Texte intégral
Allocution de Monsieur François Bayrou, ministre de l'éducation nationale – Bordeaux le 8 avril 1994
Monsieur Bayrou : je suis très heureux d'ouvrir cette première journée à Bordeaux, la deuxième étape de la grande réflexion nationale que nous avons appelé un « nouveau contrat pour l'école ».
La première journée, à laquelle certains d'entre vous ont participé, a eu lieu le 4 mars à l'Unesco, et a réuni plusieurs centaines d'experts, d'observateurs et d'acteurs de notre système éducatif.
À son issue, nous avons décidé d'organiser la réflexion dans laquelle nous entrions, et qui devrait s'achever, à la fin du mois de mai, en quatre tables rondes : ces quatre tables rondes s'appellent :
– école : mission et contenus, celle dans laquelle nous entrons aujourd'hui ;
– école et société ;
– les métiers de l'éducation ;
– la vie des établissements.
Ces tables rondes se subdivisent elles-mêmes en vingt un groupes de travail.
Nous allons aborder les groupes de travail de la table ronde « Mission et contenus », et nous pourrons ainsi entrer plus avant dans la réflexion sur les problèmes qui se posent aujourd'hui à notre école.
On vous a remis le compte rendu exhaustif de la journée du 4 mars qui regroupe l'ensemble des interventions orales in extenso et les interventions écrites de tous ceux qui voulaient participer au débat mais qui n'ont pu le faire pour d'impérieuses raisons horaires.
Vous êtes très nombreux, ce succès nous encourage et pose bien sûr des problèmes d'organisation. Tous ceux qui ne pourront pas s'exprimer oralement, soit dans le débat général, soit dans chacun des sept groupes de travail que nous avons organisés, pourront le faire par écrit et les comptes rendus de la journée prendront en compte leurs interventions écrites.
Dès la conclusion de cette ouverture, vous pourrez rejoindre les groupes de travail.
Le premier s'appelle « École et programmes de l'enseignement primaire ». C'est Marcel Duhamel, directeur des écoles, présent à la tribune, qui en assumera la responsabilité.
Le deuxième groupe de travail, sur un sujet lui aussi très important – j'allais dire brûlant – dans la mesure où nous avons annoncé des orientations nouvelles, est consacrée aux collèges. C'est Christian Forestier, directeur des lycées, qui en assumera la responsabilité.
Le troisième est consacrée aux lycées, c'est Jean-Paul de Gaudemar, recteur de Strasbourg, qui en assurera la responsabilité.
Le quatrième est consacrée à la formation professionnelle, Guy Bourgeois en assumera la responsabilité.
Le sixième groupe est consacrée à l'orientation, c'est Pierre Ferrari, recteur de Nice, qui en aura la responsabilité.
Le septième est consacrée à la télévision et aux nouvelles technologies éducatives, c'est Francis Balle, directeur de l'information et des technologies nouvelles au ministère de l'éducation, qui en aura la responsabilité.
Le but de la journée n'est pas d'apporter des réponses définitives à chacune des questions qui se posent. Nous commençons la deuxième étape de la réflexion, qui comprendra encore deux autres étapes, étant entendu que les groupes de travail, au nombre de vingt-et-un, se sont pour la plupart réunis et qu'ils continueront à se réunir tout au long du mois de avril et mai. De la même manière, les grandes organisations le savent bien, nous aurons des échanges sur les positions, les exigences et les souhaits des uns et des autres. Ce sont donc à la fois des étapes publiques, nombreuses, au nombre de quatre – c'est la deuxième que nous vivons aujourd'hui – et des discussions en groupe de travail tout au long de ces deux mois qui restent.
L'étape que nous commençons aujourd'hui a pour but de bien fixer la liste des questions auxquelles nous aurons à répondre et de commencer à discerner les zones de consensus et les zones de différences, de divergences quelquefois, qu'il peut y avoir sur ces sujets.
Je n'ai, pour ma part, qu'une seule contrainte : je souhaite que l'ensemble des réflexions que nous menons soit organisée autour de l'intérêt des élèves, des enfants et des jeunes. Nous avons, les uns et les autres, des préoccupations professionnelles, des préoccupations d'exercice de notre métier pour tous ceux qui sont enseignants, des préoccupations d'organisation quelquefois pour les parents. Tout cela est parfaitement légitime, mais la société française ne comprendrait pas que nous ne réussissions pas à articuler les propositions que nous allons faire autour de l'intérêt des élèves, leur formation, leur entrée dans la vie active, l'acquisition de leur indépendance, la formation de leur liberté, la constitution de ce capital culturel qui leur servira tout au long de leur vie.
Ce sont les jeunes, les enfants, les élèves, futurs étudiants, futurs entrants dans la vie active qui m'intéressent et je suis certain qu'en disant cela, je retrouve la préoccupation de la plupart d'entre vous.
Je vais reprendre en quelques minutes seulement les principales problématiques telles qu'elle m'apparaissent sur les sept groupes de travail que nous avons devant nous.
École et programmes de l'enseignement primaire : je vous le dis comme je le pense, ma préoccupation n'est pas pour l'école primaire d'organiser un grand bouleversement de plus. Je ne crois pas que ce soit la demande générale, nous avons connu beaucoup de bouleversements, il y a eu beaucoup de lois et de textes. Ce qui me frappe, quant à moi, c'est combien de ces textes, de ces lois, de ces règlements, par ailleurs unanimement salués par tous les acteurs du débat, professionnels et politiques, combien de ces décisions sont en fait restées presque lettre morte.
Je vais prendre un seul exemple pour imager ce que je pense, et vous me pardonnerez une nouvelle fois d'adopter un langage cru, de ne pas prendre les circonlocutions habituelles à la fonction de ministre de l'éducation nationale : l'organisation de l'école primaire en cycles, unanimement saluée au moment où elle a été décidée par la loi d'orientation y compris par mois, à l'époque une des voix de l'opposition. Tout le monde alors a dit « cela c'est bien » et les professionnels ont dit « c'est bien » à quelques exceptions que j'ai entendu, et depuis quatre ans on continue à dire « c'est bien ».
La question est : qu'en faisons-nous ? Qu'avons-nous fait réellement de cette orientation, de cette décision stipulée dans la loi et qui en réalité, nous le savons bien, dans la plupart des écoles, est restée une inspiration lointaine ?
La question est : si c'est bien, comment pourrons-nous le faire davantage entrer dans la réalité, sans brusquer ? Je n'ai pas envie de fonctionner selon ce mode que j'ai longtemps dénoncé autrefois : l'ukase administratif. Je crois que c'est un mode de fonctionnement qui ne convient pas à l'éducation nationale.
Mais nous avons un véritable problème qui touche aussi les programmes.
Nous avons un problème avec l'initiation aux langues vivantes. Il faut le dire comme chacun d'entre nous le ressent, parce que des disparités, des résultats inégaux, des déséquilibres entre langues sont très souvent dénoncés et doivent permettre à l'institution scolaire de s'interroger.
Nous avons aussi un problème avec les programmes dont les enseignants ressentent, à mon avis à juste titre, qu'ils sont beaucoup trop lourds, trop compliqués et trop chargés à l'école primaire ; c'est d'ailleurs à mon avis probablement général dans notre système éducatif. Mais si ce problème est posé devant nous et c'est pourquoi nous avons appelé le groupe de travail que Marcel Duhamel préside « École et programmes de l'enseignement primaire », nous avons besoin d'essayer d'en redéfinir les contours.
La direction des Écoles a fait une première rédaction qui, à mon avis, ressemble trop encore à ce qu'était l'état précédent des programmes. Je souhaite qu'il y ait de grandes différences, non pas pour le goût de la différence, mais pour que la société française se reconnaisse dans les programmes de l'école primaire.
J'ai dit à l'Unesco l'autre jour qu'il y avait une grande différence entre l'école de la IIIe République et la nôtre – je n'ai pas de nostalgie particulière – c'est que dans toutes les familles, quel que soit le niveau social des familles, tout le monde savait ce que l'école primaire était chargée d'enseigner. On savait qu'il y avait un minimum de grammaire, un minimum d'arithmétique (les tables de multiplication, de mathématiques élémentaires, les quatre opérations et la règle de trois), un minimum d'histoire avec des dates, un minimum de géographie avec les départements.
Nous sommes ici probablement un des publics les plus experts sur l'école qui puisse se rencontrer en France et je serais curieux de faire un sondage sur ce que sont aujourd'hui les programmes de l'école primaire. Je dis qu'il y a là un vrai travail de réadhésion de la société à son école.
Voilà l'ensemble des sujets qui vont devoir être traités. Je les ai seulement effleurés en ce qui concerne l'enseignement primaire. Bien entendu, pour moi, l'articulation entre l'école et le collège est aussi une question essentielle.
