Texte intégral
Jean-Louis Debré : "Le problème n'est pas de savoir qui récupère quoi"
Le secrétaire général adjoint du RPR explique que son parti s'est beaucoup investi dans la préparation de ces élections cantonales. Une manière de rappeler la place prépondérante prise par le mouvement chiraquien dans la victoire de la majorité.
Le Quotidien : La victoire du RPR (et de l'UDF) au premier tour des élections cantonales est devenue la victoire d'Édouard Balladur. Que pensez-vous de cette adroite récupération ?
Jean-Louis Debré : Le problème n'est pas de savoir qui récupère quoi. Le RPR s'est beaucoup investi dans ces élections cantonales et se réjouit de ce succès du premier tour. D'abord pour le gouvernement, puis pour la majorité qui soutient le gouvernement, enfin pour le RPR. Depuis des mois, J. Chirac et Alain Juppé se sont beaucoup investi pour aider les candidats. En ce qui me concerne, je n'ai pas cessé de sillonner la France ici pour faire du porte-à-porte, là pour tenir des réunions. J'avais reçu comme instructions, de Jacques Chirac et d'Alain Juppé, de mobiliser la rue de Lille pour le succès de nos candidats. Le résultat est probant, puisque pour la première fois nous faisons jeu égal, dans des élections locales, avec l'UDF. Vous voyez que j'ai vraiment toutes les raisons de me réjouir de ce succès. Cela dit, rien n'est gagné, et attendons le second tour pour mesurer pleinement les résultats.
Le Quotidien : Pourtant, ce succès de la majorité ne conforte-t-il pas le Premier ministre face à l'opinion et à sa majorité, qui n'approuve pas toujours sa méthode de gouvernement ?
Jean-Louis Debré : Au gouvernement, on est convaincu de la nécessité de travailler en harmonie avec les parlementaires de la majorité. Personne n'a intérêt à l'échec du gouvernement. Je souhaite que les ministres continuent, peut-être plus que par le passé, à entendre les élus que nous sommes. L'important, à la veille de ce deuxième tour, est de rester mobilisé. De même, après ce deuxième tour, il nous faudra continuer à dénoncer le bilan socialiste, ce que nous n'avons pas assez fait jusque-là, soutenir le gouvernement et préparer dans l'union le grand rendez-vous des élections présidentielles.
Le Quotidien : Quand Alain Juppé précise que les résultats des cantonales "ne réglant pas tous les problèmes", ne cherche-t-il pas à gâcher la fête ?
Jean-Louis Debré : Il est évident que les problèmes de l'emploi, de l'exclusion, qui demeurent essentiels, ne seront pas réglés par cette élection. Il faut donc que le gouvernement poursuive sa politique de réformes. Ce succès est la manifestation que les Français placent leurs espoirs dans la majorité, dans le RPR, et font confiance au gouvernement. Cela doit nous inciter à ne pas nous arrêter en chemin et bien veiller aux promesses faites il y a un an.
vendredi 23 mars 1994
France Inter
A. Ardisson : Vous avez proposé des assises des jeunes. Imaginons que le gouvernement abroge les décrets sur le CIP. Les manifestations s'arrêteraient-elles ?
J.-L. Debré : Je ne sais pas. Ces manifestations sont l'expression d'une angoisse, une interrogation sur leur avenir et sur une société qui ne se repose plus sur des valeurs claires. Ces manifestations ne sont que le prétexte pour crier le mal de vivre. Il faut que ces manifestations cessent, naturellement. Mais cela ne ferait pas disparaître le fond du cri de la jeunesse. C'est pour cela que je crois qu'il est important que le gouvernement dialogue avec les jeunes, que le gouvernement entame dans tous les départements une consultation de la jeunesse pour essayer de cerner avec elle et ses représentants ce qui va, ce qui ne va pas et ce qui devrait aller mieux.
A. Ardisson : Pourquoi le gouvernement ne dit pas "chiche, j'enlève le CIP" ?
J.-L. Debré : C'est la responsabilité du gouvernement. Ce qui importe et m'intéresse, ce n'est pas cette mesure. C'est de savoir comment dans les mois et les années qui viennent, on pourra répondre à l'angoisse des jeunes. Nous vivons une société où on ne parle que de drogue, de haine, de mort, de chômage : tant que nous n'aurons pas inversé cette société, il y aura toujours ce mal de la jeunesse. Lez CIP n'est que le prétexte à l'expression de ce mal-vivre.
A. Ardisson : Ne craignez-vous pas que l'expulsion de deux jeunes Algériens selon la procédure d'urgence ne relance les violences dans les manifestations par solidarité ?
