Texte intégral
Je vais essayer, en accord avec M. le ministre de la défense, d'apporter, aussi brièvement que possible, quelques réponses aux questions qui ont été soulevées par les différents orateurs.
Sarajevo
Je me suis trouvé en grande communauté de pensée avec l'intervention du président Giscard d'Estaing. Je ne citerai que quelques têtes de chapitre. Nous sommes bien d'accord pour concentrer nos efforts, militaires en particulier, et notre présence sur le terrain, sur Sarajevo. C'est l'orientation qui a été fixée par le Premier ministre et que nous mettons en œuvre. S'agissant de l'ouverture d'une ambassade qui en soit véritablement une, j'avais déjà répondu, monsieur le président, à votre attente dans mon intervention.
Russie
De la même manière, je partage tout à fait votre souhait d'établir avec la Russie une meilleure concertation et une meilleure coordination. C'est ce à quoi je m'efforce sur le plan bilatéral. J'envisage d'ailleurs de me rendre en Russie dans les prochaines semaines. Ce sera l'occasion d'aborder notamment de manière approfondie la situation dans l'ex-Yougoslavie.
De même, j'adhère tout à fait au rappel des principes et valeurs qui doivent être respectés dans le règlement de la crise bosniaque : intégrité de la Bosnie-Herzégovine, refus du nettoyage ethnique, refus des conquêtes par la force. Ce sont bien là des principes qui figurent explicitement dans le plan d'action de l'Union européenne auquel nous ne cessons de nous référer aujourd'hui. Enfin, je suis tout à fait d'accord pour que nous suggérions à nos partenaires de l'Union européenne une plus forte implication dans l'œuvre de reconstruction de la Bosnie-Herzégovine. C'est déjà le cas à Sarajevo, je l'ai dit. Ce sera aussi le cas à Mostar, où l'Union européenne prendra directement la responsabilité de l'administration de la zone. Elle a même déjà désigné son représentant.
Tribunal international
Vous m'avez posé plus précisément une question sur le tribunal chargé d'instruire les crimes de guerre qui a été institué par une résolution du Conseil de sécurité. Onze juges ont élus, dont un Français. Il s'agit du procureur général près la cour d'appel de Paris, M. Jorda. Un procureur adjoint est en place. Un procureur avait été désigné, mais le titulaire a démissionné. Son remplaçant devrait être très prochainement désigné. Le tribunal a également adopté ses règles de procédure et de preuves, qui vont d'ailleurs tout à fait dans le sens de ce que nous souhaitions, puisque ces règles de procédure permettront, même en l'absence des accusés, la mise en accusation publique pouvant donner lieu à un mandat d'arrêt international. Tous les problèmes de financement ne sont pas réglés – il y a encore quelques divergences sur les modes contribution – mais une solution provisoire a été trouvée, qui permet de boucler les accords de siège et de recruter les collaborateurs nécessaires au fonctionnement du tribunal. Je pense donc pouvoir dire que, d'ici à l'été, le tribunal entrera effectivement en fonctions. La France, pour sa part, s'efforcera de raccourcir les délais…
Pacte européen
J'ai pris intérêt aux réflexions (de M. Cazenave) sur la stabilité en Europe. En particulier, associer à l'Union de l'Europe occidentale les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, qui sont d'ores et déjà associés à l'Union européenne, est une idée que le gouvernement français a mise en avant dès le mois de novembre avec son partenaire allemand. Il a été un peu difficile de convaincre nos partenaires. Cette proposition est apparue, au départ, comme contradictoire ou concurrente de celle du partenariat pour la paix qui a été discutée au sommet de l'Alliance atlantique au mois de janvier. Nous avons fini par convaincre nos amis qu'elle était complémentaire et non pas concurrente, et je crois que, les 9 et 10 mai prochains, lors de la session ministérielle de l'Union de l'Europe occidentale, nous pourrons aboutir à un accord sur ce point et faire une proposition concrète aux pays intéressés, intéressés au sens fort du terme car, chaque fois que nous rencontrons les responsables polonais, hongrois, ou ceux d'autres pays d'Europe centrale et orientale, ils nous expriment leur très forte motivation pour cette association.