Je passerai très vite sur les grandes questions qui se posent au collège, vous les avez toutes présentes à l'esprit :
Grande question : l'hétérogénéité des publics scolarisés.
Grande question : le traitement des élèves en difficulté pour lequel nous n'avons que des questions partielles et beaucoup trop tardives dans leur histoire. Nous ne savons pas répondre pour eux et dans la plupart des cas (et pour simplifier à l'extrême, je le sais bien), à la situation et aux questions que posent les élèves en difficulté. Permettez-moi d'y ajouter la situation des élèves qui pourraient rencontrer une réussite exceptionnelle : c'est un problème social très important, en particulier pour les élèves issus de milieux moins favorisés que les autres. Je pense que l'un des problèmes de l'école au sens large, dans la société française aujourd'hui, est la difficulté qu'elle rencontre pour favoriser la mobilité sociale.
Une de mes tristesses est de constater que plus on se rapproche des très grands diplômes, des très grandes écoles, de tout ce qui va donner soit accès au pouvoir dans la société future, soit une influence dans cette société, plus on se rapproche de ces niveaux élevés de réussite, plus on constate que les étudiants qui obtiennent ces succès sont issus de milieux favorisés. L'ascenseur social ne fonctionne plus comme il devrait fonctionner et même, de ce point de vue, fonctionne-t-il moins bien qu'autrefois.
Dans les dix dernières années, je viens d'en faire la statistique exacte, sur les très grandes écoles de la société française (celles qui seront la clé pour, nous le savons bien, une part de plus en plus grande du pouvoir administratif, politique, économique, financier, médiatique) dans ces dix dernières années donc, la part des étudiants issus des milieux les plus favorisés a considérablement augmenté, et la part des étudiants issus des milieux les plus défavorisés a considérablement baissé. C'est un problème, me semble-t-il, démocratique, d'inspiration pour notre école et c'est pourquoi je vous encourage à mettre à l'ordre du jour de la réflexion sur le collège et sur le lycée les parcours de réussite en même tant que la réponse aux élèves en difficulté.
L'articulation entre le collège et la formation professionnelle est une autre des questions que nous avons à traiter.
Pour les lycées, nous avons fait une partie du chemin avec les réformes commencées par mes prédécesseurs que j'ai achevé il y a un peu moins d'un an. Je crois que pour l'instant, dans l'enseignement général en tout cas, les échos sont relativement positifs.
Il y a un problème dans l'enseignement technologique qui a du mal à trouver sa place par une difficulté de définition du degré de professionnalisation de la formation offerte et des diplômes que l'on donne. Je suis tout à fait ouvert à une réflexion sur ce point.
Ai-je besoin d'y revenir devant vous, c'est un lieu commun de toute la réflexion sur l'école depuis des années que de constater la désaffection constante pour la formation professionnelle, une espèce d'épuisement du vivier, et en même temps (ce qui a été pour moi depuis longtemps un objet de difficulté de compréhension), le caractère conflictuel de la relation entre la formation professionnelle offerte par l'éducation nationale et la formation professionnelle sous forme d'alternance dans l'entreprise.
Il est vital que nous essayions de trouver une articulation entre les deux pour que désormais ils ne se ressentent plus en termes de concurrence et d'affrontement, mais en termes de complémentarité. Nous n'allons pas rester le dernier pays du monde où, de manière cyclique, la compréhension entre l'école et l'entreprise stérilise notre capacité de formation professionnelle.
Il me semble que l'on a le plus grand intérêt à parler de ces sujets, parce que c'est le meilleur moyen de faire disparaître le soupçon réciproque. S'il y a ici des principaux de collège, ils m'ont récemment entendu dire devant l'Union des industries métallurgique et minières qui avait organisé une grande journée pour les principaux de collège et pour les responsables d'entreprise, qu'il était temps de mettre fin à cette ère du double soupçon : l'école soupçonnant l'entreprise d'une manière ou d'une autre de vouloir profiter de la situation et exploiter les jeunes et l'entreprise soupçonnant l'école de se désintéresser des exigences du métier.
Il me semble que, de même que l'articulation entre collège et école, entre collège et lycée, entre collège et formation professionnelle est essentiel, l'articulation entre l'école et l'entreprise est elle aussi essentielle et qu'il faut la traiter en sortant des vœux pieux, en sortant du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », en essayant de trouver une réponse concrète à la question de cette articulation.
Qu'est-ce que les uns savent faire de mieux et qu'est-ce que les autres ça va faire de mieux ?
La réflexion d'un certain nombre d'organisations syndicales en particulier sur une déprofessionnalisation des BEP est intéressante, en tout cas, m'intéresse et je voudrais que nous essayions d'apporter une réponse. Nous ne l'apporterons d'ailleurs pas seuls, nous avons besoin que l'entreprise prenne elle aussi ses responsabilités, et pas seulement à l'embauche ou à l'offre de stage ou d'insertion. C'est un sujet que je traiterai chaque fois que je le pourrai avec les responsables du patronat français des grandes des petites et moyennes entreprises en organisant la carrière de ceux qui entrent tôt dans l'entreprise.
La grande différence entre nos voisins et nous est qu'en réalité, il est toujours difficile de faire carrière dans l'entreprise lorsqu'on y entre bas, lorsqu'on y entre tôt, alors que les autres ont organisé des chemins de réussite là-aussi.
Une de mes idées est que la plupart des problèmes du système éducatif se traite par l'aval, par la sortie, par ce que l'on peut espérer après, et il faut de ce point de vue-là que dans l'entreprise, on progresse.
Tout le monde a dénoncé – et j'aimerais que l'on fasse des pas en avant – la cohérence des programmes du second degré entre eux, un manque de cohérence horizontal et vertical. Je veux y ajouter l'irréalisme d'un certain nombre d'exigences des programmes du second degré en France. Il suffit de lire un certain nombre de manuels qui sont le reflet des programmes eux-mêmes pour vérifier qu'on a le sentiment de ne pas être en face de la même population d'élèves.
Les éditeurs de manuels, qui sont en réalité la face identifiable des programmes, nous écrivent en disant : « simplifiez les programmes, nous simplifierons les manuels », il faut que les deux efforts aillent de pair. J'essaierai de les favoriser.
Je m'empresse de dire qu'il y a aussi, à mon avis, un problème spécifique d'aide pour les manuels. Nous avons organisé la non-propriété des manuels pour une exigence tout à fait légitime de gratuité, mais cela signifie aussi que le rôle que les manuels ont joué pour un grand nombre de Français d'être quelquefois les seuls livres dans un certain nombre de maisons ou d'appartements et d'être un livre de référence auquel on pouvait revenir longtemps après dans la vie, manuel d'histoire, de grammaire, ce rôle a cessé. Beaucoup de Français ont le souvenir de s'être servis de leurs manuels souvent bien davantage après avoir quitté la classe en question que pendant le moment où l'usage en était obligatoire.
Ces deux rôles ont été abandonnés et là aussi, si nous voulons être sincères, nous avons le devoir d'une véritable interrogation sur le rapport entre le manuel et l'élève, et j'allais dire le manuel, l'élève et peut-être même la famille de l'élève. Je reconnais que la réponse à cette question n'est pas facile, mais il me semble qu'il faut que nous l'abordions franchement.
L'orientation : s'il y a un groupe de travail essentiel à mes yeux, c'est bien celui-là. S'il y a un échec caractérisé, c'est bien celui-là, et lorsque je dis « échec », je ne jette la pierre à personne parce que rien n'est facile. L'orientation est subie par la plupart des jeunes Français. Dans la plupart des cas elle n'est pas considérée comme une décision à laquelle il faille se préparer et qui soit tout à fait essentielle. Elle n'est pas préparée par une information, même médiocre, même moyenne sur les métiers ou sur les formations qui y conduisent et c'est un enjeu extrêmement difficile.
Information et éducation des choix (informations sur les métiers en particulier) : je demande à ceux qui participeront à ce groupe de travail de bien vouloir être extrêmement concret dans les propositions qu'ils feront, je proposerai des décisions courageuses sur ce sujet, j'espère aussi sur les autres. Sur celui-là, nous avons vraiment besoin de sortir de l'époque préhistorique dans laquelle nous nous trouvons.
Enfin, dernier point en parlant de préhistoire : télévision et nouvelles technologies éducatives, tout le monde sent bien, pressent, que nous sommes au bord d'une révolution dans la transmission du savoir.
La véritable question est de savoir le rythme que cette révolution va connaître. Pour ma part, moi qui me suit depuis longtemps beaucoup intéressé à ce sujet, je ne sais pas exactement si c'est cinq ans ou dix ans que cette révolution va prendre, mais je suis certain qu'elle va intervenir pour des raisons multiples : pour la première fois nous allons pouvoir répondre à la demande individuelle de formation tout au long de la vie, au rythme de ceux qui seront les consommateurs de ces formations, que si nous ne le faisions pas nous-mêmes d'autres feraient. La demande en particulier du tiers-monde est immense parce qu'il n'y a pas de formateurs et qu'il faudra bien pourtant offrir de la formation.
