Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR et maire de Paris, sur l'Islam en France, Paris le 1er juillet 1994.

Prononcé le 1er juillet 1994

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Circonstance : Visite de M. Jacques Chirac, maire de Paris, à la Grande Mosquée de Paris, après les travaux de rénovation, le 1er juillet 1994

Texte intégral

Monsieur le recteur,
Monseigneur,
Monsieur le Grand Rabbin,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,

Je suis tout particulièrement heureux d'être parmi vous, en ce jour de prière, alors que viennent de s'achever d'importants travaux de rénovation dans cette Grande Mosquée de Paris, prestigieux lieu de culte où s'exprime, sous votre égide monsieur le recteur, un islam modéré, généreux et tolérant.

Il y a soixante-treize ans, le Parlement français, par un vote unanime, créait l'Institut musulman de la mosquée de Paris, en hommage aux soldats musulmans – marocains, algériens, tunisiens, sénégalais –, qui donnèrent leur vie pour la France, cette patrie lointaine qui était pour eux celle du cœur.

Paris, qui depuis toujours entretient avec la communauté musulmane des relations de confiance et d'estime réciproques, avait déjà, à l'époque, voulu lui manifester son soutien et sa reconnaissance en offrant ce magnifique terrain du 5e arrondissement à la Société des Habous et des Lieux Saints de l'islam.

Depuis lors, les liens d'amitié entre la communauté musulmane et Paris n'ont fait que se renforcer et c'est tout naturellement que j'ai proposé au Conseil de Paris, il y a deux ans, de contribuer, à hauteur de 15 millions de francs, aux travaux de rénovation de ce lieu de prière et de mémoire, où s'exprime, dans toute sa splendeur, la tradition artisanale et culturelle du Maghreb.

La France est un pays de liberté. Au travers du principe de laïcité, c'est la liberté de conscience et le libre exercice des cultes qu'elle garantit à tous.

L'islam, quant à lui, est à la fois une religion, une communauté, une civilisation et une culture. La laïcité française lui offre un cadre de liberté capable de le recevoir dans ses différentes composantes spirituelles.

À l'heure où certains pays, au-delà de la Méditerranée, connaissent une inquiétante montée des intégrismes, suscitant de légitimes inquiétudes au sein de la société française, je crois qu'il est bon de souligner que la Grande Mosquée de Paris, a toujours, à travers ses chefs spirituel et religieux, défendu et enseigné les principes de justice, d'équilibre et de modération assignés à la communauté musulmane par le Coran dès ses origines, œuvrant pour la tolérance et le respect mutuel de l'Islam et de la nation française.

Sans entrer dans un débat théologique, je crois qu'il faut rappeler que la notion de Nation est fortement compatible avec l'Islam en tant que culte et que communauté. Il me semble d'ailleurs vous me démentirez Monsieur le recteur, si je suis dans l'erreur – qu'un adulte authentique du Prophète affirme que « L'amour de la Nation est une forme de la foi ». Et j'ajouterais qu'ils sont nombreux ceux qui, musulmans, ont pendant la Seconde Guerre mondiale donnés leur vie pour la Nation française.

Aujourd'hui, dans notre pays, l'Islam intègre de manière complémentaire les aspects dogmatiques, culturels et sociaux de la communauté musulmane, opérant une « fusion sans confusion » des diverses exigences du droit individuel, du droit collectif et du droit divin.

L'évolution sociale des générations musulmanes qui se sont succédées en France montre l'exceptionnelle adaptation dont les jeunes maghrébins ont su faire preuve pour s'adapter au modèle culturel européen.

Aujourd'hui, la société française compte en son sein de nombreux universitaires, enseignants, avocats, médecins, hauts fonctionnaires et chefs d'entreprise musulmans. Je ne pense pas qu'il faille y voir simplement la réussite d'une élite, mais plutôt les prémices d'une véritable intégration, et le signe d'une modernité religieuse constructive.

Fidèle à l'esprit d'ouverture et de tolérance qui a toujours été le vôtre, vous vous proposez aujourd'hui, Monsieur le recteur, de former, au sein de l'Institut musulman de la Mosquée de Paris, les imams de France, afin de promouvoir, dans l'esprit de la Shari'a, la pratique d'une religion éclairée par la Foi et par la Science.

Je forme sincèrement le vœu que ce beau projet puisse voir le jour, car je suis convaincu qu'il favorisera une attitude religieuse ouverte et responsable, porteuse d'avenir pour toutes les jeunes générations.

Si vous le permettez, monsieur le recteur, je donnerai à ma présence à vos côtés aujourd'hui une double signification : non seulement elle témoigne de l'intérêt que les parisiens et leur maire portent aux musulmans de France et à leurs représentants, mais aussi d'une volonté d'ouverture, de compréhension et de respect mutuel.