Diplomatie française
Je n'entrerai pas dans le détail de l'intervention de M. Hage qui, à bien des égards, se situe dans une autre logique que la nôtre. Je voudrais simplement le rassurer : la diplomatie française n'a pas été paralysée – telle a été d'ailleurs la tonalité générale du débat que de le reconnaître – et en tout cas pas par le traité de Maastricht, qui est entré en vigueur le 1er novembre, je le rappelle. On fait donc porter à ce malheureux traité tous les péchés du monde alors qu'il n'a pas encore pu développer toutes ses potentialités. J'espère que nous les verrons s'exprimer dans les mois qui viennent. Qu'une conférence de stabilité sur le développement de l'Europe et notamment de l'ex-Yougoslavie soit nécessaire, j'en suis d'accord, et cela figure explicitement dans le plan d'action de l'Union européenne qui prévoit une conférence de Londres II, puis une conférence de Londres III, au fur et à mesure que le processus de paix aura progressé.
Armes nucléaires
Je ne veux pas anticiper sur un autre débat qui sera conduit par le ministre d'État, celui sur la loi de programmation militaire, mais je ne peux tout de même pas laisser M. Hage mélanger la question des essais nucléaires et celle de la non-prolifération. Le premier objectif de la diplomatie française, je l'ai dit notamment lors de mon voyage en Extrême-Orient, c'est la non-prolifération. C'est la prolifération des armes nucléaires qui menace aujourd'hui l'équilibre et la stabilité du monde. C'est la raison pour laquelle nous faisons du renouvellement du traité de non-prolifération en 1995 une priorité, renouvellement sans condition et sans limite de temps, et aucun alibi ne doit être invoqué pour refuser le renouvellement de ce traité de non-prolifération. Nous sommes, par ailleurs, favorables à la conclusion d'un traité interdisant les essais nucléaires à condition que cela n'entrave pas la force de modernisation de notre propre force de dissuasion, qui a besoin d'essais complémentaires, comme le Gouvernement l'a dit à plusieurs reprises…
Ex-Yougoslavie
Permettez-moi simplement de faire remarquer que, si nous en sommes aujourd'hui là où nous en sommes, si un tournant a pu être pris dans ce conflit à partir du mois de février, si Sarajevo, petit à petit, péniblement, pas assez vite, revit néanmoins, c'est bien – je le dit sans forfanterie – à l'action de l'actuel gouvernement, soutenu par son actuelle majorité, que nous le devons, et à personne d'autre !
Je voudrais aussi rectifier une petite erreur que vous avez faite, me semble-t-il, en dénonçant notre incapacité à rouvrir l'aéroport de Tuzla. Je parle sous le contrôle de M. Léotard : l'aéroport de Tuzla est bien ouvert et l'objectif que nous nous étions fixé a été atteint.
Chine
Vous avez évoqué la Chine. Je suis persuadé qu'on en parlera demain et je ne vais donc pas ouvrir le débat aujourd'hui. Permettez-moi de vous dire qu'en la matière il faut être très prudent avec la morale.
Casques bleus français
M. Boyon a fort opportunément rappelé que le Parlement n'avait jamais manqué d'informations sur cette crise de l'ex-Yougoslavie, et je l'en remercie. Je m'associe bien entendu à l'hommage qu'il a rendu à la grande efficacité de nos armées. Je l'avais fait moi-même à la tribune. Je crois qu'il a utilisé, pour caractériser le comportement de nos « casques bleus », les deux mots qui conviennent : compétents et enthousiastes. Il suffit d'ailleurs de voir comment on les réclame partout où c'est difficile, parce qu'ils ont fait leurs preuves sur le terrain, et c'est parfois une pression à laquelle il faut savoir résister. Que cette mission soit risquée, nous en avons eu, hélas ! La preuve sur le terrain. Qu'il faille préciser les missions assignées à nos contingents, mieux peut-être que ce n'est fait, c'est vrai, dans certaines résolutions du Conseil de sécurité, j'en suis d'accord. J'ai expliqué moi-même tout à l'heure qu'à Gorazde en particulier comme l'a dit François Léotard, il fallait préciser la mission assignée à nos « casques bleus » avant que se déploie sur le terrain une force des Nations unies.