C'est cette phrase dans laquelle nous allons entrer et la véritable question que nous avons à nous poser est de savoir si l'éducation nationale doit en être partie prenante ou spectateur. Ma réponse – celle du gouvernement – est que l'éducation nationale doit être un des acteurs et probablement un des premiers acteurs (à la fois par l'influence et par le calendrier) de cette révolution à venir.
C'est une révolution qui concerne la télévision mais ce n'est qu'une étape. Très vite l'utilisation de ces documents nouveaux dans l'école, l'apprentissage à l'école de la grammaire, la syntaxe, le vocabulaire de ce langage nouveau et au bout du chemin le système multimédia, permettront à chacun d'obtenir une formation strictement individualisée. Tout cela touche évidemment l'enseignement à distance et vous savez que nous avons avec le Centre national d'enseignement à distance des instruments très modernes pour faire face à cette nouvelle demande, mais nous avons besoin de l'actualiser.
Voilà un panorama rapide des questions à poser.
Vous allez avoir trois heures de débat maintenant en groupes de travail, et nous nous retrouverons pour un débat de conclusions générales.
Je voudrais vous remercier tous de l'effort que vous allez faire pour apporter sous forme concise ce que vous avez de meilleur dans votre expérience et dans votre réflexion au service de l'école.
Allocution de monsieur François Bayrou, ministre de l'Éducation nationale – Lyon le 11 avril 1994
Mesdames et Messieurs, je suis très heureux que vous soyez aussi nombreux ce matin à Lyon, comme nous étions très nombreux vendredi à Bordeaux – plus de 1 200. Je suis également très heureux de saluer au premier rang Michèle Noir et de Michèle Mercier qui ont bien voulu nous accompagner pour le début de cette matinée de travail. Je vais vous rappeler, dans le calendrier que nous avons arrêté, où nous en sommes.
Nous avons lancé une grande réflexion nationale dont le but est d'écrire un contrat pour l'école, un nouveau contrat pour l'école. Dans le mot de contrat, nous mettons évidemment la double attente de la société sur l'école et de l'école sur la société. J'ai été souvent très frappé de voir à quel point, aujourd'hui, on surchargeait l'école de toutes les attentes sociales, comme si c'était le dernier lieu où l'on pouvait répondre aux problèmes de toute nature créés par la mutation de la société dans laquelle nous vivons. Il n'est pas de problème de la société que l'on ne demande à l'école de résoudre. Et cela, alors même que la mission traditionnelle de l'école, la transmission des savoirs et l'éducation de la personnalité se trouvent déjà en elles-mêmes alourdies par les difficultés que la société rencontre. Il est plus difficile de transmettre des savoirs et d'éduquer une personnalité lorsque la crise économique, la crise familiale, la crise du quartier, le changement de nature du monde rural, lorsque tout cela a bien perturbé à la fois le groupe social et la personnalité des jeunes que nous accueillons à l'école. Et dans le même temps, non content de demander à l'école de faire toujours mieux, de remplir toujours mieux sa mission traditionnelle, on lui demande de surcroît de répondre à des demandes sociales inédites. Si nous voulons en faire la revue très rapidement, vous reconnaîtrez avec moi que la très grande demande de santé publique – je pense au Sida en particulier – la demande de l'éducation à l'environnement, la demande d'éducation à la sécurité routière, la demande – nous y reviendrons dans le courant de cette journée – d'éducation physique, tout cela, ce sont des missions que l'on surajoute aux missions traditionnelles de l'école. Il était donc, me semble-t-il, juste que la société et l'école réfléchissent ensemble à la mission que l'école devrait remplir et peut-être aussi que l'école dise à la société un certain nombre de choses. Nous avons donc arrêté cette réflexion et c'est une réflexion qui prendra son terme à la fin du mois de mai, par des propositions concrètes.
Cette réflexion est articulée en quatre tables rondes comme aujourd'hui, quatre sujets principaux. Le premier de ces sujets étant : Missions et contenus du système éducatif. Le deuxième étant : École et société. Le troisième étant : Vie des établissements. Le quatrième touchant aux métiers de l'enseignement. Voici les 4 sujets principaux que nous allons traiter. Ces sujets sont eux-mêmes subdivisée en 21 groupes de travail différents, comme les 5 que vous aurez à connaître aujourd'hui. À l'intérieur de la table ronde : École et société, nous avons 5 groupes de travail, 5 sujets que nous allons traiter ensemble. Le premier de ces groupes de travail est animée par le professeur Madiot. Il touche à l'école et l'aménagement du territoire, vu sous l'angle du monde rural. Le deuxième qui est son pendant, c'est celui qui touche à la ville, aux zones d'éducation prioritaire et aux quartiers sensibles. Il est animé par Daniel Bancel qui est le recteur de l'académie de Lyon, comme vous le savez. Le troisième de ces groupes de travail, qui touche à l'articulation entre la formation et le monde économique, est animé par Monsieur Bernard Debette qui est inspecteur général de l'éducation nationale, doyen du groupe STI. Le quatrième groupe, qui touche à la formation continue, est animée par Monsieur le recteur Bridoux. Le cinquième groupe, École et valeurs, est animé par le recteur Niveau. Je reviendrai dans une seconde sur ce groupe qui est sans doute l'un des plus difficiles que nous avons à traiter.
Je reprends rapidement la problématique des 5 groupes. L'École et l'aménagement du territoire, le monde rural, c'est un problème qu'un certain nombre d'élus connaît bien. Lorsqu'il ne reste plus rien dans un village, lorsqu'aucun des lieux de rencontre n'existe plus, lorsque l'épicerie a disparu ainsi que le dernier bistrot, lorsque depuis longtemps la poste est partie, il reste un dernier service public, et ce dernier service public, c'est l'école. L'école est investi à ce moment-là d'un poids, d'une charge symbolique très lourde. On a le sentiment que si la dernière classe de l'école ferme, en réalité c'est un point final qui est mis à l'histoire du village. Naturellement, cette charge symbolique très lourde s'accompagne d'une interrogation des parents d'élèves en particulier, qui ont le sentiment – sans doute à tort puisque nous avons des études qui démentent cette crainte – que dans cette école, loin de tout, à classe unique le plus souvent, les enfants risquent de perdre une partie de leurs chances. Et l'on assiste à des fuites d'élèves et de parents, à des décisions familiales qui en réalité accélèrent la chute de l'école, comme si les familles accompagnaient et quelquefois devançaient ce mouvement de recentralisation vers le chef-lieu en particulier. Alors c'est une très importante question à traiter. On peut adjoindre à cette question une série d'autres : les regroupement pédagogique que beaucoup d'élus ont essayé de monter et qui souvent marchent très bien, même s'ils coûtent relativement chers. Deuxièmement, est-ce que l'école ne peut pas servir, ne peut pas porter, ne peut pas supporter d'autres services publics qu'elle-même ? Être une espèce de tête de réseau – et nous retrouverons ce thème un peu plus tard – dans le monde rural qui en ferait comme un symbole du service public au sens large et pas seulement comme le dernier représentant d'un service public. Est-ce que tous les services publics ne pourraient pas, d'une certaine manière, se rattacher à l'école ? Troisièmement, que peut-on faire de concret pour traiter cette question du maillage du territoire de la République par l'école ? Par exemple, une fois que l'on fera le constat de ce que coûte à la collectivité la fermeture d'une école, et pas seulement de ce que coûte à la collectivité le maintien d'une école ouverte, les présidents de conseils généraux – j'en suis un – savent bien que lorsque l'on ferme une école, ils ont à assumer les transports scolaires et ayant à assumer les transports scolaires, il serait bon qu'un jour l'on fasse la comptabilité pour savoir si, par hasard, on ne pourrait pas faire des économies des deux côtés, et en tout cas du côté de la dépense publique au sens large en recherchant peut-être, pourquoi pas, des participations croisées sans qu'il soit porté atteinte au statut de qui que ce soit : des participations croisées pour que les uns faisant des économies avec les transports scolaires et les autres maintenant une école ouverte, ce soit les usagers citoyens et élèves qui en tirent bénéfice. Voilà toutes les questions qui se posent autour de l'école et du monde rural, autour de l'aménagement du territoire. C'est une question de service public et de symbole du service public. Je veux dire en tout cas, de la manière la plus explicite, que ce n'est pas dans ces écoles-là que l'on travaille le moins bien et qu'il faut, au moins pour rassurer les parents, leur dire que toutes les études que nous avons menées prouvent que les élèves qui poursuivent leurs études primaires dans une classe unique ne sont pas des élèves plus maltraités que les autres, bien au contraire. Le niveau de connaissance qui est constaté de la part de ces élèves est un niveau tout à fait excellent et tout à fait remarquable.
