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Le secrétaire général adjoint de la formation gaulliste affirme que militants et parlementaires partagent son choit et se défend de s'en prendre au gouvernement.
Le Figaro : Le poste qui est le vôtre depuis un an vous a-t-il procuré autant de bonheur que de désillusions ?
Jean-Louis Debré : Je n'y cherche pas le bonheur, et, je vous rassure, je ne l'ai pas trouvé. Ma fonction est difficile, j'en ai conscience. Ma volonté est de faire en sorte que le RPR demeure une formation efficace, mon souhait est de soutenir l'action du gouvernement, mon espoir est de contribuer à l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République. Par tradition familiale, par formation et par tempérament, je n'aime pas l'indifférence et la résignation. Aux fonctions qui sont les miennes, je donne un sens à mon engagement politique. De ce poste, je peux observer les jeux politiques, les rivalités d'intérêts, les limites de la fidélité des uns et l'étendue de celle des autres. Mais j'ai surtout eu la joie de rencontrer des femmes et des hommes qui se dévouent pour faire triompher des idées auxquelles ils croient, militants désintéressés, qui n'attendent bien souvent rien en retour de leur engagement politique.
Le Figaro : Comment le RPR suit-il la chronique des relations entre Jacques Chirac et Édouard Balladur ?
Jean-Louis Debré : Les cadres et les militants s'interrogent évidemment sur les relations entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. Nos cadres ne veulent pas de déchirure. Pour eux, il ne doit pas y avoir de compétition entre Jacques Chirac et Édouard Balladur pour l'élection présidentielle. Si elle existe, elle doit être réglée par les deux hommes directement. Quant aux militants, ils sont par rature légitimistes.
Le Figaro : C'est-à-dire ?
Jean-Louis Debré : Les plus anciens, ceux qui ont adhéré à notre mouvement du temps du général de Gaulle ou de Georges Pompidou, élevés dans une tradition gaullienne, sont favorables à Jacques Chirac, car il est celui qui a conduit les gaullistes à la victoire, celui qui, par son action, a empêché que le gaullisme ne disparaisse de la vie publique. Les autres, ceux qui nous ont rejoints dans les dernières années, lors de la création du RPR ou après 1988, ont l'obsession des divisions, ces divisions qui nous ont fait perdre. Pour tous ces militants, tout ce qui s'est déroulé jusqu'à présent – la victoire aux dernières législatives, la désignation d'Édouard Balladur au poste de Premier ministre – semblait procéder d'un schéma mis au point par Jacques Chirac et Édouard Balladur. Ils ont donc le sentiment qu'il y avait une sorte de pacte entre les deux hommes. El ils ne comprennent pas pourquoi certains voudraient rompre ce "pacte", et remettre en question une équipe qui gagne. L'aboutissement du cette stratégie étant l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République.
Le Figaro : Et les parlementaires ?
Jean-Louis Debré : La majorité des parlementaires RPR sont fidèles à Jacques Chirac, parce qu'ils ont le sentiment que celui-ci défend avec ardeur les convictions qui sont les leurs. D'autres parlementaires ont aussi, et c'est légitime, la crainte de voir la gauche revenir au pouvoir. "Faites en sorte qu'il n'y ait qu'un candidat" voilà ce qu'ils nous disent.
Le Figaro : Vous reprochez-vous certaines de vos observations sur la politique du gouvernement ?
Jean-Louis Debré : Je n'ai jamais renié mes propres convictions, ni trahi la fidélité que j'ai pour Jacques Chirac. Mais je me suis aperçu que, parfois, ce que j'ai pu dire a choqué certains membres du gouvernement. Le gouvernement est engagé dans une action difficile et impopulaire. Comme parlementaire, je me dois de le soutenir, et c'est ce que j'ai toujours fait par mes votes à l'Assemblée. Mais il est aussi de ma responsabilité, comme porte-parole du RPR, de montrer à ces Français qui nous ont fait confiance en 1993 que ce qu'ils me disent aujourd'hui, lorsque je vais à leur rencontre, je le communique à nos responsables. Or j'ai un peu la tristesse du constater que certains, pris par la dureté de tour travail, sont enfermés dans leur action, dans leurs certitudes, et n'ont plus la capacité ou le temps d'entendre ce que les Français disent. Un responsable de la majorité doit non seulement être un soutien de la politique gouvernementale, mais doit aussi monter qu'il est un relais entre l'opinion et ceux qui dirigent. Ce que l'on a pu parfois prendre pour une critique du gouvernement n'en était pas dans mon esprit. J'ai seulement souhaité prévenir le gouvernement, lui dire : "Attention nous faisons fausse route". Vraiment je n'imagine pas une seconde que quelqu'un puisse se réjouir de l'échec du gouvernement.