J.-L. Debré : Nous vivons dans un État de droit. S'il s'avère que certains ne respectent pas les lois de la République, il faut qu'ils ne viennent plus sur notre territoire.
A. Ardisson : Oui, mais ce sont des jeunes !
J.-L. Debré : Si vous tolérez dans une société que des catégories d'individus ne respectent pas les lois de la République, vous allez à la victoire du fort sur le faible et vous allez à des désordres. La société est suffisamment difficile pour que les lois, notamment en ce qui concerne la sécurité des biens et des personnes, soient respectées.
A. Ardisson : Un an de gouvernement Balladur. Votre bilan ?
J.-L. Debré : Un an de gouvernement pour corriger 12 ans de mauvaise politique, c'est peu. Je comprends parfaitement l'impatience de bon nombre de militants qui auraient espéré qu'en quelques mois, la France inverse la courbe du chômage, retrouve la sécurité. Le gouvernement a beaucoup travaillé. Mais pour certains, la cohabitation empêche de fait les réformes nécessaires. Ce gouvernement a une mission, et une seule : remettre la France à flot. Le moment venu, il faudra passer à une autre vitesse. J'attends avec impatience 1995. Le gouvernement que nous soutenons permettra en 1995 une autre politique, de retrouver l'espoir et retrouver une espérance nouvelle pour la jeunesse et pour l'ensemble des Français. Le gouvernement a travaillé, bien travaillé, bien soutenu par une majorité. Mais le moment venu, il faudra un autre gouvernement, un autre pouvoir pour une autre politique.
A. Ardisson : Pas de maladresse de la part du gouvernement ?
J.-L. Debré : On attendait tellement de ce gouvernement que par la force des choses, il apparaît à beaucoup de militants et de sympathisants comme étant trop lent. Le chômage est notre préoccupation. Dans ce domaine, il a fait la bonne politique. Mais il n'est pas allé aussi vite est aussi loin que nous le souhaiterions. Un exemple : il est très bien de relancer l'activité économique, il est très bien de donner aux acteurs économiques les moyens de se développer. Mais il y a en France un véritable problème : les charges sociales qui pèsent sur les entreprises. Un salarié, qu'il soit dans le domaine agricole ou industriel, emploie quelqu'un à un salaire de 5 000 francs, ce patron paie plus de 8 000 francs. Tant qu'il y aura un coût du travail qui sera trop important, cela sera un frein à la lutte contre le chômage. Nous ne sommes pas allés assez vite. Dans le domaine de la politique de la famille, si nécessaire et si indispensable, on a trop tardé et on tarde trop à imposer l'allocation parentale de libre choix. On tarde trop à faire en France du chef de famille un véritable chef d'entreprise qui pourra déduire de ses revenus les salaires qu'il paie lorsqu'il embauche une personne pour garder ses enfants ou ses parents. On a trop tardé à avoir une véritable politique de la famille. De même, on tarde trop à avoir une véritable politique de la participation dans le domaine de l'administration, notamment.
A. Ardisson : Ce qui freine l'action du gouvernement, c'est la cohabitation ou la perspective des présidentielles ?
J.-L. Debré : Le schéma initialement prévu qui consistait à dire que le gouvernement ne s'intéresse pas à l'élection présidentielle, que le gouvernement annonce clairement qu'aucun de ses membres ne participera directement à l'élection présidentielle était le bon schéma, ce qui permettait au gouvernement, tirant enseignement de la cohabitation de 1986, d'être efficace. Ce schéma avait été conceptualisé par Édouard Balladur. Il consistait à dire clairement que le Premier ministre de la cohabitation ne devait pas être président de la République. Alors, et alors seulement, le gouvernement pouvait se concentrer dans son action de redressement. À partir du moment où il semble que certains de ses membres s'intéressent à autre chose qu'au redressement de la France et à des perspectives électorales et présidentielles, par la force des choses, ce schéma aboutit à ce que le gouvernement tombe dans une situation où la cohabitation l'empêche d'aller là où il veut.
A. Ardisson : Tout cela est implicite, personne n'a rien dit !
J.-L. Debré : Je sais bien que l'hypocrisie n'est pas de ce monde, mais quand même !
lundi 28 mars 1994
RTL
P. Caloni : Un peu moins content ?
J.-L. Debré : J'ai dit la semaine dernière qu'il fallait faire attention et rester mobilisés. Souvent, les seconds tours ne sont pas aussi bons que les premiers.
P. Caloni : La participation a été bonne ?
J.-L. Debré : Oui, ce qui montre l'intérêt des Français pour l'institution départementale. Je note que la majorité demeure largement majoritaire, ce qui est bien après un an de gouvernement, compte tenu de la situation économique et sociale. On constate une stabilité de l'électorat. Nous avons 380 élus, ce qui est bien pour notre formation. Il est vrai que nous détenons beaucoup de départements. Globalement, c'est positif, sans plus. Je souhaite que, forte de cet enseignement, la majorité continue à bien travailler.