Deuxième groupe de travail : villes, zones d'éducation prioritaire et quartiers sensibles. Je ne m'étendrai pas longtemps tant les questions posées par ce groupe de travail sont présentes à l'esprit de chacun de vous et, j'imagine, des élus de la collectivité territoriale de Lyon. C'est une des plus grandes difficultés que nous ayons à traiter et comme vous le savez, cette question, en réalité, est très étroitement apparentée à la question précédente. Là aussi, il y a des quartiers où l'on a l'impression que l'école est le dernier espoir, l'espoir suprême et la suprême pensée. On a l'impression – Monsieur le préfet me le disait en arrivant dans la voiture – que si l'on peut imaginer une entreprise de réponse aux problèmes des cités, c'est forcément par l'école que cette entreprise passe. Si l'on peut imaginer une entreprise concertée, collective, réunissant tous les acteurs pour répondre aux problèmes des quartiers, la tête de pont, la tête de réseau en sera forcément l'école. Je crois, Monsieur le préfet, que c'est l'expression que vous employiez. Mais, à ces questions, naturellement répondent une série de demandes et d'interrogations. Par exemple, celle de la définition des zones d'éducation prioritaire. Est-ce que notre définition est adéquate ? Est-ce que nous la faisons évoluer suffisamment ? Est-ce que nous n'avons pas des écoles classées en ZEP qui, en réalité, ne devraient pas relever du classement de zone d'éducation prioritaire et des écoles qui n'y sont pas et qui devraient y être ? Est-ce que nous pouvons imaginer une procédure pour rendre cohérente l'action publique en direction des quartiers en difficulté ? Est-ce que nous pouvons imaginer de faire en sorte de répondre aux problèmes de la violence à l'école et que faire pour que l'école retrouve un statut aux yeux des élèves et des familles qui fasse que la violence s'en trouve bannie ? Est-ce que nous sommes d'accord avec une idée que, pour ma part, je défendrai, celle de l'école sanctuaire, parce qu'il me semble qu'une école qui serait protégée assurerait d'abord la protection des plus faibles, ceux qui sont exposés dans la cité à une série de pressions et ceux qui n'ont pas simplement la capacité personnelle – cela peut relever de la force physique ou de la force morale – de se défendre tout seuls et j'englobe dans cette évocation d'une fragilité à protéger, à la fois les élèves et les enseignants dont je considère qu'il n'est pas normal que nous n'acceptions qu'un certain nombre d'entre eux soient exposés aux risques. J'ai écrit autrefois qu'il n'était pas, à mes yeux, acceptable qu'il faille être à la fois Tarzan et Socrate pour enseigner dans nos établissements scolaires. Je considère que nous devons aide et protection à nos enseignants si nous voulons donner aide et protection à l'école.
Troisième groupe de travail, c'est un groupe de travail qui, Dieu sait, occupe les colonnes des journaux à longueur d'années depuis des décennies, c'est l'articulation entre l'école et l'entreprise, l'école et l'économie. Qu'est-ce que l'entreprise, qu'est-ce que l'économie attend de l'école ? Qu'est-ce que l'école a à dire à l'entreprise ? Ce sujet, comme vous le savez, est un des sujets bateau de la réflexion sur l'école. Je voudrais dire deux ou trois choses simples. La première, je l'ai déjà rappelé mais je tiens à le faire encore une fois, c'est que nous considérons que la mission de l'école n'est pas d'abord une mission productiviste. La mission de l'école n'est pas d'abord une mission économique. La mission de l'école est d'abord une mission de formation de la personne et du citoyen. Et ce que nous apportons aux jeunes qui sont dans nos écoles, ce sont les moyens de leur liberté. Le bagage, le viatique culturel, l'éducation à la liberté, au choix, à l'esprit critique, qui leur permettra, dans un avenir lointain, dont, en réalité, nous ignorons tous ou presque, qui leur permettra d'assumer leur liberté et d'exercer leurs capacités de choix. Voilà d'abord ce que nous leur apportons. Cela dit, nous ne pouvons naturellement pas – c'est corollaire – nous désintéresser de leur insertion dans l'entreprise, dans l'économie, de leur accès vers un métier. De ce point de vue-là, il y a, nous le savons, un problème de la formation professionnelle dont nous avons largement traité à Bordeaux vendredi et donc forcément on traitera à nouveau ici. Il y a un problème d'adaptation constante des formations que l'école offre lorsqu'elles sont professionnalisées, à la réalité professionnelle. Il y a un jugement à porter sur le fait de savoir si nos formations, pour un certain nombre d'entre elles, sont suffisamment professionnalisées, quel degré de professionnalisation pour les formations technologiques, en particulier, doit-on chercher ? Il y a à traiter des difficultés que l'école rencontre, par exemple, pour trouver des stages pour nos élèves. Il y a à traiter une grande question, à mes yeux insuffisamment abordée jusqu'à maintenant et qui est celle de l'articulation – j'y pense en particulier en raison des réflexions nombreuses sur l'apprentissage – entre une formation professionnelle qui pourrait être initiale et une formation continue et qui ferait en même temps de l'insertion, les deux n'étant pas contradictoires à mes yeux, mais profondément complémentaire. Il y a à traiter de cette question de l'observation de l'évolution des métiers. Est-ce que nous avons les instruments nécessaires, au sein de l'éducation nationale, pour traiter de l'évolution des métiers dans l'entreprise, des demandes, de la création des métiers nouveaux. Sans doute y a-t-il beaucoup à trouver de ce point de vue. Je voudrais ajouter une chose : il y a une demande qu'à mon avis l'école ne doit pas cesser de faire à l'entreprise, ou plutôt deux : la première, c'est celle de l'accueil des jeunes, la deuxième, c'est celle de la construction de carrière au sein de l'entreprise pour ceux qui choisiraient d'y entrer assez jeunes, à fin que la progression professionnelle puisse se faire. Il me semble que c'est une des grandes différences entre l'économie de nos voisins allemands et la nôtre que cette absence, en France, de carrières à l'intérieur de l'entreprise pour ceux qui choisissent d'y entrer tôt. Voilà un très grand nombre de questions posées par l'articulation entre la formation et l'économie. Je voudrais vous encourager à poser le problème des outils de cette articulation. Est-ce que nous avons des outils satisfaisants et de quelle manière pouvons-nous imaginer de les améliorer ?
Le quatrième groupe de travail, c'est celui de la formation continue. Je suis de ceux pour qui la formation continue et son état en France nourrit des regrets. Il me semble que nous sommes très loin du grand espoir du début des années 70, parce que, à mes yeux, la formation continue ne doit pas être seulement envisagée comme la formation professionnelle continue, comme l'amélioration professionnelle en cours de vie professionnelle. Il me semble qu'il y a un aspect d'enrichissement personnel qui est largement ignoré par l'organisation de la formation continue aujourd'hui. De ce point de vue-là, il y a beaucoup à faire. Deux questions, à mes yeux, majeures se posent : comment faire que la richesse de l'éducation nationale, l'immense capital de science, de connaissances, de sens pédagogique, de désir de transmettre qui réside au sein de l'éducation nationale, ne demeure pas en jachère ? Et deuxièmement, quels outils imaginer pour que la formation continue prennent en France un nouvel élan, que chacun y ait facilement accès, donc que chacun reçoive l'information nécessaire et que, peut-être, de nouveaux outils soient créés. Au-delà des GRETA – qui sont une part de réussite importante – comment faire pour que de nouveaux outils s'offrent à ceux qui souhaiteraient participer à la grande aventure de la formation continue ? Outils technologiques : les multimédias vont demain révolutionner ce secteur de notre activité. Mais il me semble, quant à moi, que l'on pourrait imaginer de voir notre grande architecture de l'école, sous tous ses aspects, dans nos établissements en particulier, collèges et lycées, prendre une part beaucoup plus active et je dirai, beaucoup plus simple, à ce que pourrait être demain une grande réconciliation entre la France et la formation continue.
