Article de M. Jean-François Deniau, député UDF, dans "Le Figaro" du 18 février 1994, sur le dispositif militaire et le mandat de l'ONU en ex-Yougoslavie, intitulé "Le but et les précautions".

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Média : Le Figaro

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Le but et les précautions

Pour arrêter la guerre il faut changer le mandat des Nations unies et modifier notre dispositif militaire.

Si un ultimatum a pu éviter une guerre, tant mieux. Mais c'est ce qui se passe réellement sur le terrain qui le dira. Il y a eu trop de paroles, pas assez de faits. Privilégions les faits.

1. Depuis deux ans, face au conflit dans l'ex-Yougoslavie, l'Occident a jouté le tout-médiatique comme alibi. J'ai eu malheureusement l'occasion de rappeler plusieurs fois la liste des décisions spectaculaires sans conséquence et des résolutions (plus de quarante !) sans application : depuis les observateurs qui n'avaient pas le droit d'observer, jusqu'à la visite des camps de concentration, sans lendemain parce que les gardiens des camps s'y opposaient, en passant par le procès des nouveaux criminels de guerre qui n'aura pas lieu. Avec une photo de trop de massacre, le double jeu entre les discours et les actes a désormais montré ses limites absolues.

2. Le but immédiat est de sortir de ce piège. Lors de son récent passage à Paris, j'ai dit au secrétaire d'État américain que si les États-Unis avaient inventé eu Koweït le "zéro tué" pour la guerre, nous avions en Bosnie tous ensemble inventé pour la paix la "crédibilité zéro". Le système ONU (et des conversations de Genève) où la communauté internationale doit d'abord constater "l'accord de toutes les parties intéressées" veut dire que le dernier Rambo de quartier qui a encore deux chargeurs peut arrêter la paix. Et aussi que trop facilement celui qui signerait à Genève peut sur le terrain ne pas respecter sa signature. Les pourparlers de paix aggravaient même la guerre dans la mesure où chacun veut améliorer ses positions ! Sortons du piège, renversons l'ordre des facteurs, et affirmons que les gestes pacifiques doivent être d'abord sur le terrain, concrètement et de façon vérifiable pour qu'on puisse utilement reprendre les conversations sur la nécessaire solution politique. Lever le siège de Sarajevo est bien évidemment le premier et mieux vérifiable de ces actes préalables.

3. Le camp de la France n'est pas celui d'un peuple contre un autre, d'une religion contre une autre. Il ne peut être que celui du droit des peuples – tous – à disposer d'eux-mêmes dans le respect des autres peuples. Dommage qu'on ait attendu si longtemps pour montrer qu'on y croyait réellement. Le but n'est pas la guerre, mais d'arrêter la guerre il faut alors, rappelons-le encore une fois, changer le mandat des Nations unies et modifier notre dispositif militaire. La crédibilité exige de protéger nos soldats et un regroupement des effectifs et des moyens. Les frappes aériennes sont un signal ou une sanction. Pas une solution. La vraie solution c'est la route libre, les hommes libres. Tout est possible, les médiations russes, les hésitations du Pentagone, les contre-manœuvres diplomatiques, la confusion, le doute. L'important est de ne pas envoyer des messages contradictoires. Restons clairs. C'est aussi une précaution pour atteindre le but.