Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, sur la vie et l'action de Georges Pompidou, à Paris le 4 avril 1994.

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Texte intégral

Au-delà de vos savants débats de technique constitutionnelle, au-delà de la chronique d'un septennat interrompu, je voudrais, en clôturant vos travaux, évoquer tout simplement quelques traits de la personnalité politique de Georges Pompidou.

Si "ce banquier baudelairien entrée à Matignon" puis à l'Élysée n'avait a priori rien d'un juriste (1), ses écrits ses propos et surtout son comportement révèlent, chez cet humaniste républicain, les vertus d'un politologue (2), sans aucun doute digne de figurer parmi vos rangs !

En effet, à mes yeux, l'héritage que nous a légué G. Pompidou est triple : c'est une science du pouvoir et une morale de l'action au service d'un idéal de liberté, de bonheur et d'harmonie.

1. Une science du pouvoir :

Trois aspects : les institutions, la place de l'État, sa conception de la politique.

a) Les institutions :

Ne pas s'attarder sur les institutions déjà longuement évoquées depuis le début du colloque.

G. Pompidou était favorable à une collaboration équilibrée des pouvoirs. Il n'a cessé d'œuvrer pour le développement de relations confiantes et efficaces entre l'exécutif et le législatif avec le souci de laisser le Parlement exercer pleinement ses prérogatives et notamment son droit de contrôle de la politique gouvernementale évoquant même, avant l'heure, la nécessité "de redéfinir le rôle du parlement".

G. Pompidou s'est toujours fait l'avocat d'une démocratie de l'équilibre.

Il était partisan d'une "franche et utile coopération" dans les relations entre gouvernement et Parlement.

Dénonçant l'inadaptation du septennat à l'ampleur des prérogatives présidentielles il s'est efforcé de remédier. Et ce, pour obliger le Président à se soumettre plus fréquemment au suffrage populaire ; son objectif était double :

"Permettre au Président de la République d'exercer ses pouvoirs constitutionnels et ses responsabilités avec la confiance du pays qui est la seule source de légitimité que je connaisse".

"Faire que mes successeurs ne se trouve pas dans une sorte d'infériorité morale vis-à-vis du Parlement."

Tout cela sans pour autant souhaiter la coïncidence des élections législatives et présidentielles, bien au contraire.

Son souci des citoyens fut constant. À ce titre, il souhaitait :

– transformer les rapports entre les administrés et l'administration et dénoncer la pesanteur "lourde, incompréhensible souvent et parfois intolérable" de l'administration ;

– développer les contacts directs entre les gouvernants et le peuple : cf. ses analyses sur les exigences de la démocratie cathodique, imposant la sincérité aux hommes politiques et son influence sur le comportement et le caractère des hommes politiques ;

– permettre aux Français de se prononcer à intervalles plus fréquents sur les orientations générales de la politique nationale ;

– promouvoir un usage efficace du référendum : ne pas multiplier les consultations, consulter sur des questions auxquelles les Français sont prêts à se prononcer.

b) L'État :

À ses yeux, les pouvoirs de l'État doivent être limité. Il ne faut "lui laisser que ce qui est de sa responsabilité propre et qui est de nos jours déjà immense, laisser aux citoyens la gestion de leurs propres affaires, de leur vie personnelle, l'organisation de leur bonheur tel qu'ils le conçoivent, afin d'échapper à ce funeste penchant, qui, sous prétexte de solidarité, conduite tout droit au troupeau".

Il fit preuve d'une vive méfiance à l'égard de la technocratie : "contrebalancer le rôle excessif d'une technocratie dont la complexité des problèmes tend à instaurer la toute-puissance."

Conscient des risques de gaspillages que peuvent susciter le jeu des initiatives individuelles, il dénonce pourtant les méfaits de la centralisation des décisions.

c) Sa conception de la politique :

"Gouverner, c'est contraindre."

"Plus un peuple est par nature individualiste et pénétré des droits de l'individu, plus il est rebelle à la notion de gouvernement."

"Le propre du commandement est que la décision doit appartenir à une personne et à une seule, faute de quoi le désordre s'installe, et l'incohérence."

"Le propre de la politique – pour l'exécutif comme pour le législatif – est d'avoir à choisir entre des inconvénients."

"Les institutions sont ce que les hommes les font."

G. Pompidou avait par ailleurs une haute idée de sa mission :

"Le plein exercice des responsabilités que m'impose notre Constitution et que m'a confié le suffrage populaire."

"Mettre ce que j'ai de capacités au service de la France tant que les Français le voudront."

2. Une morale de l'action politique :

Trois idées pour résumer : humanisme, libéralisme, pragmatisme.

a) Humanisme :

Pour G. Pompidou, l'homme est la fin première de la politique.

"La République doit être celle des politiques au sens vrai du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l'emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d'une analyse abstraite, ou pseudo-scientifique, de l'homme."

"En démocratie, on ne gouverne pas longtemps par la force ni par la ruse, mais seulement par la confiance qu'on inspire, et l'on inspire durablement confiance quand s'adressant et en répondant aux besoins des hommes de croire à quelque chose."

b) Libéralisme :

Il faut évoquer ici la tolérance de G. Pompidou, son goût pour le dialogue et son respect d'autrui et par conséquent de l'opposition :

"Rien n'est plus enrichissant que l'échange des idées, tout le monde a le plus grand intérêt à entendre les arguments d'autrui et, bien sûr à en tenir compte."

Il fût toujours soucieux de voir l'opposition collaborer efficacement au travail parlementaire et notamment à l'élaboration des lois.

"Il n'y a pas de bons et de moins bons députés ; il n'y a que des représentants du peuple, donc, par delà les querelles électorales, le devoir est d'agir dans l'intérêt de la France et des Français."

b) Pragmatisme :

Refusant les théories trop abstraites et les carcans idéologiques, il a souvent fait preuve d'un sens aigu de la spécificité et de la diversité des situations. L'action concrète reste à ses yeux la priorité.

"Ne prenons pas la parole pour l'action."

Comme J. Chirac vient de le rappeler, trois mots-clés résument sa conduite des affaires : clarté, équité, efficacité.

"En politique, s'il faut réfléchir longuement et bien étudier les dossiers, il faut finalement aboutir à des choix simples et s'y tenir."

3. Un idéal de liberté, de bonheur et d'harmonie :

"Il n'y a pas de liberté ni d'autonomie sans l'existence d'une autorité garante de cette liberté."

"Mon idée est qu'en l'homme le meilleur toujours l'emporte sur le pire, dès lors que le cadre de vie qui lui ai donné s'y prête et que les buts qui lui sont proposés répondent à ses aspirations peut-être non ressenties mais profondes vers la dignité, la solidarité et le dépassement de soi."

"Ce qui compte, c'est que mon mandat soit pour la France une période de sécurité et de rénovation, de bonheur et de dignité."

(1) Sans oublier une grande maîtrise du droit administratif acquise comme rapporteur de la deuxième source section du contentieux au Conseil d'État, même si le caractère abstrait des dossiers le conduit à postuler un repli sur la section des travaux publics.

(2) G. Pompidou fût d'ailleurs maître de conférences à Sciences-Po durant près d'une dizaine d'années.