Cinquième et dernier groupe de travail, et pas le moindre comme disent les Anglais : École et valeurs. J'ai toujours été très frappé et je l'ai été beaucoup pendant la dernière campagne électorale dans d'autres responsabilités – j'imagine ne pas avoir été le seul – d'une des demandes qui s'adressent à l'école et qui, pour l'instant, n'est pas remplie. Elle s'est manifestée à moi par un phénomène très simple. Pendant la dernière campagne électorale, dans le grand calendrier de réunions et de meetings que tiennent tous les responsables politiques français, il y a une question qui est revenue quasiment à chaque rencontre, à chaque réunion, et à laquelle je ne m'attendais absolument pas parce que je n'imaginais pas qu'elle faisait partie des préoccupations urgentes des Français qui venaient participer à ces rencontres. Cette question était : quand allez-vous remettre la formation civique et morale à l'école ? Alors, je fais naturellement la part de ce que cela peut traduire de nostalgie, je fais naturellement la part de la difficulté du sujet, je ne suis pas sûr que la principale caractéristique d'une attitude morale soit de s'enseigner facilement par un cours. Mais une fois que j'ai fait la part de cela, je suis bien obligé de reconnaître qu'il y a une demande récurrente, forte, de la part de la société française dirigée vers l'école, qui est celle d'une éducation du citoyen et de la personne morale. C'est à mon avis une question dans laquelle nous devons entrer, bien sûr difficile à traiter, parce que dans une société laïque, il n'est pas facile d'enseigner le bien et le mal, qui participent nécessairement d'un certain nombre de choix personnels. Il demeure que, si nous voulons avoir des valeurs communes et un ciment commun, il faudra bien que nous acceptions de transmettre quelque chose de ce ciment commun aux jeunes que nous accueillons et qui sont déjà des citoyens d'une certaine manière, citoyens de l'école ou du lycée, avant d'être demain des citoyens participants, par le vote d'abord à la décision démocratique. Mais ils sont déjà citoyens avant même d'avoir 18 ans. On ne devient pas citoyen à 18 ans, on est un citoyen en formation. Cette question est donc très importante et très difficile à traiter. Cette transmission civique a une part d'information qui doit être améliorée – nos institutions, la manière dont elles fonctionnent, etc. – et elle a une part beaucoup plus profonde : le droit peut y avoir sa place. Très souvent, la demande a été faite dans les cités, en particulier, – Monsieur le maire et Monsieur le préfet – ne serait-ce que d'enseigner un certain nombre de choses. Un éducateur me disait récemment à quel point il avait été surpris de constater que les jeunes en face de lui ignoraient que le recel soit un délit. Cela les a fait rire pendant des heures d'entendre que le recel pouvait être condamnable. Mais vous voyez à quel point cette question commence à être au cœur des débats qui sont les nôtres ! Donc, notre société, qu'accepte-t-elle de transmettre d'elle-même et de son pacte ? Si j'avais une réponse à apporter, je dirais les droits de l'homme, qui sont la traduction codifiée du regard humaniste sur la société et sur la personne. On pourrait avoir là un pacte commun, transmission des droits de l'homme, enseignement des droits de l'homme, comme morale et comme message civique, dans une société, ce n'est pas rien comme changement par rapport aux attitudes et aux choix qui, au travers du temps, ont été faits. Et puis, au-delà de cela, qu'est-ce que c'est aujourd'hui que la laïcité ? Que représentent les expressions de laïcité sans adjectif et de laïcité ouverte ? Que veut-t-on dire par-là ? Je pose des questions et je sais la difficulté d'y répondre. Est-ce que nos programmes d'histoire peuvent continuer à enseigner avec beaucoup de soin les religions grec, romaine et égyptienne et à ne pas dire un mot des trois grandes religions avec lesquelles vit la société française ? Est-ce que cela ne serait pas un moyen d'ouverture à l'autre, à ce qu'il est, que d'informer simplement ? Est-ce qu'il faut que nous abordions cette question ou pas ? Je reste sur le mode interrogatif envoyant naturellement toute la difficulté de ces choses-là. Mais si nous voulons une société française ou chacun soit écoutés, où chacun sorte des stéréotypes, et bien je trouve qu'il ne serait pas inutile qu'une information soit apportée sur ces sujets, de manière que les élèves puissent vaguement comprendre ce qu'il y a sur le tympan des cathédrales et en même temps, ce que sont les jeunes musulmans qu'ils rencontrent dans les cités ou les quartiers où ils vivent. Voilà de véritables questions qui, naturellement, Monsieur le recteur Niveau ne sont pas, je vous l'ai dit, faciles à traiter. Je considère que c'est le groupe de travail le plus difficile que vous avez à diriger, le plus intéressant aussi, parce qu'il touche profondément aux rapports entre l'école et la société, ce que la société accepte d'être, ce qu'elle accepte de dire d'elle-même et ce qu'elle accepte, au bout du compte, de transmettre d'elle-même. Quel est son patrimoine commun ? De quoi est-elle le creuser et quel est son ciment ?
Voilà les questions que nous avons à traiter. Il y en a une qui domine les rapports de l'école et la société – que j'ai déjà abordée à Bordeaux – que je veux répéter. Un des rôles principaux de l'école, si elle veut continuer à être un des acteurs de l'unité de la société française, et même l'acteur privilégié de l'unité de la société française, c'est qu'elle accepte de réexaminer son fonctionnement pour vérifier que la fonction d'ascenseur social qu'elle a exercé pendant de très nombreuses années, permettant aux enfants des milieux les plus défavorisés d'accéder en toute équité aux fonctions les plus importantes de la société française, aux fonctions d'influence et de pouvoir, que ce rôle, elle continue de le jouer. Nous sommes obligés de constater que ce n'est plus exactement le cas. Non qu'il n'y ait aucun transfert, ce n'est pas hermétique, mais pour le dire de manière imagée, l'ascenseur social fonctionne jusqu'aux étages intermédiaires, il ne monte pas jusqu'aux étages supérieurs. Nous avons là un problème très important, pourquoi ? Parce que si comme on le constate et je m'adresse à Monsieur le directeur de l'École normale supérieure, dans les locaux de qui nous sommes et que je vais remercier pour son accueil – je le ferai plus complètement cet après-midi – si nous constatons, comme c'est le cas, que les étudiants admis, par exemple, dans les plus grandes écoles françaises sont de plus en plus issus des milieux les plus favorisés de la société française et que ce phénomène progresse au lieu de régresser, s'accentue au lieu de s'équilibrer, et si parallèlement nous savons que ces très grandes écoles sont de plus en plus le passeport obligé pour les très grandes situations d'influence et de pouvoir, qu'elles soient administratives, économiques, politiques, culturelles, médiatiques, alors nous courons deux risques qui sont les deux faces de la même médaille. Premier risque : c'est celui de voir les milieux dirigeants tout ignorer des problèmes réels d'une partie de la société française. Ce n'était pas le cas dans les décennies précédentes. C'était majoritairement le cas, mais ce n'était pas entièrement le cas. Il y avait des exemples de participation à ces situations d'influence et de pouvoir de la part de ceux qui, fils de l'école publique, réussissaient à s'insérer dans ces dispositifs d'influence. Aujourd'hui, nous courons le risque de voir une barrière étanche se recréer. Et deuxièmement, c'est une menace très importante sur l'unité de la société que de voir une partie d'elle-même, certains milieux qui la composent, se sentir exclus d'un certain nombre d'aventures sociales, se sentir exclus d'une certaine partie de la responsabilité. La République avait mis presque un siècle pour construire l'instrument qui permettait de conjurer ces deux risques. Nous n'avons pas le droit de laisser se recréer la situation si dangereuse que nos prédécesseurs avaient essayé de faire disparaître. Nous n'avons pas le droit. Alors, cela pose bien entendu des questions à l'école. Comment faire pour que, de nouveau, des parcours d'excellence soient offerts à partir des situations les moins favorisés ? Comment faire pour reconnaître cette excellence, pour lui permettre de progresser et pour, un jour ou l'autre, la choisir et lui assurer une réussite exceptionnelle. Nous avons à répondre à cette question, elle est plus d'actualité que jamais. Il y a dix ans, dans ces très grandes écoles, c'était environ 2 étudiants sur 3 qui étaient issus des milieux les plus favorisés. C'est aujourd'hui pas loin de 5 sur 6. Bien. Nous n'avons pas le droit de rester sans réponse en face de cela, ou sans cela, c'est la République que nous trahissons et la mission de l'école. Voilà, en guise de conclusion, cette introduction rapide sur les rapports entre l'école et la société française. Je vous invite maintenant à gagner vos groupes de travail. Je serai heureux de vous retrouver cet après-midi.
Amphithéâtre A : École et aménagement du territoire, monde rural.
Grand amphithéâtre : Villes, ZEP et quartiers sensibles.
Salle des thèses : Articulation formation-économie
Amphithéâtre de physique : Formation continue.
Salle des examens : École et valeurs.
Je vous remercie.