ONU
Vous avez ensuite évoqué, monsieur le député, le nécessaire renforcement du rôle et des moyens des Nations unies dans la gestion des crises. Nous avons fait un certain nombre de propositions au secrétaire général des Nations unies sur ce thème dans le cadre de ce qu'il a appelé « l'Agenda pour la paix ». Nous avons notamment suggéré une nouvelle organisation du département du maintien de la paix avec un renforcement de la présence militaire, notamment française, et c'est actuellement en cours. La réforme n'est pas encore arrivée à son terme et le secrétariat général continu à y travailler.
Vous avez enfin évoqué le problème des procédures de décision à l'intérieur de la chaîne de l'ONU en rappelant la lettre que M. Balladur avait adressée au secrétaire général au moment des incidents de Bihac. J'ai pu moi-même faire le point de cette question hier avec le représentant spécial du secrétariat général, M. Akashi, qui était à Paris. Comme je vous l'ai indiqué, une amélioration spectaculaire a été enregistrée puisque-là où il avait fallu plus de quatre heures à Bihac, il a fallu moins d'une demi-heure à Gorazde. M. Akashi, représentant spécial, a décidé tout récemment de déléguer sa propre responsabilité, qu'il a reçue du secrétaire général, au commandant de la FORPRONU sur le terrain, le général de Lapresle. Vous voyez qu'il y a eu là des progrès significatifs et que les demandes que nous avions formulées ont été entendues.
Même si la gestion, comme on dit dans un mauvais langage, de cette tragédie de l'ex-Yougoslavie nous laisse amers les uns et les autres d'un certain point de vue, la France, j'en ai la conviction profonde, a fait tout son devoir et n'a pas de leçons à recevoir dans ce domaine. Quand je me déplace à l'étranger, ce qui m'arrive souvent, j'entends de nombreux conseils : il faudrait faire ceci ou cela, il faudrait aller plus vite. Mais qui agit ? La France !
Elle a agi d'abord par sa présence militaire, et nous nous associons tous, bien sûr, à l'hommage qui a été rendu à nos soldats qui, trop souvent, ont payé le prix du sang. Elle a agi ensuite par sa présence humanitaire, à la fois grâce aux organisations non gouvernementales françaises qui sont sur le terrain et grâce à un effort financier. Nous sommes avec nos partenaires de l'Union européenne ceux qui contribuent le plus à l'aide humanitaire dans le monde. On entend parfois beaucoup les autres, mais qui paie ? C'est l'Union européenne. Elle a agi enfin sur le plan diplomatique par les multiples initiatives qui ont été rappelées tout à l'heure, à la fois par les orateurs et par moi-même.
Aujourd'hui encore, la France essaie d'être en pointe dans ce dossier. Elle ne se résigne pas. Le résultat – j'y verrais peut-être un signe, de façon trop optimiste – c'est que, me semble-t-il aussi bien dans cette assemblée, si j'en juge par les interventions qui ont été faites cet après-midi, que dans l'opinion publique, il y a une sorte sinon de consensus, du moins d'accord national. Et je tiens moi aussi, à saluer la façon dont l'opinion publique française a réagi avec un esprit de générosité, et surtout avec beaucoup de sang-froid. Il arrive souvent, lorsque je discute de cette question avec mes partenaires européens, à Bruxelles ou à Luxembourg, qu'on m'interroge et qu'on me dise : « Mais la présence des soldats français sur le terrain n'est-elle pas un enjeu politique en France ? Est-elle acceptée ? Est-elle comprise ? Le fait que vous ayez eu tant de morts, trop de morts, ne provoque-t-il pas une sorte de réaction négative ? ». Les Français, tout en s'inclinant évidemment devant la mémoire des soldats disparus, ont compris qu'il y avait là un prix à payer. C'est le signe d'une maturité et d'un courage de l'opinion publique, qui se sont traduits dans le présent débat, au cours duquel l'action que nous menons a recueilli – c'est ainsi que je l'ai perçu – un très large accord de l'Assemblée.