assemblée de Strasbourg et, n'étant pas candidat à l'élection présidentielle, j'aurai le temps de le faire.
Mme Sinclair. – Michel Rocard, d'un mot puisqu'il a été question de l'élection présidentielle, quel que soit votre score aux élections européennes, serez-vous, de toutes façons, candidat à la présidence de la république ? Je vous propose de conclure par la même occasion, répondre là-dessus et conclure.
M. Rocard. – A chaque jour suffit son travail et je passe les obstacles un à un. Je veux dire que je suis suffisamment attaché à la cause de l'Europe, je la crois suffisamment importante pour être un peu choqué de n'avoir entendu dans la bouche de monsieur Baudis aucune espèce de proposition sinon la remarque qu'il est allé dans le sens de la réduction de la durée de travail parce qu'il est plus riche que les autres et qu'il peut se le permettre avant que les moyens de l’Etat ne permettent les péréquations et les redistributions nécessaires.
Mme Sinclair. – A vous aussi, je demande de conclure.
M. Rocard. – Moi, je veux dire ici que je découvre finalement… je savais que je conduisais la seule liste qui soit à la fois socialiste et européenne, je me demande, devant cette absence de propositions, si je ne suis pas en train de conduire la seule liste vraiment européenne…
M. Baudis. – … Voilà notre projet, monsieur Rocard.
M. Rocard. – Monsieur Baudis a siégé quatre ans au Parlement européen, il y a fait zéro rapport et trois questions. Je prends, moi, l'engagement d’en faire, en quatre mois, beaucoup plus que vous n’en avez fait en quatre ans, au service d'une Europe volontaire, d'une Europe pour qui la lutte contre le chômage soit la priorité absolue et d’une Europe qui met en place la politique extérieure et la paix en Bosnie dès que ce Parlement sera installé.
Mme Sinclair. – Merci messieurs.
Merci Michel Rocard, merci Dominique Baudis…
M. Baudis. – … Voilà, je vous offre notre projet.
Mme Sinclair. – … de ce débat au sommet qui se continue visiblement.
Dimanche prochain, dimanche 5 juin, veille du 50e anniversaire du Débarquement, je recevrai Jacques Delors et diffuserai une interview du président Clinton que j'ai réalisée il y a deux jours à Washington, le thème : « L'Europe et l'Amérique, hier et aujourd'hui ».
Dans un instant, le journal de Claire Chazal qui recevra la tête de liste des Verts aux élections européennes, madame Isler-Béguin.
Merci à tous.
Bonsoir.