« Un nouveau contrat pour l'École », grande salle, après-midi – Lille 12 avril 1994
François Bayrou, ministre de l'Éducation nationale : Mesdames et Messieurs, bonjour. Je me réjouis de vous voir aussi nombreux. C'est d'ailleurs le cas aussi aux précédentes tables rondes de Lyon et de Bordeaux. Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir fait l'ouverture, ce matin : j'étais retenu dans le département que je préside par l'inauguration d'importantes cérémonies à propos du cinquantième anniversaire d'un réseau de résistance. Il m'a semblé qu'il était de mon devoir, en tout cas du devoir de mémoire de l'éducation nationale, d'être là-bas aussi. Cela dit, nous allons donc commencer la partie de débat et de synthèse générale de ces rencontres. Je vous rappelle, j'imagine que cela a été fait, que chacun de vous là présent à l'esprit, que l'ensemble de cette concertation pour un Nouveau Contrat pour l'école est organisée en plusieurs étapes. Nous avons, le vendredi 4 mars à l'Unesco, commencé ces travaux de concertation. Enfin, nous sommes entrés dans cette réflexion tous ensemble. Et puis, il y a eu une partie de réunion des groupes de travail avec tous ceux qui étaient inscrits, et notamment les grandes organisations qui y participent. Après quoi, la deuxième étape, que nous sommes en train de vivre, se compose de quatre actes qui traitent chacun des thèmes principaux retenus. Le premier acte à Bordeaux a porté sur « les missions et contenus du système éducatif », le deuxième acte, hier à Lyon, a porté sur « école et société ». Aujourd'hui à Lille, c'est des métiers de l'éducation dont nous parlons, et, vendredi, à Strasbourg, nous traiterons de la vie des établissements. Nous avons fait en sorte que tous ces groupes se subdivisent eux-mêmes en vingt un groupes de travail différents. Nous en avons cinq aujourd'hui. Après quoi, nous allons entrer dans une deuxième phase de travail, plus interne, avec une partie de conversations, une partie de groupe de travail. Cela débouchera sur la troisième étape au début du mois de mai à Paris où j'aurai l'occasion de faire un certain nombre de propositions précises. Enfin, nous entrerons dans la dernière phrase, qui sera celle de la discussion de ces propositions, en particulier – je l'ai dit pour devancer une question qui m'est souvent posée – nous aurons l'occasion, par des journées banalisées, en tout cas des demi-journée banalisées, de proposer à tous les membres de la communauté éducative (enseignants, parents d'élèves, élèves lorsqu'ils pourront le faire) de discuter ensemble des propositions qui seront faites, tout cela devant s'achever à la fin du mois de mai. Vous voyez donc que nous avons retenu un tempo assez rapide pour la réflexion et les conclusions de cette réflexion. Je suis très heureux que vous soyez très nombreux à participer, presque jusqu'au sommet de cet amphithéâtre. Je vais maintenant donner la parole à chacun des rapporteurs des groupes de travail, ensuite, après chaque rapport, nous aurons un autre moment de discussion générale où chacun pourra s'exprimer. Je veux rappeler – encore une fois, parce que je l'ai déjà dit au cours des précédentes rencontres – que tous ceux qui ne pourront pas s'exprimer oralement seront cependant en mesure de le faire par écrit, puisque, si vous souhaitez faire part d'une contribution ou d'une réflexion, il suffit que vous nous l'adressiez (ministère de l'éducation nationale, pour un Nouveau Contrat pour l'École, 110, rue de Grenelle à Paris 7e) pour que votre contribution figure dans les actes du colloque. Vous en avez eu le premier exemplaire, celui qui rend compte de la rencontre de l'Unesco au début mars, et il vous est loisible de vérifier que toute la fin du volume est composée de contributions écrites de ceux qui souhaitaient parler et n'ont pas pu le faire et qui ont ainsi pu être accueillies dans le débat, exactement comme si le temps avait été extensible. Je donne la parole au premier rapporteur du premier groupe de travail. C'est celui sur le recrutement, animée par Monsieur Baladier, directeur des personnels d'inspection et de direction au ministère de l'éducation nationale.
Allocution d'ouverture de François Bayrou, ministre de l'Éducation nationale – Strasbourg le 15 avril 1994
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais, bien entendu, vous remercier de votre présence, très nombreuse. C'est la quatrième de nos rencontres dans ce processus de réflexion, de concertation sur l'école. Chacune de ces quatre rencontres a connu un succès d'affluence, d'engagement des partenaires de l'école qui est, naturellement, très encourageant, très heureux pour le ministre de l'éducation nationale. Comme vous le savez, c'est un mouvement de réflexion que nous avons commencé à l'Unesco le 4 mars, qui s'est poursuivi par la réunion d'un certain nombre de groupes de travail et dont la deuxième étape publique se déroule actuellement, avec la tenue de ces tables rondes en province (Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg aujourd'hui), occasion pour nous de rencontrer les acteurs de terrain et un certain nombre d'élus, de parlementaires, d'animateurs des collectivités locales dont je voudrais saluer la présence autour de Monsieur le préfet et de Monsieur le recteur. J'aurai l'occasion de les citer ce soir plus précisément, puisque les présidents des collectivités locales seront là. Les acteurs de terrain sont pour nous tout à fait essentiels. Et lorsque je dis acteurs de terrain, je n'exclus personne, ni les animateurs d'organisations syndicales et professionnelles, ni les animateurs d'associations, de parents d'élèves en particulier, ni les instituteurs, professeurs, parents d'élèves qui sont venus simplement apporter ici la richesse de leur expérience professionnelle. La prochaine étape sera de nouveau une étape de concertation interne, jusqu'au début du mois de mai, où nous aurons de nouveau des tables rondes publiques, à l'occasion desquelles je ferai des propositions précises qui seront discutées pendant le courant du mois de mai. La conclusion de ce processus, à la fin du mois de mai, donnera, je l'espère, une vision plus claire de ce que notre communauté nationale souhaite faire avec son école et de son école.
Je voudrais revenir un peu sur l'organisation que nous avons adoptée. Quatre tables rondes ont réuni les acteurs principaux. La première : « Mission et contenus du système éducatif », la deuxième : « École et société », la troisième : « Les métiers de l'enseignement », et la quatrième aujourd'hui : « Vie des établissements ». Chacune de ces tables rondes s'est à son tour subdivisée en groupes de travail. Ces groupes de travail ont été au total au nombre de vingt et un. Ceci a permis d'approfondir les sujets que nous avions à traiter. Vingt et un groupes de travail qui se sont réunis, qui ont sollicité des contributions écrites, qui ont analysé ces contributions écrites et dont les animateurs ont été, seront, tout au long de la journée, pour les quatre groupes qui nous concernent, les rapporteurs de vos travaux, de vos idées, de vos réflexions.
« Vie des établissements ». On pourrait considérer, à une première lecture, que le sujet de cette table ronde est un peu insolite dans la série, très lourde du point de vue des intitulés, des sujets des tables rondes. Est-ce que vraiment à côté de « Mission et contenus du système éducatif », à côté d'« École et société, à côté des « Métiers de l'enseignement », le thème de la « Vie des établissements » ne paraît pas un peu déclassé ? Je peux vous dire que nous l'avons choisi comme un thème majeur parce que précisément il nous semble qu'il y a là une des questions, un des enjeux essentiels de l'avenir de l'école. Car, s'il m'est souvent arrivé de dire que l'essentiel de la question de la transmission du savoir se jouait dans la classe, l'essentiel de l'ambiance de l'école se joue dans l'établissement. Et je suis heureux que les lycéens, à la fois représentant au conseil supérieur de l'éducation et au conseil académique de la vie lycéenne, les enseignants et les parents d'élèves soient là pour en parler et que nous puissions ensemble essayer de dire qu'elle doit être à la place des uns et des autres dans la communauté scolaire. Cette question de l'organisation de la vie en commun au sein de cette communauté de vie qu'est un établissement est une question tout à fait majeure. J'ai souvent été frappé de ce que l'établissement scolaire n'a pas, en France, le statut qu'il a dans d'autres pays voisins de la Communauté européenne ou des États-Unis, par exemple. J'ai souvent été frappé de ce que l'on se sentait moins ancien élève dans l'établissement en France que l'on ne se sent ancien élève ailleurs. Il y en a moins de signes, d'insignes, il y a moins de solidarité entre anciens élèves, sauf de quelques établissements choisis – je dis cela sans aucun caractère péjoratif – à culture particulière – je pense à l'école alsacienne ou à des établissements de prestige de cet ordre. Il me semble qu'il faudrait introduire dans notre manière de vivre ensemble, une culture des établissements. Une culture de l'établissement… Je veux dire simplement que je souhaite que la réussite des établissements de l'école publique se marque davantage qu'elle ne se marque aujourd'hui. Je souhaite qu'on le sache et qu'on se le dise. Je souhaite que nos élèves en soient fiers. Je souhaite qu'ils se sentent membres de la même communauté. Je trouve que nous ne développons pas assez cette culture de l'établissement et je le note comme un regret et un projet. C'est notre choix, et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que l'on mette « Vie des établissements » comme thème de notre journée. Cette ambiance est très importante. C'est dans la vie des établissements que, par exemple, se pose le problème de leur autonomie, de leur liberté. J'ai été frappé de la contribution d'une grande organisation syndicale qui dit – je veux reprendre cette contribution car je crois qu'elle est très juste – « plus la situation des établissements est difficile, plus vous devez leur laisser de marge de liberté ». Je crois que cette grande organisation a raison. Je ne sais pas comment nous pourrons le traduire dans la réalité. Il nous reste quelques semaines pour y travailler. Mais l'observation selon laquelle c'est dans la proximité du terrain que les réponses les plus originales se préparent et se mettent en place, que c'est la liberté qui est au fond la plus créatrice. Je crois que c'est une observation juste, à condition que nous ne considérions pas, naturellement, que la responsabilité de l'éducation nationale est secondaire, que le caractère national n'est qu'un affichage. Je crois au caractère national de notre éducation. Mais ce caractère national peut parfaitement s'accommoder, me semble-t-il, de la liberté, de l'autonomie, de la créativité des acteurs du terrain. Il y a un certain nombre de réponses tout à fait remarquables qui ont été apportées précisément aux situations les plus difficiles que nous rencontrons avec nos élèves, ceux qui présentent le plus de difficultés. Je veux saluer, par exemple, cette expérience tout à fait originale sur laquelle vous avez pu voir un reportage à la télévision dans un lycée professionnel qui s'appelle « auto-école ». C'est-à-dire la prise en charge des élèves d'un lycée professionnel, qui avaient rencontré les situations les plus difficiles, la prise en charge par eux-mêmes de leur propre avenir dans un contrat qui les lie avec leurs enseignants. Cette expérience a deux ans, elle marche remarquablement bien et je veux rendre hommage au proviseur, qui est peut-être ici, qui en tout cas a participé à nos travaux et a eu l'initiative de cette expérience. C'est dans ce cadre des établissements, donc je répète qu'il est le cadre majeur de l'ambiance et de l'organisation de la vie lycéenne et collégienne, que nous allons devoir traiter des grandes questions qui reviennent régulièrement dans notre actualité.