Le Figaro : Quelles ont été les erreurs du gouvernement et de la majorité pendant cette année ?
Jean-Louis Debré : Nous n'avons pas suffisamment dénoncé le bilan socialiste, et nous en payons les conséquences. Ensuite, nous aurions pu jusqu'en octobre être beaucoup plus actifs, faire des reformes beaucoup plus profondes, et profiter pleinement de cette période très courte où tout gouvernement a la possibilité d'agir sans restriction. Je trouve enfin que nous avons donné l'impression, par un certain nombre de décisions et de nominations, que la cohabitation tournait trop à la complaisance.
Le Figaro : Pouvez-vous illustrer votre propos par un exemple ?
Jean-Louis Debré : Dans le domaine de l'emploi, le gouvernement a eu raison de tenter de relancer la croissance économique. Ce qui a été fait au printemps dernier et la loi Giraud furent de bonnes bases de départ. Mais nous avons été trop conformistes, traditionnels, et pas assez innovants. Pourquoi ne pas avoir dit l'année dernière par exemple, qu'en 1994 toute entreprise qui embaucherait un jeune sans formation serait exonérée des trois quarts des charges sociales ? Pourquoi tarder ? Pourquoi toujours rester dans le même schéma frileux ?
Le Figaro : Bon nombre d'observateurs et d'acteurs économiques considèrent que la reprise est là. Partagez-vous ce sentiment ?
Jean-Louis Debré : Je constate, dans mon département, qu'il semble que la crise ait été maîtrisée. Mais je ne vois pas la reprise au rendez-vous.
Le Figaro : Pensez-vous que le gouvernement ait les moyens politiques de poursuivre sur la voie des réformes ?
Jean-Louis Debré : Je répète que nous n'avons pas suffisamment exploité la période privilégiée durant laquelle un gouvernement a la capacité de faire beaucoup de réformes. Le gouvernement en a moins l'opportunité aujourd'hui. Je souhaite qu'il la retrouve.
Le Figaro : Comment ?
Jean-Louis Debré : Il faut que redevienne d'actualité ce qui était initialement prévu, ce schéma, hérité de l'observation de 1986-1988, conceptualisé à maintes reprises par Édouard Balladur. Ce schéma plaçait le Premier ministre et le gouvernement en dehors de la perspective présidentielle. Ce positionnement, en effet, permettait au gouvernement de ne penser qu'aux réformes et à la rénovation de la France. Or certains, au gouvernement, donnent l'impression de se détacher de ce but et de s'orienter vers des impératifs électoraux. Pour restaurer l'image d'un gouvernement efficace et entièrement préoccupé de sortir le pays de la crise, celui-ci doit montrer sans ambiguïté qu'il ne se soucie absolument pas de la présidentielle, puisque le Premier ministre n'est pas candidat. Alors là, oui, il peut retrouver une crédibilité. Sinon, plus on approchera de l'élection présidentielle et moins il la retrouvera. De ce fait, cela satisferait aussi ceux qui dénoncent la cacophonie qui parasite l'action gouvernementale.
Le Figaro : Croyez-vous que Jacques Chirac pourra proposer un projet sans critiquer implicitement la politique du gouvernement ?
Jean-Louis Debré : Oui, sans ambiguïté. Par son attitude et ses votes à l'Assemblée, Jacques Chirac a toujours manifesté un soutien sans faille au gouvernement. Fort de ce parcours, il pourra développer un projet, non pas pour le passé ou l'immédiat, mais pour l'avenir, en dehors et au-delà de l'action du gouvernement. On ne gagne pas la présidentielle en regardant le passé, ou en défendant un bilan, mais en proposant un projet, une ambition.
Le Figaro : Êtes-vous favorable à une candidature unique de la majorité et à l'organisation de primaires pour l'élection présidentielle ?
Jean-Louis Debré : Je souhaite qu'il y ait un candidat de la majorité à l'élection présidentielle, et je souhaite que ce candidat soit Jacques Chirac. Quant aux primaires, c'est une bonne chose, mais leur organisation doit relever des formations politiques et non de la responsabilité de l'État.