P. Caloni : Quand V. Giscard d'Estaing dit que les résultats du premier tour n'ont pas été confirmés, que voulait-il dire ?
J.-L. Debré : Il faut l'interroger ! À la suite du premier tour, certains ont voulu montrer aux Français que c'était une grande victoire pour la majorité. Les Français ont monté qu'il fallait raison garder. Ces résultats sont équilibrés.
P. Caloni : Est-ce qu'il n'y a pas eu l'erreur de présenter le second tour comme une sorte d'élection test ?
J.-L. Debré : Les Français sont très attachés à leurs conseillers généraux et à leurs considérations locales.
P. Caloni : Comment jugez-vous la convalescence de la gauche ?
J.-L. Debré : La gauche est convalescente. Elle reste une force qui compte. C'est bien parce que c'est la démocratie. Mais elle n'est pas crédible. Tous les sondages le montrent. Les Français ont un peu ma mémoire courte : si nous avons tant de difficultés, s'il y a tant de jeunes qui sont désespérés, c'est aussi les résultats de 12 ans de politique socialiste. Quand j'entends M. Rocard donner des leçons au gouvernement, j'ai envie de lui dire "Vous, ministre des occasions perdues et des illusions trompées, un peu de modestie !" Les Français sont ce qu'ils sont, mais ils ont un peu la mémoire courte.
P. Caloni : Quand le Figaro titre sur la bipolarisation…
J.-L. Debré : C'est un peu grossi, c'est caricaturé, mais il est vrai que la répétition du mode de scrutin tend à une certaine bipolarisation de la vie politique française.
P. Caloni : Vous préférez un peu de proportionnelle ?
J.-L. Debré : Pas du tout. Au-delà des commentaires sur les résultats, il ne faut jamais oublier qu'il faut que les assemblées départementales soient gouvernées et gouvernables. Depuis la décentralisation, le département a des ambitions importantes dans le domaine de l'éducation et du social. Il faut que ces assemblées puissent avoir une politique.
P. Caloni : Le Premier ministre a annoncé une initiative vers les jeunes. Qu'est-ce que c'est ?
J.-L. Debré : Je ne sais pas. Le Premier ministre ne me fait pas de confidences. Les jeunes sont inquiets. Je les comprends. 750 000 jeunes sont au chômage, un sur quatre est sans emploi. J'ai souhaité des assises départementales de la jeunesse peut dialoguer.
P. Caloni : Le Grenelle de la jeunesse ?
J.-L. Debré : Le Premier ministre – je suis très heureux et je m'en félicite – a souhaité rétablir le dialogue avec les jeunes. Il faut chercher avec eux des solutions. Ne nous faisons pas d'illusions : pour faire diminuer le chômage des jeunes, il faut que l'économie reprenne les chemins de la croissance. Le gouvernement, avec beaucoup de fermeté et de courage, a pris un certain nombre de mesures au printemps dernier pour essayer de faire redémarrer l'économie. Il faut prendre des initiatives plus fortes : pourquoi ne pas exonérer de charges sociales tout employeur qui, pendant l'année 1994, emploiera un jeune de moins de 25 ans ? Pourquoi ne pas essayer d'avoir une action dans la diminution des charges qui pèsent sur les entreprises ? Quand un employeur embauche quelqu'un à 5 000 francs par mois, cela lui revient à plus de 8 000 francs. Le coût du travail en France est trop élevé. Si nous voulons faire redémarrer l'économie, si nous voulons que les jeunes soient embauchés en plus grand nombre, essayons de poser sur ces charges sociales.
P. Caloni : Le retrait du CIP n'est pas imaginable ?
J.-L. Debré : Je ne sais pas. C'est de la responsabilité du gouvernement. Que le dialogue s'instaure et qu'on arrête ces manifestations qui ne servent ni à la jeunesse ni à l'économie française.
P. Caloni : Tout va-t-il pour le mieux entre MM. Chirac et Balladur ?
J.-L. Debré : Je ne vois pas pourquoi ça fait mal !
P. Caloni : Les présidentielles ?
J.-L. Debré : Il y a d'abord les européennes. Je souhaite qu'il y ait une liste unique de la majorité et qu‘on puisse ainsi insuffler une dynamique européenne. Après, il y aura les présidentielles.
P. Caloni : Les primaires ?
J.-L. Debré : Les primaires seraient une bonne chose pour essayer de sélectionner les candidats puisqu'il semble qu'il y en ait plusieurs.