Première question : les rythmes scolaires. C'est un de ces sujets dont les journalistes tirent régulièrement des enquêtes qui passionnent les parents et sur lesquels, pendant longtemps, on a davantage échangé d'idées que fait bouger les réalités. On se trouve, vous le savez, devant un certain nombre d'expériences et devant un certain nombre d'exigences fortes, tant dans l'enseignement primaire que dans l'enseignement secondaire. Rythme scolaire, cela signifie, vous aurez à en traiter Madame Feneuille, l'articulation entre le temps scolaire et le temps non scolaire, le temps du loisir ou des activités individuelles ou familiales. Vous savez qu'on parle très régulièrement de la semaine de quatre jours dans l'enseignement primaire, ces jours-ci de la semaine de cinq jours, et je suis sûr que les travaux du groupe de travail, tout à l'heure, seront particulièrement intéressants et riches sur ce point. Moi j'ai souvent fait une observation que je vous livre et qui est simplement une observation. Vous le savez, nous sommes devant une évolution de la famille qui est très lourde de conséquences. Cette évolution de la famille, elle est particulièrement intéressante pour nous dans les grandes unités urbaines. Elle est marquée, en particulier, par le nombre croissant de familles monoparentales. Dans ces familles monoparentales, le parent qui s'occupe des enfants est, dans la très grande majorité des cas, une personne qui travaille et qui, travaillant dans un contexte urbain, a naturellement à vivre avec les contraintes du transport et d'une organisation très complexe, qui fait que la présence à la maison est, bien entendu, une présence moins importante qu'autrefois, plus réduite dans le temps. Je considère que c'est la principale raison pour laquelle la demande sociale est si forte pour que le samedi et le dimanche soient libres tous les deux. C'est ce que me disent les parents de ces familles monoparentales, car ce sont les seuls jours de la semaine scolaire où ils peuvent voir leurs enfants. Je crois que c'est une des raisons majeures pour laquelle la demande des parents, je ne dis pas des organisations de parents qui ont une analyse quelque peu différente – et c'est tout à fait légitime – et la demande des enseignants est si importante pour une évolution de la semaine scolaire. Je crois que voilà une donnée. C'est la vie dans les grandes unités urbaines et, en particulier, l'évolution de la famille qui commande une évolution, me semble-t-il, vers l'organisation de la liberté du samedi et dimanche. Autre est la question de savoir si les cinq jours qui demeurent doivent être organisés en deux jours de travail, un jour de repos et puis de nouveau deux jours de travail ou entre quatre jours et demi et une demi-journée de repos ou bien cinq jours scolaires. Question différente qui d'ailleurs peut être articulée. On peut imaginer que, selon les degrés scolaires : premier degré, second degré, l'école, le collège et le lycée, l'organisation soit différente. On pourrait aussi imaginer que, selon les villes, les lieux, on ait une organisation différente, en particulier que puisse être intégrée dans cette organisation de la semaine une partie du périscolaire, qui pour l'instant lui était extérieur. C'est, j'imagine, le sens de l'initiative récemment prise dans l'académie de Paris, ou en voie d'être prise, de l'organisation de la semaine scolaire sur cinq jours, avec intégration du périscolaire à l'intérieur de cette semaine. Je serai bien entendu très heureux d'entendre vos réflexions sur ce point. Autant l'organisation vers la liberté du samedi et du dimanche me paraît commandée par l'évolution de la société française dans laquelle nous vivons, autant l'organisation de la semaine me semble devoir, pouvoir, être discutée. Mais, Madame Feneuille, naturellement, l'organisation de la semaine, ce n'est pas le tout des rythmes scolaires. Il y a aussi l'organisation de la journée et vous vous y êtes intéressée dans votre rapport. Cette organisation de la journée a des aspects variés. Le nombre d'heures, la question des devoirs à faire, des études, la question de la répartition des disciplines dans la journée, tout cela participe de la réflexion que nous aurons à mener, et des évolutions que nous sommes en train de vivre.
Deuxième question, Monsieur l'inspecteur général Muller, qui remplace aujourd'hui Monsieur Poupelin, les problèmes si difficiles de violence et de sécurité. Je m'empresse, puisque l'on parle de sécurité, de dire un mot du sujet qui est à la une ces temps-ci, à savoir le problème de la sécurité des établissements, de la sécurité des bâtiments. Monsieur Schléret et ceux qui ont composé la commission avec lui ont fait, me semble-t-il, et j'en remercie tous les participants, y compris les organisations, un remarquable travail. C'est la première fois depuis l'accident du collège Pailleron hélas, arrivé en 1973, – il y a vingt et un ans – c'est la première fois que nous allons disposer d'une étude précise du risque. Et je suis très fier que nous ayons pu mettre sur pied cette étude du risque et la conduire à son terme avec l'approbation de tous. Quand je suis arrivé au ministère de l'éducation, j'ai été stupéfait de voir qu'il n'existait pas d'étude précise du risque localisé et que l'on avait de tout cela qu'une connaissance générale et vague. Lorsque l'on a la sécurité d'enfants, de jeunes en charge, on n'a pas le droit de se contenter du vague. Pour la première fois nous pourrons disposer de cet outil extrêmement précieux qui permettra de dire, dans chaque établissement, où est et quelle est la véritable nature du risque, sans tomber dans le catastrophisme, mais en essayant d'assumer les responsabilités qui sont les nôtres. Naturellement, le risque principal que nous avons à traiter, c'est le risque incendie. Ce risque incendie se décompose en deux séries de facteurs : la construction du bâtiment et la présence ou non de systèmes d'alerte, sa tenue au feu, si j'ose employer cette expression technique, en est la première appréciation. Et la deuxième appréciation, c'est la présence d'un certain nombre de facteurs aggravants du risque. J'en cite quelques-uns : difficulté d'évacuation, en particulier lorsqu'il y a des étages ou lorsque les cheminements sont difficiles ; capacité de vigilance : un internat, par exemple, pose clairement plus de problèmes qu'un externat. Monsieur Schléret me remettra son rapport le 19 avril. Ce rapport, dès que je l'aurais entre les mains, ce sera pour moi l'occasion de prendre contact avec les collectivités locales qui sont, par la loi, responsables des établissements, et de faire avec elles le bilan des risques, le classement de l'urgence des travaux à réaliser. Ma position est toute simple : lorsqu'un établissement sera analysé comme conjuguant le maximum de risques, comme additionnant les risques, il faudra le démolir et le remplacer par un établissement neuf, parce que nous ne pouvons pas cumuler et accepter tous ces risques. En revanche, lorsqu'un établissement se trouvera dans cette échelle du risque en situation meilleure, même s'il a besoin de travaux, il faudra que nous fassions avec les collectivités locales un calendrier pour savoir de quelle manière nous pourrons assumer ces travaux. Nous aurons alors, nous État, à examiner avec les collectivités locales, l'aide que nous pouvons éventuellement leur apporter. Je rappelle que nous avons en portefeuille, si j'ose dire, un emprunt à taux exceptionnel, bonifié, dont nous pouvons faire bénéficier les collectivités locales et qui est une manière d'aider. Nous avons déjà débloqué une enveloppe de 2 milliards cinq cents millions de francs de subventions aux collectivités locales sur les cinq années à venir pour les aider en cette matière. Mais, la responsabilité, cela consiste à affronter la réalité du risque. Je n'hésite pas à dire qu'en cette matière, nous avons été un peu irresponsables. Je ne parle pas souvent avec sévérité des gouvernements précédents. Dieu sait que la tâche est difficile et qu'il ne s'agit pas du tout de se rejeter les responsabilités les uns sur les autres, mais depuis 21 ans, il me semble que l'on aurait pu établir cette carte du risque de manière précise. Cela sera fait mardi. Mais naturellement, la sécurité dans les établissements, ce n'est pas uniquement