Article de M. Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, dans "Le Figaro" du 18 mai 1994, sur le Centre Georges Pompidou, intitulé "Le passage du siècle".

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Média : Le Figaro

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Centre Georges-Pompidou

Le passage du siècle

Le Centre illumine la scène culturelle et sociale, en France et dans le monde – Tout change autour de lui – Il change aussi pour accomplir sa mission d'intérêt national.

Institution de référence du XXe siècle, le Centre Georges-Pompidou doit relever le défi du passage du siècle, en reprenant vingt ans d'avance.

D'abord, il saute aux yeux que les équipements techniques du Centre et sa structure architecturale appellent une sérieuse rénovation. Mais la nécessité supérieure, à laquelle se consacre l'essentiel de notre réflexion, consiste à harmoniser la "machine Beaubourg" et l'évolution actuelle de ses activités, l'enrichissement constant de son patrimoine et l'émergence de la création.

Révolution culturelle

La pluridisciplinarité reste une idée moderne entre toutes. De plus en plus, les créateurs s'ouvrent à la diversité des arts et des cultures, portés par l'importance croissante et la portée globale des nouvelles technologies. Cet éclatement est au cœur même de leur travail. Le Centre Georges-Pompidou doit continuer à rassembler ces sources d'inspirations diverses ; c'est son origine, c'est son futur.

L'extension et le renouveau de ses espaces d'exposition lui permettra de rendre compte de ces expressions nouvelles et de participer activement à leur diffusion. Bien mieux, cette ouverture propre au Centre Georges-Pompidou depuis son origine, et qui rencontre si bien l'esprit de l'époque, doit constituer une puissante incitation à la création. En réalisant, au bénéfice des créateurs, ce brassage des disciplines et des expériences, le Centre Georges-Pompidou participera directement à ce mouvement créateur.

Notre époque va connaître, avec l'explosion des nouvelles technologies de l'information, une véritable révolution culturelle. Le Centre se doit d'assumer son rôle pionnier dans l'exploration de ces technologies, et d'éclairer leur rapport à l'art et à la culture, notamment dans les domaines de l'image et de l'édition électronique. À l'instar de l'Ircam, qui constitue depuis toujours le terrain privilégié de la recherche sur les nouvelles technologies appliquées à la musique, le Centre dans son ensemble s'impliquera dans cette recherche dans les domaines des arts plastiques et de la diffusion du savoir. Cela, nulle autre institution en France ne pourrait le faire, nulle institution à l'étranger ne pourrait le faire aussi bien. 

Il faut aussi accompagner la croissance du Centre, c'est-à-dire tenir compte de l'augmentation constante de son patrimoine. Les collections du Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle comptaient 13 000 œuvres en 1976 ; on en dénombre près de 40 000 aujourd'hui. Faute d'espace, cette richesse exceptionnelle dans le monde n'a jamais pu se déployer convenablement. Ainsi le Musée doit-il mettre en évidence le caractère irremplaçable de son patrimoine, et donner au public un sentiment de permanence et de qualité. 

En même temps, notre volonté est d'accroître la présence de l'art vivant. L'augmentation des espaces d'exposition temporaires permettra au Centre de remplir sa mission essentielle de soutien à la jeune création, notamment en se donnant les moyens d'exposer méthodiquement les jeunes artistes français qui font l'art de demain. 

Aujourd'hui dispersées, des activités comme le théâtre, la danse, le cinéma, les conférences et les débats verront leur rôle magnifié au sein de l'institution, par l'aménagement, sous le forum, d'un ensemble de nouvelles salles, qui deviendront le lieu privilégié de la réflexion et du croisement des disciplines. 

Enfin et surtout, le Centre Pompidou est au service du public. Son projet est fondé sur la conviction que la culture crée un lien social. Sa réussite est et sera celle de son public. Aujourd'hui, le Centre reçoit chaque année 8 millions de visiteurs. Aucun établissement culturel dans le monde, et a fortiori à Paris, ne peut se prévaloir d'une fréquentation aussi forte. Ce nombre, à lui seul, est le signe du rôle que joue le Centre, un des rares lieux où l'accès de tous à la culture est une réalité. 

La qualité des espaces est le premier signe de considération que l'institution adresse à ses usagers, à ses membres. C'est pourquoi l'idée maîtresse de réaménagement implique la clarification architecturale et l'identification du forum, en liaison avec les modifications des abords. Dans le même esprit, la BPI bénéficiera d'une entrée autonome qui permettra de supprimer les files d'attente qui paralysent bien souvent l'ensemble de l'institution. Les espaces de la bibliothèque seront réhabilités à partir de l'affirmation renouvelée, en fonction de la mise au service de la bibliothèque du haut du jardin de Tolbiac, de la présence au cœur du Centre du pôle de lecture publique. 

La réussite du Centre Georges-Pompidou est inégalée. Il doit demain rayonner comme aujourd'hui. Pourtant, la compétition internationale est vive sur le plan culturel comme dans les autres domaines. Le maintien du rang de la France, en Europe et dans le monde, passe par le rayonnement de grandes institutions constituant un ensemble cohérent, et capables chacune de s'imposer face à des concurrents étrangers souvent richement dotés, et aux projets ambitieux. C'est la vocation de l'État et de chaque Français que de consentir les efforts nécessaires pour assurer la permanence et le progrès des grandes institutions. Il y va aussi du rôle de Paris comme capitale artistique et culturelle mis à mal depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, rehaussé par les grands travaux des années 80, il sera contesté par l'effet de la grande Europe retrouvée. Berlin, Londres, Barcelone, Saint-Pétersbourg et New York et Tokyo, Paris est de cette cohorte.

Carrefour des diverses expressions de la création internationale, le Centre Georges-Pompidou constitue un cœur battant pour les échanges artistiques entre la France et l'étranger, en permettant notamment de développer à travers le monde des collaborations fructueuses avec les principaux musées et centres culturels choisis du monde. 

Le Centre Georges-Pompidou illumine et irrigue la scène culturelle et sociale, en France et dans le monde. Tout change autour de lui. Il change aussi pour accomplir la mission d'intérêt national que son origine et son existence lui ont conférées. Une institution à la mesure du siècle à venir, tel est l'enjeu de cette grande œuvre, de cette refonte physique et symbolique. Car, comme l'écrivait Goethe, "on fait un meilleur futur avec les éléments élargis du passé".