la sécurité des bâtiments. Il y a aussi le sentiment de sécurité. Je veux, de ce point de vue-là, que ce soient abordées les questions de la violence à l'école. Non pas seulement parce que c'est un sujet facile de commentaire, mais parce que je sais qui sont les plus concernés : les plus concernés, ce sont les plus fragiles. Les plus fragiles de nos élèves et les plus fragiles de nos enseignants. Je n'hésite pas à dire qu'ils sont eux aussi quelquefois prisonniers, lorsqu'il existe, dans ce sentiment d'insécurité et que nous avons à l'égard des plus fragiles de nos élèves et à l'égard de nos enseignants les plus exposés, un devoir de solidarité. Là aussi, si nous ne l'exerçons pas, nous sommes irresponsables. L'amélioration du sentiment de sécurité dans les établissements passe par un certain nombre de questions que vous aurez à traiter, Monsieur Muller avec votre groupe. Cela passe par la question de la protection des établissements. Je n'emploie pas le mot de clôture parce que l'école en elle-même ne peut pas être close. Il demeure qu'elle doit être protégée contre un certain nombre d'agressions extérieures. Ainsi la loi du petit trafic, j'espère qu'il n'est que petit, où la loi du chantage ne doivent pas, du moins autant que nous le pouvons, trouver facilement carrière à l'intérieur des établissements. Il y a aussi un certain nombre de questions qui tiennent à la solidarité, à l'assurance que nous devons à nos enseignants d'être solidaire. Un certain nombre d'entre eux m'écrivent lorsqu'ils rencontrent des situations de cet ordre pour me dire le sentiment qu'ils ont eu que la hiérarchie administrative était quelquefois dérangée par les incidents qu'ils avaient subis et qu'ils n'avaient pas senti autour d'eux un sentiment de solidarité fort. Je veux dire simplement que, lorsque c'est le cas, j'espère que ce l'est rarement, il faut que cela change. On ne peut pas demander aux enseignants d'assumer leur mission si, lorsqu'arrivent un accident, une agression, une menace, une insulte, ils ont le sentiment que ceux qui les encadrent ne sont pas directement solidaires de leurs difficultés. Je sais que ce n'est pas la règle, et je comprends aussi très bien la réaction d'un certain nombre d'animateurs d'établissements qui se trouvent confrontés à ce genre d'incidents. Mais lorsqu'on est responsable d'établissements, on a à apprécier de quelle manière les incidents se sont noués. Je demande qu'on ait une attitude claire et affichée de solidarité avec les enseignants lorsqu'ils se trouvent exposés à des incidents ou à des climats de cet ordre. Nous avons aussi à réfléchir à la manière dont nous pourrons promouvoir l'image de l'école, étant entendu qu'une partie de ce sentiment et de ce climat d'insécurité vient de la déstabilisation de l'image de l'école chez certains élèves. Il y a une adhésion à l'école qui est la clé du climat à l'intérieur de l'école et ceci est un problème naturellement extrêmement important aussi. Voilà pour le groupe « Violence et sécurité ».
Troisième question, la santé scolaire et l'aide sociale. C'est un sujet très important sur lequel on revient souvent. C'est aussi, il faut le dire, un sujet qui, jusqu'à maintenant, n'a pas été marqué par une réussite très importante à l'intérieur de l'école. Les médecins scolaires me disent souvent la difficulté dans laquelle ils se trouvent pour exercer leur mission. Les infirmières expliquent, et à mon avis, à juste titre, ce qu'est l'évolution de leur métier et combien il est essentiellement passé de du métier de soins au métier d'écoute, d'assistance aux jeunes qui sont dans les établissements scolaires. Cela est pour nous un sujet de préoccupation très important. Est-ce que nous pouvons faire faire un pas qualitatif à la santé scolaire au moment même où la société française se tourne vers l'école pour qu'elle assume la mission de prévention en face d'un certain nombre de très grandes épidémies comme le Sida ? Voilà la mission que nous avons à remplir. Pour l'instant, ce n'est pas, comment dirais-je, un sujet de surprise de dire que l'organisation de la santé scolaire est notoirement insuffisante dans les établissements dont nous avons la charge. Je ne méconnais pas du tout les contraintes budgétaires très importantes qui ont imposé à mes prédécesseurs de réduire l'encadrement du point de vue de la santé. Je sais très bien ce qu'implique de gérer un budget. Aucun ministre de l'éducation ne peut l'ignorer. Il demeure que nous avons une question à laquelle il faut essayer d'apporter une réponse novatrice si nous le pouvons. Nous avons une mission sociale qui dépasse la mission même de transmission des connaissances et d'éducation de la personnalité, ou plutôt qui fait étroitement partie de la mission d'éducation de la personnalité. Enfin, la quatrième question « Organisation et fonctionnement des établissements » donnera lieu aussi, j'en suis sûr, à des débats extrêmement riches. Je pose seulement un certain nombre d'interrogations. Est-ce que nous pouvons trouver une place plus clairement établie pour les élèves et pour les parents d'élèves dans l'organisation des établissements ? C'est pour moi un souci. Quelle est cette place par rapport à la mission pédagogique ? Quelle doit être l'organisation interne des établissements et quelle doit être l'organisation des établissements entre eux ? Monsieur le recteur Blanchet, c'est vous qui avez la responsabilité de ce groupe. Est-ce que nous devons en rester à la notion d'établissements totalement indépendants et séparés les uns des autres, ou bien, comme dans votre académie, puisque vous avez eu un certain nombre d'initiatives de ce point de vue-là ou bien dans d'autres, est-ce que nous pouvons imaginer que les établissements mettent en commun un certain nombre de leurs ressources, s'installent davantage dans une situation de réseau ? Si oui, quelle partie de leurs ressources mettent-t-il en commun ? Quel est le degré de liberté du réseau ? Quel est le responsable du réseau ? Vous voyez que d'une certaine manière, nous pouvons ébaucher une architecture de l'organisation de l'école sur le territoire relativement différente de ce qu'elle était jusqu'à maintenant. Cette organisation des établissements est tout à fait au cœur de la préoccupation des personnels ATOS, c'est-à-dire des personnels administratifs, des personnels techniciens, des personnels ouvriers et de service dont nous avons le souci et qui, eux-mêmes, viennent souvent nous voir par l'intermédiaire de leurs organisations pour réclamer une organisation différente et aussi, en même temps, une définition différente de leur métier. Car, naturellement, si on est organisé en réseau, on peut davantage caractériser les métiers à l'intérieur de l'ensemble de ce personnel, et peut-être davantage mettre en valeur les capacités qui sont les leurs. C'est un ensemble de problématiques très importantes. Il peut aller jusqu'à poser la question, je la pose et je ne la résous pas, de l'appel à un personnel de suppléance plus local, d'une organisation du remplacement, peut-être de l'ouverture de l'école en ce qui concerne l'orientation et la formation sur les métiers. Voilà une série de responsabilités nouvelles qui doivent être peut-être différemment organisées si s'instaurent des relations nouvelles entre les établissements. On peut aussi défendre l'idée inverse, selon laquelle l'individualisation des établissements est un facteur de dynamisme et de réussite. Nous aurons de ce point de vue-là un débat qui, je crois, sera très intéressant. Voilà pour les débats en groupes de travail. Nous nous retrouverons ensuite pour une séance de synthèse où chacun pourra s'exprimer. Je voudrais faire une remarque : si parmi vous, dans le courant de la matinée ou dans le courant de l'après-midi, un certain nombre de participants considère qu'ils n'ont pas pu exprimer leur position, il leur suffit de nous adresser une contribution écrite et cette contribution écrite sera prise en compte. Si vous avez entre les mains le recueil des actes in extenso de la journée du 4 mars, vous remarquerez qu'il y a à la fin un certain nombre de contributions qui, n'ayant pu être faites de manière orale et directe, ont été faite de manière écrite. Merci de votre présence nombreuse et de votre participation active. À cet après-midi.